2009-09-29

 

Pour ou contre Roman Polanski

L'arrestation de Roman Polanski fait jaser. Le plus comique, c'est quand même Daniel Cohn-Bendit (que l'on peut voir passer ici à l'émission « Apostrophes » en 1982) qui critique, avec une hypocrisie consommée mais sans doute nécessaire, les déclarations de Frédéric Mitterrand parce que celui-ci condamnait cette arrestation. Cohn-Bendit va jusqu'à lui reprocher la position du gouvernement parce « qu'il y a eu viol sur une jeune fille de 13 ans »... Le plus grave, c'est sans doute la gravité avec laquelle, aux États-Unis, on traite l'affaire, comme si on venait d'intercepter un meurtrier en série, un criminel de guerre, un génocidaire ou un fauteur de guerre — un Ratko Mladić ou un Saddam Hussein, voire un George W. Bush.

Bref, je ne me lamente pas sur le sort de Polanski qui aurait depuis longtemps purgé toute peine à laquelle il aurait pu être condamné pour ce qu'il avait accepté d'admettre s'il n'avait pas fui. Mais je ne crois pas non plus que la justice universelle était dramatiquement bafouée par sa longue cavale... Par ailleurs, je trouve dans cette affaire l'illustration d'une évolution historique. Il n'y a pas si longtemps, en France, il était plutôt admis — comme on le voit dans le cas de Cohn-Bendit — de badiner avec la sexualité des enfants et de revendiquer, comme Gabriel Matzneff en 1974, l'amour d'un « troisième sexe » constitué de toutes « les filles ou les garçons ayant entre dix ans et seize ans ». En 1982, Matzneff s'était fait rabrouer par Denise Bombardier lors d'une émission célèbre d'« Apostrophes » que je me souviens d'avoir regardée en rediffusion canadienne — j'avais quinze ans à l'époque et, sans être absolument révulsé, j'étais plutôt d'accord avec Denise Bombardier (peut-être pour la première et dernière fois de ma vie). Mais elle n'avait pas fait l'unanimité en France...

Or, l'affaire Polanski a eu lieu en 1977, quand la complaisance française pour l'éphébophilie était sans doute à son comble (l'âge légal du mariage pour les Françaises est resté de 15 ans jusqu'en 2005). On peut comprendre qu'une certaine élite hexagonale ait trouvé trop tatillonne la justice étatsunienne qui reprochait à un cinéaste réputé ce qui aurait sans doute passé pour une vétille si l'acte avait été commis par un auteur européen. Et je me demande dans quelle mesure les réactions initiales en France ont été le fait de survivants de cette époque — Frédéric Mitterrand avait trente ans en 1977 — qui n'ont pas compris que les mœurs changeaient et que l'affaire Dutroux avait altéré les tolérances d'autrefois.

Cela dit, il n'y a pas que les incidents de l'actualité, il y a aussi une tendance de fond qui me semble avoir fait de la pédophilie un des rares tabous absolus de notre société. Et d'autant plus absolu sans doute que d'autres tabous (l'homosexualité, l'adultère, etc. ) sont tombés. De plus, les baby-boomers ont fait de la jeunesse un tel idéal que la démarcation entre les objets de désir « acceptables » et les objets « inacceptables » doit être établie avec une rigidité inébranlable. Ce qui pourrait expliquer que l'affaire Polanski a commencé en Californie, épicentre planétaire de la culture jeune...

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2009-09-28

 

Rendez-vous le 1er octobre, pour l'éducation au Québec

Pour une fois que je suis généralement d'accord avec les revendications étudiantes, je m'en voudrais de ne pas signaler la manifestation qui se prépare pour le premier octobre à 12h30, au square Émilie-Gamelin à Montréal. Il s'agit de s'élever contre les projets de loi 38 et 44 (en fait, d'en exiger le retrait) parce qu'ils s'attaquent à l'autonomie de l'éducation postsecondaire. (Et, pour changer, les associations étudiantes le font sans faire intervenir les droits de scolarité universitaire, ou l'utopie de la gratuité — sauf sous les traits de la réclamation d'un réinvestissement financier, ce qui se défend pour de nombreuses raisons.) Certes, le fiasco de l'UQÀM a desservi la réputation des membres universitaires au sein des conseils d'administration universitaires, mais les membres de la communauté extérieure à l'UQÀM n'ont pas brillé non plus. Et s'il y a quelque chose de pire que la gestion d'une université par une clique interne, c'est presque certainement sa gestion par une majorité de gens qui n'en sont pas partie prenante. Or, le projet de loi 38 est clair : il faudra que les conseils d'administration universitaires comptent au moins 60% de membres indépendants. Or :

« 4.0.8. Un administrateur est réputé ne pas être indépendant :

1° si, au cours des trois années précédant la date de sa nomination, il est ou a été à l'emploi de l'établissement ;

2° si, au cours des trois années précédant la date de sa nomination, il a fourni à l'établissement, à titre onéreux, des biens ou des services autres que ceux reliés à la formation ;

3° si un membre de sa famille immédiate, telle que définie par le conseil d'administration, fait partie de la direction supérieure de l'établissement ;

4° s'il est étudiant de l'établissement et qu'il est, soit inscrit à plus d'une activité d'enseignement ou de recherche, soit inscrit à une activité menant à un grade, diplôme ou certificat. »

Les profs, les étudiants et le personnel sont écartés. Idem dans les cégeps selon la loi 44 qui impose 11 administrateurs « indépendants » sur 17 dans les conseils d'administration. Rien que pour ça, je serais contre.

En juin, Yves Boisvert de La Presse avait souligné qu'au bout du compte, le peu d'importance accordée aux universités, aux études universitaires, voire à la rigueur des études universitaires, ne font que refléter le peu d'importance que les Québécois, relativement parlant, accordent à l'instruction et à un apprentissage discipliné. Ceci avait été noté dans le rapport Gervais, L'Éducation : l'avenir du Québec — Rapport sur l'accès à l'éducation (.PDF), qui citait entre autres un sondage de 2003.

La proportion de la population sondée qui considérait qu’il était extrêmement important…

…d’assurer une bonne connaissance de la lecture, de l’écriture et des mathématiques était de 81% au Québec et de 94% dans le reste du Canada

…de développer une attitude disciplinée par rapport aux études était de 61% au Québec et de 80% dans le reste du Canada

…d’acquérir les habiletés permettant de fréquenter un collège ou une université était de 53% (!) au Québec et de 83% dans le reste du Canada

…d’acquérir les habiletés pouvant mener à l’obtention d’un bon emploi était de 60% au Québec et de 82% dans le reste du Canada.

(Source : Ipsos-Reid et Kumon Math and Reading Centres (2003). « A Good Understanding of the Basics, Top Seven Goals As to What Parents Say Their Children Need for a Successful Education », dans Jean-Pierre Proulx et Jean-Marc Cyr, Opinéduc 2003, Montréal, Labriprof, Université de Montréal.)

Et c'est de cette population extra-muros qu'il faudrait attendre une meilleure gestion des universités et une meilleure compréhension de leur mission? Le rapport Gervais expliquait aussi pourquoi les étudiants québécois tiennent tant au gel des droits de scolarité : ils savent qu'ils ne peuvent compter que sur le gouvernement puisque leurs parents auront préféré se payer un chalet dans les Laurentides ou des voyages en Floride...

« On note également, selon une enquête de Statistique Canada réalisée en 2002, que 40 % des parents québécois épargnent en vue des études postsecondaires de leurs enfants, ce qui représente la proportion la moins élevée au Canada, où, selon la province, elle se situe entre 50 et 60 %, sauf à l’Île-du-Prince-Edouard (45 %). De plus, le montant épargné par les parents du Québec, qui est de 3 900 $ en moyenne, est parmi les plus faibles au Canada. La modicité des droits de scolarité au Québec et la présence du régime d’aide financière aux études expliquent sans doute une bonne partie de ce phénomène. Mais la place qu’occupent les Québécois, au bas de cette échelle, peut également refléter une moindre valorisation de l’éducation. »

Bref, tous à Montréal le premier octobre pour démontrer que l'éducation compte pour au moins quelques Québécois...

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2009-09-27

 

Fin d'un colloque et fin du beau temps

Il avait fait beau à Québec ces derniers jours, mais le colloque de l'Association pour l'histoire de la science et de la technologie au Canada se termine sous la pluie. Des étages supérieurs de l'ancienne Université Laval, je prends la photo ci-dessus des toits de Québec avant de sortir me promener, parapluie brandi. En matinée, j'ai pu assister à la conférence de David Pantalony, du Musée des sciences et de la technologie du Canada, sur le Theratron Junior, un dispositif radio-thérapeutique utilisant du cobalt-60 comme source radioactive. Après avoir assisté à la conférence de Drew Wilson sur le Diefenbunker, j'ai terminé le congrès en écoutant James Lambert, archiviste en chef de l'Université Laval, sur le sujet du patrimoine scientifique universitaire, qui inclut des archives, des livres rares, des vestiges architecturaux et des collections muséologiques partagées entre le campus Sainte-Foy — le Musée de géologie René-Bureau compte 40 000 spécimens — et le Petit Séminaire.

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2009-09-26

 

Un colloque historique dans un édifice historique

(Carte postale, début XXe s., Albertype Company, Bibliothèque et Archives Canada, PA-032064)

Le pavillon Camille-Roy de l'ancienne Université Laval accueille le colloque de l'AHSTC. La toiture à part, il a été conçu par nul autre que Charles Baillairgé. Il s'agit donc d'un édifice historique et cela se sent dans les salles comme dans les couloirs. Ainsi, j'ai photographié au passage l'entrée de ce qui était autrefois le cabinet de physique que l'on voit dans la carte postale ci-dessus. Dans la mesure où une initiation à la physique faisait partie du cours classique d'antan et de la formation des futurs médecins, je me demande si mon oncle André aurait fréquenté les locaux qui accueillent le colloque... Je suis arrivé à temps pour la fin de la séance consacrée à l'astronomie et aux femmes en astronomie, ce dont parlait Elizabeth Griffin de Victoria. Mais c'est la séance de l'après-midi sur le patrimoine ethnologique et les nouvelles technologies dont j'ai le plus profité. Laurier Turgeon et François Côté ont présenté les initiatives lancées par l'Université Laval dans le domaine du patrimoine immatériel, ce qui recouvre la culture vivante et les « porteurs de tradition », en particulier l'Encyclopédie du patrimoine culturel de l'Amérique française que Martin Fournier a décrit plus en détail. Entre les deux, Louise St-Pierre a présenté des données qui enrichiront le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, en offrant le visionnement d'une visite filmée du fameux couloir de pierre du couvent des Ursulines, que j'ai eu l'occasion de voir dans ma jeunesse, quand ma grand-tante y coulait ses jours derniers.

