2015-10-31

 

La saison achevée...

Quand la neige s'abat, nouvelle éclosion
de blanc pour nos ébats, faisant des champs un lit,
capitonnant les bois et lissant tous les plis,
un monde neuf, sans loi, s'offre à l'explosion

Il n'attend qu'un verbe pour sa création,
qu'un parleur pour crier son cœur jusqu'à la lie
et sauver cet hiver élu du triste oubli
où périt qui n'ose la révolution

Quand les neiges fondent, leur blancheur s'est usée,
la page a résisté aux mots qui ont fusé :
de l'hiver épuisé ne reste que la boue

Si quelques rares flocons encor se fourvoient,
le printemps se moque de cet hiver à bout —
sourd au chuchotement libéré de nos voix

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2015-10-20

 

Le Québec a tranché

Cette fois, les sondages ne se sont pas trompés.  En particulier, ils ont épinglé avec précision le soutien conservateur à la veille du vote.  Le vote stratégique ou de dernière minute a fait le reste puisque 3 points de pourcentage du soutien du NPD ont glissé chez les Libéraux pour assurer à ceux-ci une victoire éclatante.  Le plus impressionnant, en fait, c'est que cette victoire n'est pas le résultat d'une coalition des forces centristes et de gauche.  Si le soutien du NPD a baissé d'un tiers environ (de 30,63% en 2011 à 19,7%), il est néanmoins demeuré plus élevé qu'à l'issue de toutes les autres élections depuis 1988 (quand Ed Broadbent avait recueilli 20,38%).  Les succès des Libéraux en 1993, 1997 et 2000 étaient le résultat de la division du vote de droite et aussi d'un transfert des soutiens néo-démocrates en faveur du PLC.  Lorsque le NPD a commencé à reprendre de la vigueur sous Alexa McDonough puis Jack Layton, les suffrages libéraux ont commencé à baisser.

En revanche, l'élection d'hier a consacré le déclin des forces de droite.  Le diagramme suivant illustre le résultat des élections fédérales depuis 1984 (la première élection après le retrait définitif de Pierre Elliott Trudeau) jusqu'en 2015 (la première élection remportée par Justin Trudeau).  Le trait double en gris permet de suivre l'évolution de la coalition conservatrice de Brian Mulroney qui réunissait les souverainistes du Québec (regroupés ensuite sous la bannière du Bloc québécois), les progressistes conservateurs traditionnels (dont les Red Tories) et la droite dure de l'Ouest (regroupée ensuite sous la bannière du parti Réformiste de Preston Manning).  Cette coalition commence à se fragmenter dès 1987 quand Manning fonde la Réforme, puis éclate tout à fait avant l'élection de 1993 avec le départ de Lucien Bouchard qui fonde le Bloc québécois.  Du coup, en calculant la somme des appuis des Conservateurs, de la Réforme et du Bloc québécois de 1984 à hier, on saisit mieux que l'élection d'hier représente un tournant historique pour les forces de droite, qui plongent sous le seuil des 40% d'appui.  Certes, on peut soutenir que certaines idées de droite ont si bien fait leur chemin que même le NPD de Mulcair s'est senti obligé de promettre de ne pas relever les impôts des particuliers ou de ne pas faire de déficits, ce qui a permis aux Libéraux de se montrer plus, hmmm, libéraux et de mieux incarner un changement de cap.  Toutefois, sur beaucoup d'autres points, du climato-scepticisme à la xénophobie au mépris des Premières Nations, les idées de droite n'obtiennent qu'une audience de plus en plus minoritaire au Canada.
Si les Libéraux ont progressé presque partout au pays, on peut affirmer que le Québec a joué un rôle décisif à double titre.  D'une part, il a donné aux Libéraux une vingtaine de sièges supplémentaires qui représentent la différence entre une minorité et une majorité, ce choix se concrétisant durant les ultimes semaines de la campagne électorale.  D'autre part, il semble clair que l'effritement du vote orange au Québec au plus fort de l'affaire du niqab a convaincu les autres électeurs canadiens qu'il valait mieux parier sur le poulain rouge, le jeune et fringant Justin Trudeau, que sur le vieux cheval de retour, Tom Mulcair, qui patinait dans la boue conservatrice et bloquiste.

Mine de rien, pourtant, c'est le Québec qui a enregistré le deuxième soutien le plus fort pour le NPD (25,4%) après la Colombie-Britannique.  Il y a quelques années à peine, ce résultat aurait été à peine croyable.  En date d'hier, le NPD est (en pourcentage des suffrages) le second parti à Terre-Neuve, au Québec et en Saskatchewan, tout en ayant accumulé au moins un quart des voix au Québec, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.  Si la possibilité d'accéder au pouvoir paraît plus éloignée que jamais, les sondages favorables du mois d'août et la remontée spectaculaire des Libéraux entre 2011 et 2015 suggèrent que le NPD garde un potentiel de croissance non-négligeable.  Ce qui est moins sûr, c'est que son chef actuel soit le mieux placé pour convertir ce potentiel en soutiens réels le jour du vote : Mulcair a déjà échoué une fois, mais c'est difficile de voir qui pourrait faire mieux.  Le parti n'a pas nécessairement un jeune chef charismatique bilingue sous la main, homme ou femme au passé de préférence immaculé.

