2008-04-30

 

Au programme de Boréal 2008

Le programme du vingt-cinquième congrès Boréal est maintenant disponible, y compris sous forme abrégée (.PDF) ou détaillée (.PDF). Cette année, la science-fiction est à l'honneur. Et, quarante ans après mai 68, les discussions se placeront en grande partie sous le thème d'une possible science-fiction citoyenne, à l'image de la conception d'une science citoyenne. Si la science citoyenne se fixe pour but de critiquer la science qui se fait aujourd'hui et de débusquer les excès de son instrumentalisation, la science-fiction citoyenne serait celle qui imagine des utopies, dénonce les dérives potentielles et propose de nouvelles solutions.

Dans un sens, la science-fiction citoyenne se rapprocherait de la « Mundane Science Fiction » définie par Geoff Ryman l'an dernier à Boréal dans la mesure où elle serait plus soucieuse de l'avenir immédiat et des voies les plus réalistes à emprunter pour sauver l'humanité future des dangers qui la menacent.

Les trois invités d'honneur — Catherine Dufour, Karl Schroeder et Élisabeth Vonarburg — sont tous reconnus pour leur pratique d'une science-fiction consciente des enjeux sociaux et politiques. Mais ils ne seront pas seuls. Ils seront rejoints par des artistes (Shawn Bailey, Florent Veilleux), des éditeurs et directeurs littéraires (Joël Champetier, David Hartwell, Stéphane Marsan et Daniel Sernine), et de nombreux autres écrivains, de Natasha Beaulieu à Jo Walton.

En sus de la thématique de la science-fiction citoyenne, le congrès Boréal restera un grand rassemblement des amateurs, lecteurs et créateurs, tant de la science-fiction que du fantastique ou de la fantasy. Trois pays seront représentés, soit le Canada, les États-Unis et la France. Et les Prix Boréal ainsi que le Prix Jacques-Brossard seront remis durant le congrès.

Et il ne reste que trois jours pour s'inscrire par la poste!

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2008-04-29

 

Le monde englouti

Histoire de prolonger ma série des villes englouties au Canada par une future montée des océans, série qui s'arrêtait à Montréal faute d'autres villes importantes affectées au Canada (on me dira Victoria, mais bon... je m'en occuperai un de ces jours), on peut maintenant consulter cette page qui offre des animations téléchargeables de la montée mondiale des eaux, ainsi qu'un article qui tente d'évaluer les populations affectées.

Évidemment, les auteurs modélisent l'effet d'une fonte totale et maximale des glaces sur la planète actuelle. (Ils adoptent une valeur de 80 mètres pour la montée maximale des eaux.) Les scientifiques s'entendent pour dire que ceci n'aura pas lieu de sitôt. De ce point de vue, ces simulations sont de la pure science-fiction (sauf dans la mesure où elles permettent d'identifier les régions les plus menacées aujourd'hui par les ouragans et les tsunamis). En ce qui concerne le réchauffement du climat, s'il faut mille ans pour se rendre jusqu'à ces niveaux, les deux milliards de personnes qui seraient affectées aujourd'hui seront mortes depuis longtemps et leurs descendants auront eu le temps de déménager...

Néanmoins, si on a toujours voulu savoir à quoi ressemblerait la Terre en plus chaud, ces animations sont frappantes. L'Australie, l'Amérique du Sud et la Chine acquièrent des mers intérieures; les régions comprises entre l'Ukraine, le Caucase et l'Oural sont également noyées. La Russie est presque coupée de l'Asie... Des pays comme le Bangladesh, les Pays-Bas et le Danemark disparaissent. La Floride n'est plus là. La péninsule coréenne s'en tire mieux que la Chine côtière et le Japon montagneux que l'Angleterre méridionale. Mais l'Italie est presque coupée du continent, tandis que les îles indonésiennes sont essentiellement réduites à leurs échines volcaniques.

Et le Canada? Les auteurs ne fournissent pas de données particulières, mais je sais qu'à partir de 70 mètres de montée des eaux, Ottawa devient un port de mer. Et comme l'Arctique continue à fondre à toute vitesse...

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2008-04-28

 

Jean-Louis Trudel à Toronto

Aujourd'hui, je suis à Toronto pour une rencontre littéraire à la succursale des Beaches de la bibliothèque municipale de Toronto. C'est au 2161 de la rue Queen Est, à l'entrée du parc des Kew Gardens, près de l'intersection de Lee et Queen Est. Il sera facile de s'y rendre en tramway... si la grève des transports en commun ne connaît pas un ultime sursaut aujourd'hui.

Cette rencontre fait partie de la série d'événements Foresight: Speculative Fiction in Canada, soutenue par le Conseil des Arts du Canada, du 21 avril au 31 mai. Ce soir, à la bibliothèque des Beaches, la rencontre commence à 19h. Je lirai des extraits de mes œuvres, je répondrai aux questions du public et je dédicacerai des exemplaires de mes livres. Une généreuse sélection de mes romans pour jeunes (et de ceux de Laurent McAllister) sera vendue sur place.

Je dois espérer que les organisateurs ont réussi à cibler quelques écoles francophones, car sinon j'ai l'impression que je me sentirai bien seul. (Il ne suffit pas toujours d'un peu de publicité dans L'Express de Toronto ou Le Métropolitain pour attirer les gens...) Mais cela permettra aux personnes présentes de m'avoir à elles seules!

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2008-04-26

 

L'invasion des écureuils noirs

Dans son roman L'Écureuil noir, Daniel Poliquin faisait de cet animal un symbole des Franco-Ontariens à la genèse mythique et lourde de sens : ces écureuils seraient « en fait d'anciens rats noirs qui se sont croisés avec les écureuils gris pour échapper aux mesures d'extinction qui les menaçaient. Les écureuils noirs n'auraient gardé de leur passé de rat que la couleur du pelage, une certaine odeur et des traces d'accent étranger dans leur parler » (pour citer Visions de Jude, très précisément, mais ce mythe des origines ressert dans le roman L'Écureuil noir). Le symbole pouvait sembler approprié, puisqu'on ne retrouvait guère cet écureuil autrefois qu'à Ottawa et Toronto, et non au Québec.

Mais l'écureuil noir est en marche... en Angleterre, où il menacerait même de supplanter la population actuelle d'écureuils gris dans les comtés de l'est de l'île. Dans cet article du Guardian, les origines réelles de l'écureuil noir sont rapportées : il serait un mutant! Ou plus exactement, une variante de l'écureuil gris, mais une variante plus agressive qui carbure à la testostérone.

Ma foi, ce n'est peut-être pas un si mauvais totem pour les Franco-Ontariens...

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2008-04-25

 

Adieu aux neiges d'hier

Le 9 mars dernier, après la tempête, la neige amoncelée s'élevait jusqu'à l'étage de la maison en arrière-plan, quelque part en banlieue d'Ottawa...

Le 16 avril, il en restait encore assez pour mettre sur pied une escouade de bonhommes de neige...

Le 17 avril, on voyait quand même de plus en plus d'herbe...

Le 18 avril, le soleil a donné un coup de main...

Le 21 avril, quelques jours plus tard, c'était clairement la retraite...

Quelques jours plus tard, le 22 avril, il demeurait à peine de quoi confectionner deux bonhommes...

Grâce au soleil, on en voyait la fin hier au milieu de la pelouse...

Et aujourd'hui, c'est probablement la fin, et il faut bien regarder pour voir les ultimes plaques de neige sale...

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2008-04-24

 

Iconographie de la SFCF (22)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; (17) le théâtre moderne de SFCF; (18) la télé et la SFCF écrite; (19) l'anniversaire de Spoutnik; (20) les premières guerres imaginaires de la SFCF; et (21) les chimères.

