2008-02-29

 

Séjour à Bouquinville

Passage rapide à Bouquinville aujourd'hui. En effet, le Salon du Livre de l'Outaouais bat son plein et j'étais convié à une séance de signatures à la fois en mon nom propre et en celui de Laurent McAllister. Je ne suis pas resté longtemps, mais assez longtemps tout de même pour saluer les représentants d'Alire et discuter avec Michèle Laframboise, fidèle au poste et toujours aussi dynamique (et colorée, comme on peut le voir ci-dessous). Elle s'envole pour Paris d'ici quelques semaines, où elle participera au Village Manga du Salon du Livre de Paris, qui sera un peu plus grand que le Salon sis à Gatineau en Outaouais...

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2008-02-27

 

Atonement

Je croyais que, depuis Dickens, les écrivains avaient renoncé aux enchaînements de coïncidences fatidiques, et fatales. Je croyais qu'un auteur réputé comme Ian McEwan ne ferait pas reposer tout un roman sur une accumulation de hasards qu'on aurait à peine tolérés dans une pièce de boulevard au temps de Labiche. Je croyais qu'un film majeur ne s'abaisserait pas à mettre en scène une construction aussi bâtarde, et en l'aggravant, de surcroît.

Et pourtant. Dans la version filmée d'Atonement, la petite Bryony se rend coupable d'un mensonge qui va détruire deux vies, et peut-être plus. Pour que cette fillette assume l'entière faute du sort inique réservé à Robbie, le fils du jardinier, qui aime Cecilia, la sœur aînée de Bryony, il faut au moins six hasards. D'abord, il faut (i) que Robbie glisse une lettre obscène par mégarde dans un pli pour Cecilia, (ii) que Robbie choisisse de la confier à Bryony, (iii) que Bryony l'ouvre, (iv) qu'un bijou de Cecilia tombe par terre, (v) que Bryony aperçoive ce brimborion et s'introduise dans la bibliothèque où Robbie et Cecilia s'embrassent, et (vi) que Bryony soit aussi celle qui surprend sa cousine Lola (quel nom prédestiné!) en train d'être molestée par un homme dans le jardin. (Le bijou tombé sur le plancher est dans le film; dans le roman, Bryony entend du bruit dans la bibliothèque et entre.)

Et tout se tient. Bryony n'aurait pas été convaincue d'avoir vu Robbie sans les incidents antérieurs. Et sans son témoignage, les incidents antérieurs auraient suscité tout au plus les soupçons, mais ils auraient difficilement suffi à faire condamner Robbie. Si Atonement se veut une démonstration de la puissance des accidents, il faudrait quand même que les hasards en cause s'enchaînent de manière plausible. La science-fiction recherche la vraisemblance; la littérature générale devrait y songer...

Les coïncidences ne s'arrêtent pas là, d'ailleurs. Le roman finit par révéler que Robbie meurt durant la retraite de Dunkerque, juste avant de se faire rapatrier avec le reste de l'armée anglaise — et non pas trois jours avant, ou dans un hôpital londonien. (Le film triche là-dessus en trahissant l'histoire réelle : il donne l'impression qu'à l'arrivée de Robbie sur la plage, l'embarquement massif n'a pas encore commencé et c'est la nuit suivante qu'il meurt, alors qu'on affirme plus tard qu'il est mort le dernier jour de l'opération...) Et on apprend aussi que Cecilia meurt la même année dans un bombardement allemand de Londres. (Le film surenchérit en montrant sa noyade lorsque la station de métro où elle a trouvé refuge, Balham, est envahie par l'eau.)

Ceci prive Bryony de l'occasion d'offrir ses excuses et de tenter de réparer. C'est commode... et fort improbable. Certes, il est normal qu'en pleine guerre, des gens meurent. Néanmoins, pour une population d'une quarantaine de millions et pour cinq millions de combattants, la Grande-Bretagne a eu un quart de millions de soldats tués et cinquante mille victimes décédées à Londres. C'est à la fois beaucoup et relativement peu — moins d'une personne sur cent. Le roman se penche avec un tel délice (quasi pornographique) sur la mort et la souffrance en temps de guerre qu'il semble suggérer que la mort était une chose plus normale que la vie. Mais c'est trahir la réalité : l'improbabilité de chacune de ces morts, conjuguée au rapprochement dans le temps, laisse trop clairement voir la main de l'auteur, qui tient à un maximum de mélo.

Les dernières pages du roman tentent de justifier les choix de Bryony qui cherche l'expiation et le rachat dans les pages d'un roman. Le discours se brouille tout d'un coup : parle-t-elle de ses responsabilités envers ses personnages ou envers les personnes qu'elle a trahies? La distinction n'est pas innocente et le refus de Bryony d'opérer cette distinction condamne aussi durement l'adulte que la fillette qui avait trop fabulé. (Le film a sagement modifié cette fin pour retenir quelque chose d'un peu plus percutant, même si on reste perplexe d'une fin heureuse fantasmée.)

C'est le roman d'un homme sur l'imagination et la parole féminines. Il est assez frappant que tout le mal vient des femmes dans l'histoire — affabulations de Bryony, complicité de Lola, acharnement hargneux de la mère de Bryony, abandon de la mère de Lola... Mais les actions des hommes responsables de la guerre, ou du viol d'une enfant, échappent à tout examen ou analyse. Quelque part, c'est un roman qui inverse le motif victorien de la jeune écrivaine sauvée de la banalité et de la médiocrité par son imagination (Jo dans Little Women, Anne dans Anne of Green Gables). En même temps, McEwan a beaucoup travaillé son écriture; on ne peut nier la qualité de son style ou son désir de plaire.

Mais le réalisme de la narration est miné par la richesse de l'écriture (ou la beauté des images au cinéma). C'est parfois trop léché, voire trop mignon... Pendant ce temps, McEwan cède aux clichés. Dunkerque est presque entièrement un exploit britannique (dans le roman, on voit tout au plus une poignée de véhicules de l'armée française monter à l'assaut, et c'est tout; dans le film, rien). En fait, s'il y avait quelque chose comme 225 000 soldats britanniques dans la poche de Dunkerque, il y avait aussi environ 150 000 soldats français, sans parler de ceux qui, à Lille, par exemple, contribuèrent de par leur résistance à retarder la réduction de la poche de Dunkerque. Et comme mon grand-père aurait été capturé dans les parages (un de ces jours, j'irai consulter son dossier), je trouve cette partie assez faiblarde. Peut-être faudra-t-il attendre la version filmée de Suite française...

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2008-02-26

 

La gaieté du souvenir sauve de l'oubli

A quelques rues de mon logis, il est parti
pour un autre pays quand son cœur a lâché
Il n'a là-bas rien à gagner rien à gâcher
En vérité, s'il vit, c'est désormais ici,

réfugié dans mon cœur, spectre à ma merci,
réduit à de joyeux souvenirs remâchés
et sauvés de l'oubli, ou trop vite arrachés :
je suis celui qui choisis d'étirer sa vie

Oh, il aimait Brel, et rigoler comme un dingue
une clope à la bouche tel un bout de flingue,
vivre pour une autre, être encore un père

écrire pour autrui, donner en roi ses mots,
rester fidèle à sa cause littéraire :
tout ce qui nous survit quand casse le rameau

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2008-02-25

 

Un Jacques Cartier errant

(Jacques Cartier sur le Mont Royal — Peinture de Lawrence Robb Batchelor (1887-1961) vers 1933 — Bibliothèque et Archives Canada, No. d'access. 1983-45-6)

Retour sur le fantastique d'hier et d'ailleurs...

Grégoire Chabot. "Un Jacques Cartier errant", dans Un Jacques Cartier
errant / Jacques Cartier Discovers America
. Orono: The University of
Maine Press / Le Centre Franco-Américain, 1996, pp. 1-57.

Dans l'introduction que donne Chabot à ce recueil de trois de ses pièces, il débute en disant:

La certitude croissante que la Franco-Américanie ne pouvait m'offrir absolument rien dans la vie atteignit son apogée en 1955, quand j'avais dix ans. C'était, si je ne me trompe, au beau milieu du programme 'Disneyland' que je regardais à la télé.

Werner von Braun, savant allemand qui avait préféré l'argent américain à la dictature du prolétariat de l'U.R.S.S. après la Deuxième Guerre mondiale, était en train de m'expliquer, avec l'aide de tableaux, schémas, et dessins animés, comment les Etats-Unis anglophones allaient conquérir l'espace. Et avec les dessins et les tableaux, c'était un avenir plein d'espoir, d'aventure, de succès, et d'optimisme qui se déroulait devant moi. Selon von Braun et plusieurs autres comme lui qui habitaient la télé dans le salon de notre appartement à Waterville, Maine à l'époque, tout était possible à un certain groupe d'élus — les gens qui vivaient aux Etats et qui parlaient anglais. Fiers, pleins de confiance, les yeux fixés sur une étoile lointaine, les membres de ce groupe contemplaient un avenir sans limites.

Quel contraste, pensais-je, aux Francos qui rejetaient tout ce qui était moderne, avaient peur du nouveau, et évitaient, à tout prix, les changements. Pessimistes, résignés à leur sort de colonisés, refusant (ou étant terrifiés) de lever les yeux même pour jeter un petit coup d'oeil à l'horizon, ils s'efforçaient de perpétuer un passé qui leur était confortable et qui leur assurait le salut. À dix ans, en regardant Werner von Braun et ses fusées, je me rendis compte que c'était l'avenir et l'aventure plutôt que le passé et le salut, qui m'intéressaient. Selon tout ce que j'avais vu et entendu pendant mes dix courtes années de vie, l'avenir se faisait en anglais exclusivement.

Je vous raconte tout ceci parce que ça aide à répondre à la grande question qu'on me pose quand on apprend que j'écris en français au sein du plus grand pays anglophone du monde, i.e., 'Pourquoi?'
Si la réponse ne vous semble pas évidente, c'est sans doute que vous n'avez jamais eu à vous poser la question. Et pourtant, ce que Chabot dit de la minorité francophone installée aux États-Unis peut faire penser à des attitudes présentes chez d'autres collectivités francophones, qui font qu'encore aujourd'hui, l'intégration de la science-fiction à la culture littéraire ou générale se passe mal.

