2012-08-12

 

Pendant ce temps, au nord de chez nous

Il n'y a pas qu'aux Jeux olympiques que les records tombent et il y a des satellites scientifiques qui prennent des photos intéressantes ailleurs qu'en orbite martienne.  L'Arctique s'achemine vers une autre année record pour ce qui est de la fonte estivale des glaces.  Nous ne sommes qu'en août, ce qui veut dire qu'il reste un bon mois de chaleurs propices à cette fonte, et l'anomalie — la différence entre la superficie observée et la superficie moyenne à la même date de l'année — atteint un niveau qui n'a été plus bas qu'une seule fois, lors de la fonte record de 2007.  La superficie restante ne se compare qu'à trois années exceptionnelles antérieures (2007, 2008 et 2011) et, je me répète, la fonte pourrait durer encore trois ou quatre semaines.  Un excellent diagramme illustre encore mieux à quel point la tendance de la fonte en 2012 est sans précédent.  J'en tire d'ailleurs l'extrait ci-dessous, où la ligne jaune correspond à la fonte enregistrée en 2012 et suit un tracé nettement inférieur à celui des années antérieures.

Mais ce n'est pas tout.  Un nouveau satellite européen suit depuis peu l'évolution non pas de la superficie des glaces de l'Arctique mais de leur volume.  La déperdition en volume a lieu si rapidement qu'une extrapolation linéaire (sans doute simpliste, quoique...) prédirait une disparition des glaces estivales d'ici une décennie.  Il s'agit d'un phénomène dont la rapidité a été sous-estimée par les meilleurs modèles des climatologues, ce qui doit nous rappeler que si ces modèles peuvent parfois surestimer les changements climatiques à venir, ils peuvent parfois aussi être en deçà de la vérité.

Comme c'est un sujet que je suis sur ce blogue depuis cinq ans au moins, se dire que d'ici dix ans (soit une période deux fois plus longue), tout l'Océan Arctique pourrait être navigable l'été, cela donne le vertige.  Dans la figure ci-dessus, il n'y a qu'à comparer l'épaisseur des tracés entre le début des mesures et l'année 2011, et la distance qui reste entre le minimum de 2011 et le niveau zéro, pour se convaincre de l'inexorabilité de la tendance...

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2012-08-10

 

Roland C. Wagner (1960-2012)

C'est non sans une certaine pudeur que je veux évoquer mes souvenirs de Roland C. Wagner, disparu dans un accident de voiture dimanche en France.  Il y a tant de gens qui l'ont mieux connu que moi.  Nous étions collègues et nous nous sommes fréquentés aussi souvent que le permettait l'océan Atlantique, ce qui était malheureusement bien peu.  Étions-nous amis?  La mort est très bête de nous obliger à poser ce genre de question : ce serait tellement plus simple de se revoir aux Utopiales ou à Peyresq l'an prochain, et de reprendre le fil de telle ou telle conversation sur la science-fiction et nos projets littéraires, voire d'échanger quelques confidences personnelles, sans jamais s'interroger sur la nature de cette relation.  Bref, amis, je ne sais pas, mais cela me faisait toujours plaisir de le revoir et j'ai de la peine cette semaine.  De la peine pour lui, qui n'est plus là pour nous casser les pieds ou nous faire rigoler, bref, pour vivre à fond comme il le faisait, sans s'encombrer des petits agacements qui gâchent la vie de tant de personnes (oh! il s'enflammait facilement sur certains pionts, mais rarement avec hargne et c'était pour lui un des plaisirs de l'existence, je crois), et de la peine pour nous tous qui sommes privés de lui. De la peine aussi pour ses proches, dont je n'ose concevoir le chagrin.

Je le connaissais depuis 1990 environ.  Était-il passé à Chicoutimi en 1988?  L'avais-je croisé à la Worldcon de La Haye en 1990?  La photo ci-dessus d'un Roland nettement plus juvénile que dans ses photos récentes date de mai 1994, avant ou après un Déjeuner du lundi.  Nous avions pris un café après-coup et fait plus ample connaissance.  Au fil des ans et de mes voyages en France, nous nous sommes revus de temps en temps.  Il était venu une fois au Canada durant cette période, en 1999.  J'espérais pouvoir l'inviter cette année au congrès Boréal, avec l'aide de l'ambassade de France au Canada, mais celle-ci a refusé notre requête. Ce n'était que partie remise, à mes yeux, mais le sort en a décidé autrement.