En fin d'après-midi, Scott Campbell a discuté du cas de Wes Graham, pionnier de l'informatique à l'Université Waterloo. Amateur de ski nautique, Graham avait informatisé les championnats mondiaux de ski nautique tenus à Toronto en 1979 en leur procurant un ordinateur pour contrôler l'affichage des pointages, calculer certains pointages et mémoriser les données des athlètes. La question qui se posait, c'était de savoir si cet effort qui avait mobilisé tout le département d'informatique aurait influencé le développement par le département de son propre ordinateur personnel, le MicroWAT lancé vers 1981 pour faciliter l'apprentissage de l'informatique par les étudiants. La réponse, en fin de compte, était non.

David Theodore a enchaîné pour discuter de l'application de la cybernétique à la conception des hôpitaux et à la planification de leurs activités à partir des années cinquante. Non seulement avait-on commencé à faire appel à des ordinateurs, mais les principes de la cybernétique avaient gouverné la collection de données au sujet des mouvements et pratiques des infirmières. À la place des pavillons usités au XIXe s., les hôpitaux de la seconde moitié du XXe s. ont édifié de grandes boîtes destinées à abriter les machines et les systèmes installés à l'intérieur.

En soirée, banquet à l'Hôtel Clarendon, dont le restaurant s'appelle le... « Charles Baillairgé ». Décidément, il hante le Vieux-Québec dont il aurait pourtant voulu raser les remparts!

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2009-09-25

 

Sur le thème du patrimoine

Le seizième colloque biennial de l'Association pour l'histoire de la science et de la technologie au Canada a lieu dans les anciens locaux de l'Université Laval (qui appartiennent encore aujourd'hui au Petit Séminaire), au cœur du Vieux-Québec. Le thème : « Science, société et patrimoine ».

La première séance à laquelle j'assiste porte sur les données de l'histoire et des sciences naturelles. Stéphanie Tesio présente les textes et travaux de Michel Sarrazin (1659-1734) (la sarracénie pourpre porte son nom) et Jean-François Gaultier (1708-1756), deux grands médecins et naturalistes de la Nouvelle-France. Sarrazin avait été le correspondant de deux membres de l'Académie royale des Sciences, soit Tournefort de 1699 à 1708 et Réaumur de 1717 à 1734. Gaultier avait correspondu avec Duhamel du Monceau de 1742 à 1756. (Peut-être en raison de leurs activités médicales, ils seraient tous les deux morts de maladie, Sarrazin de la petite vérole et Gaultier du typhus.) Tant Sarrazin que Gaultier ont contribué à la connaissance de la flore canadienne, s'ajoutant à une liste assez courte de botanistes à l'avoir fait avant eux, en commençant par Jacques Cornut. Le manuscrit de botanique de Sarrazin daterait de 1707 et comprend 10 plantes identifiées comme médicinales sur un total de plus de deux cents plantes. La flore manuscrite de Gaultier en 1749 est plus ambitieuse, recensant près de cinq cents plantes canadiennes. Des plantes commercialisables et leurs produits sont signalés, dont le ginseng, le sucre d'érable, le baume blanc du Canada, le blé d'hiver suédois et l'adiante pédalée.

Diane N. Buhay et Randall F. Miller se sont intéressés à la constitution d'une bibliothèque de recherche par la Natural History Society (NHS) du Nouveau-Brunswick, qui a existé de 1862 à 1932 avant de s'amalgamer au musée provincial. (La société disposait d'un sceau à l'emblème d'un trilobite révélant son intérêt pour la géologie et la paléontologie.) Les procédés sont classiques et connus de quiconque s'intéresse à l'histoire des nouvelles associations et sociétés culturelles dans le Canada du XIXe siècle : sollicitation des grandes sociétés comme l'Académie des Sciences ou la Smithsonian pour des dons, offre d'échanges de périodiques, obtention de legs... La NHS réussit assez bien à meubler sa bibliothèque, même si ses dirigeants déplorent régulièrement l'absence d'un catalogue en bonne et due forme, ou le désordre, ou les livres prêtés qui disparaissent.

Enfin, l'astrophysicienne Elizabeth Griffin discute de l'intérêt de la création de bases de données scientifiques historiques. En astronomie, par exemple, il existerait de par le monde trois millions de plaques photographiques obtenues par les astronomes de jadis en photographiant le ciel étoilé ou en produisant des spectres stellaires. Si elles étaient numérisées, ces plaques deviendraient une véritable mine d'informations historiques ou scientifiques. Les historiens profiteraient aussi de la numérisation des journaux personnels des astronomes et des registres d'observations.

Les machines requises coûteraient environ un demi-million de dollars pièce, mais l'ensemble de l'entreprise exigerait quelques années et quelques millions de dollars, selon Griffin. Il serait possible d'en extraire des données sur, par exemple, l'évolution de la quantité d'ozone dans l'atmosphère depuis le XIXe s.

Pour l'instant, l'entreprise tombe entre deux chaises. Les astronomes et les observatoires individuels n'ont pas toujours les moyens de s'en occuper. Les universités, les instituts ou labos de recherche et les conseils subventionnaires, trop axés sur le financement de l'obtention de nouveaux résultats, n'en voient pas l'intérêt. Les Archives nationales du Canada privilégient le patrimoine plus tangible, tandis que Canadiana s'intéresse aux écrits et aux publications plutôt qu'aux images, chiffres ou mesures, tout comme la Bibliothèque scientifique nationale. Et pourtant, comme je le fais remarquer, il existe des données encore plus fragiles que les plaques argentiques : tout ce qui a été enregistré sur des rubans magnétiques ou des supports numériques déjà périmés...

En fin de journée, Ronald E. Doel et Suzanne Zeller présentent le programme de recherche collaboratif BOREAS (Histories from the North – environments, movements, narratives) financé par l'European Science Foundation. Des Nord-Américains comme Doel et Zeller ont été en mesure de se greffer à cette initiative européenne qui fédère les efforts de plusieurs pays et qui permet d'envisager de nouveaux thèmes de recherche dans le contexte polaire. Par exemple : (i) l'apparition de nouvelles technologies (comme le dirigeable ou l'avion) dans les environnements inédits du Grand Nord, (ii) l'application des sciences physiques de l'environnement au Grand Nord (par les forces militaires des États-Unis, entre autres), (iii) la comparaison des perspectives canadiennes et étatsuniennes sur les sciences de l'environnement dans l'Arctique, (iv) l'approfondissement de la compréhension des changements climatiques, et (v) l'intersection de la recherche scientifique et de la politique étrangère...

C'est une première journée qui ne m'a pas appris grand-chose de neuf, mais qui a l'avantage de me replonger dans le bain et qui m'aura permis de retrouver de vieilles connaissances.

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2009-09-24

 

Les voix d'Apollo 11

Un nouveau site offre des enregistrements réalisés durant la mission d'Apollo 11 en juillet 1969 par un amateur habile du Kentucky, aux États-Unis, qui serait parvenu à capter les messages émis de l'espace ou de la Lune par les astronautes. Le site permet de comparer ces enregistrements aux enregistrements officiels de la NASA. Et, à plusieurs égards, l'exploit technique de Larry Baysinger à Louisville permet de confirmer, s'il le fallait, que des hommes ont bel et bien marché sur la Lune en 1969. La qualité des enregistrements, quarante ans plus tard, n'est pas fameuse, mais elle n'en est que plus convaincante, ironiquement.

Un site de la NASA permet d'écouter aussi ce qui s'est dit par les astronautes d'Apollo 11 à l'intérieur du module lunaire durant le voyage quand ils n'étaient pas en train de communiquer avec la Terre. Car tout était enregistré, comme l'explique cette page de la NASA... Mais comme pour susciter la suspicion, certains des enregistrements les plus inaudibles correspondent justement à l'alunissage initial et à ce qui se disait à l'intérieur du module! Par contre, on peut écouter cet enregistrement (.MP3) capté durant la sortie à la surface de la Lune. Je ne l'ai pas écouté jusqu'au bout, car il n'y a pas grand-chose à entendre au début : sans doute parce que les deux astronautes étaient à l'extérieur.

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2009-09-23

 

Méphitique, reine de la nuit

La mouffette du collège dispute aux chats
les nuits chaudes comme l'haleine retenue
par l'amante qui tremble au moment d'être nue —
et la nuit s'offre à l'animal qu'elle accoucha

La mouffette aime qu'on la hait tel le crachat,
qu'on s'écarte à la hâte de sa queue tenue
comme un gage d'une puanteur contenue —
et qu'on craigne ce dos que la lune lécha.

La mouffette rôde tout autour du collège
et le chat noir d'antan a fui ce sacrilège,
scellant la victoire de l'esprit de la nuit.

La mouffette se dandine, jamais pressée,
partout présente, partout elle s'introduit,
mais toujours seule aussi, et de tous délaissée.

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2009-09-22

 

Le monde en 2050

L'an dernier, un des négateurs du changement climatique a signé un billet sur son blogue qui soulignait que si les émissions mondiales de gaz carbonique par personne étaient réduites de 80%, cela correspondrait aux émissions actuelles de deux pays : Haïti et la Somalie. Conclusion implicite : qui donc voudrait vivre en Somalie?