Le pouvoir sera-t-il un cadeau empoisonné pour les Libéraux?  De graves problèmes économiques pendent au nez du Canada (vieillissement de la population, bulle immobilière, bulle des ressources naturelles, concurrence accrue pour les industries laitières et manufacturières si les ententes commerciales avec l'Europe et les pays du Pacifique se concrétisent) et c'est le parti de Justin Trudeau qui risque d'être sur la ligne de front dans la plupart des cas.  Le NPD sera libre de s'opposer sans être assujetti aux contraintes d'une coalition ou d'une entente entre partis minoritaires et Tom Mulcair parlera d'autant plus fort (s'il ne part pas tout de suite) que les Conservateurs seront privés de chef pendant plusieurs mois.

La solution de rechange sera-t-elle encore les Conservateurs en 2019?  La semaine dernière, alors que les sondages ne le donnaient pas nécessairement gagnant (voir l'image ci-dessous), Justin Trudeau a réclamé une majorité parlementaire.  Il l'a obtenue.  Il n'aura qu'à réparer d'abord les pots cassés des Conservateurs de Harper (la liste est longue) pour faire bonne impression au début.  Les difficultés commenceront ensuite...

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2015-10-06

 

Retours à la Terre

Hier soir, j'ai donc vu The Martian, le nouveau film de Ridley Scott.  En bref, il s'agit à peu de choses près d'un croisement entre Apollo 13 et Gravity.  Du premier, on a gardé l'accent sur la résolution de problèmes techniques et scientifiques, ainsi que la participation mondiale (par le biais des médias) à un extraordinaire moment de suspense interplanétaire.  Du second, la succession sans répit (ou presque) de dangers qui accablent une personne seule et isolée.  Le résultat est très efficace, sur un mode moins trépidant qu'angoissant : les personnages font rarement dans la grandiloquence et s'abstiennent de l'expression exagérée des acteurs de films d'action, mais ils sont pourtant aux prises avec des situations de vie ou de mort, et des choix parfois déchirants.  En prime, il y a les paysages martiens (ou jordaniens, assez souvent), qui sont époustouflants et assez convaincants.  Si je me suis demandé dans quelle mesure justement la stratification des massifs rocheux à l'écran était crédible dans le cas de Mars, il suffit de jeter un coup d'œil à la photo ci-dessous de Curiosity — illustrant le Mont Sharp à l'intérieur du cratère Gale sur Mars, lequel juxtapose des dépôts sans doute lacustres et éoliens — pour avoir la réponse...


Cela dit, c'est un film qui donne une image plus positive que d'habitude de la science et du génie, puisque le personnage joué par Matt Damon, l'astronaute et botaniste Mark Watney, doit se tirer d'affaire alors qu'il se retrouve seul sur Mars.  Il déploie des trésors d'ingéniosité avant qu'on se rende compte qu'il est encore vivant et qu'on vienne à son secours.

En revanche, il faut également avouer que le film ne passe sans doute pas le test de Bechdel(-Wallace-Delany-Hacker-Woolf).  La plupart des personnages déterminants sont des hommes, à part la capitaine qui abandonne le naufragé du titre parce qu'elle le croit mort et une autre membre de l'équipe d'astronautes de la NASA.  Sur Terre, les hautes sphères de la NASA ne comptent apparemment qu'une femme, la relationniste de service, et il y a aussi quelques employées qu'on entrevoit à l'arrière-plan, alors que l'agence spatiale chinoise peut compter au moins sur une scientifique de haut niveau.  Bon, c'est assez réaliste, d'un point de vue statistique, mais le film n'échappera pas à la critique d'être de plusieurs manières une apologie de la geekitude masculine — jusqu'à la blague sur Elrond que ladite relationniste de la NASA ne capte pas parce qu'elle ne connaît pas le Seigneur des anneaux.

Cela dit, en rapprochant The Martian de films comme Apollo 13 et Gravity, on distingue un point commun qui est loin de favoriser l'optimisme.  Quoi qu'on en dise et quoi qu'espère la NASA (qui a collaboré au film), ce sont des histoires qui font du retour sur Terre le dénouement heureux de l'intrigue et qui font de l'espace le lieu de périls sans nombre et de catastrophes potentiellement mortelles.  Même si personne ne meurt et même si l'exemple de Mark Watney semble inspirer l'émulation, la narration fait de l'espace et des planètes étrangères l'antagoniste nécessaire à l'action dramatique.  On se demande en quoi cela encourage vraiment l'exploration spatiale.

