2007-02-05

 

Iconographie de la SFCF (13)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; et (12) les couvertures de fantasy.

En 1971 paraissait le troisième roman numéroté de la collection Jeunesse-Pop des Éditions Paulines de Sherbrooke, La mystérieuse boule de feu, signé du nom de Louis Sutal, un pseudonyme. Les Éditions Paulines avaient repris le flambeau porté durant les années 1950 et 1960 par l'entreprise de l'Apostolat de la Presse, les deux opérant sous l'égide de la Société Saint-Paul. Sur cette histoire, on peut lire l'ouvrage de Josée Marcoux, qui traite d'une période marquée à ses débuts par l'activisme de plusieurs éditeurs catholiques (.PDF), dont certains ont fini par publier de la science-fiction pour les jeunes à partir des années 1960... De fait, l'Apostolat de la Presse, fondé en 1947 et basé à Sherbrooke, avait publié de nombreux romans pour jeunes et Laurent Boisvert est un auteur qui a été publié à la fois par l'Apostolat de la Presse et par les Éditions Paulines. Mais son roman Grain de Sel et le Spoutnik II, qui raconte les aventures d'un jeune Montréalais dans l'Antarctique à la recherche d'un satellite soviétique tombé de l'espace, est édité en 1963 par les Éditions Paulines sans être associé à une collection particulière. Il faut attendre 1971 pour que Paulines lance une collection pour les jeunes. Le quatrième de couverture du roman de Sutal donne une idée de la maquette d'origine, très peace and love : tête de hippie et symbole de la paix (pourtant dit satanique par certains)...

Pour les lecteurs ignorant l'histoire canadienne, le titre du roman de Sutal, La mystérieuse boule de feu, peut sembler renvoyer soit à de nombreux témoignages ufologiques (comme dans ce cas de 1968) soit à la mystérieuse boule de feu qui fait disparaître la momie de Rascar Capac dans l'album Les sept boules de cristal de Tintin. Louis Sutal n'ignorait certainement pas la référence ufologique puisque le roman lui-même fait le lien implicitement, mais il a été inspiré par autre chose. En effet, son roman commence à l'automne 1662 en Nouvelle-France. François Guérin est l'homme engagé de la famille Ménard « depuis son arrivée en 1660, il y a maintenant deux ans. » C'est alors que la famille est surprise par le passage en plein ciel d'un « globe de flammes » qui est aussi décrit comme une « sphère de feu », une « boule de flammes », un « globe de feu » et, inévitablement, une « boule de feu ». Quelques mois plus tard, en février, François est à Québec pour le Mardi Gras et la terre tremble. C'est le début d'une aventure qui lui fera rencontrer les responsables de ces phénomènes, la boule de feu cachant une « soucoupe immense », un « vaisseau de l'espace dont le métal s'enflamme sans se consumer au contact de l'air de votre planète », et le tremblement de terre ayant été provoqué par un glissement de terrain consécutif au creusement d'une base par les occupants de la soucoupe... Quand le vaisseau spatial repart, il reprend les traits d'un globe de feu : « Au sol, dans la vallée du Saint-Laurent, les habitants de la Nouvelle-France entendent un bruit de canon et voient une boule de flammes disparaître à l'horizon. »

Pour les lecteurs connaissant l'histoire de la Nouvelle-France, ces événements correspondaient à des relations historiques. Ainsi, dans l'Histoire et description générale de la Nouvelle France de Pierre-François-Xavier de Charlevoix, on retrouve en page 124 de l'édition parisienne de 1744 (en conservant la graphie d'époque) la description suivante :

« Pendant l'automne de 1662. peu de jours après le départ de M. de Petrée, on vit voler dans l'air quantité de feux sous differentes figures, toutes assez bizarres. Sur Quebec & sur Montreal il parut une nuit un globe de feu, qui jettoit un grand éclat, avec cette difference, qu'à Montreal il sembloit s'être détaché de la Lune, qu'il fût accompagné d'un bruit semblable à celui d'une volée de Canons, & qu'après s'être promené dans l'air l'espace d'environ trois lieuës, il alla se perdre derriere la Montagne, d'où l'Isle a pris son nom; au lieu qu'à Quebec il ne fit que passer, & n'eut rien de particulier. »

Dans l'ouvrage fort pieux Mémoires sur la vie de M. de Laval, Louis Bertrand de La Tour reprend en 1761 l'essentiel de cette description en affirmant que ces prodiges encouragèrent la foi chrétienne pendant des années :

« Pendant l'automne de 1662 on vit voler dans l'air quantité de feux sous différentes figures fort bizarres. Sur Quebec & sur Montréal il parut une nuit un globe de feu, qui jetoit un grand éclat à Quebec; il ne fit que passer à Montréal : il sembloit s'être détaché de la lune; il fut accompagné d'un bruit semblable à celui du canon, & après s'être promené dans l'air l'espace de trois lieues, il alla se perdre derriere la montagne. »

Celui-ci cite à l'appui de ce passage Charlevoix et les Lettres de Mère Marie de l'Incarnation. Toutefois, l'origine de la description pourrait se trouver dans la Relation de ce qui s'est passé en la Nouvelle France, és [sic] années 1664. & 1665. des Jésuites François Le Mercier et Jacques Bordier. Dans l'édition de 1666, on trouve en pages 114-115 :

« Le Lundy dix-neufiéme Ianvier de l'an 1665. sur les cinq heures & trois quarts du soir, on entendit un son si fort, qui sortit de dessous la terre, qu'il fut pris pour un coup de canon. Ce bruit entendu par des personnes éloignées de trois & quatre lieuës, les uns des autres : & nos Sauvages, qui sçavent que l'on ne tire le canon sur le tard, que pour advertir que l'on a descouvert la marche de quelques Iroquois, se retirerent des bois où ils estoient, & vinrent toute nuit nous demander pourquoy nous avions tiré un coup de canon si terrible.