Tout d'abord, en utilisant les données (.XLS) de l'agence même qu'il cite, je n'obtiens pas les mêmes résultats. Peut-être parce que ces données concernent uniquement les émissions de gaz carbonique associées à la production et à la consommation de carburants fossiles. Néanmoins, en 2006, les émissions mondiales par tête étaient de 4,48 tonnes métriques de gaz carbonique selon cette source. Un cinquième de ce niveau correspondrait à 0,896 tonnes et les habitants des pays suivants, en 2006, produisaient moins que ce niveau : Haïti, en effet; l'Afghanistan, ce qui n'est pas plus gai; le Bangladesh; le Bhutan; le Myanmar; le Cambodge; Kiribati; le Laos; le Népal; le Nicaragua; le Pakistan; la Papouaise-Nouvelle-Guinée; le Paraguay; les Philippines; les îles Salomon; Samoa; le Sri Lanka; les îles Turks et Caicos; le Vanuatu; le Yémen; ainsi que tous les pays africains sauf l'Afrique du Sud, l'Algérie, l'Angola, le Botswana, le Congo (Brazzaville), Djibouti, l'Égypte, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Libye, le Maroc, la Mauritanie, l'Île Maurice, l'Île Ste-Hélène, la Namibie, les Seychelles, le Swaziland et la Tunisie. Il ne s'agit pas d'une liste particulièrement réjouissante, mais elle n'est pas uniquement peuplée de pays en proie à la misère et à l'anarchie.

Se pourrait-il que Pielke ait utilisé une autre base de données, comme celle-ci des Nations Unies? Mais si les chiffres diffèrent légèrement, les résultats sont les mêmes. Toutefois, il convient de souligner que les émissions de gaz carbonique liées aux carburants fossiles ne constituent qu'une partie des émissions de gaz à effet de serre, même si c'est souvent la plus importante.

Par contre, ce chiffre d'une réduction de 80% du niveau mondial, Pielke le tire un peu de son chapeau. L'objectif actuel du G8 est d'obtenir une réduction d'au moins 50% d'ici 2050. Ceci est réitéré dans la déclaration (.PDF) issue du sommet de 2009, qui dit clairement :

« We recognise the broad scientific view that the increase in global average temperature above pre-industrial levels ought not to exceed 2°C. Because this global challenge can only be met by a global response, we reiterate our willingness to share with all countries the goal of achieving at least a 50% reduction of global emissions by 2050, recognising that this implies that global emissions need to peak as soon as possible and decline thereafter. As part of this, we also support a goal of developed countries reducing emissions of greenhouse gases in aggregate by 80% or more by 2050 compared to 1990 or more recent years. »

Ce sont les pays les plus riches (et donc parmi les plus grands émetteurs) qui sont invités à réduire de 80% leurs émissions par rapport à 1990 ou une année plus récente. Aux États-Unis, on se satisfait volontiers d'une réduction de 80% par rapport à 2005. Le Royaume-Uni vise une réduction de 80% par rapport à 1990. Et je reparlerai du Canada une autre fois...

En reprenant les chiffres de 2006, quels pays se situent donc à 50% de la moyenne mondiale des émissions de gaz carbonique par personne? Du coup, ce sont des pays comme le Brésil, l'Égypte, l'Inde ou l'Indonésie qui passent sous la barre. Donc, pour imaginer la vie en 2050, on n'a pas besoin d'imaginer un monde post-apocalyptique, il n'y a qu'à prendre ces pays en 2006 comme étant l'image possible du futur qui nous attend.

Quant au niveau retenu par les États-Unis, qui est en fait deux fois plus généreux, il dépasse celui de pays comme le Mexique en 2006, le Chili, Cuba, la Turquie, la Lettonie, l'Irak, le Liban ou la Thaïlande. Par contre, le niveau retenu par la Grande-Bretagne serait en fait inférieur à 50% de la moyenne mondiale des émissions par personne de sorte qu'elle rejoindrait les pays susdits : le Brésil en 2006, l'Égypte, l'Inde, etc.

Évidemment, il s'agit uniquement de faire converger les niveaux d'émissions de gaz à effet de serre, et non les niveaux de vie, comme voudraient nous le faire croire les Pielke de ce monde. Les écarts actuels démontrent qu'il est parfaitement possible de jouir de niveaux de vie essentiellement comparables tandis que les émissions diffèrent par un facteur de deux ou trois : ainsi, les émissions canadiennes représentent 2,85 fois celles de la France. Par conséquent, la France n'aurait qu'à réduire ses émissions de 66% par rapport à 2006 pour rejoindre la moyenne mondiale désirée en 2050 tandis que le Canada devrait les réduire de 88%...

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2009-09-21

 

Pas un record, mais...

Selon les données de Cryosphere Today, l'étendue des glaces flottantes de l'Arctique n'est pas à la baisse cette année. En fait, la superficie des glaces reste à la hausse... relativement au record de 2007. Néanmoins, il ne faudrait pas que cela nous rassure. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer l'état de la calotte polaire dans l'Arctique en 1980 (à gauche) et aujourd'hui (à droite)...
La comparaison souligne à quel point l'exception est devenue la règle. Comme l'an dernier, il n'y a pas de quoi dormir tranquille. Le minimum enregistré cette année reste le troisième plus petit depuis le début des observations. (En seconde place, celui de l'an dernier. En première place, celui de 2007.) Assiste-t-on à un retour à la normale? Je soupçonne qu'il serait plus juste de parler d'un retour à la tendance, et cette tendance est baissière depuis 1980...

Ceci serait d'ailleurs le meilleur des scénarios, car il y a pire... Dans cet article de mars 2009, Timothy J. Lenton et ses collaborateurs écrivaient :

« In general, a physical system that is approaching a bifurcation point will show characteristic behaviour in the spectral properties of its time-series data (e.g. Lenton et al. 2008). Picture the present state of the system as a ball in a curved potential well (attractor) that is being nudged around by some stochastic noise process, e.g. weather. The ball continually tends to roll back towards the bottom of the well—its lowest potential state—and the rate at which it rolls back is determined by the curvature of the potential well. The radius of the potential well is related to the longest immanent time scale in the system. As the system is forced towards a bifurcation point, the potential well becomes flatter (i.e. the longest immanent time scale increases). Consequently, the ball will roll back more sluggishly. It may also undertake larger excursions for a given nudge. At the bifurcation point, the potential well disappears and the potential becomes flat (i.e. the longest immanent time scale becomes infinite). At this point, the ball is destined to roll off into some other state (i.e. alternative potential well). Potentially useful diagnostics of an approaching bifurcation, in response to, for example, stochastic noise forcing are thus a slowing of the response time to perturbations, which can manifest as a shift to lower frequency variations and/or an increase in the amplitude of variability. »

Si les glaces flottantes de l'Arctique forment un système doté d'un point critique, on peut se poser la question de savoir s'il se comporte comme un système qui s'approche de son point critique, c'est-à-dire de l'endroit où il change de régime. En utilisant les données sur l'étendue saisonnière des banquises de l'Arctique (en millions de kilomètres carrés), j'ai calculé pour chaque année la différence entre les maximum et minimum saisonniers. Cela donne le diagrame suivant, qui donne une idée du changement annuel de superficie des glaces depuis 1979 jusqu'en 2008. Dans la figure ci-dessus, il ne faudrait certes pas confondre amplitude des variations et amplitude de la variabilité. D'ailleurs, le saut observé entre 2006 et 2007 n'est pas tellement plus grand que ce qui a pu être observé vers 1996... Toutefois, il est tentant de trouver dans cette figure deux périodes de stabilité (approximativement de 1979 à 1989 et de 1997 à 2005 ou 2006), séparée par un intervalle caractérisé par des fluctuations irrégulières. Si nous sommes entrés depuis 2006 ou 2007 dans une nouvelle ère de fluctuations, cela pourrait annoncer en fait une nouvelle stabilisation, au moins pour quelques années. C'est pourquoi je ne serais surpris ni par un retour à la tendance baissière historique ni par une stabilisation de l'étendue des banquises de l'Arctique à un niveau plus bas que la moyenne historique, mais pas aussi bas que le record de 2007. Tout au moins pour quelques années en attendant le prochain point critique...

Sans exclure qu'un jour prochain, au débouché d'une période de fluctuations (à la hausse comme à la baisse), le nouveau régime — le plus stable possible, en un sens — soit celui de la disparition complète de la banquise estivale.

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2009-09-20

 

La science sous l'anathème

Le roman Anathem de Neal Stephenson invente un monde entièrement consacré à un thème déjà présent dans certains de ses ouvrages antérieurs : la tension renouvelée dans le contexte actuel entre la raison et ses détracteurs, entre la technique et ses critiques, entre la science et ses ennemis... Cette Terre parallèle connue sous le nom d'Arbre a cantonné les intellectuels et les scientifiques dans des cloîtres à l'écart du monde profane. La première partie du récit plonge le lecteur dans la vie claustrale telle que vécue par le jeune Erasmas, mais celui-ci se retrouve propulsé hors des murs de son moutier par les événements qui bouleversent l'équilibre des forces sur sa planète. L'irruption dans le système d'Arbre d'un gigantesque vaisseau spatial au comportement hostile oblige les pouvoirs séculiers à rompre l'isolement des savants cloîtrés et à admettre l'établissement d'un pouvoir partagé entre deux magistères — ce qui rappelle une idée de Stephen Jay Gould quant à la meilleure façon d'harmoniser la foi et la science.

Comme roman, Anathem est plus maîtrisé que les premiers ouvrages de science-fiction de Stephenson que j'avais lus avant de me détourner des pavés que l'auteur enchaînait sans discontinuer. Le moteur de l'intrigue est un premier contact, ce qui n'est pas nouveau, mais les personnages ont beaucoup plus d'épaisseur que dans ces ouvrages antérieurs. En fin de compte, toutefois, l'intérêt du roman réside surtout dans la construction historique d'Arbre et de ses cloîtres, qui est tout à la fois vertigineuse, amusante et souvent riche de réflexions. Les allusions à notre réalité sont nombreuses, ce qui se justifie comme on le découvre en cours de route, et les jeux de mots intraduisibles aussi. Quand le récit bascule dans l'action purement spatiale, on tombe dans le convenu, mais l'amateur de science et de raison trouvera son miel dans l'histoire de ces cloîtres scientifiques où platoniciens, astronomes et historiens des idées se croisent, sous d'autres noms... (Statue de Platon à la Library of Congress. Photo prise par Carol M. Highsmith en 2007, LC-DIG-highsm-02117.)