Après la Grande Guerre, la science-fiction qui se publie au Canada francophone prend une coloration nouvelle. Elle se rattache de plus en plus aux textes publiés à l'étranger, en particulier en France. Les Aventures extraordinaires de deux Canayens de Jules Jehin en 1918 rendent un hommage assez appuyé à Jules Verne et aux auteurs contemporains; de plus, elles adoptent le format du fascicule qui sera également celui des romans de la collection lancée par Édouard Garand à Montréal, « Le Roman canadien ». L'inclusion d'illustrations dans ces romans rappelle également la pratique déjà adoptée dans les éditions illustrées de romans comme Le Nouveau Déluge. Dans cette collection, la science-fiction n'est vraiment représentée que par La Cité dans les fers (1926) d'Ubald Paquin, dont j'ai déjà parlé. L'autre roman que l'on peut rattacher au genre, c'est L'Impératrice de l'Ungava (1927) d'Alexandre Huot (1897-1953). Immanquablement, le lecteur songe à des romans comme She de Haggard et L'Atlantide de Pierre Benoit, mais sous une forme bien édulcorée. La belle Impératrice de « l'Empire des Montagnais, Nascapis et Esquimaux » règne à Orsauvage en Ungava, dont les filons de métal doré financent la construction d'une ville nouvelle visible à l'arrière-plan de la couverture par Albert Fournier. Mais l'Impératrice est bien jeune, une ancienne élève du Couvent de Bellevue à Québec, et elle rougit quand il est question d'amour. On est loin des terribles déesses immortelles de Haggard ou Benoit...

Dans L'Impératrice de l'Ungava, l'arrivée à Orsauvage et sa description tiennent en huit pages à peine. Certes, ce n'est pas une fraction négligeable d'un roman d'une cinquantaine de pages, mais c'est fort peu si on compare cet épisode aux longs développements d'Eutopia ou d'Erres boréales. Le choix du Grand Nord est intéressant puisqu'il précède le choix de l'Arctique dans la version filmée de She en 1935, quelques années plus tard, mais non le choix d'une île polaire par l'auteur soviétique Vladimir Obrouchev comme site d'un monde perdu dans son roman Zemlia Sannikova en 1926.

L'Impératrice de l'Ungava précède de peu un ouvrage québécois qui relève beaucoup plus franchement de la science-fiction, le recueil L'Homme qui va (1929) de Jean-Charles Harvey (1891-1967), qui a obtenu un Prix David la même année. L'édition originale est illustrée par de petits dessins de la plume de Simone Routier (1901-1987) qui a également obtenu un Prix David en 1929, mais pour un recueil de poésie. Toutes les nouvelles du recueil de Harvey ne relèvent pas de la science-fiction, car l'auteur fait aussi appel au fantastique et à l'allégorie. Dans la nouvelle « Tu vivras trois cents ans », le docteur Lazare Pernelle reçoit vers 1950 la visite de la Mort, qui lui offre des philtres de longévité. Ceux-ci lui permettront de vivre trois siècles, c'est-à-dire assez longtemps pour qu'il se rende compte de l'inanité de la vie. Et ça marche! Pernelle profite de la vie, rencontre l'amour, tente de percer le secret des philtres, puis les partage avec le second grand amour de sa vie, ayant décidé que la vie seule ne suffit pas si doivent souffrir les êtres que l'on aime. La nouvelle contient quelques lignes sur l'avenir — en 2200, les invités se rendent à une grande réception en avion. Mais il s'agit beaucoup plus d'un conte philosophique ou moral.

Dans « Isabeau », une femme de ce nom reçoit un aviateur appelé Gaspard qui s'éprend vite de cette beauté troublante. Comme ailleurs dans le recueil, cet aviateur symbolise l'audace, l'aventure et l'avenir. Son avion surgit au crépuscule « et, avec l'élégance du goéland, il se pose sur le sable roux de la grève ». De l'appareil « sort un jeune homme. Il est de haute taille et fort beau. » Il s'exerce au vol transocéanique : « Comme l'aigle, j'essaie mes ailes avant l'envolée de la gloire. Dans un jour, je passerai l'océan, et, d'un seul bond, j'aurai supprimé la distance qui sépare deux continents. » Isabeau et Gaspard partent ensemble au-dessus de l'océan, l'avion survolant les vagues pendant des heures jusqu'à ce que la femme révèle à l'homme luttant contre l'épuisement qu'elle est l'incarnation de la Gloire. Et c'est la chute de l'avion vaincu, durant laquelle le pilote sent se poser sur lui les lèvres froides de la Gloire. « Et la mer infinie se referma sur cette petite chose qu'on appelle un homme. » Difficile de ne pas songer à Charles Nungesser qui disparut en 1927 au cours d'une traversée de l'Atlantique... L'illustration de Routier représente ce moment dramatique et point culminant de l'histoire, et il suffit de comparer le dessin de Routier à une photo de L'Oiseau blanc de Nungesser et Coli pour saisir la ressemblance.

Dans la nouvelle « Au pays du rat sacré », Harvey sacrifie encore au culte de l'aviation entretenu à cette époque par des aviateurs et des auteurs comme Saint-Exupéry. (Durant la Seconde Guerre mondiale, Harvey devait rencontrer Saint-Exupéry.) Cette fois, c'est un pilote appelé Paul Durant qui disparaît en 1950, ayant pris le chemin de Mars après avoir quitté Québec aux commandes d'un trimoteur. Les journaux le croit tombé au large de Terre Neuve (comme Nungesser et Coli), mais il a réussi à traverser l'espace intersidéral en profitant de l'énergie solaire... Il revient de son périple avec l'histoire du savant Hosmar, qui a eu le malheur d'avoir raison trop tôt. Sur Mars, la ville capitale de Mingrotolim (où les hommes ont huit pieds et les femmes sept) vouait autrefois un culte au rat gris qui pullulait depuis des siècles. Le savant Hosmar se fait abominer d'injures quand il ose affirmer qu'il a observé un rat blanc. Il passe pour fou et il est enfermé à l'asile jusqu'à ce qu'il décide d'abjurer sans essayer d'avoir raison contre tout le monde... Paul Durant conclut son récit en relatant que, depuis l'époque de Hosmar, le rat blanc a supplanté le rat gris à tel point que la population de Mingrotolim refuse de croire qu'il y a déjà eu des rats gris. Quelques années plus tard, Harvey n'allait pas se faire des amis en publiant Les Demi-Civilisés et il allait devenir le champion de l'anti-fascisme au Québec, rejetant la mollasse pensée unique de ses contemporains qui, à l'instar de Lionel Groulx, ne trouvaient pas grand-chose à reprocher à Mussolini, Salazar ou Pétain. En fait, Harvey rejetait tous les totalitarismes et son roman Les Paradis de sable critiquera aussi les illusions du communisme. Que voulait-il faire entendre par cette nouvelle? Peut-être que si on a raison contre tous, on se fera donner raison, tôt ou tard... au besoin, après sa mort, comme le suggère l'illustration de Routier!

Retenons deux autres textes de Harvey. Dans « Radiodiffusion sanglante », Harvey signe un texte d'authentique science-fiction qui se passe en 1940. Georges Loranger et Germaine le Pailleur se sont fiancés à Québec, mais les soucis de santé de Germaine obligent son docteur à l'envoyer se refaire une santé dans les Rocheuses. Elle fait le voyage dans le grand monoplan de service, mais elle rencontre à Banff un séduisant Américain. Tombée sous son charme, elle le cache bien mal quand Georges lui rend visite. Une lettre de rupture ne tarde pas, mais Georges insiste pour parler une dernière fois à l'infidèle. Comme il est de retour à Québec, il est obligé de se servir d'un appareil de « radio-photo-téléphonie », ce qu'on appellerait aujourd'hui un vidéophone. Malgré les supplications de Georges, Germaine ne change pas d'idée et le jeune homme amoureux se tue sous les yeux de la fiancée volage, le sang coulant sur le visage de Georges à l'écran — et dans l'illustration de Routier. Le message est ambigu. En une dizaine d'années, le progrès a bouleversé les modes de vie. Georges et Germaine ont pris l'avion pour New York le soir de leurs fiançailles et l'avion facilite aussi les déplacements, de Québec aux Laurentides ou de Québec aux Rocheuses. Mais la technique ne change rien à la leçon présente chez d'autres auteurs québécois, comme Tardivel : « Cette année-là déjà, on pouvait, à trois mille milles de distance, voir souffrir et mourir. Le progrès n'avait pas diminué d'une goutte la mer infinie des douleurs morales. »