Pour choisir de parler français dans un contexte où il ne véhicule aucun avantage présent, il faut croire au futur. On peut commencer par croire que le futur ne se crée qu'en anglais, mais l'essentiel, c'est de croire que le futur se crée. Incapable de choisir entre une identité partielle (soit anglo soit franco) et une alternance continuelle, Chabot explique quelques pages plus loin qu'il a opté pour une troisième possibilité : la création d'une identité nouvelle, qui passe par la création : « Un avenir ne se 'maintient' pas. Il ne se 'conserve' pas. Il ne se 'protège' pas. Il se crée d'une façon active, et souvent imprévisible, chaque jour. Ce processus exige la libération de l'esprit créateur. »

Mais pour donner un avenir au français dans ce petit coin des États-Unis qu'est la Nouvelle-Angleterre, Chabot ne choisit pas de recourir à la science-fiction. Il écrit plutôt une pièce fantastique, « Un Jacques Cartier errant », présentée pour la première fois en juin 1976. (Quand je vous dis que le fantastique est parfaitement intégré à la tradition littéraire en Amérique du Nord francophone...) (Jacques Cartier à Fontainebleau — Peinture de Frank Craig (1874-1918) vers 1910 — Bibliothèque et Archives Canada, No. d'access. 1996-23-1)

Pièce en un acte, « Un Jacques Cartier errant » emploie le fantastique pour faciliter la construction d'un argument. Inutile donc de chercher ici un nouveau motif littéraire ou une variation novatrice dans le genre du fantastique. Jacques Cartier, ressuscité des morts, descend du paradis pour visiter un bar franco-américain en Nouvelle-Angleterre. On peut songer à ce vénérable classique de la science-fiction canadienne-française, « La tête de Saint-Jean-Baptiste », de Wenceslas-Eugène Dick en 1880, où saint Jean-Baptiste retourne sur Terre, mais dans un contexte beaucoup plus futuriste. Plus près de notre époque, le décor rappelle à la rigueur L'auberge des morts subites de Félix Leclerc, voire Le Trou dans le mur de Michel Tremblay.

On est d'autant plus loin de la science-fiction que Chabot ne s'est clairement pas donné la peine de créer un personnage fidèle à son contexte historique d'origine. Jacques Cartier n'est pas vraiment un voyageur temporel. Quand il s'exprime, il incarne plutôt le discours d'un certain nationalisme catholique et canadien-français associé au Québec du début du siècle dernier, au temps de Lionel Groulx. Dans certains cas, c'est nettement anachronique relativement au personnage du navigateur malouin (qui vivait par exemple à l'époque d'une relative détente entre l'Angleterre et la France). C'est le porte-parole d'une tradition simplificatrice, voire réductrice, qui se fait dire ses quatre vérités par des gens du peuple qui connaissent la réalité franco-américaine au ras des pâquerettes. Ceux-ci critiquent le fantasme de la préservation d'une culture francophone figée (symbolisée dans le contexte de la pièce par les soirées d'une association locale qui écoute des enregistrements de Maurice Chevalier pour se convaincre de participer à la culture franco) et les gesticulations sans effet des réunions de notables. L'espoir esquissé par la pièce, c'est celui de la création d'une culture propre. (Jacques Cartier à Hochelaga — Peinture de Lawrence Robb Batchelor (1887-1961) vers 1933 — Bibliothèque et Archives Canada, No. d'access. 1983-45-7)

Chabot fait écho à la dramaturgie québécoise de la même époque, mais aussi aux débats qui animaient d'autres francophones vivant à l'extérieur du Québec et qui cherchaient à se construire une identité propre tandis que les Québécois adhéraient à un nouveau rêve nationaliste les excluant. Il adopte donc le français populaire de sa région, mais il est nettement plus inquiet que d'autres auteurs francophones hors Québec. La dualité des Franco-Américains lui semble sans avenir, sinon sans espoir.

Une autre pièce fantastique par un Franco-Américain apparaît dans le recueil À tour de rôle (Bedford, NH: National Materials Development Center for French, 1980). La pièce « Les trois anges » de Paul Paré n'est pas datée, mais elle appartient clairement à la même époque. Pièce en un acte, plus courte encore, elle se passe quelque part au ciel, dans l'antichambre du paradis. Les trois personnages sont les anges gardiens des Franco-Américains: Académie, Anarchie et Assimilée. Le récit verse carrément dans l'allégorie. L'ange Académie incarne l'adhésion à la culture française classique. L'ange Assimilée défend l'assimilation et les valeurs d'une culture anglophone matérialiste. Et l'ange Anarchie, qui revient d'un séjour en Chine populaire, vante les préceptes de Mao ainsi que les méthodes communistes pour faire bouger les choses en Franco-Américanie... Mais le cas des Franco-Américains leur semblant sans espoir, ils réclament de Dieu une autre affectation.

Le Bon Dieu, qui parle un joual sans concessions, n'est pas chaud : il reste si peu d'anges gardiens... Et le trio, à l'idée de se faire envoyer au Liban, en Rhodésie ou en Irlande du Nord, découvre soudain des vertus aux Franco-Américains si dédaignés. Toutefois, Dieu se ravise : les Franco-Américains sont tellement fatigués, ils méritent de nouveaux anges gardiens qui ne les harcèleront pas...

Bref, dans ces deux pièces, les auteurs diagnostiquaient une situation désespérée tout en exigeant un changement de la garde. Mais le recours au fantastique, teinté de culture catholique, était en soi une admission que les gens qu'ils cherchaient à rejoindre ne seraient pas sensibles à des approches plus radicales. Le combat était sans doute perdu d'avance, même s'il se poursuit ailleurs.

Il reste donc une dramaturgie francophone fantastique que l'on pourra ajouter à terme au corpus des littératures de l'imaginaire francophones. Le recueil À tour de rôle compte aussi une adaptation moderne d'un conte d'Honoré Beaugrand (lui aussi Franco-Américain, en un sens), sous la forme d'une pièce en un acte et deux scènes de Renaud S. Albert, « Le revenant » (sans date). Et la courte pièce « Le matin dans un miroir » de Normand C. Dubé (également sans date) pourrait relever d'un certain fantastique moderne, plus allusif qu'explicite, jouant volontiers sur la mise en abyme.(Jacques Cartier en terre canadienne — Estampe d'Édouard-Léon-Louis Edy Legrand (1892-1970) — Bibliothèque et Archives Canada, No. d'access. 1939-400-1)

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2008-02-24

 

Les Années métalliques

Retour sur la science-fiction d'hier...

Michel Demuth.
Les Années métalliques.
Paris : J'ai Lu, 1982.
352 pages.
Jadis, en un autre temps, il se publiait des recueils de science-fiction en français dans des collections populaires... C'est plus difficile à trouver maintenant, même si on peut citer Le Monde tous droits réservés de Claude Ecken parmi les publications récentes.

Ce recueil de Demuth réuni en 1977 regroupe des textes parus de 1959 à 1974, plus quelques inédits. La nouvelle éponyme, « Les années métalliques », est justement de 1959 : son auteur avait tout juste vingt ans. Le héros débarque sur une Terre laissée aux robots depuis des siècles; il a pour mission de détruire cette civilisation métallique, machinique et robotisée. Ce qu'il fait après quelques péripéties. Mais c'est la description de son succès qui laisse percer une joie étrange, subversive peut-être dans le cadre de la science-fiction d'alors, face au renversement de cette société mécanisée. On ne retient pas l'absence de questionnements sur ce qui est une forme de génocide, mais bien l'habileté de l'auteur à brosser le portrait de ce futur lointain.

Toutefois, le recueil ouvre avec une longue nouvelle, « La route de Driegho », qui relève du space-opéra traditionnel avec une touche française. On songe aux premières aventures de Valérian et Laureline, et on apprécie la fin douce-amère. Les nouvelles suivantes, parfois signées sous pseudonyme, sont plus ordinaires. Et si des extraterrestres avaient pris la forme de chiens? (« Fin de contact ») Et si une élite future recrutait ses membres parmi les rebelles essayant de l'abattre? (« Nocturne pour démons ») Et s'il était possible de stimuler la vie d'une planète en augmentant l'éclat de son étoile? (« Céphéide »)

Puis, il y a les nouvelles de guerre, qui mettent en scène la violence et la haine, la guerre et ses conséquences. Au nombre des inédits, « Trauma-Blues » se glisse dans la tête d'un vétéran traumatisé. Dans « ... qui revient d'une longue chasse » de 1962, Demuth dépeint la réaction de quelques-uns au futur intergalactique dont rêvait souvent la science-fiction contemporaine, le brassage des espèces et des cultures étrangères suscitant non l'émerveillement mais le rejet. Dans « Trêve en 2090 », il y a place pour une dénonciation de la guerre et de son absurdité, mais la fin demeure ambiguë. On peut se lasser des combats, comme on le voit dans « La bataille d'Ophiuchus », mais ce n'est pas donné à tout le monde.

Les dernières nouvelles du recueil, dont deux inédites, remontent à 1963 et rappellent, dans l'ensemble, le virage pris dans le second tome des Galaxiales de Demuth. Les univers sont plus complexes, voire plus poétiques, et l'action moins assujettie aux logiques de l'affrontement. Les personnages sont souvent plus dépourvus, moins héroïques, égarés dans des situations qui les dépassent.

Dans « L'hymne au défenseur », le héros émerge d'une plongée dans ce qu'on appellerait aujourd'hui un univers virtuel, même si ce n'est pas exactement cela. Mais la description d'une société qui se laisse gouverner par la peur et les phantasmes fournis par une religion avide de domination garde encore aujourd'hui beaucoup d'actualité. Passons sur « Lune de feu », un texte à la chute décevante, même si l'idée de Demuth (qui rappelle lointainement « Inconstant Moon » de Niven, presque dix ans plus tard) nous vaut quelques descriptions saisissantes. De même, « L'Empereur, le Servile et l'Enfer » vaut mieux que sa leçon empreinte d'une pénible moralité, encore une fois grâce à l'évocation d'un monde radicalement étranger. Hésitation encore après la lecture des « Jardins de Ménastrée » : l'évocation est magistrale, mais la clé du mystère et la conclusion ne sont pas à la hauteur. Quant à « La ville entrevue », texte de prime jeunesse aux couleurs primaires, aux personnages naïvement campés et aux péripéties artificielles, on peut y retrouver un écho du jeune Arthur C. Clarke (Against the Fall of Night), mais le contraste des deux mondes évoqués (j'utilise de nouveau ce verbe, puisque Demuth est un maître de la description indirecte) reste frappant.

