2020-07-02

 

Jean-Pierre Moumon (1947-2020)

La nouvelle est tombée en fin de journée hier, arrivant de France avec un décalage de quelques heures.  Jean-Pierre Moumon avait succombé à une crise cardiaque.

(Jean-Pierre Moumon à Montréal en août 2009, alors qu'il participait au congrès mondial de science-fiction Anticipation sous le nom de Jean-Pierre Laigle.)

Né à Toulon en 1947, Jean-Pierre Moumon a consacré sa vie à la science-fiction, ou c'est du moins l'impression qu'il m'a laissé.  Polyglotte inégalé et traducteur prolifique au temps où il éditait la revue Antarès qu'il avait co-fondée, il a longtemps travaillé à ce titre comme passeur, pour faire connaître en France, et en français, la science-fiction internationale à l'extérieur des États-Unis.  (Il avait d'ailleurs publié quelques auteurs québécois dans les pages d'Antarès.)  Agent littéraire à l'occasion, imprimeur de raretés de l'ancien merveilleux scientifique qu'il vendait urbi et orbi, critique et historien de la science-fiction, il réunissait depuis quelques années des essais thématiques qui permettaient d'appréhender la fortune sur le long cours d'idées plus ou moins connues des lecteurs actuels de science-fiction : planètes creuses emboîtées, planètes intra-mercuriennes, invasions sorties des profondeurs marines, peuples nains, allumages de soleils, tours de Babel futuristes, Lunes terraformées, guerres entre la Terre et la Lune... 

Il signait également depuis quelques années des nouvelles et même des romans, d'inspirations fort variées.  D'une part, il avait lancé une saga spatiale qui devait s'étendre sur des millénaires à l'échelle d'une galaxie.  D'autre part, il avait signé dans Solaris une série de nouvelles offrant un futur uchronique en partie québécois, si je me souviens bien.  Ailleurs, il avait fait paraître une uchronie romaine susceptible de concurrencer Renouvier lui-même...

Comme il avait vingt ans de plus que moi, l'écart d'âge ne facilitait pas l'établissement d'une amitié, pas plus que l'océan qui nous séparait, mais je crois que chacun de nous a reconnu chez l'autre une passion semblable pour la science-fiction sous toutes ses formes, de la plus ancienne à la plus scientifique.  De fait, je ne sais plus quand je l'ai croisé pour la première fois ou quand j'ai fait sa connaissance.  Était-ce au Canada, à un congrès Boréal des années 1980 ?  Était-ce en France, à une convention nationale française ou aux Galaxiales de Nancy durant les années 1990 ?  Il me semble qu'il m'avait contacté à cette dernière époque pour me proposer de publier dans Antarès une traduction en français de ma nouvelle « Stella Nova » (1994).  Mais comme Antarès allait cesser de publier en 1996, cette publication ne s'était pas concrétisée et une version remaniée de cette traduction allait paraître dans Galaxies en 1999.  Nous avons entretenu une correspondance épisodique et intermittente par la suite, de nature plutôt utilitaire.  Vers 2001, je lui fournissais quelques indications d'ordre astronomique sur l'étoile Cor Serpentis.  Plus tard, j'allais parfois lui dénicher des curiosités chez les bouquinistes montréalais que je gardais, pour alimenter ses futurs trafics d'objets littéraires, jusqu'à sa prochaine visite au Canada.

En effet, c'est à la même époque qu'il avait commencé à assister aux congrès Boréal.  Avait-il participé aux congrès des années 1990, jumelés avec des conventions anglophones à Ottawa et Montréal ?  Je ne saurais en jurer.  Par contre, il figure parmi les inscrits de Boréal 2000 et 2001, puis de 2007 à 2012.  Nous l'avions encore revu en 2014 et il s'était inscrit en 2016, mais sans pouvoir faire le voyage de la Méditerranée jusqu'à Mont-Laurier.  Après un congrès Boréal à Québec, soit au Centre Morrin en 2012 soit au Monastère des Augustines en 2017, je me souviens qu'il avait rejoint l'équipe de bénévoles du congrès au bar Le Sortilège sur Saint-Jean le dimanche soir et que nous avions passé un bon moment en petit comité, à partager des anecdotes et des souvenirs, entre fans.  (Je penche pour 2012.)

Je l'ai sans doute rencontré pour la dernière fois aux Utopiales en 2018.  Il m'avait réclamé une nouvelle pour un numéro spécial de Galaxies dont il organisait le dossier thématique, sur la terraformation de la Lune, et il m'avait repéré dans l'assistance d'une table ronde... peut-être bien celle où Élisabeth Vonarburg incarnait Alice Sheldon.  De fait, après avoir écouté au début, j'avais sorti mon ordinateur pour effectuer quelques recherches sur les températures lunaires et récupérer des données pour l'écriture de cette nouvelle.  Si bien que lorsqu'il est venu me relancer, j'ai pu répondre sans mentir que j'y travaillais.  Toutefois, comme je n'avais pas saisi qu'il n'était présent que pour la journée, j'avais raté l'occasion de prolonger notre conversation.

Isolé en Bretagne durant la pandémie, il m'avait fait part de ses recherches les plus récentes.  Il préparait un nouveau dossier thématique pour Galaxies, qui comportera peut-être une nouvelle de ma plume, mais ce sera, le cas échéant, sa dernière contribution à la science-fiction ou presque.

C'était un esprit libre qui menait une existence en marge, à ce qu'il m'a toujours semblé.  En marge des querelles et des chapelles, en marge des modes littéraires et des succès de vente, en marge aussi des contingences conventionnelles...  Mais avec sa disparition, c'est une connaissance rare et précieuse de la science-fiction internationale au siècle dernier qui périt.

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