La nouvelle « L'Étoile » épilogue aussi sur l'immédiateté offerte par les nouveaux médias. Kathleen Murphy est une fille de La Malbaie dont le docteur René Jasmin s'est épris, mais elle rêve aussi de la gloire et de la renommée comme actrice. « Hollywood m'attire comme une terre promise. » Remarquée par une troupe de passage dans la région, elle fait carrière en l'espace de trois ans et devient une star. La date n'est pas précisée, mais Harvey anticipe la télévision hertzienne en couleurs de plusieurs décennies (en France, la télévision de l'ORTF ne passerait à la couleur que plusieurs mois après la mort de Harvey en janvier 1967). Il la décrit ainsi : « On vient de donner la dernière main à la prodigieuse invention du radio-ciné-parlant. L'image visuelle se transmettant par les airs à l'égal des sons, on combine parfaitement, dans les appareils récepteurs d'ondes, la photographie animée et la vibration sonore. À cela s'ajoute la reproduction exacte des couleurs. » Mais cette invention se transforme en appareil de torture quand le docteur Jasmin doit subir la vision de la femme qu'il aime sans espoir dans les bras d'un autre homme. Il a rendu à la vedette sa voix chérie, mais il a refusé de profiter de la gratitude offerte de Kathleen. La radiodiffusion cinématographie est cruelle, car Harvey la conçoit encore comme du direct, je crois, de sorte que l'effet pour le pauvre docteur Jasmin est décuplé. La femme qu'il aime est presque parfaitement présente, sauf qu'elle n'y est pas...

L'amour et l'avenir sont aussi au rendez-vous dans les deux ultimes nouvelles du recueil, « Hélène du XXVe siècle » et « La dernière nuit », qui imaginent un futur éloigné et une triste fin du monde qui perd la chaleur du Soleil mourant... Par la place faite aux futurs les plus lointaines et aux techniques affectant jusqu'à la vie la plus intime, ce recueil s'inscrit à part entière dans la science-fiction du vingtième siècle.

2008-04-23

 

La SF à l'écran... en 1935

Difficile de trancher et de dire si la version produite en 1935 de She, le célèbre roman de H. Rider Haggard, relève de la science-fiction ou du fantastique. Il y a quelques références à la source de l'immortalité qui invoquent pêle-mêle les courants électriques à haute tension, la radio, la radioactivité et les rayonx X... L'oncle de Leo Vincey, le personnage principal, se meurt d'un empoisonnement au radium, à l'instar d'Eben Byers trois ans plus tôt, après avoir longtemps tenté de reproduire les pouvoirs de la flamme qui confère l'immortalité en étudiant les radiations dans son laboratoire. Comme je l'avais déjà signalé dans le cas de Maurice Leblanc, la conception de la radioactivité comme fontaine de Jouvence était dans l'air du temps — et le demeurait en 1935 malgré les accidents mortels tout récents. Mais il reste assez difficile de réconcilier ce qu'on voit de cette flamme avec quoi que ce soit de scientifique... Ce qui est sûr, c'est que la comparaison de ce film avec les films de science-fiction de 1954, 1955, 1960, 1972 ou 1976 souligne l'évolution des effets spéciaux. L'effet spécial le plus simple, pourrait-on dire, c'est encore la couleur. Malgré les couleurs ajoutées à la version commercialisée sur DVD, le film d'origine n'en avait pas. Ray Harryhausen a dirigé la colorisation avec l'accord des héritiers. Comme sa propre carrière l'avait amené à travailler d'abord sur des films en noir et blanc avant de passer à la couleur avec The 7th Voyage of Simbad (1958), il était bien placé pour comprendre le sens du design des réalisateurs de films à effets spéciaux en noir et blanc. Le résultat de la colorisation coupe le souffle.

L'ajout de la couleur rend aux effets spéciaux de l'époque tout leur lustre et, malgré le temps écoulé, certaines scènes restent spectaculaires. La première série télévisée de Star Trek, trente ans plus tard, n'aura pas toujours fait mieux, malgré les progrès techniques intervenus entre temps. Aux belles maquettes (comme celle de la grand-salle ci-dessus) s'ajoutent des numéros de danse et des cérémonies barbares qui représentaient une valeur ajoutée à l'époque, avant la saturation des ondes par les émissions de variétés de la télévision.

Et la science-fiction? Leo Vincey et ses compagnons finissent par découvrir le sanctuaire de She Who Must Be Obeyed, et par s'en échapper. Mais l'expérience humaine de l'immortalité et des amours contrariées par le temps fascinent plus qu'un quelconque secret scientifique. Avant tout, She est une aventure classique... mais peut-être pas immortelle, car cela fait déjà un certain temps qu'on n'a pas refait une nouvelle version filmée du roman de H. Rider Haggard.

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2008-04-22

 

Les rites du printemps

Hier, il a fait chaud dans les rues de Montréal après la partie tout comme il avait fait chaud ces derniers jours en général... Je ne crois pas que ce soit un hasard. Si l'exemple a été donné par des anars et des voyous descendus au centre-ville de leurs repaires, il a pu être suivi par des étudiants dont l'année universitaire s'achevait et que les températures presque estivales étourdissaient après un long hiver. En un sens, les saccages auront joué le rôle de défouloir collectif que le carnaval jouait autrefois à un moment similaire de l'année...

Mais je trouve également notable qu'on ait assez peu mentionné la tenue le 15 mars dernier à Montréal de la manifestation annuelle contre la brutalité policière, qui avait entraîné des dégâts fort semblables et de nombreuses arrestations. Il semble probable que ce soient les mêmes anars, militants et autres casseurs, plus que de simples pillards ou émeutiers, qui aient profité de l'occasion de prendre leur revanche, mais à l'abri de la foule des partisans du Canadien.

Bref, c'est une dynamique mauvaise qui est enclenchée entre la police et des éléments de la jeunesse montréalaise. Comme toutes les dynamiques alimentées par des chocs en retour successifs, il est à chaque fois difficile d'assigner tous les torts d'un seul côté. Le délit de faciès est sans doute devenu une réalité dans certaines parties de l'île, mais le harcèlement policier passé ne justifie pas le vandalisme des biens collectifs — et celui-ci garantit une réaction musclée des policiers à la prochaine occasion. Réaction potentiellement mobilisatrice, évidemment...

À cette dynamique que l'on a déjà vue à l'œuvre dans les grandes villes des États-Unis et de la France s'ajoute toutefois, il me semble, un ingrédient spécifiquement québécois. Depuis plusieurs années, les médias manifestent une indulgence coupable pour les manifestations agitées, en particulier quand il s'agit de causes (l'altermondialisme, par exemple, ou le gel des frais étudiants) qu'ils trouvent sympathiques. Cette tolérance tacite a encouragé les débordements que l'on a vu lors du Sommet des Amériques à Québec et qui ont provoqué des réactions policières excessives mais compréhensibles. Plus récemment, on songera au grabuge à l'UQÀM, dans le cadre d'une grève d'une rare futilité qui se trompait complètement de cible. Quand l'argent est à Québec (ou dans les poches des riches) et les déficits à l'UQÀM, ce n'est pas à l'UQÀM qu'il faut réclamer des sous... Maintenant que l'étalage du même plaisir de saccager fait honte à tous, il est un peu tard pour regretter.

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2008-04-21

 

Christine Dumitriu van Saanen (1932-2008)

Je me sentirais ingrat si je ne signalais pas le décès (et la vie!) de Christine Dumitriu van Saanen, dans la nuit du 8 au 9 avril dernier. Je l'avais rencontrée pour la première fois quand j'organisais des festivals de science-fiction à l'Université d'Ottawa de 1987 à 1989, culminant avec la tenue conjointe du dernier festival et du congrès Boréal 11 en 1989. Elle avait quitté l'Alberta en 1987; elle était donc arrivée depuis peu à Ottawa quand elle avait pris part à nos activités en tant qu'autrice de la pièce Renaissance dont j'ai déjà parlé.

Je noterai ici que je crois me souvenir de la projection de l'enregistrement vidéo d'une représentation de cette pièce. (Je ne crois pas que la pièce ait été montée à l'Université d'Ottawa.) Je me demande si le film existe encore...