La nouvelle qui clôt le recueil, « Aux tortues », est née d'une circonstance (Goimard ayant incité Demuth à improviser le début du texte devant un public étudiant en 1975 sur la base du seul titre, enseigne d'un magasin parisien, site inscrit au 55 Haussmann). Mais Demuth en a tiré un texte d'une extrême richesse, qui superpose les niveaux de réalité et leurs explicitations, tout en trouvant le moyen de présenter un personnage au destin mouvementé qui s'inscrit dans un passé également mouvementé. Si on pose que le futur est condamné à échapper en partie à notre compréhension, l'anticipation authentique se doit aussi d'être en partie incompréhensible. Ici, Demuth réussit parfaitement à tenir la balance entre les deux pôles, nous livrant en pâture un texte obscur dont émerge une illusion de compréhension...

Disparu en 2006, Demuth a laissé une oeuvre relativement restreinte, mais qu'on regrette rarement de revisiter.

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2008-02-23

 

Teatro Universale (8)

Dans le numéro du 23 février 1839, on retrouve la suite (mais non la fin) de l'article sur les Circassiens commencé dans le numéro 239. Cette livraison de la série se concentre sur les us et coutumes des Circassiens. À certains égards, l'année 1839 peut nous sembler proche, mais l'indépendance effective des Circassiens, tout comme celles des indigènes du sud du Chili auxquels faisait allusion le numéro 237 dans une notice sur Valparaiso, doit nous inciter à prendre conscience de la distance qui nous en sépare. Le monde n'avait pas encore été entièrement quadrillé et subjugué par les États-nations. Même au Canada, des tribus survivaient encore dans l'isolement et ignoraient plus ou moins complètement l'existence du monde extérieur. Au Chili comme dans le Caucase, d'autres tribus avaient encore les moyens de rejeter les revendications de voisins plus forts, mais pas encore assez forts pour imposer leur loi. À bien y penser, cette importance politique des peuples tribaux encore debout pourrait expliquer l'attention donnée à l'ethnographie des anciennes peuplades européennes. La une de ce numéro du Teatro Universale est justement consacrée aux coutumes des anciens Saxons. L'illustration nous montre un roi nouvellement élu par une tribu germanique et promené sur le pavois. Du point de vue iconographique, c'est un lointain ancêtre d'Abraracourcix.

Dans le reste du numéro, une notice assez fouillée sur l'éloquence au temps de Cicéron voisine avec la suite de l'article sur les mollusques, qui est lui aussi à suivre. Dans les Effemeridi storiche universali, le début de la persécution des chrétiens par Dioclétien en février 303 est signalé. Une note sur la niellure, qui cite plusieurs écrits dont un ouvrage de Benvenuto Cellini, complète le numéro, ainsi que des maximes et quelques vers hivernaux de Jacques Delille traduits ainsi :

Anche l'inverno ha i suoi diletti. Spesso
il suo crudo infierir giocondo segno
divien de' giuochi e delle corse. Tratta
dall'agile corsier fugge la slitta
sopra la neve irrigidita, e il piede
di ferrea lama in sua lunghezza armato,
a lunghi strisci sopra il ghiaccio vola.
Table des matières : Teatro Universale 235, 236, 237, 238 (janvier); 239, 240, 241 (février).

2008-02-22

 

Mort au champ d'étoiles

Retour sur la science-fiction d'hier...

Bernard Villaret.
Mort au champ d'étoiles.
Verviers : Gérard & Co., coll. Bibliothèque Marabout # 341, série
Science-Fiction, 1970.
218 pages.
1970, année faste pour les insectes... dans la science-fiction française. Cette année-là, la Bibliothèque Marabout rééditait (moyennant quelques modifs) La Guerre des mouches (1938) de Jacques Spitz (1896-1963) après avoir publié Mort au champ d'étoiles de Bernard Villaret, grand voyageur né à Paris en 1909.

Si Spitz présentait une invasion du monde en bonne et due forme par une multitude bruissante de mouches venus des confins de l'Asie, invasion irrésistible qui ne laissait qu'une poignée de survivants humains et qui pouvait s'interpréter comme une métaphore de la « menace jaune », Villaret met en scène une invasion nettement plus sournoise par des diptères extraterrestres. À certains égards, il anticiperait presque « The Screwfly Solution » (1977) d'Alice Sheldon, dans la mesure où les envahisseurs manipulent les humains pour qu'ils s'occupent eux-mêmes de s'ôter du paysage. Mais la dimension scientifique de la nouvelle de Sheldon est absente des deux romans français; ni l'un ni l'autre ne tentent vraiment de justifier l'intelligence improbable d'êtres minuscules. Les romanciers français privilégient plutôt les ficelles du genre, comme la télépathie ou l'exploration de Mars dans le cas de Villaret.

Outre le traitement science-fictif, la narration est pour beaucoup dans le dépaysement du lecteur moderne face à ce roman. C'est l'histoire d'un hibernaute, Jacques Seurat, qui saute de l'année 1976 à 2058. Tiré de son hibernation, il découvre une Terre dépeuplée par l'exode des humains en direction des étoiles au moyen d'un portail de téléportation. La paix règne, le travail n'exige plus qu'un mois d'efforts par année et la France est gouvernée par une administration technocratique anonyme. Les transports ont été révolutionnés par l'antigravitation, mais l'exploration du système solaire périclite. Quant aux progrès de l'informatique, ils n'ont pas été prévus par Villaret, exception faite des quelques « ordinatrices » et « computateurs » centraux.

L'organisation de la société, qui rappelle le rationnement de certains pays socialistes, effraie tant Seurat qu'il se réfugie, incurablement franchouillard, dans la vieille demeure familiale à la campagne, près de Niort. Une série d'aventures et d'incidents, apparemment sans lien, vont
se succèder et l'amener à deviner la terrible vérité.

C'est cette intrigue à la va-comme-je-te-pousse qui laisse sceptique face aux commentaires dithyrambiques en quatrième de couverture (« Les vertigineux attraits de demain », « Un des romans de Science-Fiction les plus originaux de ces dernières années »). J'ai relu récemment la première partie de Stranger in a Strange Land de Robert A. Heinlein, un roman antérieur autrement plus prenant. Pour un lecteur, les premiers chapitres de Villaret frisent le ridicule. On croit même à la parodie ou au pastiche. Malgré quelques épisodes humoristiques, le récit rechercherait plutôt une légèreté de ton qui se veut spirituelle conformément aux meilleures traditions des lettres françaises.

Mais la légèreté n'est pas un gage de qualité et il reste des scories. Par exemple, la présence de guêpes intelligentes sur Mars est-elle une fausse piste, une manière de préparer le lecteur à l'existence d'insectoïdes intelligents ailleurs dans la Galaxie ou un bête manque d'originalité? Et pourquoi les diptères envahisseurs ignorent-ils Mars?

Néanmoins, Mort au champ d'étoiles conserve un certain intérêt en tant qu'ouvrage charnière. D'une part, c'est un roman qui fait figure d'aboutissement d'une longue série d'invasions extraterrestres ou non-humaines, en passant par les Martiens de H. G. Wells et les mouches de Spitz, dans lesquelles il était loisible de discerner le reflet d'une conscience coloniale coupable ou d'inquiétudes engendrées par les conflits et menaces de la première moitié du siècle. D'autre part, c'est un roman qui prépare un certain nombre de récits paranoïaques postérieurs, mettant en scène une variété de conspirations meurtrières, ourdies non pas par des extraterrestres mais par des élites humaines, reflets des goulags et génocides de l'après-Seconde Guerre mondiale.

Malgré le déroulement un brin erratique de l'intrigue, Villaret sait relancer l'intérêt et laisse percer entre les lignes l'idée que toute une société se faisait du futur à cette lointaine époque.

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2008-02-21

 

Le Nouveau Déluge

Retour sur la science-fiction d'hier...

Noëlle Roger.
Le Nouveau Déluge.
Paris : Calmann-Lévy, 1922.
308 pages.
Dès les premières pages du Nouveau Déluge, Noëlle Roger évoque l'attrait des scénarios les plus catastrophistes : « La perspective de la fin du monde n'a jamais cessé de troubler les gens nerveux... C'est une sorte d'hystérie collective... ». De nos jours, on applique des diagnostics semblables aux prophètes de malheur pour l'environnement en les rattachant aux millénaristes médiévaux ou à des visionnaires plus récents. Mais la catastrophe envisagée dans le calme d'un salon bourgeois au fil des premières pages du roman de Roger va bel et bien se réaliser... Dans l'édition illustrée par André Devambez pour La Petite Illustration (édition également parue en 1922), le premier chapitre est coiffé de la gravure ci-contre d'un village côtier et station balnéaire que l'océan engloutit — histoire d'appâter le lecteur qui sera obligé de patienter puisque la scène ne sera décrite qu'après plusieurs pages.

Douze ans après la parution de « L'éternel Adam » de Jules Verne, Noëlle Roger offre une autre version de l'engloutissement du monde. Le roman a en commun avec le récit vernien l'horreur du cataclysme et la conviction de l'éternel recommencement des choses. Mais Verne se contentait de servir un avertissement à une civilisation au faîte de la réussite. Roger, elle, écrit dans la foulée de la Première Guerre mondiale et du fameux constat de Paul Valéry (« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », 1919). Elle se souvient peut-être de certains avertissements d'avant-guerre, alarmistes en apparence, qui se sont pourtant avérés. Et la montée des eaux entraîne des scènes qui pouvaient rappeler des épisodes de la guerre, comme dans le cas du train ci-dessous, assailli de passagers... Ce qui n'était pas dans « L'éternel Adam », c'est la condamnation par les personnages de la société disparue, l'exaltation du travail manuel et même une spiritualité balbutiante — autant d'ingrédients qui se retrouveront en revanche à des degrés divers dans Ravage de Barjavel. Ce qui n'y était pas non plus, ce sont les scènes d'apocalypse. Roger est plus explicite que Verne, même si elle reste discrète. Ainsi, le roman de Roger assure une sorte de transition entre les réserves effarées de Verne et le rejet féroce de la modernité de Barjavel. Dans Le Nouveau Déluge, on ne se réjouit pas de la disparition du monde englouti, mais les survivants ne tardent pas à admirer les beautés de la vie simple ou du cadre montagneux de leur refuge. Ils recréent une société, même si elle prend les traits les plus primitifs. Contrairement à Verne, Roger met en scène des amoureux, des couples, des familles et toute une galerie de personnages, malgré l'espace restreint. Au cœur de l'action, il y a la famille du professeur et académicien François de Miramar (dont le nom signifie « regarde la mer »). Ce portrait d'un paléontologue vieillissant doit sans doute quelque chose au mari de Noëlle Roger, de son vrai nom Hélène Pittard, née Dufour : Eugène Pittard, célèbre anthropologue et paléontologue suisse.