Ce qui nous rapprochait, c'était avant tout la science-fiction.  Pas le rock.  Pas le végétarianisme, même s'il m'a fait découvrir un des restos végétariens de Paris tandis que je lui avais parlé de ceux que je connaissais au Canada, dont le Commensal qui se trouvait alors au coin de Côte-des-Neiges et Queen Mary.  Pas nécessairement l'écriture, dont nous parlions assez peu, en fin de compte.  Pas le fandom, même si nous avions longtemps baigné (et même nagé) dans nos milieux faniques respectifs.

Il existe une fraternité pas si nombreuse qui regroupe ceux pour qui la science-fiction passe en premier dans la vie.  Pour un écrivain doublé d'un fan, la science-fiction devient, tout à la fois, un art, un gagne-pain, une culture personnelle, une façon de voir le monde et même le ciment d'une seconde famille.  Les soucis de la vie quotidienne et les impératifs de la vie personnelle prennent parfois le dessus, mais la science-fiction n'en reste pas moins un pôle dont les lignes de force orientent encore les habitudes de pensée, les prédilections et les élans créatifs.  Pour beaucoup d'autres, la science-fiction passe en second.  Elle représente un passe-temps, un délassement, une catégorie de films...  Roland et moi appartenions, il me semble, au premier groupe.

Si d'un combat partagé naît la camaraderie, l'estime a joué un rôle aussi.  Peut-être que je ne l'ai pas toujours assez dit, mais j'admirais l'œuvre de Roland, l'humanité de ses personnages, la diversité de ses univers imaginaires, la souplesse de sa verve, le professionnalisme de son écriture et la richesse de ses références — y compris scientifiques.  Je lui ai rendu le meilleur honneur qu'on peut rendre à un écrivain : je l'ai lu.  Je n'ai pas tout lu, certes — même un lecteur rapide peut manquer de temps quand l'œuvre est aussi abondante.  Le publication de Rêves de Gloire représentait un tel tournant dans son œuvre qu'on ne peut qu'être heureux qu'il ait réussi à compléter un livre auquel il tenait tant et que ses mérites aient été reconnus — et malheureux qu'il ait été empêché de continuer.

Pour ma part, j'ai toujours apprécié la gentillesse dont Roland avait fait preuve pour mes écrits publiés en France, depuis sa recommandation dans Casus Belli de mon premier roman, Pour des soleils froids, jusqu'à ses mots élogieux pour des nouvelles ultérieures.  Il était capable, je crois, de remarquer et d'estimer à leur juste valeur les points forts qui ont fait suer un auteur et qui excusent aux yeux de celui-ci les faiblesses et les éléments inaboutis d'un ouvrage.

Il était un esprit singulièrement rationnel, ouvert à toutes les idées et expériences de pensée, mais aussi un sceptique au scepticisme tempéré par un sens de la relativité des choses.  Je crois me souvenir d'une soirée à Montréal en 1999, sans doute chez Pierre K. Rey, avec Dantec et peut-être Nolane, où la ligne de partage entre deux traditions de la science-fiction française — l'une remontant à Verne, l'autre influencée par Pauwels et Bergier — n'avait jamais été plus claire.

Le fandom est parfois comparé à une grande famille et c'est la meilleure manière de comprendre le deuil qui bouleverse une partie du milieu français.  Roland a signé une œuvre riche et diverse, mais il était aussi un compagnon dynamique et attachant, qui faisait depuis longtemps partie sinon des animateurs du fandom du moins des meubles.  Les hommages à l'auteur se multiplient, mais on trouvera aussi sur la Toile de nombreux hommages à un ami et à un être profondément humain, dans le meilleur sens du mot.  Ce qui peut consoler, au moins un peu, c'est qu'il vivait ses passions avec une intensité qui était en soi une leçon de vie, car il nous montrait en fin de compte comment profiter d'une existence mortelle toujours trop courte.

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2012-08-08

 

Rêves de gloire



Roland C. Wagner. Rêves de Gloire. Nantes : Librairie L'Atalante, 2011. 697 pages. ISBN 978-2-84172-540-3

Après Élisabeth Vonarburg, Roland C. Wagner. Tout comme il semblait possible d'associer Reine de Mémoire de Vonarburg à un retour de l'écrivaine sur le passé de ses aïeux (mêlé à de nombreux autres éléments), Rêves de Gloire (ce qui rime avec le titre de Vonarburg) porte sur une histoire très française. Et comme dans le cas de Reine de mémoire, c'est à l'histoire coloniale de la France que Wagner en a. Ce qui fait de ces deux ouvrages des romans post-coloniaux dans tous les sens du mot. Ni l'un ni l'autre ne prétendent réhabiliter l'empire colonial français, mais ils réclament un peu de tendresse pour ceux qui ont été les pions, les laissés-pour-compte, les victimes expiatoires et aussi les simples soldats au service de rêves métropolitains d'une gloriole exotique. En adoptant toutefois une narration au ras des pâquerettes qui ne prend véritablement son envol que bien après le début du combat pour l'indépendance du FLN, Wagner se démarque du traitement plus romanesque de Vonarburg, qui donne carrément le rôle de mauvais génie à un aventurier français en terre étrangère.