Plus tard, je l'ai retrouvée à Toronto, où elle avait lancé le Salon du Livre en 1992. Au fil des ans, je n'ai pas assisté à tous les salons, mais à un bon nombre, et elle m'avait fait l'honneur de m'inviter officiellement deux ou trois fois ès qualités. (Je n'ai pas souvent pris le train et voyagé en première classe de Montréal à Toronto, mais je l'ai fait au moins deux fois grâce à elle.)

Je conserve plus d'un souvenir piquant de ces premiers salons. Lors du premier salon, en 1992, le jeune Bernard Werber était au nombre des invités, tout fier d'avoir réussi à passer entre les mailles d'une grève en France afin de prendre l'avion pour Toronto. Les Fourmis venait de paraître l'année précédente, mais son succès était tout neuf. La Grande Dame de Chicoutimi et moi avions mis le grappin sur lui, en tant que collègues dans le domaine de la science-fiction, et appris qu'on lui défendait assez explicitement de s'identifier au genre...

Lors d'un autre salon, Gaston Miron était au nombre des invités. En ce qui concerne les Franco-Ontariens, il était de la race des Félix Leclerc, René Lévesque, Yves Beauchemin et autres Castonguay. Durant une réception pour les auteurs, il avait eu quelques mots avec Vittorio Frigerio, deux tempéraments fougueux s'affrontant avec ardeur...

Le Salon du Livre de Toronto vit toujours, ainsi que le prix littéraire qui porte son nom. Si je peux, j'essaierai d'y assister cette année afin de prendre part à la commémoration de Christine Dumitriu van Saanen que l'on commence déjà à préparer.

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2008-04-19

 

L'été, au galop

Cette semaine, nous sommes passés de l'hiver à l'été, du moins dans cette partie du Canada. Il aura donc fallu profiter du printemps cette semaine seulement... Avant que la neige finisse de fondre, j'ai pris il y a quelques jours une photo de cette formation assez amusante qui enjambait un fossé dans la banlieue d'Ottawa. Tout le reste avait fondu et partait à vau-l'eau, mais la neige formait un ultime pont par-dessus l'eau semée de feuilles mortes qui revoyaient le soleil pour la première fois depuis la fin de l'automne...

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2008-04-18

 

Pas de repos pour la flanelle

J'ai dû porter la guigne aux Canadiens hier soir. Pour une fois que je regardais un match (la première cette saison, je crois), l'équipe a perdu, s'effondrant en troisième période alors que la victoire dans la partie et dans la série était encore à portée de main... Est-ce en raison de la longueur de l'hiver que la fièvre des éliminatoires est aussi intense? On aurait pu croire que les fans montréalais, fiers de la longue histoire de la Sainte-Flanelle, ne s'exciteraient pas autant pour une série de première ronde, et qu'ils se montreraient plus blasés que les fans d'Ottawa l'an dernier. Eh bien, non! Les Montréalais ont adopté jusqu'aux fanons accrochés aux portières des voitures que j'ai pu voir partout à Ottawa l'an dernier.

Et c'est sans parler des pompiers qui ont décoré leurs casernes. Il y a quelques jours, j'ai pu prendre la photo ci-dessous pas loin de la rue Saint-Laurent...À bien y penser, ce n'est peut-être pas moi, mais tous ces fans si sûrs d'eux qui auront porté malchance à leur équipe. Ils auront un peu trop défié le sort et les divinités sportives....

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2008-04-17

 

L'épreuve des fleurs

Le nouveau roman de fantasy de Jay Lake, The Trial of Flowers, n'est pas pour les enfants. Il y a d'ailleurs quelque chose qui peut rappeler Gene Wolfe dans l'emploi de mots recherchés, l'évocation de coutumes cruelles et la description d'une ville riche d'un passé lourd à porter. Mais l'intrigue se veut beaucoup plus lisible que dans un roman de Wolfe. La complexité est le fruit de l'abondance de personnages, d'enjeux et de mystères, et non d'une structure ou d'une essence qui se dérobe à la compréhension. Une fois passé les premières pages, le lecteur se retrouve en terrain familier. Pour sauver la ville, une alliance hétéroclite se noue autour d'un jeune aristocrate déchu, Imago de Lockwood, afin de lui permettre d'accéder à un poste municipal depuis longtemps vacant en exploitant un précédent juridique à moitié oublié. La ville est menacée par une invasion appréhendée de barbares, mais aussi par des manifestations surnaturelles de plus en plus menaçantes. Le conseil des édiles et bourgeois de la ville est impuissant, et le mage Ignatius a disparu. Les alliés d'Imago croient donc que la ville a besoin d'un individu investi d'une autorité renouvelée et ils complotent pour lui permettre de devenir lord-maire... avant de se rendre compte qu'ils ont focalisé des énergies favorisant le retour d'ancieux dieux avides et sanglants. Et c'est ce retour pressenti qui motive l'intervention des barbares du nord...

Sous l'église du Mont-Saint-Michel, il y a la chapelle de Notre-Dame-Sous-Terre, où on peut voir les restes d'un mur cyclopéen et d'un renfoncement (il me semble) qui sont les derniers restes d'un sanctuaire érigé par l'évêque Aubert d'Avranches au VIIIe siècle, à la ressemblance de la grotte du mont Gargan en Italie, où l'archange Saint-Michel était apparu pour consacrer le changement de vocation d'une ancienne grotte dédiée à Mithra... L'impression d'ancienneté que j'avais ressentie en visitant Notre-Dame-Sous-Terre, Lake a parfois réussi à me la faire ressentir au cours de ma lecture. Moins protéiforme que la New Crobuzon de Miéville, la cité impérissable de Lake a quelque chose de plus réel, malgré la profusion d'anciens dieux et de créatures surnaturelles. Quand Imago et ses compagnons s'enfoncent sous terre pour retrouver les tombes des anciens dieux, on songe aussi à la grotte de Romulus et Rémus récemment retrouvée à Rome. (Et la Cité Impérissable doit plus qu'un peu dans sa conception à la Ville Éternelle.)

Mais ce goût pour le passé est poussé un peu loin quand Lake accepte aussi un dénouement digne de la logique de ces lointaines époques. Pour sauver la Cité Impérissable du retour des dieux chtoniens, les principaux personnages sacrifient leur vie, leur chair et leur amour. Ce choix du sacrifice délibéré et de l'immolation volontaire matérialise un certain fantasme christique, mais le lecteur moderne ne peut pas ignorer que, dans la plupart des cas, nous réprouvons ceux qui se sacrifient ainsi, qu'ils s'agissent de kamikazes et de terroristes qui se font sauter, voire de moines qui s'immolent par le feu. Un marché faustien est-il plus moral et justifiable quand il est conclu pour une fin jugée louable? quand il est consensuel et informé de part et d'autre?

Un jour, il faudra sacrifier l'idée même du sacrifice. Le sacrifice n'est pas une solution aux dieux chtoniens, c'est la réponse qui engage le dialogue et accepte leurs exigences... La civilisation occidentale s'est construite sur la transformation par le christianisme du sacrifice christique en un rite purement symbolique, coupant les fidèles de l'antique tradition des sacrifices animaux ou humains. J. R. R. Tolkien avait vu de ses propres yeux ses amis se sacrifier pour leur civilisation; ce n'est sans doute pas un hasard si Frodon donne beaucoup pour sauver la Terre du Milieu, mais sans se soumettre à l'antique loi du sang pour le sang. Frodon s'est dévoué pour ses semblables, mais « the last full measure of devotion » n'équivaut pas à une acceptation de cette exigence vampirisante. Tolkien ne rejetait pas la réalité du dévouement des volontaires anglais partis à la guerre, mais il était sans doute plus proche du « Dulce et Decorum Est » de Wilfred Owen qu'on l'a parfois dit...

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2008-04-16

 

La fin du monde est une vache sphérique

Parfois, je rougis d'avoir été physicien... Non, pas pour les raisons habituelles (Hiroshima, etc.), mais parce que les physiciens justifient parfois les accusations de réductionnisme et de simplisme qu'on leur adresse. La réduction et la simplification sont des outils puissants pour commencer à comprendre le monde, et ils permettent de clarifier des situations qui peuvent ensuite être modélisées plus facilement. Le grand mystère de l'univers, c'est ce qui fait que ces modèles issus de situations délibérément simplifiées sont capables d'expliquer ensuite des cas de figure beaucoup plus compliqués...