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2009-09-19

 

Laurent McAllister, bestseller!

L'occasion est amusante, sinon historique. En date d'hier, le recueil Les Leçons de la cruauté de Laurent McAllister était en troisième place dans la liste des meilleures ventes en littérature québécoise à la librairie Pantoute. Pour un recueil de nouvelles de science-fiction, c'est assez époustouflant. Certes, il ne s'agit que d'une librairie et d'un résultat ponctuel, mais, à l'instar de la mère de Napoléon, on ne peut souhaiter qu'une chose : « Pourvu que ça dure ! » La preuve suit, pour immortaliser la chose...

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2009-09-18

 

De la rapidité du courriel

Cela fait vingt ans cette année que j'ai une adresse de courriel. L'anniversaire exact est passé inaperçu, mais, sous réserve d'une recherche dans mes archives, cela doit remonter au printemps 1989, soit durant un cours de base sur l'informatique à l'Université d'Ottawa soit durant un assistanat de recherche à l'Université Carleton qui avait sans doute commencé en mai... Il se peut qu'il y ait eu quelques semaines en 1989 ou 1990 durant lesquelles j'ai dû m'en passer, mais sinon cela fait vingt ans que je suis branché.

À l'époque, je ne correspondais guère qu'avec l'autre moitié de Laurent McAllister et quelques amis ou collègues de l'université. Du coup, recevoir un courriel était un événement. Si on était en-ligne, on s'empressait de répondre pour avoir l'impression d'avoir son interlocuteur à l'autre bout de la ligne et de dialoguer presque en direct. Et comme la transmission et réception de courriels était quasi instantanée (avant les pourriels, les filtres de pourriels et les encombrements des serveurs), on pouvait faire ce qu'on appelle aujourd'hui du clavardage en croyant innover, puisque le courriel n'est plus ce qu'il était...

Maintenant, les courriels arrivent plus ou moins rapidement, et ils déferlent. Il y en a tellement qu'on ne peut faire autrement que répondre avec retard, de plus en plus souvent. Au point où le courriel, sur le plan de la rapidité de communication, n'est plus si différent du courrier...

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2009-09-17

 

La science-fiction au Canada francophone en 1940

C'est une recension par Jean-Louis Lessard du livre Mondes chimériques signé par François Hertel qui m'a incité à rouvrir cet ouvrage dont je détiens l'édition de 1940 (celle de 1944 est considérée comme définitive). Il s'agit tout au plus d'un roman épisodique, sinon d'une série de nouvelles qui tiennent plutôt de la dissertation ou de la vignette, mais ce qui peut intéresser l'historien de la science-fiction au Québec, c'est tout d'abord l'intérêt du personnage principal, Charles Lepic, pour le fantastique et la science-fiction. Dans une « Digression sur l'exotisme », il affirme : « J'aime les livres où il y a l'anticipation du temps. Le meilleur des mondes, de Huxley, Nous autres, de Zamiatine, ce super-bolchevik, et, plus faible, Le Napus. Daudet est trop gastronome pour s'arracher totalement au présent. » Comme quoi, Hertel avait de bonnes lectures, même si tous ces auteurs ne se valent pas...

Si on se souvient de l'ouvrage aujourd'hui, c'est pour le chapitre intitulé « Lepic et l'histoire hypothétique » qui imagine les conséquences d'une bataille des Plaines d'Abraham, il y a 250 ans et quelques jours, gagnée par les Français, et non les Anglais... (Le Moulin à Paroles n'a pas jugé bon d'inclure la fable de Lepic dans son recueil de textes. Dommage!) Lepic est très optimiste puisque l'histoire révisée qu'il brode aboutit à un grand Canada francophone (et catholique) qui recouvre les deux tiers de l'Amérique du Nord, de Québec à San Francisco, qui a pour capitale Chicago et qui compte près de cent millions de personnes en 1914. Après avoir acheté l'Alaska, le Canada vole au secours de la France en 1918 et force l'Allemagne à déposer les armes. Le dirigeant du Canada, un certain Guillaume, applique le principe des nationalités à l'Empire allemand, ressuscitant non seulement la Prusse et l'Autriche, mais aussi la Bavière, le Wurtemberg, le grand duché de Bade et la Saxe. Comme l'Autriche garde la Tchécoslovaquie et obtient un protectorat sur la Pologne, Hitler ne peut ni prendre le pouvoir (dans quelle capitale allemande?) ni annexer une Autriche trop forte pour les principautés allemandes. La Seconde Guerre mondiale est donc évitée. Quant au Canada, il compte 125 millions de personnes en 1940 tandis que sa métropole montréalaise atteint les cinq millions et que la Louisiane francophone indépendante en dénombre 12 millions. Par contre, le Dominion anglais du littoral atlantique (qui n'est jamais devenu les États-Unis) s'en tient à vingt-cinq millions d'habitants. Il fallait y penser!

Mais l'ouvrage propose aussi un texte proche de la science-fiction où Lepic raconte ce qui arrivera à l'inventeur Jacques Beauregard, professeur de psychologie expérimentale à l'Université de Montréal, en 1965. Tout d'abord, Lepic explique le triomphe à venir de la télévision : « En 1965, on pouvait suivre sur l'écran de l'appareil récepteur de T.V.S.F. les péripéties d'une partie de hockey, voir et entendre les réactions des joueurs et des spectateurs, sans avoir à bouger de son fauteuil. » Tout l'avenir du mâle québécois était contenu dans cette audacieuse prédiction!

Après les ondes électromagnétiques, donc, c'est au tour des ondes télépathiques d'être asservies, cette fois par un savant québécois, le dénommé Beauregard. Dans ce chapitre intitulé « L'âme à nu », Lepic cite au passage le récit d'André Maurois intitulé La Machine à lire les pensées (1937) et il permet à Jacques Beauregard d'inventer bel et bien cette machine. Le 28 octobre 1965, à quatre heures, Beauregard se livre à une première expérience qui doit lui permettre de recevoir les pensées d'un ami de Québec, Anatole Bédard. Il les capte, il sent penser Bédard. Et il devient fou.

Lire Hertel, c'est tout d'abord vérifier encore une fois que le Québec ne vivait pas en vase clos à cette époque. (Les écrits de Jean-Charles Harvey auraient suffi à l'établir.) Outre les ouvrages d'anticipation cités par Lepic, on notera la référence dans « L'âme à nu » aux idées sur la télépathie d'Alexis Carrel, médecin français, Prix Nobel et auteur un tantinet eugéniste de L'Homme, cet inconnu (1935). Lepic précise : « Et Beauregard sentait qu'il rejoignait et dépassait même les conclusions du docteur Carrel et de plusieurs autres qui affirment que la personnalité humaine s'étend bien au-delà des limites que lui assigne le contour corporel. » De fait, dans un livre extrêmement scientifique pour son temps, Carrel avait été catégorique : « L'existence de la clairvoyance et de la télépathie est une donnée immédiate de l'observation. » Les conclusions de Carrel sur le sujet laissent d'ailleurs rêveur : « Il est sûr que la pensée peut se communiquer directement d'un être humain à un autre, même à grande distance. Ces faits, qui sont du ressort de la nouvelle science de la métapsychique, doivent être acceptés tels qu'ils sont. Ils font partie de la réalité. Ils expriment un aspect mal connu de l'être humain. Ils expliquent peut-être l'extraordinaire lucidité que possèdent certains hommes. Quelle pénétration aurait celui qui serait doué en même temps d'une intelligence disciplinée et d'aptitudes télépathiques ? »

Quelle a été l'influence sur la science-fiction contemporaine de ces fortes paroles? Quand on sait que Heinlein semble avoir bien connu les travaux de Carrel, voire Man, The Unknown, on ne peut que s'interroger sur ce que d'autres ont pu en retirer. Certes, les expériences de Rhine ont également conforté la croyance à la télépathie, mais la concordance des avis a certainement joué. Sauf que notre auteur québécois, lui, au lieu d'imaginer des mutants capables de lire les pensées, recule au moment décisif et refuse à son personnage d'empiéter sur des pouvoirs sans doute jugés par trop divins.

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2009-09-16

 

Une étude postcoloniale de la SF du Québec

Amy J. Ransom, professeure à l'Université du Michigan central dans le département des langues, littératures et cultures étrangères, se consacre depuis longtemps à l'étude du Québec. Depuis dix ans environ, elle s'intéresse plus particulièrement à la science-fiction du Canada francophone. Cette année, elle vient de faire paraître chez McFarland aux États-Unis ce qui est sans doute la première monographie en anglais (voire en français?) sur le sujet, Science Fiction from Québec: A Postcolonial Study. (Dans une certaine mesure, l'article de Ransom dans le New York Review of Science Fiction en était tiré.) J'ai acheté mon propre exemplaire de l'ouvrage durant Anticipation, si ce n'est que parce que mon nom y apparaît 27 fois... Par contre, dans un ouvrage qui adopte le point de vue des études postcoloniales et qui inclut un chapitre intitulé « Logiques métisses : Hybridity and Transculturalism », j'avoue trouver regrettable que l'ouvrage ne cite pas au passage mon article paru dans Solaris sur « La rencontre de l'Autre dans la science-fiction pour jeunes au Canada ». Toutefois, il faut avouer que l'ouvrage n'a clairement pas pour vocation d'être exhaustif, globalisant ou complétiste à outrance. Les quatre chapitres correspondent à des coups de sonde thématiques, extrêmement approfondis, mais qui ne débordent pas toujours du cadre choisi. Il me reste à lire le livre au complet et avec l'attention qu'il mérite, mais il est d'ores et déjà à classer avec les ouvrages qui auront fait date, comme les ouvrages de Ketterer ou Saint-Gelais, et les thèses de plus en plus nombreuses.