Le fils Hubert de Miramar est un estropié de la Grande Guerre, revenu des tranchées et de la captivité avec une jambe plus courte que l'autre. Aigri et incrédule, c'est pourtant lui qui reçoit un avertissement surnaturel de la montée des eaux à venir.

La fille aînée, Eva (au nom prédestiné), est fiancée à un jeune ingénieur, Max Dainville. Parmi les amis de la famille, il y a Jean de Lavorel, médecin chercheur, qui passera ses vacances dans la montagne tandis que la famille de l'académicien part à la plage.

La montée de la mer, mystérieuse mais inexorable, malgré des pauses imprévisibles, chassera vite le petit clan de sa villégiature. Aiguillonnés par Hubert, ils s'enfuient jusqu'en Suisse, aboutissant dans un vallon dénudé de la haute montagne. Le récit tourne alors à la robinsonnade, mais dans un cadre (un réduit alpin battu par la mer) qui lui confère un minimum d'originalité. (Et il y a une ironie certaine à ce qu'un paléontologue assiste à la reconstitution d'un mode de vie qu'il avait cru évanoui!) Les incidents propres à la reconstitution d'une communauté, voire d'une société primitive, rappelleront bien d'autres livres, mais le drame n'exclut jamais la description émerveillée de la montagne, la drôlerie de quelques situations ou l'émotion. Roger termine sur la confrontation des survivants du petit village alpin et de survivants de la haute société qui ont trouvé refuge dans un grand hôtel et qui tiennent à entretenir leurs illusions jusqu'au bout... Quand l'hôtel brûle, ce sont aussi les illusions de la Belle Époque qui se consument. Désormais, le monde peut renaître.Si le recommencement a une dimension morale ici, il est encore exempt de l'intention politique d'oeuvres postérieures, dont celles de Barjavel et Bugnet. C'est ce qui garde au Nouveau Déluge la part d'intemporalité qui fait encore aujourd'hui son charme.

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2008-02-20

 

Le Docteur Lerne, sous-dieu

Retour sur la science-fiction d'hier.

Maurice Renard.
Le Docteur Lerne, sous-dieu.
Paris: Éditions
Pierre Belfond, 1970.
276 pages.
L'occasion de lire ce grand classique de la sf française paru en 1908 est aussi l'occasion d'être surpris. Même si la préface d'Hubert Juin vend la mèche, on peut se garder plusieurs surprises en reprenant la lecture après avoir laissé passer quelques semaines, le temps d'avoir oublié les allusions (heureusement assez sibyllines) de Juin. Il convient aussi de sauter la présentation du récit dans des scènes liminaires qui en minent la portée puisqu'elles introduisent une incertitude. L'histoire est censée avoir été dictée par l'intermédiaire d'une table tournante, mais il pourrait s'agir d'un canular du dactylographe...

Il y a cent ans, Renard s'inscrivait consciemment dans le prolongement de L'Île du docteur Moreau, d'Herbert George Wells, à qui il dédie son roman. Mais la sexualité relativement franche et débridée des amours du narrateur, Nicolas, avec l'affriolante Emma tranche sur les descriptions plus timides des romans de ses contemporains. On est loin de Jules Verne, en tout cas.

Le mystère initial se laisse assez facilement percer à jour par un lecteur aguerri d'aujourd'hui, mais Renard surprend par l'audacité de son exploitation de la situation. D'ailleurs, tant qu'à subir une préface citant et paraphrasant Renard jusqu'à plus soif, j'aurais préféré qu'on nous dise au moins à quel point Renard s'attendait à ce que ses lecteurs devinent la vérité avant Nicolas.

Celui-ci est pourtant un jeune homme tout ce qu'’il y a plus moderne en 1908. À l'aise financièrement, il a voyagé et il a un appartement à Paris. Il arrive dans le domaine ardennais de son vieil oncle et tuteur au volant d'’une voiture de 80 cv. Mais l'accueil n'est guère chaleureux et son oncle est bien changé. Retranché derrière des bois transformés en dédale, le domaine renferme de nombreux mystères. Pourquoi le docteur Lerne garde-t-il un ancien employé devenu fou? Pourquoi abrite-t-il la jeune Emma, une femme d'humble origine qui est singulièrement douée pour déchaîner la concupiscence du neveu ainsi que de l'oncle, instaurant une rivalité furieuse entre les deux? Quelles expériences pratique-t-on dans la vieille serre et dans les nouveaux laboratoires? Pourquoi le caractère de l'oncle a-t-il tant changé depuis quatre ans? Et pourquoi la chienne du pauvre Doniphan, le fou enfermé, a-t-elle une conduite si singulière?

Tout s'explique par l'application des nouveaux procédés chirurgicaux développés par le docteur Lerne. Nicolas est mis sur la piste par sa visite clandestine de la serre, qui cache des spécimens transformés en chimères par des transplantations et des opérations qui brouillent la frontière entre les animaux et les végétaux. Seulement, Nicolas n'ira pas jusqu'au bout de ses déductions et il faudra des incidents de plus en plus dramatiques pour que tout s'éclaire.

Le docteur Lerne expose à Nicolas des théories de plus en plus hétérodoxes. Certaines demeurent frappantes encore aujourd'hui. Ainsi, quand Lerne évoque la possibilité de changer la matière du cerveau sans interrompre la pensée, on pense aux idées des partisans du transfert des esprits sur support numérique :

« Et puis, pourquoi les éléments du cerveau ne se pourraient-ils rénover, molécule à molécule, sans que la pensée en soit interrompue, de même qu'on peut changer, un par un, les éléments d'une pile, sans que l'électricité cesse pour cela d'en être engendrée? » (p. 153)
La fin du roman va d'ailleurs si loin qu'elle verse carrément dans le fantastique, tout en préservant un vernis de justifications scientifiques. Contrairement à Verne, pour qui les forces naturelles restaient les plus puissantes et l'ultime source d'effroi, Renard s'effraie carrément de la puissance de la science et son narrateur affolé retire de son expérience un tenace vertige existentiel.

Le nom du docteur Lerne est-il une allusion à l'’hydre du même nom, puisqu'il ne suffira pas de trancher la tête malfaisante pour empêcher les anciens collaborateurs du docteur de reprendre ses expériences ailleurs? Ou s'agit-il d'une critique à peine voilée de l'optimisme de Jules Verne, optimisme pourtant bien relatif, en ce qui concerne les utilisations de la science et des techniques? Les deux ensemble, peut-être, surtout que le nom de famille de Nicolas, Vermont, semble fait pour s'ajuster à celui de Lerne et permettre de retrouver l'auteur nantais...

Bref, si on peut faire abstraction du style vieillot et du décalage temporel, Le Docteur Lerne reste un roman qui mérite de figurer dans les annales de la sf ancienne avec les ouvrages de Wells et que les connaisseurs goûteront.

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2008-02-19

 

Épigone

Retour sur la science-fiction d'hier...

Michel de Pure.
Épigone, histoire du siècle futur (1659).
Lise Leibacher-Ouvrard et Daniel Maher, éd. [s.l.]: Presses de l'Université Laval, 2005.
235 pages.
Même si l'histoire de la science-fiction pousse ses racines jusqu'aux derniers siècles de l'Antiquité, le dix-septième siècle est sans doute le véritable terreau de la science-fiction moderne et il est remarquable de trouver en l'espace de trois ans la parution en France d'ouvrages qui abordent des thèmes fondamentaux de la science-fiction moderne, soit la place de l'humanité dans l'univers et la valeur de la recherche de la vérité dans l'Histoire comique des États et Empires de la Lune de Savinien Cyrano de Bergerac en 1657, puis la possibilité d'imaginer à la fois le futur et des sociétés humaines obéissant à d'autres règles dans Épigone de Michel de Pure en 1659.

Le texte en quatrième de couverture présente ce roman (inachevé) « comme la première «uchronie» véritable parce qu'il aurait déplacé, pour la première fois de manière soutenue, la représentation utopique non plus dans l'espace mais dans le temps. » En fait, les deux universitaires à l'origine de cette édition savante adoptent un vocabulaire légèrement distinct de celui qui a cours dans le milieu spécialisé de la sf et de la fantasy. De nombreux spécialistes font de l'uchronie le pendant français du concept anglophone des worlds of if, ce que l'on décrit aussi en parlant d'alternate histories. C'est-à-dire que l'uchronie est telle que l'avait définie Renouvier en 1875, une histoire telle qu'elle n'a pas été mais telle qu'elle aurait pu être. Une telle histoire a nécessairement un « point de divergence » avec l'histoire connue. (Et si Napoléon avait gagné la bataille de Waterloo, par exemple?) C'était d'ailleurs la définition adoptée par Éric Henriet dans la première édition de sa somme, L'histoire revisitée.

Mais Leibacher-Ouvrard (de l'Université de l'Arizona) et Maher (de l'Université de Calgary) semblent plutôt se servir du terme pour décrire toute chronologie historique autre. Les histoires du futur de Heinlein ou Horace Beam Piper (qui sont parfois devenues des uchronies, mais après leur conception ou leur publication) seraient alors des uchronies selon le sens qu'ils donnent à ce mot.

Or, rien ne permet d'affirmer que l'auteur avait en tête le projet de présenter une uchronie au sens de Renouvier. Ce qu'il offre, en passant et plutôt en arrière-plan, c'est une anticipation, et une histoire du futur.