Néanmoins, les physiciens n'évitent pas toujours l'écueil qui consiste à confondre la situation idéale qu'il est possible d'analyser pleinement avec le modèle de base, et la situation réelle que des facteurs additionnels viennent compliquer au point de rendre dangereuse l'application d'un modèle trop simple. Souvent, l'approche typique du physicien théorique correspond donc à la blague classique sur la vache sphérique, qui a droit à sa propre page Wikipedia.

Ceci est illustré de belle façon par les reportages récents voulant qu'un élève allemand de 13 ans ait corrigé les calculs de la NASA en ce qui concerne le risque de collision de l'astéroïde Apophis avec la Terre. Le risque serait passé de 1/45,000 à 1/450.

Je parle au conditionnel parce que la différence me semble élevée et que l'erreur censément découverte par l'écolier allemand tiendrait compte de la possibilité d'une collision entre Apophis et un satellite artificiel de la Terre. Or, cette page de la NASA résumant un article récompensé pas plus tard qu'en février soutient qu'Apophis évitera l'immense majorité de ces satellites. Et comme l'espace est grand, la vitesse d'Apophis élevée et les satellites relativement petits, je me pose des questions sur la probabilité réelle d'une collision.

Quoi qu'il en soit, supposons que les reportages ne se trompent pas. Quelle est la source de l'erreur initiale? Eh bien, il semblerait que ce soit la supposition qu'il suffisait de tenir compte d'un nombre réduit de corps (Apophis, la Terre, la Lune, le Soleil, etc.) pour prédire la future trajectoire de l'astéroïde. Autrement dit, les physiciens en cause auraient visualisé un espace abstrait, dominé par quelques corps massifs, et non l'espace réel parsemé de satellites ajoutés par l'humanité...

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2008-04-15

 

Mille affiches en une

Il n'y a qu'à errer dans Montréal pour trouver, au fil des jours, de nombreuses occasions de photos qui révèlent de nouveaux pans de la ville. Parfois, l'art urbain est la création délibérée d'artistes de la rue. Parfois, il est le résultat des circonstances. L'autre jour... c'était avant-hier à la station Berri du métro, je suis arrivé au bon moment pour prendre en photo ces ouvriers en train de gratter une affiche et de mettre au jour les restes des affiches placardées au même endroit depuis un bon moment. Le résultat rappelle un collage artistique où on pourrait s'amuser à y retrouver les grands succès de ces dernières années (hmmm, Séraphin date de 2002; vu la référence aux « producteurs de Séraphin », ce n'est pas postérieur de beaucoup et je suis donc tombé sur un travail qui n'a lieu que tous les quatre ou cinq ans...), mais l'impact purement visuel est au moins aussi intéressant que bien des toiles dans certains musées.

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2008-04-14

 

Fiston, j'ai tué la planète!

Un homme se penche sur son passé... Dans le cas d'un écrivain, le passé est inséparable de ses textes. Les écrivains vivent en partie dans leur tête, et les textes qu'ils extirpent de leurs cellules grises sont par conséquent des morceaux de vie. Jean-Pierre April a eu une longue carrière d'écrivain de science-fiction avant de passer par une phase de retrait, puis d'exploration de voies littéraires différentes. Son nouveau livre est présenté comme un « roman-nouvelles » — une créature hybride bien dans le genre des mots-valises autrefois affectionnés par April — parce qu'il inclut quatre versions révisées de nouvelles parues précédemment. Le résultat est un ouvrage — forcément — inégal. La première partie du roman donne surtout la parole à Jimi, un jeune garçon qui tient un peu du Petit Nicolas de Goscinny. Il vit à la campagne et son père écrit de la science-fiction, bref, des histoires qui ne se peuvent pas. Et même pas pour le cinéma ou la télé! Des épisodes successifs nous montrent Jimi vivant la chute des tours du World Trade Center, négociant avec les habitudes curieuses de ses deux parents qui vivent des vies séparées dans la même maison et découvrant quelques-unes des tristes réalités de l'existence, comme la mort de la chair et des couples. C'est raconté avec un grand sens de l'observation, tant de la part de Jimi qui pose sur le monde un regard encore innocent que de celle de l'auteur qui ressuscite avec beaucoup de justesse la vie intérieure de l'enfance. C'est assez réussi, mais je n'ai pas encore décidé si Jimi est trop dur pour l'écrivain qui se cramponne à sa création, ou pas assez.

La première nouvelle retenue par April, « Les orphelins de Hoï Tri », convient parfaitement au thème de l'ouvrage. L'assassinat de l'enfance dans un pays lointain répond aux déconvenues plus immédiates du jeune Jimi, qui voit ses parents divorcer et l'écarteler, lui, leur seul enfant. Les autres nouvelles, « Angel », « King Kong 4 » et « Voyage au centre de la planète Mer », s'adaptent plus ou moins au propos de l'auteur. Il y a aussi une certaine rupture de ton, car le style plus cynique et détaché de l'écrivain déconstruisant divers mythes cadre plus ou moins bien avec le personnage de Jimi. L'auteur tend à s'imposer au détriment du jeune personnage et le dialogue qu'il entame est adroit, mais il n'échappe pas entièrement au dérapage dans le soliloque.

(Curieusement, j'ai cru qu'avec un tel titre, l'ouvrage inclurait la nouvelle « Dans la forêt de mes enfances », qui faisait déjà en 1990 le lien entre le souci de la planète et la prochaine génération qui en hériterait. Mais non.)

En même temps, un lecteur plus impatient s'exclamerait : « L'enfance ! La maudite enfance ! Pourquoi faut-il toujours que la littérature québécoise revienne encore et toujours à ces personnages faussement enfantins que nous devons à Réjean Ducharme ? La prétendue ingénuité qu'on leur prête dédouane l'auteur qui ne se hasarderait pas à mettre dans la bouche d'un adulte des commentaires aussi naïfs ou des remarques qui risqueraient de se transformer en essais... mais est-ce bien la seule façon de parler du monde qui nous entoure ? » Le lecteur a un droit imprescriptible à toutes ses réactions... Cela ne fait pas partie des droits de Pennac, mais cela mériterait peut-être d'y figurer.

Conclusion... Malgré les révisions apportées aux nouvelles d'origine, on ne peut pas dire que ce livre ajoute quelque chose au corpus de la science-fiction du Québec. En même temps, cependant, on approfondit la vision du monde d'April et les ressorts de sa fiction. C'est loin d'être inintéressant d'un point de vue artistique et historique. Et ce n'est pas si souvent qu'un auteur d'ici a le courage de se mettre plus ou moins en scène dans une auto-fiction, en particulier un auteur de science-fiction. C'est ce qui donne au livre un intérêt certain pour les historiens et amateurs du genre.

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2008-04-12

 

Jules Verne au Saguenay et Stevenson à Montréal

Du 12 avril au 16 novembre 2008, la Pulperie de Chicoutimi présente une nouvelle exposition estivale, « Jules Verne — L’incroyable aventure ». L'équipe de la Pulperie a collaboré avec le Centre International Jules Verne et les Bibliothèques d’Amiens Métropole. Cet article rapporte que les « visiteurs sont conviés à parcourir les événements marquants de sa vie personnelle, à voyager autour du monde à travers sa passion et son imaginaire, à découvrir ses plus grandes réalisations littéraires et les objets qui l’ont inspiré. » Bref, je ne sais pas si cela diffèrera beaucoup de l'exposition présentée en 2005 au musée Pointe-à-Callière de Montréal, mais, pour en savoir plus, on peut contacter l'agente de communication La Pulperie de Chicoutimi, Lily Gilot, au 418-698-3100p303 ou à l'adrelle lgilot@pulperie.com .

En tout cas, j'ai raté l'occasion d'assister à Montréal même à une autre création du Centre International Jules Verne d'Amiens : « Les histoires extraordinaires de Jules Verne » présentées au Théâtre Denise-Pelletier jusqu'au 5 avril seulement. Sous la direction de Jean-Paul Dekiss, des conteurs s'inspiraient des contes de Verne, souvent moins connus que ses romans.