« Environ un demy-quart d'heure aprés ce bruit, il parut un globe de feu sur Quebec, qui ne fit que passer, venant des montagnes du Nord, qui rendoit une si grande lumiere, que l'on voyait comme en plein jour, des maisons éloignées de Quebec de deux lieuës.

« Dans la suite de l'année, on en a veû plusieurs autres semblables, tant à Quebec, qu'au dessous de Tadoussac, & dans le chemin des Trois Rivieres. »

On peut admettre que Charlevoix ait lu 1662 et non 1665 par simple distraction, mais il a aussi arrangé assez librement la matière du témoignage pour en faire un récit plus cohérent et plus frappant. La date de 1665 est certaine, car elle est justement confirmée par l'autre source citée par Louis Bertrand de La Tour. Toutefois, la lettre XLI du 28 juillet 1665 de la correspondance de Mère Marie de l'Incarnation fournit des descriptions assez différentes des phénomènes observés en janvier 1665

« Le 2e de janvier, l'on découvrit une seconde comète semblable à la première. Sa queue était longue de soixante pieds ou plus; elle différait de la première en ce qu'elle portait sa queue devant elle. Il en a paru une troisième au mois de février presque semblable, excepté qu'elle portait sa queue après elle, et qu'elle paraissait le soir, sur les six heures, au lieu que les autres paraissaient le matin.

« L'on a vu plusieurs fois des feux voler par l'air. Ce sont peut-être des restes des tremblements de terre, laquelle étant demeurée ouverte en plusieurs endroits, a laissé aux feux souterrains des issues libres pour s'élever en l'air.

« On a aussi remarqué une espèce de dard fort élevé en l'air, et parce qu'il était directement entre nous et la lune, en sorte qu'il semblait qu'il fût dans la lune même, il y en a qui ont cru et qui ont dit qu'on avait vu la lune percée d'une flèche. »

Ironiquement, les deux témoignages de première main sont beaucoup moins spécifiques et circonstanciés que les versions postérieures. La Relation des Jésuites décrit des prodiges de manière si générale que le globe de feu pourrait être un bolide, une comète ou une apparition céleste. Mère Marie de l'Incarnation est plus affirmative, et clairement plus éduquée, car son explication liant les feux visibles dans les airs au récent tremblement de terre s'inspire directement de la théorie d'Aristote dans le livre II des Météorologiques. Mais elle n'a pas le souci du détail pittoresque et elle rejette tout sur l'observation de comètes.

Les sources concernant l'année 1665 parlent généralement d'un « globe de feu » (on a vu que Sutal a repris cette expression). La seule référence ancienne à « une boule de feu » se trouve dans une lettre du 24 octobre 1777 par la mère Marie-Catherine Duchesnay de Saint-Ignace, citée dans une histoire du monastère de Notre-Dame des Anges tenu par les religieuses hospitalières de la Miséricorde (ordre de Saint-Augustin). Durant cette année de guerre contre les insurgés étatsuniens, les habitants de la province de Québec colportent diverses prédictions, plus ou moins fantaisistes.

Longtemps avant JoJo Savard, on faisait plutôt confiance aux animaux selon l'épistolière :

« En avril, ils firent courir le bruit qu'une perdrix blanche était apparue à un habitant de la Pointe-Lévis qui allait faire ses semences, et lui avait dit de remporter son blé parce que l'on ne pourrait semer cette année, qu'il allait y avoir trois hivers de suite, et que le pont devant Québec prendrait le premier mai. A Beauport, une corneille en dit autant; on accusa aussi un cheval d'avoir prédit qu'une boule de feu tomberait du ciel qui embraserait la ville de Québec. Un chien dit qu'une pluie de sang tomberait dessus dans laquelle on irait jusqu'à la jarretière. »
(C'est moi qui souligne.)

Je doute que Daniel Sernine ait eu cette prophétie en tête lorsqu'il a écrit sur une pluie rouge arrivée dans son univers de Neubourg et Granverger (voir ci-contre la couverture du recueil comportant cette nouvelle, paru chez Soulières). Toutefois, l'auteur qui signe sous le nom de Louis Sutal connaissait sûrement l'épisode relaté par Charlevoix. Dans l'édition d'origine du roman La mystérieuse boule de feu, les illustrations par Louis Dario sont exécutés dans un style très moderne pour l'époque, mais qui n'a pas dû être très vendeur. La collection Jeunesse-Pop a vite renoncé à faire travailler le sens esthétique de ses lecteurs potentiels et elle s'est rabattue sur des valeurs plus sûres en matière d'illustration. (Les illustrations intérieures sont aussi par Dario et sont dans la même veine.) L'illustration actuelle pour les jeunes, comme on le voit dans le cas du livre chez Soulières, en reste plus ou moins à la ligne claire de la BD belge (les illustrations ont d'ailleurs été créées à l'origine pour la revue Les Débrouillards). En revanche, en 1971, Louis Sutal était tout à fait à la page en faisant de cette boule de feu une soucoupe volante. Il s'amuse un peu en nous présentant des extraterrestres verts (si!) baptisés Akk-Thiph et Eksk-Hiz (cette dernière est jolie, comme son nom l'indique). Mais il ne fait pas d'eux de grands sages chargés de rendre l'humanité plus sage, comme dans une certaine littérature ésotérique. Ils sont simplement plus avancés, un peu comme les Vinéens de la série des aventures de Yoko Tsuno (dont le premier volume sortait l'année suivante).

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