Toutefois, l'abbé de Pure brouille les cartes, car il n'évoque pas nommément des personnages historiques. Cependant, en rapport avec le futur Empire de France, il parle d'un Errique [sic] et de deux Clodovées successifs, des désignations qui déguisent de manière fort mince les rois Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. L'anticipation commence avec le récit des exploits à venir de Clodovée le Conquérant. Michel de Pure vivait à l'aube du règne de Louis XIV; en prédisant à ce dernier une carrière de conquérant européen, l'abbé versait dans l'anticipation, sinon dans la flatterie, mais non dans l'uchronie au sens de Renouvier. En revanche, on pourrait soutenir que les changements de noms (Errique pour Henri, Clodovée pour Louis) font du récit une uchronie parce qu'il faut croire à un monde où la France a été gouvernée par Errique IV et Clodovée XIII. C'est l'aspect (et le seul aspect) qui fait de l'empire clodoviste un monde parallèle issue d'une alternate history.

En pratique, cette anticipation a fort peu d'importance pour le déroulement de l'histoire. Le prince Épigone de la lignée des Clodovistes a quitté son pays pour éviter d'avoir à prendre parti dans une guerre civile. Il a rencontré une princesse des plus belles, la superbe Arescie, et ils ont été jetés à la côte d'un pays inconnu, l'Agnotie. L'enlèvement d'une suivante d'Arescie oblige Épigone et ses compagnons à se risquer dans une ville énigmatique où ils rencontrent un sage vieillard auquel un compagnon d'Épigone, le vieil Aricas, racontera leurs aventures.

On apprend alors comment Épigone a abordé en mer un grand vaisseau à bord duquel la princesse Arescie, fille d'un empereur d'Agnotie, était retenue par trois princes, mais se dérobait à leur vue (et à leurs désirs) grâce à une potion d'invisibilité (et à leurs jalousies réciproques). Épigone va lui rendre sa liberté pour la ramener chez son père, mais le vaisseau aborde le royaume des Mignones [sic] et Coquettes, où règnent les femmes. Épigone est choisi d'autorité comme prince consort par la reine, qui condamne pendant ce temps Arescie à la mort pour pruderie et fidélité. L'intervention d'Idise, la suivante d'Arescie qui prend les armes, et d'un des princes déjà mentionnés sauve la princesse, mais le reste des aventures d'Épigone et d'Arescie n'a jamais été publié, voire rédigé...

L'intérêt du roman pour le lecteur moderne est sans doute réduit. Il s'agit d'une édition critique, qui s'en tient au français de l'époque et à la typographie d'origine en ne changeant guère, outre la disparition du tilde et la distinction systématique du « i » et du « j », du « u » et du « v », que la pagination. Néanmoins, il est fascinant d'y trouver en germe des éléments de la science-fiction moderne. Aux quelques gadgets (la potion d'invisibilité, la machine traductrice) s'ajoutent surtout l'évocation d'une société marquée par une inversion « carnavalesque » des rôles et des rebondissements ou péripéties qui ne dépareraient point de nombreux romans d'action ou de fantasy actuels. (En revanche, les codes narratifs ont à ce point changé qu'il est difficile d'y prendre le même goût qu'à la lecture d'un roman moderne.) L'anticipation n'offre plus grand intérêt, même s'il est piquant de constater que Louis XIV a bel et bien fait carrière comme conquérant et que Michel de Pure ne pousse pas plus loin l'anticipation qu'un Clodovée XVIII menacé de guerre civile.

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2008-02-18

 

Quatre millions

Quel auteur que cet O. Henry!

William Sydney Porter (1862-1910) est devenu O. Henry pour cacher son passé de criminel condamné pour fraude ou malversation. Il est devenu célèbre sous ce nom d'emprunt en signant des nouvelles qui avaient pour sujets principaux New York et l'Ouest des cow-boys. (Mais, en dépit de son ascension fulgurante comme auteur renommé dans toute l'Amérique, il n'a sans doute pas inspiré la barre de chocolat Oh Henry!)

J'ai hérité de l'édition de 1912 de son recueil The Four Million (1906), chiffre qui fait référence à la population de New York à cette époque. En 1912, Porter était mort depuis deux ans à peine. Sa veuve, qu'il avait épousé après la mort de sa première femme et qui l'avait quitté peu de temps avant sa mort, lui survivrait jusqu'en 1959, mais sa fille disparaîtrait en 1927. Il avait eu le temps d'écrire de nombreuses nouvelles aussi courtes que percutantes (près de 400 en huit ans après son arrivée à New York!). Certaines sont connues de tous les lecteurs d'un certain âge en Amérique du Nord, car elles ont fait partie de nombreuses anthologies scolaires, dont « The Gift of the Magi » et « The Cop and the Anthem », qui figurent tous les deux dans The Four Million et que j'avais lues il y a longtemps.

C'était le pionnier du dénouement surprise, voire le spécialiste, car je n'ai pas lu grand-monde qui ait fait mieux. Il surpasse aisément Maupassant, même si on finit par pressentir les éléments de la formule, mais quand on croit deviner où il veut en venir, il signe une fin à double détente, comme dans « After Twenty Years ». Moins maniéré que George du Maurier dans Trilby, il est au moins aussi spirituel. J'allais dire, avec l'antisémitisme en moins, mais il y a au moins un pharmacien du nom d'Ikey (Isaac?) Schoenstein qui n'a pas le plus beau des rôles, mais le texte ne précise jamais qu'il est juif...

Cela dit, O. Henry ne se débrouillait pas trop mal non plus avec les débuts. Prenons le paragraphe initiale de la nouvelle intitulée « Memoirs of a Yellow Dog »:

« I don't suppose it will knock any of you people off your perch to read a contribution from an animal. Mr. Kipling and a good many others have demonstrated the fact that animals can express themselves in remunerative English, and no magazine goes to press nowadays without an animal story in it, except the old-style monthlies that are still running pictures of Bryan and the Mont Pelée horror. »

Un autre exemple tient en trois paragraphes :

« It was a day in March.

Never, never begin a story this way when you write one. No opening could possibly be worse. It is unimaginative, flat, dry and likely to consist of mere wind. But in this instance it is allowable. For the following paragraph, which should have inaugurated the narrative, is too wildly extravagant and preposterous to be flaunted in the face of the reader without preparation.

Sarah was crying over her bill of fare. »

Il y a des expressions employées par O. Henry qu'il n'a peut-être pas inventées, mais qu'il a sûrement contribué à répandre. Et qu'on utilise encore aujourd'hui parce qu'elles donnent tellement de sel à ses textes les plus mémorables... Pour qui connaît un peu New York au tournant du siècle dernier, ses nouvelles sont également saisissantes parce qu'elles semblent croquer sur le vif l'existence dans la métropole des Amériques, s'introduisant dans la vie des clochards, des riches, des amoureux, des travailleurs et même des petites ouvrières à six dollars la semaine. (Compte tenu de l'inflation, six dollars de 1905 correspondraient à 137 $ aujourd'hui, ce qui reste une somme dérisoire pour qui voudrait vivre à Manhattan pendant une semaine avec cette somme... L'incendie de l'usine Triangle Shirtwaist, qui coûta la mort à presque 150 de ces ouvrières gagnant cinq ou six dollars hebdomadaires, eut lieu en 1911, mais on peut dire qu'O. Henry l'avait pressenti.) Parfois mélo, parfois tendre, parfois sardonique, O. Henry ennuie rarement.

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2008-02-17

 

Mobilité

En principe, le film Jumper arrive à point pour le public canadien. L'hiver complique toujours les déplacements, mais le protagoniste de Jumper transcende les limitations matérielles et spatiales qui réduisent la liberté de mouvement des autres. Dans une ville enneigée, qu'y a-t-il de plus agréable à envisager que le pouvoir de se téléporter instantanément sur une plage tropicale ou dans une ville exotique? L'autre nuit, en revenant d'Ottawa, mon autobus ne s'est-il pas retrouvé bloqué à l'entrée du terminus montréalais par un tas de neige dans lequel il s'est enlisé? Après de longues minutes de tentatives infructueuses pour se dégager, le chauffeur a bien dû renoncer et laisser les passagers descendre. Une odeur de graisse brûlée avait d'ailleurs commencé à envahir l'intérieur du véhicule... En rentrant à pied hier soir après le film, je suis passé à côté de la caserne où j'avais photographié en janvier dernier un blindé de l'armée canadienne sous la neige. Si les tanks rêvent, celui-ci rêvait peut-être au sable chaud de l'Afghanistan. En se téléportant ou non.Mais Jumper ne remplit pas ses promesses. Certes, les voyages instantanés sont au rendez-vous. Mais le personnage principal, joué par Hayden Christensen de Star Wars, rappelle Brad Pitt à son moins intéressant. Une mâchoire bien taillée, et pas grand-chose de plus. Au début du film, quand le protagoniste vit la belle vie, la télévision dans son appartement diffuse des images de victimes d'une inondation ou d'un raz-de-marée. Il faudrait un miracle pour les sauver, entend-on, et le spectateur se demande si David va trouver un moyen d'intervenir. Mais non, il passe une excellente journée à faire du surf, pique-niquer en Égypte et hanter les bars de Londres. Comme il a aussi piqué de l'argent à des banques et le dépense sans scrupules apparents, David apparaît comme un jeune homme dont la principale vertu, dans le film, est d'aimer son béguin de jeunesse, Millie, et de ne pas achever son ennemi juré, Roland. Ce n'est pas exactement suffisant pour faire de lui quelqu'un de sympathique. Et quand il essaie de faire équipe avec un autre téléporteur, Griffin, on les voit tous les deux se balader (et se battre) de lieu en lieu sans grand souci pour les personnes innocentes qu'ils pourraient blesser ou gêner.

Quant à l'intrigue du film, elle repose principalement sur l'existence de « Paladins » qui pourchassent les « Jumpers » pour les tuer. Or, ceci représente l'apport principal de l'adaptation hollywoodienne du roman Jumper de Steven Gould, roman pour jeunes qui a connu beaucoup de succès en prouvant qu'il était encore possible d'écrire de la science-fiction aimée des jeunes, et je ne crois pas que la grève des scénaristes puisse servir d'excuse. C'est un cliché, un gros cliché, et il n'était déjà pas très convaincant lorsqu'on nous l'avait servi dans Highlander en 1986, il y a vingt-deux ans. Il a désormais épuisé tout son intérêt. Qu'on le laisse aux films de vampires et qu'on n'en parle plus!