Wagner connaît ses classiques. Au fil des pages, il place cet ouvrage sous le signe dickien de l'incontournable uchronie The Man in the High Castle tout en intervertissant deux destins historiques : il fait périr le général de Gaulle au seuil des années soixante et il accorde à Camus de survivre aux années soixante — en se payant le culot de faire écrire à Camus une uchronie dans l'uchronie. La mort du général n'est pas nécessairement souhaitée par l'auteur, mais c'est une nécessité pour obtenir le résultat souhaité : la survie d'une certaine Algérie française. Avant même la mort du général, l'histoire avait déjà changé en 1956, quand le coup de force des Soviétiques en Hongrie avait fait long feu tandis que la coalition anglo-franco-israélienne en profitait pour arriver à ses fins en Égypte. Du coup, les divergences s'accumulent dès les années soixante. L'Union soviétique reste engagée dans la course à la Lune jusqu'à la fin, Kennedy survit à l'attentat de Dallas, la France tombe sous la coupe d'une dictature militariste de droite à la Pinochet en 1973 et l'URSS se débrouille pour durer jusqu'au XXIe s. si j'ai bien compris. Toutefois, la politique internationale occupe rarement le devant de la scène. L'essentiel du roman s'intéresse aux destins d'une poignée de personnages en terre algéroise, c'est-à-dire aux habitants d'une enclave centrée sur Alger qui a survécu à l'indépendance accordée au gros de l'ancienne Algérie française. D'abord territoire français, l'enclave acquiert son indépendance durant les années soixante-dix et se donne un gouvernement plutôt libertaire dont les beaux jours s'étireront sur deux ou trois décennies.

Dans le monde francophone, la sf a souvent été la littérature de prédilection de personnes déplacées, au sens propre ou non, bref, une littérature de l'aliénation privilégiée par des marginaux, des minoritaires, des immigrés de première ou seconde génération, et ainsi de suite. C'est moins vrai dans le monde anglophone, en partie parce que la sf a été plus authentiquement populaire en anglais qu'en français, de sorte que ses amateurs anglophones ont trouvé plus facile de s'en servir pour communier, même de manière décalée, dans le cadre des grands mythes anglo-américains La sf a surgi aux États-Unis au moment où le culte de l'ingénieur et du pragmatisme étatsunien n'était pas loin de son apogée, alors qu'en France, tant le saint-simonisme industriel que le scientisme comtien étaient loin, et presque enterrés.

Dans le monde francophone, la sf est en partie une littérature du décalage, qui permet de jeter un regard inédit sur la réalité qui fait consensus, mais qui ne va pas toujours de soi, en fin de compte. L'uchronie se prête particulièrement bien au petit jeu des comparaisons et Wagner cède sans hésiter à la tentation d'imaginer un autre monde possible.

Il s'agit moins d'une utopie sociale égalitaire que d'un rêve de liberté individuelle. Néanmoins, les parallèles de Rêves de Gloire et du roman Parleur : Chroniques d'un rêve enclavé d'Ayerdhal (en 1997) sont assez frappants. Des renvois implicites à la Commune de Paris à la réalisation d'une utopie politique à l'intérieur d'une enclave géographique, en passant par la valorisation de l'entraide et de la solidarité, les débats suscités par l'option de la non-violence ainsi que les galeries de personnages incluant artistes, militants et leaders charismatiques, les deux romans suivent des chemins certes différents mais jamais tellement éloignés l'un de l'autre, jusqu'à la perspective d'un autre dénouement sanglant susceptible de porter un coup dur ou fatal au rêve de fraternité — encore que l'enclave algéroise de Wagner aura tenu nettement plus longtemps que l'utopie de ParleurRêves de Gloire s'achève toutefois avant que les menaces qui pèsent sur l'existence de la Commune d'Alger se concrétisent.