En revanche, j'ai encore le temps de me rendre au même Théâtre Denise-Pelletier pour une production de leur cru, une adaptation du récit de Robert Louis Stevenson, « Dr Jekyll et M. Hyde ». La pièce adaptée et mise en scène par Jean-Guy Legault sera jouée jusqu'au 22 avril, avec les acteurs Jacques Baril, Luc Bourgeois, Jean-François Casabonne, Sophie Clément, Sylvie Drapeau, Albert Millaire, Gilles Pelletier et Marcel Pomerlo.

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2008-04-11

 

Facettes historiques

Aujourd'hui, journée du colloque Pierre-Savard à l'Université d'Ottawa. Je n'ai pu assister qu'à la seconde moitié du programme.

En début d'après-midi, avant d'aller se faire interviewer pour l'émission « Macadam Tribus » de Radio-Canada, Miss Tournevis a livré une conférence intitulée « La commémoration et l'identité, ça compte. Et ça ne compte pas ». Qu'est-ce que l'identité? La conférencière a offert sa définition selon laquelle l'identité culturelle se compose des éléments culturels qui permettent aux membres d'un groupe de se reconnaître mutuellement (comme faisant partie du même groupe). Et elle invite les historiens à se questionner, avec humilité.

Cette conférence a servi d'introduction au reste du programme. Tandis que Mélanie Morin a évoqué les infirmières canadiennes de la Grande Guerre et leur sort après le conflit, Tereasa Maillie a expliqué comment la poésie des femmes chinoises exprime souvent la tristesse et la dépression, selon des formes qui lui ont semblé mériter une comparaison avec les classifications actuelles en Occident de la détresse et de la dépression. Elle a donné en exemple la poésie de Li Qingzhao et de Wang Jiaoluan. Les figures imposées de la tristesse, de la mélancolie et de la dépression sont souvent les mêmes : sanglots douloureux, souffrance prolongée, insomnie, désespoir, attrait du suicide...

En fin d'après-midi, j'ai surtout apprécié la communication de Daniel Laxer de l'Université de Toronto, qui s'est penché sur les chansons de Voyageurs, mais aussi une chanson autrefois célèbre, « Canadian Boat Song » du poète irlandais Thomas Moore qui avait voyagé sur le Saint-Laurent de Kingston à Montréal en canot avec des avironneurs canadiens.

Enfin, j'ai tenté de regrouper les thèmes de la poésie féminine chinoise identifiés par Maillie au sein d'un seul sonnet...

Écouter la réponse du silence

Beauté abandonnée, j'ai tellement pleuré
l'homme que j'ai aimé depuis qu'il est parti
que je ne peux verser que l'ultime partie
de mon corps décharné pour ma peine leurrer

Des larmes de mon sang, j'ai si longtemps pleurées
pour noyer le tourment au printemps ressenti
qu'enflent déjà les vents de l'hiver pressenti
sans que cesse pourtant ma peine d'affleurer

Quel homme chérira demain ma peau d'ivoire,
m'enserrant dans ses bras pour me rendre l'espoir,
et, oui, me sauvera des nuits quand point ne dors?

Mon amant m'a laissée, la tristesse est venue
et m'a dit d'embrasser sa douce amie la mort
si je veux m'enfoncer, au sommeil revenue...

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2008-04-10

 

Comtés pourris

Le Québec est plus anglais qu'il n'y paraît : il tient mordicus, semble-t-il, à ressusciter les rotten boroughs de l'Angleterre du XIXe siècle. Dans la plupart des cas, ces circonscriptions électorales britanniques n'avaient pas été modifiées depuis des siècles, de sorte qu'en 1831, certains arrondissements ne comptaient plus que sept électeurs. Est-ce bien ce qu'on veut au Québec lorsqu'on refuse de réviser la carte électorale afin d'éliminer les disparités dont j'ai déjà parlé et qui font que certains électeurs en région jouissent d'un poids démesuré? Le double de l'influence de certains électeurs de la couronne montréalaise...

La représentation des régions! Tel est le principe sacrosaint que le ministre Benoît Pelletier oppose à la représentation de la population, en lui accordant implicitement une même légitimité. Mais qu'est-ce qu'une région? La mer, la montagne, les champs, la toundra... Depuis quand les paysages ont-ils le droit d'être représentés dans une enceinte législative? À moins que ce ne soient les épinettes, les homards et les caribous qui détiennent un droit particulier à une représentation additionnelle?

Soyons sérieux. En démocratie, les régions, ce sont leurs habitants, et pas autre chose. (Imagine-t-on que les habitants des villes réclament un poids supplémentaire pour leurs musées, leurs théâtres et leurs grands restaurants?)

Du coup, si on ose poser la question, l'alternative factice montée par Pelletier s'écroule. Il n'y a pas deux principes qui s'opposent, il n'y en a qu'un seul, dont l'application pourrait exiger certains aménagements dans le cas des régions éloignées dont la population est dispersée sur de grandes étendues. Les écarts tolérés pour les circonscriptions rurales sont justifiées au nom de la difficulté ajoutée des déplacements dans ces circonstances. (Néanmoins, comme je l'ai déjà fait remarquer, un député moderne peut communiquer ou rencontrer ses commettants mille fois plus facilement qu'un député du XIXe siècle à la tête d'une circonscription moins peuplée et moins étendue. On a quand même inventé quelques gadgets utiles depuis 1867, dont le téléphone et la voiture, sans parler d'internet...)

En 1867, justement, la Grande-Bretagne abolissait le cadre législatif qui avait permis la survie des rotten boroughs. Il serait quand même ironique qu'on les ressuscite au Québec, cent quarante ans plus tard.

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2008-04-09

 

Les viaducs de l'inquiétude

Dans le dossier des choses qu'on nous cache peut-être, je me pose des questions sur l'état des ponts du Québec.

Pourquoi? Les médias nous annoncent que la situation est sous contrôle et le ministère des Transports diffusait un communiqué samedi annonçant « la fin des travaux d'inspection des 135 structures de béton à dalle épaisse sans armature de cisaillement. » On peut consulter sur le site du ministère la liste (.PDF) des structures soumises à l'origine à une surveillance et à des restrictions de la circulation, ainsi que la liste (.PDF) des ponts évalués et traités par le ministère. Mais ce que je ne trouve pas dans ces listes, ce sont les viaducs du chemin de la Côte-des-Neiges à Montréal, à l'entrée du parc du Mont-Royal. Ces structures s'effritent, exposant des armatures rouillées dont j'avais pris quelques photos l'an dernier. Et la dernière fois que j'y suis passé à pied (enfin, à côté, et non pas sur les viaducs), j'ai bien noté qu'un panneau dirigeait les camions en surcharge sur le chemin Remembrance du Mont-Royal pour qu'ils n'empruntent pas les viaducs.

Évidemment, comme je le notais l'an dernier, ces ponts relèvent de la ville de Montréal, et non de la province. Mais il n'est pas si facile de trouver sur le site officiel de la ville de l'information sur l'état de ces viaducs. Même en sachant que cet échangeur fait partie de l'arrondissement Ville-Marie, il faut se tourner vers Google pour trouver un communiqué rassurant du 12 octobre dernier annonçant la levée des restrictions de poids sur ces viaducs... Ai-je rêvé la présence de ce panneau? Je retournerai voir sous peu...

Quoi qu'il en soit, la présence de neuf ponts et viaducs sous surveillance à Montréal rappelle que les statistiques claironnées par les médias sont trompeuses. Elles ne concernent que les ponts qui relèvent du ministère, et des ponts à dalle épaisse. Mais cela ne devrait pas nous faire oublier l'existence de plusieurs autres ponts au Québec dont la sécurité mérite toute l'attention des autorités responsables.

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2008-04-08

 

J'ai couché chez Baillairgé!