À plusieurs égards, il s'agit d'un film d'ingénieurs plutôt que d'un film scientifique.  (Même si le film n'explique pas deux défaillances cruciales, pour lesquelles on voudrait au moins un mot d'explication : le site internet du film fournit peut-être ces explications.) Car il est à peine question de science autre que pratique ou utilitaire.  Du coup, on comprend difficilement ce que ces astronautes sont allés faire sur Mars et ce qui les motive.  La possibilité d'une ancienne vie martienne?   (Ou d'une présente vie martienne?)  L'espoir de comprendre les changements climatiques à grande échelle?  Les mystères instructifs d'une géologie et d'un géomagnétisme extraterrestres?  Pas un mot là-dessus.

Bref, du point de vue de la vraisemblance techno-scientifique et du réalisme dans la représentation de personnes placées dans des situations extrêmes, il s'agit d'un excellent film de science-fiction.  Du point de vue de l'inventivité de l'intrigue dans son ensemble, et non des simples rebondissements, c'est nettement plus faible.

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2015-10-04

 

Le voyageur, l'écrivain et le spécialiste

Les derniers mois ont été riches en événements.  Sur le plan international, de la crise grecque aux conséquences de la guerre civile en Syrie, en passant par la ré-élection de Cameron au Royaume-Uni et les hésitations de la croissance en Chine, il y aurait eu de quoi rédiger plusieurs billets.  Au Canada, l'élection fédérale se prolonge et Stephen Harper a tellement multiplié les tentatives d'en manipuler le résultat — modifications de la loi électorale, dépenses extraordinaires sur une durée extraordinaire, démagogie xénophobe — que le suspense risque de durer jusqu'à l'annonce des résultats.  À défaut de réagir au jour le jour, autant se réserver pour le lendemain du vote.  Sur le plan personnel, Lily a trouvé un travail à temps plein, si bien que nous avons célébré dans la sérénité notre cinquième anniversaire de mariage au Château Mont Ste-Anne en se promenant dans la montagne et la forêt qui dominent le Saint-Laurent.

La photo ci-dessus, prise du flanc du Mont Sainte-Anne le 5 septembre dernier, montre la pointe aval de l'île d'Orléans.  On saisit assez bien la nature boisée de cette partie de la côte de Beaupré.  La photo ci-dessous d'une cascatelle, prise dans les bois au sud de l'hôtel le lendemain, révèle les couches sédimentaires (des schistes?) du relief, qui apparaissent clairement à droite, dont l'érosion a ménagé des paliers pour la descente du cours d'eau.
Enfin, une dernière photo pour illustrer l'ultime cascade des chutes Larose dans ce même boisé.  Il y avait quelques nageurs et plongeurs en train de profiter du bassin au pied de la chute, mais ils ne figurent pas dans ce cliché qui permet de souligner plutôt le cadre sauvage.  Plus tard, nous avons d'ailleurs atteint une table à pique-nique au bord de la rivière Ste-Anne-du Nord, où nous avons pique-niqué fin seuls en pleine nature verdoyante.

La région n'est pas chiche en chutes, d'ailleurs, puisque les chutes Montmorency ne sont pas loin.  Sans parler de la chute Kabir Kouba à Wendake, un peu plus loin encore...

L'été a d'ailleurs été relativement fertile en sorties.  Des parcs historiques d'Ottawa au sentier Transcanadien à Québec, en passant par un certain pays perdu, nous avons retrouvé des amis et des proches dans les décors les plus rieurs.  Et peut-être que j'y reviendrai.  Ou pas...  Voilà donc pour les balades du voyageur.  L'écrivain n'a pas chômé non plus cette année et certains fruits de son labeur commencent à paraître.  Ma nouvelle « Le nombre de Judas » vient de sortir dans le numéro 37 de la revue Galaxies.  Il s'agit de ma dixième parution dans la revue, si je tiens compte de trois articles et trois fictions dans la première série (1996-2007), puis de quatre fictions (dont une réimpression) jusqu'à maintenant dans la nouvelle série lancée en 2008.  (Je ne compte pas ma traduction d'une nouvelle de John Park parue dans la première série.)  D'autres nouvelles sortiront ensuite, en particulier chez Rivière Blanche.  Toutefois, le chercheur ne se tournait pas non plus les pouces.  Outre le travail que j'ai réalisé sur l'histoire des jeux vidéo au Canada, je continue à travailler sur l'histoire de la science-fiction au Canada francophone, ce qui se traduira par une publication dans un numéro à venir de la collection Eidôlon de l'Université de Bordeaux.  En attendant toutefois, on peut lire ma postface à la nouvelle édition du roman La fin de la Terre (1931) d'Emmanuel Desrosiers, qui s'ajoute ce mois-ci aux volumes de la Bibliothèque québécoise qui a pour objectif de constituer un panorama historique des lettres québécoises.  Pour des questions de droits, il manquera à la réédition la préface d'origine ainsi que les illustrations intérieures (signées Jean-Paul Lemieux, quand même) dont les originaux n'ont pas été retrouvés.  Dans cette postface, j'essaie surtout d'inscrire l'ouvrage d'Emmanuel Desrosiers dans son contexte.  Ou dans son double contexte : celui de la littérature d'anticipation et du récit catastrophe de l'époque, en anglais comme en français, mais aussi au Canada francophone même.


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