En cours de route, David retrouve sa mère, qui est dans le camp des Paladins et qui y reste, ce qui est peut-être censé préparer un autre film. Mais j'espère que non. Il y a des scènes qui résistent à l'analyse ; à Tokyo, Griffin téléporte une voiture dans la circulation de la ville et on se demande bien comment ceci est censé passer inaperçu. Quant au dénouement dans l'appartement de Millie où David est supposément réduit à l'impuissance, je n'ai toujours pas compris comment il parvient à se téléporter quand même. Amor omnia vincit? C'est bien commode... mais on reste loin des classiques du genre, comme The Stars My Destination.

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2008-02-16

 

Teatro Universale (7)

Dans le numéro du 16 février 1839, la couverture reste en Grande-Bretagne, reproduisant la cathédrale de Chester pour illustrer l'architecture arabo-normande, mais le reste du numéro se transporte sous d'autres cieux. Après avoir longuement présenté l'art et l'histoire du sonnet, ainsi que ses différentes formes rimées, la rédaction compose une notice pittoresque sur la découverte et l'usage du café en Orient. Dans la série des Effemeridi istoriche universali, l'anniversaire de la mort d'Esprit Fléchier le 16 février 1710 sert de prétexte à la présentation de quatre grands prédicateurs du règne de Louis XIV en France : Bossuet, Bourdaloue, Fléchier et Massillon. Le numéro inclut aussi un volet zoologique : la première partie d'un article sur les mollusques agrémenté d'une belle gravure de nautile. L'ensemble résume une fois de plus les intérêts de la rédaction : les arts, les lettres et l'histoire. Ce qui se rapproche le plus de la vie pratique, c'est la notice sur le café, mais elle est en partie un prétexte pour reparler de l'Orient.

La gravure choisie pour illustrer cet article sur le café le montre bien : le lecteur tombe sur une scène présumément « typique » d'un café à Constantinople (le nom d'Istanbul ne s'étant pas encore imposé pour l'ensemble de l'agglomération au cœur de l'Empire ottoman). Encore une fois, le Teatro Universale nous rappelle combien d'eau a coulé sous les ponts depuis cette époque. Dans cette gravure, les Turcs (ou autres) de Constantinople portent encore des turbans et, en général, des couvre-chef d'étoffe. De nos jours, on associe l'Empire ottoman au port du fez rouge, comme on le voit dans la photo ci-dessous qui date du tournant du vingtième siècle, fez que les modernisateurs turcs avaient proscrit en 1925. Mais le fez lui-même avait fait partie de la modernisation antérieure du Sultan Mahmoud II, apparaissant dans un édit de 1826. Par conséquent, cette gravure de 1839 pourrait dater un peu (le ré-emploi de gravures était commun) tout comme elle pourrait refléter un milieu social ou culturel un peu moins à la page. Pour les francophones, la valeur symbolique du fez comme emblème de la modernité joue d'ailleurs un rôle dans le classique de Saint-Exupéry, Le Petit Prince. On se rappellera peut-être de cet astronome turc dont la détection de l'astéroïde B612 était passée inaperçue quand il l'avait annoncée vêtu du costume ottoman traditionnel mais avait été applaudie quand il avait répété son annonce vêtu du costume européen... Évidemment, on reste aussi dans la littérature avec la représentation d'un nautile qui illustre l'article sur les mollusques. De nos jours, l'auteur aurait sans doute glissé une allusion à la grande lignée de sous-marins baptisés Nautilus, dans la réalité et dans la fiction, mais Jules Verne n'avait pas encore écrit Vingt mille lieues sous les mers (1869) et le sous-marin de Fulton n'avait pas assez marqué les esprits... Table des matières : Teatro Universale 235, 236, 237, 238 (janvier); 239, 240 (février).

2008-02-15

 

Spiderwick

Le nouveau film de fantasy pour enfants (je n'ose quand même pas dire : de la semaine, mais ils se multiplient...) m'a agréablement surpris, hier soir. Je crois que ce sont les touches d'humour qui lui permettent d'échapper au bourbier des films oubliables comme The Seeker, mais le sort de la famille au centre du film est aussi plus prenant que le sort d'une vieille maison dans Arthur et les Minimoys, par exemple. (D'ailleurs, les parallèles entre les deux films, à commencer par la présence du jeune acteur Freddie Highmore qui joue le jeune protagoniste dans les deux cas, sont si nombreux qu'on se demande qui a copié qui. En principe, le livre de Luc Besson est sorti un an avant le premier tome des Spiderwick Chronicles, mais il y a peut-être une source antérieure commune aux deux.) En revanche, le film est quand même moins poignant que Bridge to Terabithia, qui misait beaucoup sur la sortie des mouchoirs.

Certes, The Spiderwick Chronicles est moins ambitieux que The Golden Compass, car même s'il est question du sort du monde et de la puissance que l'ogre Mulgarath pourrait acquérir, la bataille reste confinée dans un cadre beaucoup plus familier et familial. On reste loin de la trilogie de Peter Jackson. Cependant, c'est ce qui fait sa force, car les ratages ambitieux restent des ratages, tandis qu'un exercice de style bien exécuté fait toujours plaisir.

Bref, de l'humour, de l'émotion et de l'aventure. Les accrocs sont peu nombreux : comment la sœur aînée, Mallory, réussit-elle à se défendre contre des gobelins invisibles avec une arme a priori mouchetée? pourquoi Thimbletack cesse-t-il soudain de faire des rimes quand il parle? et, de temps à autre, on se demande si certains des personnages voient ou non les créatures invisibles de la Féerie? Le rythme de l'action permet de passer outre, mais cela demeure un film pour enfants d'abord.

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2008-02-14

 

Le 25e Boréal

Comme chaque année depuis le dixième anniversaire des congrès Boréal en 1989, je participe (de près ou de loin) à l'organisation des événements qui permettront aux amateurs francophones de science-fiction et de fantastique du Canada de se réunir.

Cette année, le congrès revient à l'Université Concordia les 9, 10 et 11 mai. La liste des invités et des participants est déjà impressionnante. Des États-Unis nous viendront David Hartwell (directeur de collection chez Tor), Kathryn Cramer, James Morrow, Kathryn Morrow et Michael Swanwick. La France sera représentée par Catherine Dufour. Le Canada anglophone pourra compter sur Karl Schroeder et Jo Walton.

Le conte comptera sur Éric Gauthier. La littérature jeunesse sera illustrée par Christiane Duchesne et Julie Martel, ainsi que par le directeur littéraire Daniel Sernine, de Médiaspaul. La revue Solaris délèguera Joël Champetier. Quant à la maison Alire, elle sera défendue par plusieurs de ses auteurs présents ou à venir, dont Natasha Beaulieu, Yves Meynard, Francine Pelletier, Esther Rochon et Élisabeth Vonarburg.

Et, comme le signalait Philippe-Aubert Côté, il existe aussi un appel à communications pour le colloque qui aura lieu le vendredi 9 mai...

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2008-02-13

 

Iconographie de la SFCF (21)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; (17) le théâtre moderne de SFCF; (18) la télé et la SFCF écrite; (19) l'anniversaire de Spoutnik; et (20) les premières guerres imaginaires de la SFCF.

Le sujet du chimérisme intéresse Philippe-Aubert Côté depuis un moment et c'est lui qui m'a signalé le roman Chimères (2006) de Normand Lester et Corinne de Vailly. Les auteurs s'inspirent d'un cas que l'on pourrait croire légendaire, mais qui correspond à d'authentiques expériences soviétiques d'avant la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, avant Chimères, il y avait eu au Québec un roman de Pierre Desrochers en 1990, Le Canissimius, qui imaginait un autre genre d'hybride, combinant le chimpanzé et le chien. Un certain Dan Brazeau était crédité de l'idée d'origine, sous forme de scénario pour un projet de long métrage financé par Tropic-Films. Je n'ai toujours pas lu l'ouvrage au complet, car l'écriture est assez ordinaire et les éléments science-fictifs n'interviennent que dans la dernière partie de l'œuvre. Néanmoins, on peut constater que les auteurs ont bien fait leur travail de recherche. La mise en scène du milieu scientifique est convaincante. En revanche, l'illustration de couverture l'est moins. Elle est attribuée à la firme « Ose huit 10 », qui aurait aussi tenu une galerie-studio à l'époque. Même s'il existe des hybrides réels issus de croisements entre espèces différentes, comme le chabin, le lounard ou le mouchèvre, Desrochers nous plonge ici dans l'imaginaire (.PDF), et donc dans la science-fiction puisque le chien et le chimpanzé sont des espèces nettement moins compatibles que les tigres et lions que l'on accouple pour faire des ligres ou tigrons. (Bien entendu, la critique de l'époque avait évité d'utiliser le mot, comme dans cet extrait de La Presse, le 14 novembre 1990 : « Le canissimius! Une drôle de bibitte imaginée par Dan Brazeau il y a sept ans, un sympathique animal issu d'un croisement entre un berger allemand et un chimpanzé. Très attachant. Tellement que Dan Brazeau en a fait le sujet central de son scénario de film futuriste sur la manipulation génétique, à partir d'une histoire d'amour, celle d'un couple sans enfant. Ce genre de film coûte très cher à réaliser. ») De fait, aucun film n'est jamais sorti de ce projet, mais il reste un ouvrage assez intéressant puisque le fin mot de l'histoire n'est pas seulement de créer un hybride mais de s'en servir pour créer des anticorps afin de combattre diverses maladies (d'après ma lecture en diagonale).