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2009-09-15

 

Le militarisme et l'éloge de la force

Qu'est-ce que le militarisme? Est-ce nécessairement le contraire du pacifisme? Et quels sont les liens avec l'éloge de la force?

Un commentaire récent d'un vétéran de l'armée des États-Unis souligne une évolution qui a pris un virage si prononcé ces dernières années que je suis de plus en plus porté à considérer que le militarisme est une composante organique de la société étatsunienne. Ceci me saute au visage quand je voyage aux États-Unis et que les voitures arborent des autocollants en forme de rubans jaunes tandis que les drapeaux étoilés flottent un peu partout. Mais aussi quand je constate à quel point l'armée et la défense échappent à toute critique, au nom d'une sacralisation de la périlleuse servitude acceptée par les volontaires. Sans parler de l'intégration extrêmement poussée des industries militaires et de l'économie nationale, ou de la conduite d'une politique étrangère qui n'exclut jamais l'usage de la force...

Les rubans jaunes sont particulièrement révélateurs, car ils ont acquis leur popularité actuelle entre 1973 et 1981, durant cette période qui a forgé le revanchisme de droite des années Reagan-Bush (même s'ils ont sans doute des racines historiques plus anciennes). Ils ont accédé à la conscience nationale à la fin de la crise des otages de l'ambassade étatsunienne à Téhéran et ils ont repris du service depuis le 11 septembre 2001. Ils ont maintenant essaimé au Canada (ils sont très visibles dans la région d'Ottawa) et, de fait, qu'on le veuille ou non, nous sommes en guerre. Au jour le jour, cela peut s'oublier, mais on peut se demander ce que cette conscience d'être en guerre apporte...

Par exemple, au Canada comme aux États-Unis, les cas de brutalité policière ou d'abus de la loi se multiplient depuis quelques années. Dans quelle mesure les policiers se sentent-ils justifiés d'utiliser la manière forte parce que toute la culture populaire les encourage à appliquer la loi sans trop se soucier de... la loi? Sans oublier que les médias attisent aussi une certaine hystérie en exagérant les taux de criminalité. La référence au principe de réalité, dans les constructions de la culture militaire et policière qui font de la connaissance de la violence une pierre de touche du bon jugement de l'homme armé, légitime une caractérisation héroïque, voire utopique, des policiers et des soldats : parce qu'ils affrontent des situations violentes et parce qu'ils ont à exercer une violence, ils sont en mesure d'exercer cette violence parce qu'ils ont une vision plus claire des réalités de la vie. Quand on y pense, c'est une permission implicite extraordinaire...

À certains égards, la situation rappelle le contexte du roman 1984 d'Orwell : guerre perpétuelle, surveillance omniprésente et propagande en continu. Mais si on adopte une vision historique plus ample, on peut songer à la situation européenne au XIXe s. Après 1870, le continent européen a retrouvé une certaine paix, pendant près de quarante ans, mais au prix d'opter pour les guerres coloniales comme dérivatif. Dans le contexte d'une paix armée à l'intérieur et d'opérations militaires fréquentes à l'extérieur, les valeurs viriles et guerrières ont été encensées dans la plupart des pays européeens, et de manière d'autant plus insistante que, vers la fin de cette période, les jeunes générations n'avaient de la guerre qu'une connaissance théorique, inculquée par des maîtres à penser eux-mêmes épargnés par les conflits précédents. Du coup, il existait une tension sous-jacente au sein de cette civilisation qui reposait sur un essor industriel et commercial sans précédent mais qui prônait une mâle agressivité comme modèle universel. Cette tension, les Futuristes comme Marinetti l'avaient sentie, mais aussi un autre artiste, moins accompli, Adolf Hitler. Quand la Première Guerre mondiale éclate, Hitler rapporte (dans le Chapitre V de Mein Kampf) avoir exulté : « Pour moi aussi, ces heures furent comme une délivrance des pénibles impressions de ma jeunesse. Je n’ai pas non plus honte de dire aujourd’hui qu’emporté par un enthousiasme tumultueux, je tombai à genoux et remerciai de tout cœur le ciel de m’avoir donné le bonheur de pouvoir vivre à une telle époque.»

Point Godwin? Le refus d'envisager toute ressemblance de l'actualité avec les périodes passées n'est pas toujours défendable. Au minimum, la comparaison entre le présent et le passé permet de mieux comprendre le passé et pourquoi la bonne conscience des Allemands durant les deux guerres mondiales n'était pas nécessairement un mythe. Elle reposait sur un socle — de convictions vertueuses ou de désinformation, c'est selon — suffisant à assurer sa stabilité. Le défi, c'est de faire l'inverse, surtout si notre compréhension du passé se base sur notre compréhension du présent, car on se retrouve piégé dans un cercle vicieux tel qu'en fin de compte, la connaissance du passé n'apporte rien de neuf à la compréhension du présent.

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2009-09-14

 

Je suis nul, mais tant pis

En juillet dernier, l'Agence Science-Presse rapportait les résultats d'une étude canadienne sur les bienfaits de la pensée positive (genre, se répéter « Je suis bon » ou « Je suis capable ») chez ceux qui se sentent déprimés ou qui ont une faible estime de soi. Selon l'étude, ces bienfaits étaient plutôt des méfaits, car les avantages étaient non avérés ou franchement négatifs. L'articulet concluait « Les chercheurs estiment que se donner le droit de broyer du noir reste encore une façon simple et saine de voir éventuellement les choses du bon côté! »

Cette capsule citait comme source Psychology Science, mais il faut plutôt en attribuer la paternité à Joanne V. Wood (Université de Waterloo) W.Q. Elaine Perunovic (Université du Nouveau-Brunswick) et John W. Lee (Université de Waterloo), dont l'article « Positive Self-Statements: Power for Some, Peril for Others » est paru dans la revue Psychological Science.

En fait, les affirmations positives procurent un surplus de confiance à ceux qui en ont déjà, mais elles ne font rien pour aider ceux qui en manquent, et risquent même de les enfoncer encore plus. Par contre, je ne trouve pas dans l'article la conclusion citée par l'entrefilet de l'Agence Science-Presse. Tout au plus les auteurs avancent-ils que « According to the ‘‘latitudes of acceptance’’ idea (Sherif & Hovland, 1961), messages that espouse a position close to one’s own attitude are more persuasive than messages that espouse a position far from one’s own (Eagly & Chaiken, 1993). »

Néanmoins, si on applique le principe hippocratique, il semble clair qu'il est préférable de ne pas encourager la pensée positive et de célébrer plutôt les vertus d'un sain réalisme, voire du jugement le plus objectif possible.

Évidemment, il est surtout question dans cette analyse de l'être et non du faire. Du ressenti, et non de l'agi. Mais il est effectivement tentant de s'interroger sur les conséquences d'une vision plus réaliste de soi-même et de ses défaillances non seulement sur l'humeur mais sur le comportement. Si on peut s'accepter comme faillible, sera-t-on plus apte à agir et entreprendre? S'il y a une religion qui a prêché l'humilité et la mesure de sa propre faillibilité, c'est le christianisme, en particulier dans le sillage de l'adoption de la confession des péchés, qui est une forme d'autocritique particulièrement acérée. Or, les chrétiens ont connu beaucoup de succès dans le monde séculaire depuis un millénaire tandis que des religions moins portées sur l'humiliation des croyants ont dû lui céder le pas... Y a-t-il là une relation de cause à effet? Ce n'est pas si sûr si on accepte la thèse inverse de Weber qui associait le succès des capitalistes protestants à la certitude de compter parmi les élus...

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2009-09-13

 

Les géographies évanouies

(Extrémité est de la nouvelle façade de l'Art Gallery of Ontario conçue par Frank Gehry)

Toronto n'est plus la même. Sa géographie a changé, à toutes les échelles. En arrivant hier, j'avais déjà repéré un nouveau gratte-ciel, au sommet à l'image d'une nasse à mi-chemin entre la ruche extraterrestre et la proue d'un vieux galion. En me rendant à l'auberge de jeunesse, j'ai remarqué qu'un ancien commerce — restau ou supermarché — avait fermé, ses façades désormais cachées par des panneaux de contreplaqué. Dans les airs comme dans les rues, des petits changements se sont accumulés depuis ma dernière visite. (Extrémité ouest de la nouvelle façade de l'Art Gallery of Ontario conçue par Frank Gehry)

C'est aussi la géographie intime de la ville qui a évolué. J'avais mes habitudes à Toronto, autrefois, quand je descendais chez ma tante et que je savais où acheter le journal ou des jetons de métro, combien de temps durait le trajet jusqu'au centre-ville, où trouver les guichets automatiques de ma banque en chemin... Mais ces jours ne reviendront plus, à moins que je bascule un jour dans un univers distinct, où les morts ne sont pas morts et les vivants ont souffert d'autres deuils. Du coup, je dois changer mes petites habitudes torontoises et c'est un peu douloureux — non pas d'en créer de nouvelles, mais de faire une croix définitive sur les anciennes et tout ce qui leur était associé.

C'est ce qui explique sans doute pourquoi je ne suis pas le seul à me faire difficilement à une nouvelle configuration de ma réalité. Nos politiciens aussi tendent à rester fidèles à des géographies évanouies. Dans les rues de Toronto plus encore que dans celles de Montréal ou Ottawa, il est clair que l'ancien Canada dont la population était majoritairement d'origine européenne ne survit plus que dans les régions rurales et éloignées comme le nord de l'Ontario. À Toronto, le fossé est grand entre les visages que l'on croise dans la rue et ceux que l'on voie à la tête des partis au Parlement. (Le fossé serait moins grand si on se référait à la présidence des États-Unis, mais, voilà, c'est au Canada que Barack Obama aurait dû être élu. Sauf qu'il n'aurait pas réussi à se présenter à la tête d'un de nos partis contrôlés par des caciques régionaux grisonnants.)