Ma découverte du jour... Quand Charles Baillairgé a obtenu en 1887 de la maison de son oncle, où on avait transporté la dépouille du général Richard Montgomery après sa mort au siège de Québec en 1776, il l'a fait démolir. Ou il l'a débitée et vendu en morceaux à des collectionneurs des États-Unis, ce n'est pas entièrement clair... Mais ce qui est clair, c'est que la maison ne comptait qu'un étage, tandis que la maison que Charles Baillairgé fit édifier à sa place en comptait trois. On la trouve au 72 de la rue Saint-Louis et une plaque — celle-là même que Baillairgé fit poser ? — rappelle son rôle dans le siège de 1776. Même si Baillairgé était un moderniste qui ne croyait pas outre-mesure à la conservation des anciennes maisons de Québec, il savait honorer le passé.

La maison d'origine était dotée d'une cour arrière fort longue, puisque le terrain mesurait 45,1 mètres de profondeur pour une largeur de 6,3 mètres. (Les amateurs de numérologie apprécieront que la profondeur du terrain était de 148 pieds, soit 1776 pouces. Cette dimension annonçait-elle l'année fatale pour Montgomery? Ben voyons, cela illustre surtout la possibilité de trouver des coïncidences partout quand on cherche bien...) Lors de son acquisition par Charles Baillairgé, l'arrière de la cour était occupé par un four de boulanger en ruines. À sa place, Baillairgé fit construire un second édifice qui est aujourd'hui le Petit Hôtel sis sur la ruelle des Ursulines. La résidence principale n'était déjà pas très large, mais Baillairgé devait ménager une voie de passage derrière pour que sa cour ne soit pas coupée de la rue, réduisant d'autant plus la largeur de cet édifice secondaire.

Du coup, il a construit un bâtiment particulièrement étroit, avec oriel et toit mansardé, et la cage d'escalier occupe toute la largeur de l'édifice, parce que, sinon, un escalier construit en longueur aurait réduit encore plus les dimensions des pièces...

J'ai couché deux ou trois fois au Petit Hôtel, puisque les tarifs sont raisonnables et l'emplacement est idéal pour assister au Salon du Livre de Québec ou visiter la vieille ville. Mais il ne faut pas se laisser rebuter par l'escalier étroit ou les pièces exiguës. En revanche, des chambres les plus élevées, on obtient des aperçus fascinants sur le cœur du vieux Québec.

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2008-04-07

 

Quand Charles Baillairgé nous hante

La triste destruction par le feu du Manège militaire de Québec aurait-elle pu être évitée, ou au moins atténuée? Le chef des pompiers déclarait : « Grâce à l’oxygène et à la composition du toit en bois, le feu s’est rapidement propagé à la grandeur de l’édifice par la toiture. »

Terminée en 1887, la construction avait débuté en 1884. En 1885, l'architecte et ingénieur en chef de la ville de Québec, Charles Baillairgé, avait écrit dans Québec, passé, présent, futur :

« Faisant face aussi sur la grande allée, mais à l'intérieur du champ de l'anse, se construit une vaste bâtisse pour les exercices militaires. Cet édifice dû au crayon de MM. Fuller et Taché, fera à l'intérieur (salle de 100 sur 200 pieds) un magnifique effet quand l'on se sera décidé à substituer à la série d'en-traits en bois de la toiture et qui vont donner à cette immense salle l'air d'être plafonnée à ras de terre, des tirants avec le reste de la charpenterie du comble en fer et acier au lieu de bois; et Québec qui contribue $ 15,000 au fonds de construction a droit d'exiger dans les intérêts de tous, une toiture indestructible sur une pareille bâtisse. »

Certes, les charpentes métalliques à Québec ont connu leur part de catastrophes. Mais peut-être que si on avait écouté Baillairgé quand il en était encore temps...

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2008-04-05

 

La fin du monde est une occasion

Autre produit de Robert J. Sawyer Books, Getting Near the End (2005) d'Andrew Weiner est un roman de la transcendance. Comme l'indique la phrase en exergue sur la couverture, « When the song ends, so does the world », un monde doit périr pour qu'un autre naisse. Comme on pourrait s'y attendre, la fin du monde n'est pas un sujet très rigolo, et le monde du vingt-et-unième siècle n'est pas très jojo. (S'il l'était, on comprendrait mal la nécessité d'une transformation...) Psychologue social de formation, Weiner privilégie naturellement les symptômes sociaux de la déliquescence des pays avancés, et non l'épuisement des ressources ou l'abêtissement des populations. La guerre, la criminalité, les violences urbaines et les maladies mentales signalent l'effondrement à venir, qui est prédit par les chansons d'une nouvelle chanteuse de Kapuskasing, Martha Nova, dont on suit la carrière et les rapports avec les hommes qui l'auront aimée — son imprésario Abe Levett, son confrère plus âgé Robert Duke, un chanteur légendaire en son temps, et l'astronaute Jake Denning, qui marchera sur Mars. Sans parler de son fils Daniel qui semble avoir hérité de ses talents pour la prophétie... Les États-Unis cèdent à l'attrait d'une dictature de la santé mentale, obligeant Martha Nova à se retirer de peur que ses chansons ne mettent en danger l'équilibre mental des citoyens américains, ainsi qu'une intervention de la nouvelle police de la santé mentale... N'est-elle pas déjà plus qu'une idole pour ces jeunes que l'on appelle ses « Enfants »? Mais Martha a beau avoir eu des visions de l'avenir, elle n'est qu'un jouet d'un destin déjà en marche. Elle est non seulement convaincue de savoir ce qui s'en vient, mais elle est certaine que le futur est immuable. Et les hommes avec qui elle partage ces convictions s'en effraient...

Les romans aussi ouvertement eschatologiques sont rares. Weiner invoque les mânes de Teilhard de Chardin, ce qui nous change quelque peu des Tiplers habituels. Ce qu'on peut reprocher à la narration, toutefois, c'est de laisser entendre dès les premières pages ce qui va se passer et de ne pas révéler grand-chose de neuf dans tout le reste du livre. La conclusion est un pétard mouillé, de ce point de vue, et ce qui aurait pu fonctionner dans le cadre d'une nouvelle (et il me semble bien avoir déjà lu des fragments de cette histoire ailleurs), n'a pas le même impact dans le cadre d'un roman.

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2008-04-04

 

La guerre aux piétons

Chaque année, la police montréalaise décide de s'en prendre aux piétons qui ne respectent pas assez les règles selon eux. La nouvelle campagne prétend, bien entendu, le faire pour le bien des piétons. Évidemment, dans un pays qui a tant à faire pour remplir les objectifs du protocole de Kyoto, on ne réfléchit pas un instant qu'il y a quelque chose de contradictoire à se montrer encore une fois aux petits oignons pour les automobilistes, tandis que les piétons n'ont qu'à se soumettre.

Soupir. Comme d'habitude (sauf en ce qui concerne les voies cyclables, et encore), le Québec retarde. La priorité à l'automobile apparaît de plus en plus stupide, si ce n'est que pour des raisons environnementales et économiques. Tandis que d'autres villes dans le monde appliquent le concept du « shared space », Montréal s'enlise. Les nouvelles voies cyclables vont-elles réellement stimuler l'usage du vélo par une population vieillissante? Décourager la circulation automobile au centre-ville devrait s'accompagner d'améliorations des transports en commun, mais on n'en prend pas le chemin. Par conséquent, la meilleure solution, ce serait de concentrer les efforts de Montréal sur l'amélioration de la circulation piétonnière, à la portée de toutes les bourses et de la plupart des conditions physiques. (Admettons qu'en général, si on ne peut plus marcher, on ne peut pas non plus faire du vélo ou faire une grande utilisation des transports en commun.)

Pour réduire l'utilisation de la voiture, peut-être faudrait-il donner la priorité au piéton partout, tout bonnement. Un piéton veut traverser? L'automobiliste serait obligé de ralentir. Si on accepte que le ralentissement de la circulation automobile n'est pas un crime, on peut se demander quel inconvénient il y aurait à cela...

Le « shared space » engendre aussi un ralentissement de la vitesse moyenne de la circulation. Dans un centre-ville conçu comme une destination et non un lieu de passage, ceci semble parfaitement normal, en particulier si on désire accorder la primauté aux piétons. Certes, le concept n'a guère été essayé dans un contexte nordique, sauf à Norrköping (.PDF) en Suède, de sorte qu'on peut se demander s'il fonctionnerait en hiver, au Canada. Mais il semble clair que le concept s'applique surtout dans les quartiers d'une certaine densité. Les banlieues pavillonnaires ne s'y prêtent pas vraiment, puisque les distances y sont souvent excessives pour les piétons.