Science-fiction ou pas science-fiction? Cette sempiternelle question se pose beaucoup plus nettement dans le cas de Chimères. L'essentiel du roman tourne autour d'une enquête policière et des sombres agissements d'un militant des droits des animaux prêt à sacrifier des vies humaines. On ne découvre que dans les derniers chapitres que ce Powell tente de produire des êtres hybrides, mi-humains mi-bonobo. L'héroïne est capturée et promise au rôle de cobaye chargée d'enfanter le premier hybride de ce type. Toutefois, l'insémination artificielle n'aura pas lieu puisque le héros, non sans l'aide providentielle d'un bonobo sur place, réussira à la sauver. Néanmoins, on sort de la réalité connue dans la mesure où il y a eu fécondation d'un ovule humain par du sperme simien, comme le constate Powell : « Dans l'éprouvette qu'il examinait pour la dixième fois de la journée, les cellules humaines et simiennes avaient formé un amas gélatineux. La fécondation avait été un succès. » (p. 272) Normand Lester fournit ses sources en appendice, ce qui correspond aussi à la démarche de la science-fiction telle que je la définissais dans le numéro actuel de Québec français. On pourrait également soutenir qu'il y a un soupçon d'uchronie dans la mise en scène du fils d'un personnage de scientifique anglais associé aux recherches des savants soviétiques avant la Seconde Guerre mondiale, mais ce serait exagéré... Néanmoins, de par son sujet qui le rattache au grand classique de Vercors, Les Animaux dénaturés, que Powell semble évoquer en parlant des « tumultueux débats en perspective pour les théologiens et les philosophes » et des « protections constitutionnelles » à accorder aux grands singes, le roman s'inscrit clairement dans la veine de la science-fiction.

2008-02-12

 

Blasphème alimentaire

Ce n'est pas une affaire de soupe identitaire, mais l'étiquette semble bien osée. Des merguez au porc? J'ai eu la surprise il y a quelques semaines en achetant des merguez au supermarché et en ne regardant l'étiquette qu'après-coup. Je n'ai pas d'objection religieuse à la chose, mais si je voulais des saucisses pur porc, je n'aurais pas acheté des merguez, point. Le goût n'est clairement pas le même. Mais le comble, ce sont les proclamations pour faire illusion : « Recette traditionnelle » (dans le bandeau rouge) et « Saucisses porc marocaines traditionnelles ». Je ne connais pas grand-chose à la cuisine traditionnelle au Maroc, mais je doute franchement que des merguez au porc en fassent partie! Heureusement que le fabricant ne va pas jusqu'à prétendre que les saucisses étaient halal, ce qui a causé des problèmes à une compagnie française... Mais comme la Loi canadienne sur la concurrence proscrit les « indications fausses ou trompeuses sur un point important », je me demande quand même si ces mentions ne suffiraient pas à motiver une plainte. Il s'agirait de savoir si l'origine marocaine de la recette est un « point important » ou non...

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2008-02-11

 

Champion des ligues mineures

Stéphane Dion ne fait rien pour redorer l'image de marque des politologues, qui connaîtraient la théorie mais auraient plus de mal avec la pratique. Ou il démontre une fois de plus la validité du principe de Peter... tout en inspirant des remarques désobligeantes pour le niveau des débats politiques au Québec.

En effet, à l'époque du référendum de 1995, il avait impressionné le camp fédéraliste en démolissant systématiquement les arguments des séparatistes. Les difficultés qu'il connaît maintenant laissent supposer qu'il est moins facile de démonter les imprécations des néo-conservateurs canadiens que les sophismes des indépendantistes québécois. Évidemment, dans le cas présent, il fait face à une machine énorme, pan-canadienne, aux idées et arguments alimentés par les réseaux de la droite étatsunienne, et aux discours amplifiés par des médias en général hostiles. Comme les Conservateurs n'ont pas tardé à financer une campagne de publicité négative, il fait aussi face à un préjugé défavorable chez le public. Et comme son parti n'a pas les reins très solides, que ce soit sur le plan financier ou sur celui de l'organisation (et de l'unité), il a été obligé de reculer plusieurs fois depuis le début de la session actuelle du Parlement (ce qui lui avait valu une lettre d'Hugo).

Les Libéraux feront-ils de l'Afghanistan l'enjeu d'une élection? Ce sera difficile à défendre dans le reste du Canada, mais les Libéraux pourraient ranger une partie des médias québécois de leur côté, pour changer. Mais il faudra surtout qu'ils parviennent à bien expliquer leur position.

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2008-02-10

 

La fécondité des cousins

Dans un Globe and Mail de la semaine dernière, on annonçait la découverte de Kari Stefansson et de ses collaborateurs qui travaillent sur la population islandaise. Selon leurs résultats pour les parents nés entre 1800 et 1965, les conjoints qui sont des cousins apparentés au cinquième ou sixième degré (third cousins et fourth cousins en anglais) ont plus d'enfants et de petits-enfants que les autres. Ainsi, les femmes nées en 1925 et 1949 qui avaient épousé un parent au cinquième degré avaient eu en moyenne 3,27 enfants et 6,64 petits-enfants, tandis que celles dont le conjoint était un parent au dixième degré (ou plus) avaient eu 2,45 enfants et 4,86 petits-enfants en moyenne. La différence est suffisamment significative pour exiger une explication. Stefansson semble croire que ce degré de parenté serait optimal parce qu'il tiendrait le juste milieu entre les incompatibilités génétiques toujours possibles quand les conjoints sont issus de populations différentes et les risques accrus de maux congénitaux quand la consanguinité est trop élevée.

Tout de suite, un Canadien-français peut se demander si ceci aurait joué dans l'évolution de la population canadienne-française, issue d'un peuplement de dix mille individus environ, puisque les mariages consanguins auraient fini par être inévitables. En 1992, Marcelle Émond s'était penchée sur la question sans trouver de lien entre la consanguinité et la fécondité, mais sans examiner les degrés de parenté plus éloignés. En revanche, Pierre Philippe avait observé en 1973 à l'Isle-aux-Coudres que plus le degré de consanguinité de la population était élevé, plus la fécondité était élevée, mais ses données ne lui avaient pas permis d'isoler les unions responsables pour cet état de fait. Il citait toutefois un travail de Schull paru en allemand en 1970, qui correspond sans doute à cet article de 1973 sur une population insulaire japonaise.

Stefansson n'a pas écarté tous les facteurs sociaux ou comportementaux qui pourraient expliquer l'effet que son équipe a décelé, mais admettons qu'il ait découvert quelque chose de réel. Les conséquences seraient multiples. Stefansson lui-même évoque la possibilité d'un ralentissement futur de la croissance démographique mondiale maintenant que des populations issues de villages et de régions auparavant autarciques aboutissent dans les grandes villes de la planète, multipliant les mariages entre personnes au dernier ancêtre commun très reculé (comme dans le cas des parents de Barack Obama). Notre compréhension du passé changerait aussi. Ainsi, avant l'époque moderne, les villes européennes connaissaient souvent un déficit de natalité qui n'était compensé que par l'apport régulier de personnes originaires de la campagne. En général, on attribue cette mortalité excessive aux conditions insalubres des villes médiévales, mais se pourrait-il que la natalité insuffisante s'expliquerait (en partie) par le nombre de mariages entre des individus d'origines hétérogènes qui aurait été plus élevé que dans les villages et campagnes plus ou moins endogames? Pareillement, l'urbanisation moderne née de l'exode rural est associée à une transition démographique que l'on explique d'habitude par des choix et des modes de vie différents. Mais une natalité réduite par les mariages plus nombreux entre personnes étrangères les unes aux autres pourrait avoir joué un rôle également dans ce changement... Du coup, on peut classer cette nouvelle parmi celles qui inclinent à l'optimisme.

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2008-02-09

 

Teatro Universale (6)

Dans le numéro du 9 février 1839, l'attention de la revue se tourne vers une partie de l'Europe assez éloignée de l'Italie du Nord, le Pays de Galles. Les renseignements donnés sur cette partie du Royaume-Uni sont tirés de plusieurs sources, dont le Penny Cyclopaedia anglais riche en statistiques et en mention de voies ferrées ou de mines. L'auteur exploite toutefois d'autres ouvrages, y compris l'Histoire d'Angleterre de John Lingard et Jules-Lacroix de Marlès, attribuée par la rédaction du Teatro Universale au traducteur de Lingard, Prudence-Guillaume de Roujoux (1779-1836). L'édition révisée de 1844-1845 de cette histoire d'Angleterre est disponible en-ligne. L'article sur le Pays de Galles puise aussi à même la Storia della conquista d'Inghilterra fatta dai Normanni d'Augustin Thierry, traduite par Francesco Cusani. Autrement dit, l'intérêt du rédacteur pour la description géographique et statistique tirée du Penny Cyclopaedia n'a pas duré trois demi-colonnes avant de le céder à deux pages et demie (bien remplies) sur l'histoire du Pays de Galles, où passent Merlin, le roi Arthur, Owen Glendower et les rois anglais... L'exotisme reprend ensuite ses droits avec un article sur les nids d'hirondelle du martinet dit « hirondelle salangane » au Viêt-Nam et baptisé par le Teatro Universale « La Rondine esculenta, o dal nido mangiabile ».

Le reste du numéro est consacré à des souvenirs historiques, d'abord des deux Hiéron de Syracuse, puis de l'humaniste Ennio Quirino Visconti, pionnier de l'archéologie moderne, puis du sac de Tortona par Frédéric Barberousse. Il est intéressant de noter que le Teatro Universale juge bon de gloser le terme d'archéologie, encore fort neuf : « Archeologia, voce greca composta da arcaios antico e logos discorso, chiamasi la scienza che tratta de'monumenti e costumi antichi. Dicesi altramente Antiquaria ».

En guise d'envoi, le numéro sert à ses lecteurs la célèbre parabole du renard et des poissons racontée par le Rabbi Akiba. Seulement, la rédaction l'agrémente de la morale imaginée par Mme de Staël où l'on reconnaît bien l'esprit parisien de son époque. Alors que le Rabbi Akiva parlait de l'étude de la Torah, Germaine de Staël en fait une leçon pour la gestion des sentiments : « Il miglior numero delle persone di mondo non consiglia già meglio della volpe. Quando esse veggono le anime affettuose agitate dalle pene del cuore, esse loro propongono sempre di escir dall'aere ov'è la tempesta, per entrar nel vacuo che uccide. »

Table des matières : Teatro Universale 235, 236, 237, 238 (janvier); 239 (février).