À cet égard, le choix libéral de se jeter dans les bras de Michael Ignatieff, sous prétexte de retrouver l'éclat intellectuel d'un Trudeau, fait figure de choix passéiste. Bref, d'un choix par trop fidèle à une géographie évanouie du Canada, et d'un choix qui ne tranchait pas vraiment sur les autres choix des partis présents à Ottawa. Il n'y a vraiment pas de quoi s'étonner ensuite que des partis aussi déconnectés échouent à susciter l'enthousiasme des électeurs.
(L'architecture nouvelle de la façade de Frank Gehry pour l'Art Gallery of Ontario)

Aujourd'hui, j'ai tout juste eu le temps de consacrer une brève visite au Musée des beaux-arts de l'Ontario. Je ne suis certainement pas resté assez longtemps pour souffrir du syndrome de Stendhal, mais j'ai pu faire le tour du rez-de-chaussée, qui offre une sélection choisie d'art européen, surtout sous la forme de tableaux, mais sans exclure des manuscrits, miniatures et sculptures. Cette collection internationale aux liens souvent ténus avec le Canada, l'Ontario ou Toronto souligne l'entreprise coloniale qui fait de ces ouvrages artistiques d'ailleurs les références primordiales de la culture canadienne. Du coup, ce n'est ni le pittoresque délibéré des représentations d'autochtones ni le vide inquiétant des paysages canadiens ni les quelques créations artistiques des Premières Nations admises par acquit de conscience qui en disent le plus sur le détachement de Toronto par rapport à son contexte, mais tout simplement l'entreprise muséale au complet... en attendant que je visite le reste de l'institution et que je me forge une autre idée.

Cet autre Canada que j'ai visité en juillet me hante encore. La combinaison des paysages, des pétroglyphes et de la statuaire routière moderne (oie de Wawa, ours, originaux, etc.) révélait un autre cosmos mental, étranger aux artistes urbains, mais qui unit les habitants d'hier et d'aujourd'hui, qui vivaient et qui vivent aux portes de la forêt, qui en connaissent les créatures et qui n'hésitent pas à les côtoyer. Difficile de tomber aussi rapidement que d'habitude sous le charme de tableaux qui appartiennent aussi clairement à une culture lointaine et qui me rappellent avec insistance que sous ce musée, sous le pavé de Toronto, sous les gratte-ciels, il y a eu une autre géographie, aujourd'hui évanouie.

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2009-09-12

 

Lancement chez les monstres

Ce n'était pas un vendredi 13, mais c'était quand même le jour du lancement torontois de l'antho Tesseracts Thirteen. Cela se passait dans la nouvelle incarnation de la vénérable librairie Bakka, désormais fusionnée et connue sous le nom de BakkaPhoenix. (L'ancienne librairie Bakka se trouvait également sur la rue Queen, mais à l'est de Spadina, et non à l'ouest de Bathurst.) En me rendant au lancement, je suis tombé sur un rassemblement de zombies. La preuve... En fait, il s'agissait d'un événement organisé par le Toronto Zombie Walk, qui organise annuellement une marche des zombies. Il s'agissait de célébrer la projection du nouveau film de George Romero, Survival of the Dead (!), et l'acquisition par Romero de la citoyenneté canadienne, de concert avec son déménagement à Toronto. Cette projection a lieu dans le cadre du Festival international du film de Toronto, dont les activités mettaient un peu plus d'animation dans la vie nocturne de la capitale ontarienne. C'est en traversant le parc Alexandra, à deux pas de la rue Queen, que j'ai eu l'attention attirée par un attroupement dont le caractère insolite n'a pas tardé à se manifester quand je me suis rapproché. Des photographes mitraillaient déjà les meilleurs grimages (ou les pires?) et les participants à cet hommage au père fondateur de la vogue actuelle des zombies... Les costumes étaient relativement variés ; à la sortie du parc, j'ai croisé un petit groupe qui arrivait et qui semblait compter un Joker reproduisant assez bien l'aspect du personnage de Heath Ledger dans le dernier Batman, The Dark Night... À la librairie BakkaPhoenix, les auteurs présents ont pour la plupart lu un extrait de leur nouvelle dans Tesseracts Thirteen. De mémoire, seul un extrait mettait en scène un mort-vivant... mais pas nécessairement un zombie classique. L'affluence a été respectable et nous avons paraphé les exemplaires comme de véritables travailleurs à la chaîne, afin de laisser des exemplaires signés sur les tablettes de la librairie — avis aux amateurs torontois !

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2009-09-11

 

Un auteur et son œuvre

Une fois n'est pas coutume : j'aimerais attirer l'attention sur le décès de Larry Gelbart (1928-2009).

Non, ce n'était pas du tout un auteur de science-fiction, et je ne peux pas dire qu'il ait influencé ce que j'écris. Et pourtant, je me souviens de la série télévisée M*A*S*H dont il a scénarisé la première centaine d'épisodes, en tout ou en partie, avec une affection certaine, peut-être supérieure à celle que j'éprouve pour n'importe quelle autre série de télé (y compris en science-fiction). Dans quelle mesure Larry Gelbart a-t-il contribué aux épisodes les plus formellement inventifs de la série, dont certains ont été tournés des années après son départ? Pas beaucoup, sans doute, mais il a certainement signé certains des plus amusants. À tout le moins, il a eu le mérite d'établir le concept et le cadre d'une série qui a su évoluer de manière très intéressante ; de nos jours, il est beaucoup trop commun d'observer que les scénaristes à la télévision ont l'air d'avoir appris tout ce qu'ils savent à la fac, recyclant à la lettre près des concepts inventés ailleurs et utilisés précédemment...

Quand est-ce que j'ai commencé à regarder M*A*S*H — et à comprendre les blagues, parfois quelque peu obscures pour un jeune francophone du Canada dans les monologues les plus étincelants d'Alan Alda? Sans doute après le départ de Gelbart, car je crois bien avoir découvert le personnage de Trapper dans les reprises, et non dans les diffusions d'origine. Je soupçonne que j'ai dû suivre la série en direct pendant les cinq ou six dernières années tout au plus (jusqu'en 1983, donc). Mais comme les anciens épisodes étaient rediffusés très souvent (surtout l'été?), j'ai pu suivre en parallèle pendant quelques années tant les inédits que les rediffusions. Et il est clair que l'humour de Gelbart durant les premières années se caractérisait par une franche dérision plus libérée que jamais (plus libérée qu'aujourd'hui?), dans ces États-Unis de l'après-Watergate... et de la crise du pétrole... et de la fin de la guerre au Viêt-nam... bref, dans un pays qui apprenait la vulnérabilité, l'humilité et une saine défiance de l'autorité. C'était une émission que nous regardions en famille ; mon père était de la même génération que Gelbart et son propre père avait été un médecin militaire.

Gelbart n'a pas fait mieux ensuite, si on excepte peut-être la part qu'il a prise au scénario de Tootsie. Du coup, on se rend compte de la rareté des conjonctions qui font qu'un créateur peut livrer le meilleur de lui-même, au bon moment, quand le public est prêt à le recevoir...

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2009-09-10

 

Retour sur les ondes

Décidément, il va falloir que j'arrête de dire du mal de la Première Chaîne de Radio-Canada puisque je suis de nouveau appelé à intervenir... au sujet du téléphone. (De toutes façons, je déplore surtout le rétrécissement continu de la quantité de programmation originale et historique sur cette station, pas la qualité en soi de la programmation qui reste.) Paradoxalement, alors qu'en cette année internationale de l'astronomie, je me serais attendu à parler sur ce sujet, voir sur le cent cinquantième anniversaire du célèbre ouvrage de Darwin, c'est le téléphone qui a la cote. Suis-je en voie de devenir un M. Téléphone ?

Ce sera samedi en fin d'après-midi, entre 16h et 19h, à l'émission « La tête ailleurs ».

Et si on veut parler de l'importance historique du téléphone, arrêtons-nous un instant sur cette image d'un fusil allemand servant de poteau de téléphone improvisé en août 1918, durant les derniers mois de la Première Guerre mondiale dans la région d'Arras, en France...
(Département de la Défense nationale du Canada / Bibliothèque et Archives Canada / PA-040216)

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2009-09-09

 

Pas le bon numéro

En cette année cinématographique, ce n'est ni la première fois (District 9) ni la dernière fois (Nine) que le chiffre 9 est à l'honneur. Mais le film 9 de Shane Acker sera peut-être le plus décevant. Sur le plan visuel, il est souvent magnifique, à mi-chemin entre l'animation classique et la réalité. La séquence du réveil de 9, le mannequin-homoncule, est d'une beauté émouvante, grâce à la démarche maladroite du nouveau-né, à la texture des matériaux inusités et au décor hétéroclite d'un labo de savant fou à l'ancienne.

C'est sur le plan de l'intrigue que ça se gâte très vite. Le scénario se réduit très vite à l'histoire d'un combat en plusieurs épisodes entre les homoncules constitués avec une parcelle chacun de l'âme d'un savant défunt et une machine dévastatrice animée par le génie du même savant (et une étincelle de mégalomanie prise à un dictateur militaire?). Comme cette machine est responsable de la fin de l'humanité, ce conflit extériorise de manière particulièrement littérale la lutte entre le cœur et l'esprit, entre l'instinct de préservation et l'instinct de domination. L'intellect est clairement classé ici du côté de la domination et de la destruction, sans grande ambiguïté. La science et la technologie aussi... La fable est à tout le moins un peu pénible.

Quant au récit, ponctué du quota syndical d'explosions, de déflagrations et d'actions enchaînées trop rapidement pour être suivies du regard, il se résume à une série d'affrontements suffisamment espacés pour que 9 prêche la résistance et se fasse expliquer par son créateur la solution à tous leurs problèmes. Le créateur en question est humain, mais ses révélations sont fournies par un enregistrement. Donc, c'est à peu de choses près un deus ex machina...