Mais si donner la priorité partout et en tout temps aux piétons est trop radical comme mesure, ou semble trop périlleux (qu'arrive-t-il si les automobilistes n'ont pas le temps de réagir?), on peut envisager d'autres possibilités. Par exemple, la priorité en tout temps aux piétons dans les intersections. Dans un tel cas de figure, la proximité des intersections serait balisée de sorte que les automobilistes sauraient qu'ils doivent ralentir. Sans doute faudrait-il également réserver ce concept aux quartiers relativement denses, mais il pourrait rendre les déplacements piétonniers en ville beaucoup plus agréables, donc plus attrayants. Et les policiers pourraient concentrer leurs efforts de répression sur les automobilistes.

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2008-04-03

 

L'âge d'or du roman pour jeunes

Et si nous vivions un âge d'or du roman pour la jeunesse? Outre le succès phénoménal de la série des Harry Potter, les jeunes lecteurs peuvent se mettre sous la dent un riche assortiment de romans pour jeunes qui sont palpitants, soigneusement imaginés ou authentiquement émouvants. La série des orphelins Baudelaire de Lemony Snicket, ou la trilogie His Dark Materials de Philip Pullman, offrent des récits bourrés d'idées et fort complexes. En français, j'ai beaucoup aimé les aventures d'Alaët de Laurent Genefort et, malgré quelques réserves, ou le voyage au pays de Montnoir de Christiane Duchesne. La prose des auteurs est souvent sans concession — car si l'on décrie parfois la qualité de l'écriture de Rowling et des autres écrivains pour jeunes, il faudrait quand même comparer ce qui se fait aujourd'hui au style nettement plus puéril des romans de la série de Narnia de C. S. Lewis avant de débiter des sottises. Pour des lecteurs du même âge, Rowling et les autres signent des textes beaucoup plus riches, et souvent plus nuancés aussi. Et China Miéville n'est pas une exception, sauf peut-être en ce qui concerne la nuance. Car Miéville est aux antipodes de Lewis sur le plan idéologique et politique, mais il s'en rapproche sur celui de la conviction. Et, s'il m'a soutenu à l'occasion d'un congrès Readercon qu'il n'y avait pas d'allusion politique dans The Scar, il lui sera difficile de nier les allégories politiques présentes dans Un Lun Dun.

Mais c'est un des seuls reproches qu'on peut lui faire. Miéville s'amuse à déjouer les attentes de ses lecteurs. Au début, on croit se retrouver dans une histoire de personne élue et de quête à mener. À Londres, il y a deux amies, Deeba et Zanna, qui mènent une vie parfaitement ordinaire. Des animaux et d'étranges personnages commencent à témoigner un intérêt déplacé pour Zanna, qu'ils interpellent en l'appelant « Shwazzy », c'est-à-dire la « Choisie ». Zanna et Deeba finissent par basculer dans un Londres parallèle, où la magie permet tout ce que l'imagination peut concevoir. (J'ai songé au pays de Rêverose dans les aventures d'Olivier Rameau, ou un peu aux romans de Laurent McAllister.) Toutefois, la prophétie qui prédit le triomphe de Zanna contre le grand ennemi de la ville d'Un Lun Dun, Smog, éprouve vite des ratés. Zanna se fait malmener et les deux amies reviennent de justesse dans le Londres familier qu'elles ont quitté.

Puisque Zanna souffre d'une amnésie partielle, Deeba, l'amie négligée, va prendre le relais, de sorte que ce ne sera pas la « Shwazzy » qui sauvera Un Lun Dun, et ce ne sera pas en suivant la prophétie à la lettre, une étape à la fois. C'est la principale audace de Miéville, qui flatte quand même les prédilections du public en donnant à Deeba un pistolet fort peu orthodoxe qui sera l'arme décisive contre Smog.

Toutefois, les jeunes lecteurs aiment souvent que les choses soient claires et Miéville n'explique jamais pourquoi le livre parlant (ah, Zelazny...) qui renferme de nombreuses prophéties a parfois raison, et parfois non. C'est plus réaliste, sans doute, mais Miéville ne mise pas là-dessus et n'explique pas que tous les livres contiennent des erreurs, des approximations, des omissions, des informations périmées, parce qu'il arrive aux auteurs d'être mal lunés, distraits, mal informés, etc. J'ignore si les jeunes lecteurs seront sensibles à de telles failles, mais le reste du roman est narré avec beaucoup d'énergie, d'inventivité et aussi de tendresse.

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2008-04-02

 

Le futur de Québec... en 1900

En avril 1900, à l'occasion d'une causerie à Québec, Ulric Barthe rappelait son activité de journaliste dans une revue de Québec du nom de La Semaine commerciale : « Dès 1894, j'écrivais en faveur du tramway électrique; depuis 1895, sans relâche, j'ai dépensé de l'encre en faveur du raccordement du Québec avec le Parry Sound. La "Semaine Commerciale" désignait dès l'automne de 1896 Son Honneur le maire Parent comme le futur président de la Compagnie du Pont de Québec, et en mars 1897 il entrait à la direction de la Compagnie et me faisait l'honneur de m'appeler comme secrétaire. »

Hélas, le projet du pont de Québec, mal financé, mal conçu et mal supervisé, aboutira à la catastrophe d'août 1907, quand l'effondrement d'une moitié du pont en construction tuera près de soixante personnes, dont un tiers de travailleurs de Kahnawake. Ulric Barthe lui-même échappe de peu à la mort, ayant visité le chantier et arpenté le tablier moins d'une heure avant l'effondrement. Dans le numéro du 31 août 1907 de La Presse de Montréal, il en témoigne en ces termes :

« J'allai visiter les travaux du pont en compagnie du professeur G. Couture, de MM. Lavigne, Vézina et Burke. Après une inspection des chantiers, je profitai de l'offre qui m'était faite pour monter sur la locomotive qui s'en allait chercher des matériaux sur les chantiers de la Chaudière, pour faire voir à mes amis les travaux d'approche.

Nous revînmes sur le convoi, et arrivés à l'entrée du pont lui-même, nous descendîmes.

Le mécanicien, M. McNaughton, le même qui, quelques minutes après, a si miraculeusement échappé à la mort, insista auprès de nous pour aller jusqu'à l'extrémité du pont où il se rendait avec son convoi de matériaux.

Étant pressé de rentrer, je déclinai l'offre, et après avoir serré la main du jeune M. Birks, l'un des officiers de la compagnie ``Phoenix", nous descendîmes par la grève, pour retourner.

Hélas! je ne me doutais guère que je venais de serrer la main, pour la dernière fois, à ce pauvre jeune homme qui est au nombre des disparus. Il y avait cinq minutes environ que nous étions partis et nous longions la grève, nous dirigeant vers le pont Garneau, lorsque nous entendîmes un grand bruit, comme une détonation de mine.

L'un de mes compagnons s'écria:

"C'est le pont!" mais l'idée me parut impossible.

"C'est une mine qui vient de partir," lui dis-je.

"Mais non, me répondit-il, je vous dis que c'est le pont". Et retournant de quelques pas en arrière:

"C'est le pont, cria-t-il; il s'écroule." »

Heureusement, Barthe a eu des idées aux suites plus heureuses. Lors de la même causerie en 1900, il se vante : « Comme remède à l'alcoolisme, je conseillais alors la consommation du vin, de la bière et du cidre; voyez aujourd'hui le nombre de brasseries et de cuveries qui ont surgi depuis quelques années en ville et dans les campagnes environnantes. » Si la logique du raisonnement nous échappe au premier abord, c'est que nous avons parfois oublié qu'en Amérique du Nord, l'alcoolisme si condamné et combattu, c'était d'abord la consommation d'alcools de grain, d'eau-de-vie, bref, de whiskey. Pour réduire les méfaits de l'ivresse, Barthe prônait donc une consommation plus modérée. Qu'il ait été écouté ou non, il plaidait clairement dans le sens de l'histoire des politiques québécoises en la matière, tandis que les autres provinces du pays allaient plutôt opter pour des formes de prohibition afin de réagir aux mêmes problèmes.

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