2008-02-08

 

La province de Kandahar

Quand je relis ce que j'ai écrit sur l'Afghanistan en mars 2006, en mai 2006, en juin 2006, en septembre 2006, en décembre 2006 et en octobre 2007, je constate qu'il ne me reste plus grand-chose à dire. La situation n'est pas inchangée : les chocs frontaux sont sans doute moins nombreux, les Talibans ayant appris à ne pas braver inutilement le feu de l'artillerie lourde et de l'aviation, et la situation semble plus stable à Kandahar même, mais la violence s'est aggravée ailleurs dans la région, la culture du pavot n'a pas cessé et l'infiltration de groupes armés en provenance du Pakistan continue. L'équipement des Canadiens en véhicules blindés a peut-être sauvé quelques vies, mais la pacification de la province de Kandahar semble fragile. Si une intervention ponctuelle élimine des insoumis, d'autres reviennent plus ou moins vite dès qu'on a le dos tourné. De sorte que la province « canadienne » de Kandahar se rétrécit jusqu'à se confondre avec la ville du même nom.

Là-dessus, l'heure des choix arrive. D'une part, le rapport Manley a prôné une prolongation de la mission canadienne à certaines conditions, dont un renfort de l'OTAN constitué d'une formation combattante d'un millier d'hommes. Le gouvernement conservateur a adopté cette position et, soudain, les médias laissent entendre que les États-Unis, la France et la Pologne pourraient remplir les conditions posées par le Canada.

Deux des partis d'opposition défendent un retrait pur et simple, tandis que les Libéraux ont longtemps réclamé (vidéo) une rotation pour remplacer les soldats canadiens dans leur rôle de combattant par d'autres troupes de l'OTAN mais en conservant des soldats canadiens en Afghanistan pour collaborer aux efforts de reconstruction ou de formation des forces afghanes. Cette position est réitérée dans la soumission (.PDF) des Libéraux au groupe de travail de John Manley. Néanmoins, en laissant entendre que les soldats canadiens pourraient rester à Kandahar dans un rôle purement passif ou défensif, Stéphane Dion brouille la clarté de sa position et il s'est exposé aux critiques simplistes de nos foudres de guerre en chambre qui ridiculisent le rôle dévolu à des soldats qui n'auraient pas le droit d'intervenir si la situation l'exigeait. Passons sur le fait que cela décrit assez bien le mandat adopté par d'autres pays de l'OTAN... Ces critiques sont le prix à payer pour qui n'a pas le courage de ses convictions.

Les Libéraux tenaient le bon filon en soutenant que le Canada ne s'était engagé que pour deux ans et qu'il était naturel pour un autre pays de prendre le relais. Après tout, les Canadiens se sont battus pour la liberté de nations de l'OTAN actuel comme la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas ou l'Italie, sinon de l'Allemagne ou de la Pologne, et plus d'une fois. Le Canada a stationné ses troupes en Europe pendant le gros de la Guerre froide et il a de nouveau envoyé ses troupes au front dans l'ex-Yougoslavie quand l'Europe était de nouveau dans le pétrin.

Si les Libéraux osaient dire franchement qu'une échéance ferme obtiendrait sans doute la rotation voulue et le remplacement de nos deux milliers de soldats aussi facilement que la menace implicite de Harper a obtenu des promesses d'aide à hauteur d'un millier de soldats en quelques jours, ils pourraient avoir gain de cause dans au moins une partie de l'opinion publique.

Et cette tactique pourrait aussi avoir gain de cause dans l'arène politique. Le Canada est singulièrement bien placé pour taper du poing sur la table... Outre ses engagements transatlantiques et son passé enviable au sein de l'ONU (même si la dernière décennie et demie est moins reluisante), il a aussi payé le prix fort en Afghanistan, soit plus de 80 soldats, ce qui est trois fois plus que le nombre de citoyens canadiens morts dans les attentats du 11 septembre. Dans la figure ci-contre, on observera en particulier que, par rapport aux troupes engagées, le Canada est l'un des deux pays à avoir subi les pertes les plus lourdes. (Il faut sans doute prendre les chiffres avec des pincettes, car les déploiements ont pu varier au fil des ans depuis 2001.) Le Canada a fait sa part, et plus que sa part. Si l'Allemagne, qui compte plus du double de la population canadienne, ne peut pas se résoudre à seconder un allié dans le besoin, l'alliance serait effectivement en danger.

Cela dit, les autres partis d'opposition n'ont pas tort de suggérer que le Canada n'a pas d'intérêts vitaux en Afghanistan, du moins pas au point de risquer autant de vies humaines. Les États-Unis ont peut-être des intérêts stratégiques, voire pétroliers, dans cette région du monde, mais ce n'est pas dans l'intérêt (étroit) du Canada d'aider les États-Unis à faire baisser le prix du baril de pétrole...

Quant au rôle de l'Afghanistan comme base arrière d'Al-Qaida permettant à Oussama Ben Laden d'organiser des attentats comme ceux du 11 septembre, il n'est pas à ce point singulier qu'un autre pays ne pourrait pas jouer le même rôle. Ben Laden semble s'accommoder assez bien de son séjour au Pakistan, auquel ni les États-Unis ni le Canada ne cherchent noise, et il convient de rappeler qu'une bonne part des préparatifs des attentats du 11 septembre aurait eu lieu en Allemagne et... aux États-Unis.

Le Canada a au moins deux bonnes raisons d'être en Afghanistan. Pour de nombreux Canadiens, il s'agit de faire preuve de la même solidarité qui a poussé le Canada à épauler ses alliés européens précédemment. Les besoins sont criants et c'est le constat de la plupart des Canadiens qui ont visité le pays. Cet idéalisme peut sembler naïf (on ne changera pas le destin de l'Afghanistan en deux ans) ou borné (d'autres pays sont aussi dans la misère), mais la détresse des Afghans est réelle. Ensuite, le Canada se bat aussi en Afghanistan pour son alliance avec les États-Unis, ou du moins pour garder de bonnes relations avec son principal voisin.

Mais cela suffit-il pour ouvrir un crédit illimité sur nos troupes au nom de nos meilleurs amis?

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2008-02-07

 

Podkayne de Mars... la rouge?

L'annonce d'un visionnement du film soviétique Repentance (1984) (aussi connu sous le nom Confession en Occident) dans le Diefenbunker en banlieue d'Ottawa m'a permis de découvrir que « repentir » se dit pokayanié en russe. Le mot m'a fait penser au nom d'un personnage de Robert A. Heinlein, Podkayne. Ressemblance illusoire ou réelle? La femme de l'auteur, Virginia, avait fameusement appris le russe vers 1958-1960 avant un voyage en Union Soviétique. Comme le roman Podkayne of Mars est sorti en 1962, Heinlein aurait très bien pu se tourner vers sa femme pour connaître le mot russe pour repentir. Et il aurait légèrement altéré le mot pour en faire le nom d'un saint martien que l'on invoque dans les moments difficiles... (Le regret n'est-il pas une réaction répandue quand on se trouve dans un mauvais pas?)

Mais pourquoi intégrer la notion de repentir ou de regret dans le titre de ce roman? Comme le savent les amateurs, il existe deux versions de la conclusion du roman de Heinlein. Dans la version originale, Podkayne meurt assez bêtement, tandis que la version corrigée l'épargne. Dans les deux cas, les personnages principaux éprouvent le besoin de faire repentance. Le petit frère génial de Podkayne s'est montré trop confiant, et les parents trop absents. Et l'oncle Tom, porte-parole de Heinlein, n'hésite pas à faire la morale aux uns et aux autres. Le sort de Podkayne serait donc d'inspirer le repentir dont elle porte le nom en russe...

Mais il existe un autre sens au mot « repentir » en français. En peinture, voire en gravure aussi, il s'agit d'un retravail d'une œuvre pour en cacher une partie — le terme italien « pentimento »signifie aussi repentir, et il est communément traduit en anglais par « repentance ». D'un point de vue littéraire, c'est ce que la version modifiée du roman avait pour but de faire, mais il aurait fallu que Heinlein soit prophète pour savoir que son éditeur l'obligerait à changer la fin... Un repentir peut aussi masquer un élément qui reste présent mais ne doit pas être vu. En un sens, le double sens du nom de Podkayne serait aussi un repentir, mais il est encore plus douteux que Heinlein aie songé à cumuler autant de sous-entendus dans un seul nom. Quoique...

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2008-02-06

 

Bolduc dans la course

Sur son site, Claude Bolduc annonce la mise en nomination de son roman jeunesse Là-haut sur la colline (Vents d'Ouest, 2007) pour le prix littéraire Le Droit, dans la catégorie jeunesse. Les lauréats dans les trois catégories du prix seront connus à l'occasion de l'ouverture du Salon du Livre de l'Outaouais le 28 février prochain. Et, hier soir, Bolduc participait au gala des galas à la Maison du citoyen de Gatineau. En tant que personnalité de la semaine du journal Le Droit et de Radio-Canada dans le courant de l'année 2007, il aurait pu être salué comme personnalité de l'année, ou comme personnalité de l'année dans la catégorie de la culture, mais ce dernier honneur a été réservé à François Desormeaux, le directeur général du grand spectacle franco-ontarien L'Écho d'un peuple. Quoi qu'il en soit, l'année 2007 aura été bonne pour lui puisqu'il a remporté le Grand Prix de la Science-Fiction et du Fantastique québécois ainsi qu'un Prix Boréal. Quant au roman en question, dont la couverture est illustrée par Laurine Spehner, je l'ai acheté au Salon du livre de Montréal de l'an dernier. Je ne l'ai pas encore fini, mais je laisserai sans doute aux connaisseurs le soin de le juger puisque les maisons hantées sur une colline sont, sinon légion, du moins fort nombreuses dans les romans d'épouvante. Néanmoins, le personnage du narrateur retient l'attention de manière fort efficace. Même si on sent un peu trop l'effort de le rendre sympathique et même si on se demande si cet adolescent qui aime les livres a bien sa place au XXIe siècle, c'est son histoire, ses coups de cœur et ses affres qui tiennent la vedette. La description de l'école qu'il fréquente compense par son réalisme (pour ce que j'en sais, hein!) pour le décalage du personnage qui semble bien détaché de la société des iPods, cellulaires et clavardages d'aujourd'hui...

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