Bref, si on peut admirer la perfection de la création visuelle, on ne peut qu'abandonner au public enfantin ce film auquel manquent néanmoins autant l'inventivité débridée d'un Kung Fu Panda que la beauté et l'émotion d'un dessin animé de Miyazaki.

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2009-09-08

 

Repas post-apocalyptiques

Souvent, dans les romans de la survie après l'apocalypse, nucléaire ou autres, les survivants doivent se nourrir de boîtes de conserve dont les étiquettes ont disparu. Surprise garantie à chaque repas...

Je suis un peu dans la même situation ces jours-ci, ayant découvert à mon retour de voyage que mon réfrigérateur avait rendu l'âme durant mon absence. La glace du congélateur avait fondu, inondant l'intérieur du réfrigérateur, et la chaleur avait fait son œuvre... En faisant le ménage, j'ai récupéré quelques boîtes de conserve que je gardais au frais et j'ai enlevé les étiquettes détrempées, etc. Depuis, quand j'ouvre une boîte, je suis forcé d'improviser le menu qui va avec. Tiens, du bouillon de bœuf... hop, une soupe à l'oignon! Tiens, du maïs miniature... hop, une salade avec des poivrons rouges et verts!

Cela devient presque tentant d'enlever toutes les étiquettes de mes boîtes de conserve et de fonctionner ainsi désormais en permanence...

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2009-09-07

 

La fin de l'été

L'été n'est pas tout à fait fini, surtout que le beau temps de cette semaine aurait parfaitement convenu à plusieurs journées d'un été qu'on aurait souhaité moins frais, moins gris et moins pluvieux. Je profite de mes derniers temps libres pour compléter le blogue de mon été, qui restera lacunaire en raison de mes multiples occupations au fil des semaines. En fait, toute l'année aura été placée sous le signe de l'imperfection : courant plusieurs lièvres à la fois, j'ai rarement été capable de donner ma pleine mesure, que ce soit sur le plan de mes nouvelles, de mes traductions, de mes livres, de mes recherches en communication des sciences ou de l'organisation d'Anticipation. Je termine donc cet été avec de vagues regrets, sans doute attisés par une certaine forme d'épuisement mais atténués quand même par le succès plus ou moins grand de la plupart de ces initiatives. En fait, il faut maintenant que je reprenne le collier pour donner un dernier coup là où c'est encore possible. Et comme il se profile à l'horizon de nouveaux projets et de nouvelles possibilités, je sens qu'une fois de plus, je ne chômerai pas et que je serai sans cesse à la bourre, au risque d'être obligé d'avouer l'an prochain de nouveaux regrets...

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2009-09-06

 

Sonnets albriens (6)

Comme l'homme alité qui rêve de santé,
infirme condamné à ramper au plus bas
ou malade cloué à un triste grabat,
l'amoureux esseulé soupire après l'aimée

Comme l'homme enfermé qui veut sa liberté,
vagabond obligé de mesurer ses pas
ou forçat enchaîné qui mendie un repas,
l'amoureux esseulé soupire après l'aimée

Il compte les journées, et les heures aussi,
inscrites puis barrées sur la paroi blanchie
de la geôle exécrée que son espoir éclaire

Il en veut, affolé, au plus bref des instants
qui ose retarder l'émoi chaud et solaire
et l'étreinte attendue de deux amours naissants

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2009-09-05

 

L'avancée du désert

Le désert auditif sur les ondes de la radio de Radio-Canada progresse. Tout indique qu'il va prendre de l'expansion cet automne. Principal symptôme : Tout le monde en parle envahit les ondes de la Première Chaîne le dimanche soir, aux dépens d'émissions annulées comme Macadam Tribus, De Remarquables Oubliés et le créneau de Gregory Charles. Mais le reste des nouveautés n'est guère plus encourageant, dont une série de 10 épisodes intitulée « La révolution tranquille, 50 ans après ». Tous en chœur : « Noooooooooon, pas encore les maudits boomers ! »

Quelques voix se sont élevées pour protester contre l'arrivée de Tout le monde en parle (pubs comprises?) à la radio, mais très peu. J'aimerais croire que ce n'est pas la preuve que l'auditoire en cause fond comme une peau de chagrin. Il me semble plus probable qu'on ne se rendra compte que le jour même de ce qui se passe, puisque la majorité québécoise ne lit même plus les journaux et ne s'inquiète pas des annonces faites par communiqués. Ce jour-là, il sera temps sans doute d'organiser une pétition en-ligne pour protester.

Mais d'ici là....

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2009-09-04

 

Ponyo

D'habitude, quand je vais au cinéma voir un dessin animé de Miyazaki, je m'attends toujours un peu à découvrir un film pour enfants et c'est pourquoi je suis alors ravi de constater que ce n'est pas que ça, qu'il y a des profondeurs imprévues, des beautés surprenantes et souvent un apprentissage difficile de la maturité. Jusqu'à maintenant, les films que j'avais vus mettaient en scène l'exubérance et les exigences de la jeunesse dans un monde parfois merveilleux parfois terrifiant, mais qui invitait en définitive au mûrissement. Du coup, mes attentes avaient changé quand je suis allé voir Ponyo — et j'ai été surpris de découvrir un film pour enfants.

En fait, c'est un film sur l'enfance et l'amitié qui sait encore être absolue à cet âge, mais c'est aussi un film sur la vieillesse, car je me demande s'il ne faut pas approcher de la fin pour goûter l'innocence des commencements, toujours gros d'espérances — et de nostalgie... Ponyo, c'est un peu l'histoire d'un père qui doit accepter de renoncer à sa fille, et d'une mère qui doit admettre que son fils grandit et qu'elle peut lui faire confiance.

En apparence, c'est l'histoire d'une fille de la mer, qui ressemble à un poisson rouge doté d'un visage humain (ou d'un poupon habillé d'une chemise de nuit rouge). Son père est un sorcier qui aimerait ressusciter la vie marine d'autrefois dans une mer pillée par les humains. Quand la petite poissonne s'échappe et est jetée à la côte, elle est sauvée par un garçonnet de cinq ans, Sōsuke. En quelques heures, elle est affublée du nom de Ponyo, goûte au sang de son sauveur, déguste du jambon et commence à parler. Dès lors, les deux sont amis malgré les différences — et le film répète plusieurs fois qu'il ne faut pas juger sur la seule foi de l'apparence. Ramenée sous les flots par son père, Ponyo réussit à détourner la magie de son père à son profit, à prendre l'apparence d'une petite fille et à rejoindre Sōsuke, non sans provoquer un soulèvement de la mer qui monte et noie le petit village côtier. Pendant la nuit, la mère de Sōsuke part secourir les pensionnaires de l'hospice. Comme elle tarde à revenir, les deux enfants partent à sa recherche, à bord du bateau que la magie de Ponyo a tiré du jouet favori de son ami Sōsuke...

En apparence, le thème écologique s'efface à la fin, mais il ne faut pas oublier que l'amitié de Sōsuke et Ponyo cache aussi une réconciliation des humains et de la mer, scellée avec un baiser.

Comme film, Ponyo est plus proche de la fable que du récit. Des séquences d'une beauté émouvante concourent à nous plonger dans la tranquillité d'une forêt envahie par la mer et les créatures préhistoriques, dans les profondeurs habitées de l'océan, ou dans la fureur d'une mer déchaînée. Ce n'est pas nécessairement le meilleur film de Miyazaki, qui cherche cette fois à prêcher la bonne parole aux bambins, mais si j'avais des jeunes enfants, je les y amènerais sans hésiter.

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2009-09-03

 

Le passé en couleurs

Avant 1950, le monde existait en noir et blanc. La preuve, c'est qu'on rêvait en noir et blanc à cette époque, et peut-être aussi longtemps qu'il y eut des télés en noir et blanc dans les foyers...

Toutefois, il existe des témoignages en couleurs de la première moitié du XXe s., obtenus par une variété de procédés photographiques ou filmiques. On pourrait citer les nombreux autochromes réalisés en France, au bénéfice des revues à grand tirage d'avant la Seconde Guerre mondiale. Entre autres ressources désormais publiques, il existe des milliers de clichés en couleurs, sur film Kodachrome, des États-Unis au début des années 1940, ce dont discute un court reportage sur le site de la revue Time. Avant le Kodachrome, il y eut des procédés plus artisanaux, comme celui du photographe russe Sergueï Mikhailovitch Prokudin-Gorskii (1863-1944) à qui on doit des photos époustouflantes de la Russie tsariste. Dans la photo ci-contre [LC-P87-2106], on le voit (à droite) en compagnie de deux Cosaques (peut-être) vers 1915 aux abords du chemin de fer de Murmansk. La photo ci-dessous [LC-P87-4443] représente la ville de Tcherdyn vers 1910; on peut la comparer directement à cette photo, également prise à Tcherdyn du haut du château d'eau, mais par William C. Brumfield (né en 1944) en 2000.Depuis quelques années, on a remis au goût du jour les films en couleurs de la Seconde Guerre mondiale. À force, on finira peut-être par en faire autant avec le reste du monde et des actualités, au moyen des films et instantanés disponibles, histoire d'établir que le monde existait bien en couleurs avant 1950...

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2009-09-02

 

Le district des extraterrestres

Vu hier soir le film District 9, qui, comme Moon, a pour mérite d'être de la science-fiction sans concession. Contrairement à Moon, toutefois, District 9 a bénéficié d'un budget d'importance, de l'endossement de Peter Jackson et de décors nettement moins aseptisés.

De quoi s'agit-il? Dans un futur proche, un immense vaisseau spatial s'est immobilisé au-dessus de Johannesburg en Afrique du Sud. Les premiers humains à pénétrer à bord ont découvert une population d'extraterrestres humanoïdes dont l'apparence les apparente à des crustacés... Affamés et désorientés, ceux-ci ont été pris en charge par le gouvernement d'Afrique du Sud et installés dans un camp de réfugiés, « District 9 ». Celui-ci est rapidement devenu un bidonville ou ghetto puisque que les « prawns », comme on les appelle, ne sont pas acceptés par la population humaine à l'extérieur du camp. Quand l'action du film débute, un bureaucrate, Wikus van de Merwe, est chargé de distribuer des avis d'expulsion aux habitants du camp, que l'on désire établir dans une nouvelle enclave, à l'écart de la grande ville qui ne supporte plus la proximité de ces extraterrestres indésirables...