La dictature militaire en France, qui est le reflet de l'avènement de Pinochet et consorts dans notre propre histoire, est à la fois l'élément déclencheur de l'insurrection libératrice d'Alger et une constante des uchronies : la conservation de la somme de bonheur collectif. Pour que l'Algérois soit heureux, il faut en quelque sorte que la France soit malheureuse. Sinon, ce ne serait pas crédible. Les uchronies trop tranchées — dans le sens de l'utopie ou de la dystopie — passent plus difficilement la rampe. En même temps, il est vrai que le malheur de uns peut stimuler les efforts des autres. En ce sens, l'événement n'est pas gratuit. Néanmoins, le souci de vraisemblance qui perce à quelques reprises dans le roman contribue à une certaine grisaille entretenue par les flous artistiques voulus par l'auteur. Les demi-teintes du réalisme s'opposent aux couleurs plus franches du rêve. L'utopie reste en partie un mirage aperçu de loin.

Cela dit, cette dimension de l'ouvrage demeure relativement secondaire. Pour retenir l'attention du lecteur, Wagner mise plutôt sur des mystères emboîtés, dont la clé pourrait être fournie par un rarissime quarante-cinq tours dont la quête n'est pas sans danger. Deux générations successives de personnages se croisent, souvent ballottés par des événements historiques qui les dépassent, s'insinuant dans les interstices de l'histoire officielle et cultivant leur jardin si bien qu'il leur arrive en fin de compte de changer un peu le cours des choses. Sous le nom de « gloire », l'acide lysergique diéthylamide (LSD) alimente les rêves et accouche les ambitions des personnages les plus actifs, d'où l'intitulé du roman. Mais ce titre a des sens multiples et Wagner pointe aussi les ambitions encore actives à l'occasion aujourd'hui (Sarkozy en Libye, etc.) d'une certaine classe politique française et d'une certaine époque.

Wagner signe un roman choral, raconté par des personnages qui restent essentiellement anonymes et dont les voix ne se distinguent guère, mais qui, en les unissant, composent quelque chose qui est plus symphonique que polyphonique, comme si c'était la trame même de l'uchronie qui s'exprimait. Au passage, le lecteur aura trinqué une dernière fois avec Alain le Bussy, qui offre une bonne bière d'abbaye à un des nombreux narrateurs. D'ailleurs, l'évocation par Wagner d'un mouvement d'idéalistes et de rêveurs qui ont occupé la vieille casbah d'Alger pour en faire une sorte de ghetto fraternel peut également faire penser à l'évolution d'autres petits milieux, à commencer par le fandom de la sf française. Peut-être que ce n'est qu'une parenté d'esprit ou peut-être que les vétérans de l'époque héroïque reconnaîtront d'autres allusions.

Un compte rendu de Rêves de Gloire serait forcément incomplet s'il ne faisait pas état de l'autre uchronie au coeur du roman, soit celle qui est musicale et non politique, et qui transforme l'histoire du rock. Pour un lecteur qui ne connaît pas plus qu'il ne faut les annales musicales des années soixante, l'uchronie imaginée par Wagner restera à certains égards lettre morte, mais le déploiement d'érudition réelle ou inventée doit produire le même effet sur les initiés qu'un bon texte de sf dure qui procure un plaisir de connaisseur né du jeu avec la connaissance scientifique.

Toutefois, une réécriture de l'histoire du rock pour que la musique des années soixante et soixante-dix se soit faite plus en français, avec des vautriens francophones qui anticipent à Alger les hippies californiens, témoigne d'une audace déjà séduisante. Au fond, c'est une expérience linguistique qui ne peut que parler à un Canadien et Wagner va jusqu'au bout en offrant quelques échantillons de paroles en français.

À tous les égards, donc, Wagner signe un ouvrage complet qui réinvente l'histoire, la politique et la culture pour façonner une réalité qui finit par nous convaincre qu'elle valait la peine d'être imaginée.

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2012-08-07

 

Sur le chemin d'Ottawa

Sur la route qui tue, hanté par les abîmes
que la mort creuse en nous en coupant une vie
qu'un destin affilait avec mille avanies
(comme se prépare le clown heureux qu'on grime)

je songe — faucher l'artiste en scène est un crime,
l'entropie cédant à une mesquine envie
de l'auteur qui révélait enfin son génie;
quand l'âme est si forte, la mort seule la brime

Au bout de la route, quand s'abat la grisaille,
reste le souvenir qui console et cisaille
car plus il nous est cher, plus il nous broie le cœur

Au bout de la route, je songe à un collègue
jeune fou, vieux sage et homme au si grand cœur
qu'il a touché des vies qui sont autant de legs

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