Il convient d'avouer que le scénario de District 9 est nettement moins méticuleux que celui de Moon quand il s'agit de résoudre les petits mystères de l'intrigue. Il reste beaucoup de scories. L'avis d'expulsion est censé précéder de vingt-quatre heures le nettoyage de « District 9 », mais rien n'a commencé près de trois jours plus tard, tandis que Wikus subit les conséquences d'une contamination par ce qui est censé être une source d'énergie, mais qui serait aussi soit un vecteur viral soit un cocktail de nanomachines — ce qui n'est pas entièrement convaincant. Le scénario ne répond pas à toutes les questions qu'il soulève : pourquoi ces extraterrestres ont-ils abouti sur Terre? l'extraterrestre qui conclut une alliance de circonstance avec Wikus est-il plus intelligent que les autres? appartient-il à une caste différente? est-il un ancien pilote? A priori, on ne le saura pas. Tout au plus devine-t-on que leur monde d'origine a sept lunes, si j'ai bien compris...

Globalement, le film est aussi satisfaisant sur le plan humain que sur celui de l'action. Ne réussit-il pas à nous faire sympathiser avec des extraterrestres qui sont en partie de simples créations numériques (très éloignées de Jar-Jar Binks)? Certes, la transformation de Wikus en personnage capable de fraterniser avec les extraterrestres est un peu télégraphiée, mais l'affrontement qui conclut le film l'est moins que les critiques l'ont laissé entendre. Tout simplement parce qu'il ne s'agit pas d'une fusillade gratuite, axée sur les explosions ou les péripéties, mais parce que l'intrigue du film lui donne un sens humain. Pas seulement celui d'une vengeance, ce qui constitue le moteur de beaucoup trop de bagarres hollywoodiennes, mais celui d'une rédemption.

Bref, c'est un film en partie politique. Les grands thèmes de l'intolérance et du rejet de l'autre sont évidents au point de crever les yeux. La dimension sud-africaine est très présente, quoique plus discrète pour qui ne connaît pas l'histoire de l'Afrique du Sud. Faire du personnage humain principal un Afrikaner chargé de gérer la déportation de toute la population d'un ghetto, c'est déjà assez clair. Pour enfoncer le clou, il appelle « boy » son jeune collaborateur noir (obligé de se passer d'une veste pare-balles) et il se fait appeler « boss » par son garde du corps noir, qui est le bras armé de l'organisme chargé de nettoyer ce camp de réfugiés extraterrestres. D'autres allusions sont plus discrètes, comme ce commentaire dans un vox populi qui appelle à la guerre biologique pour éradiquer des extraterrestres devenus gênants — ce qui renvoie à des recherches actives sous le régime de l'apartheid. Pour corser les choses, le film a été tourné en grande partie à Chiawelo, à deux pas de Soweto, le plus connu sans doute des townships de l'ancien régime.

On a aussi critiqué les gangsters nigériens du film, un peu trop stéréotypés au goût de plusieurs. Mais si les Nigériens sont désormais connus hors de l'Afrique comme des escrocs et criminels avant tout, ce n'est pas aux Occidentaux qu'il faut s'en prendre... D'une part, on soupçonne une petite vengeance d'internaute qui a trop vu de messages nigériens envahir sa boîte à lettres. D'autre part, tout stéréotype est à double détente. Si on dépeint ces gangsters nigériens comme des criminels bêtes et bestiaux, que faut-il en conclure au sujet des victimes que leurs modèles réussissent à exploiter ou abuser en misant sur leur crédulité et leur cupidité?

Quant au jeu d'acteur, il est particulièrement impressionnant dans le cas de Sharlto Copley qui joue Wikus — et qui joue dans un long-métrage pour la première fois.

Bref, l'été 2009 aura vu le retour de la science-fiction sérieuse au cinéma.

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2009-09-01

 

Alexander Graham Bell et moi

Dimanche soir, j'ai fait partie de l'émission « Les chemins de travers » à la Première Chaîne de Radio-Canada avec Serge Bouchard et nous avons parlé d'Alexander Graham Bell (1847-1922). Les trois segments distincts de l'émission sont maintenant disponibles sur le site de l'émission, mais je ne sais pas pour combien de temps. Je n'interviens que dans les deux derniers, toutefois, mais, pour la compréhension, il faut nécessairement écouter le premier.

Bell est un inventeur fascinant, qui appartient nettement plus à l'époque héroïque de la première Révolution industrielle qu'à l'ère des titans corporatifs de la seconde Révolution industrielle, même si le téléphone fait partie des inventions marquantes de cette seconde période. Il n'était pas particulièrement doué pour l'entrepreneuriat, contrairement à un Thomas Alva Edison : aux États-Unis, une trentaine de brevets seulement portent le nom de Bell contre des centaines pour Edison. Bell n'avait pas non plus la formation scientifique d'un ingénieur ou d'un scientifique de son temps. Autodidacte, il était avant tout un acousticien et un professeur d'élocution pour les sourds-muets qui avait acquis de solides bases en électricité pratique. Cela lui a suffi pour inventer, conjointement avec Thomas Watson, le premier téléphone breveté dont le fonctionnement a été démontré sans contestation possible en public. (Le dire ainsi permet d'écarter les réclamations des autres inventeurs dans le domaine, même si certains d'entre eux ont très bien pu accoucher d'un prototype plus ou moins opérationnel.)

J'ai croisé pour la première fois le chemin de Bell quand j'ai visité Baddeck avec mes parents. J'étais très jeune, mais je me souviens un peu du musée consacré aux inventions de Bell dans cette petite ville de la Nouvelle-Écosse.

Plus récemment, en août 2007, j'avais fait un tour en Ontario méridional et je m'étais arrêté à Paris et Brantford. À Paris, petite ville pittoresque nichée dans une vallée, la famille d'Alexander Graham Bell avait séjourné quelques semaines chez un pasteur du nom de Thomas Philip Henderson (1816-1887), dont la maison existe encore (photo ci-dessous), quand ils avaient quitté l'Écosse pour sauver la vie du jeune Alexander, dont les deux frères étaient morts de la tuberculose.Si on se rapproche de ce cottage, on peut admirer de plus près la construction particulière des murs en galets, souvent mentionnée dans les références à la demeure du révérend Henderson. Mais je ne garantis pas l'authenticité historique du reste de l'édifice.À Brantford, les Bell avaient acheté une belle propriété située un peu à l'écart de la ville, à Tutelo (ou Tutela, selon les sources) Heights. En tant que site historique, la maison visible aujourd'hui (photo ci-dessous) correspond presque parfaitement à la maison visible dans les photos historiques, du moins à l'extérieur. (Dans au moins une photo d'époque, le perron est dépourvu de marches et l'entrée communique de plain-pied avec l'allée extérieure.)Le site ne se limite plus seulement à héberger la résidence historique des Bell. Comme l'explique une plaque dressée à quelques pas de la maison, le révérend Henderson a joué plus d'un rôle dans la vie d'Alexander Bell. Quand celui-ci a mis au point son téléphone, son père et le vieil Henderson ont collaboré pour lancer l'usage de l'invention au Canada. Entre temps, le révérend Henderson avait quitté Paris, son cottage et son poste d'inspecteur des écoles pour emménager dans une maison plus humble à Brantford. En 1877, il renonçait à son ministère pour devenir le premier représentant canadien de Bell et un promoteur infatigable du téléphone, d'abord dans l'Ontario du sud, puis à Montréal. Sa maisonnette de Brantford allait devenir par la force des choses le premier bureau d'affaires d'une entreprise téléphonique au Canada. Plus tard, elle a été transportée sur le terrain de Tutelo Heights (photo ci-dessous) et il est désormais possible de la visiter. Les locaux du rez-de-chaussée reconstituent les bureaux tels qu'ils auraient pu exister entre 1877 et 1880. Durant l'émission, un auditeur a communiqué avec le studio pour rappeler l'invention du combiné par Cyrille Duquet (1841-1922), horloger et orfèvre de la ville de Québec qui est mort la même année que Bell. En effet, quand son cadet a fait breveter le téléphone, Duquet a très rapidement fait breveter au Canada des améliorations et imaginé le combiné téléphonique. Dans la vieille ville de Québec, à l'emplacement de sa boutique, on retrouve aujourd'hui la plaque que je reproduis ci-contre. Ce que je dis à mes étudiants et ce que j'ai dit dimanche soir au sujet de la question de la priorité de Bell, c'est que le téléphone moderne, qu'on le veuille ou non, descend en droite ligne de l'invention brevetée par Bell. D'autres inventeurs l'ont peut-être anticipé, mais leurs inventions n'ont été ni brevetées ni commercialisées. Toutefois, il serait possible de soutenir que le téléphone actuel, c'est-à-dire le cellulaire, descend surtout de l'invention de Duquet dans la mesure où il n'est plus qu'un combiné!Dans la photo ci-dessus, on voit un édifice de Paris, Ontario, qui n'existe plus, mais où Bell a reçu le premier appel interurbain de l'histoire. Le courriel d'un auditeur durant l'émission l'a rappelé, mais il convient de noter que cet appel « interurbain » n'a couvert qu'entre 15 et 20 km, la distance séparant Paris de la maison de Tutelo Heights. Dans une agglomération plus grande, ce n'aurait été qu'un appel « urbain »... De plus, il s'agissait surtout d'un test de la transmission, Alexander Graham Bell désirant tester l'adéquation d'une ligne de télégraphe aux appels téléphoniques. Mais aucune conversation n'a eu lieu, l'inventeur se bornant à tester la transmission unidirectionnelle du signal sur cette distance entre la maison familiale et le bureau de Paris. Néanmoins, une plaque sur place à Paris rappelle cette expérience historique, comme on le voit ci-dessous.

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