2013-09-25

 

Cultures solitaires

L'ouvrage de Joël Castonguay-Bélanger sur le roman scientifique au XVIIIe siècle, Les Écarts de l'imagination : Pratiques et représentations de la science dans le roman au tournant des Lumières (2008) se penche sur un corpus qui n'est pas inconnu des connaisseurs de l'histoire de la science-fiction, même si le débat fait toujours rage quant à l'inclusion de cette proto-science-fiction dans la catégorie moderne telle que constituée au XXe siècle.

On s'interrogera certes sur la culture réelle de l'auteur tant en matière d'histoire des sciences — il signale la toile de  Joseph Wright, « The Alchemist in Search of the Philosopher's Stone Discovers Phosphorus » sans noter que, si le décor était romantique, le modèle était bien réel, soit Hennig Brandt — qu'en matière de science-fiction.  Il cite au passage une facétie « inspirée de Cyrano » qu'un soi-disant aéronaute publie dans le Journal politique de Bruxelles le 14 février 1784 en racontant qu'il est monté en ballon au-dessus de l'atmosphère et profité du mouvement de rotation de la planète sous lui pour redescendre ensuite dans les limites de Pékin.  L'idée apparaissait non seulement chez Cyrano, dont l'atterrissage à Québec était d'ailleurs accidentel et nullement prévu par le voyageur, mais aussi comme une démarche délibérée dans une édition tardive des Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle, si je me souviens bien et comme semble le croire aussi Arthur Evans.  Elle sera reprise par Maurice Renard dans son célèbre « Voyage immobile » (1909) où l'Aérofixe résout les problèmes de physique soulevés par ce genre de déplacement.  Exception faite d'une allusion au Frankenstein de Shelley, Castonguay-Bélanger s'abstient, avec une application qui paraît méthodique, à éviter de faire le lien avec la science-fiction, voire de citer le nom.

Cela n'entrait pas dans son projet de recherche, mais un tel acharnement finit par relever d'un évitement qui tient de la lacune méthodologique.  L'effet, au final, est curieux, comme si deux cultures solitaires se croisaient en pleine mer, sans se voir.  Castonguay-Bélanger se justifie ainsi : « Instrument de vulgarisation, espace de légitimation, laboratoire de l'imaginaire, le roman du tournant des Lumières entretient avec la science des rapports divers, complexes et parfois contradictoires qui nous empêchent d'y voir simplement une forme précoce de science-fiction. »

Ben voyons !  S'il croit que la science-fiction n'entretient pas depuis longtemps des rapports divers, complexes et contradictoires avec la science, c'est bien qu'il en sait si peu sur la science-fiction qu'il avait sans doute raison de ne plus l'évoquer par la suite.  Il conclut son ouvrage sur cette phrase : « Retracer et interpréter ces enjeux revenait en somme à faire l'histoire d'un faux divorce entre deux champs du savoir [la science et la littérature de fiction] qui, au fond, n'ont jamais vraiment cessé de s'influencer l'un l'autre. »  Exclut-il la science-fiction de cette histoire d'influences réciproques?  Voilà un silence qui est une absence blâmable dans un tel ouvrage.

Cela dit, les trouvailles de Castonguay-Bélanger sont nombreuses, et souvent fascinantes.  J'avais noté précédemment l'application à la science-fiction d'un poème célèbre de Percy Shelley, le mari de l'autrice de Frankenstein.  Les accents virgiliens de ce passage de « Hellas » (1821) :

The world's great age begins anew,
         The golden years return,
The earth doth like a snake renew
         Her winter weeds outworn:
Heaven smiles, and faiths and empires gleam
Like wrecks of a dissolving dream.

A brighter Hellas rears its mountains
         From waves serener far;
A new Peneus rolls his fountains
      Against the morning star.
Where fairer Tempes bloom, there sleep
Young Cyclads on a sunnier deep.

A loftier Argo cleaves the main,
         Fraught with a later prize;
Another Orpheus sings again,
         And loves, and weeps, and dies.
A new Ulysses leaves once more
Calypso for his native shore.

doivent sans doute quelque chose à la traduction publiée en 1697 par John Dryden (1631-1700) de la quatrième pastorale de Virgile :

The last great age, foretold by sacred rhymes,
Renews its finish’d course; Saturnian times
Roll round again, and mighty years, begun
From their first orb, in radiant circles run.


The base degenerate iron offspring ends;
A golden progeny from heav’n descends:
O chaste Lucina, speed the mother’s pains;
And haste the glorious birth; thy own Apollo reigns!


(...)

His cradle shall with rising flowers be crown’d;
The serpent’s brood shall die: the sacred ground
Shall weeds and pois’nous plants refuse to bear,
Each common bush shall Syrian roses wear.


(...)

Yet, of old fraud, some footsteps shall remain,
The merchant still shall plough the deep for gain:
Great cities shall with walls be compassed round;
And sharpened shares shall vex the fruitful ground,
Another Typhis shall new seas explore,
Another Argos land the chiefs on th’ Iberian shore.
Another Helen other wars create,
And great Achilles urge the Trojan fate.


Je terminerai en intercalant dans cette séquence un couplet aux accents également virgiliens de Gudin de la Brenellerie trouvé par Castonguay-Bélanger dans le Journal de Paris (17 août 1783) et consacré à la gloire des premiers aéronautes qui inspiraient déjà des visions de futurs grandioses :

D'un nouvel océan, Argonautes nouveaux,
de Colomb et de Cook surpassez les travaux !
Suivez ce Montgolfier, qui, d'une main certaine,
a de la pesanteur enfin brisé la chaîne !
Partez, volez, cherchez dans les plaines d'azur
un air moins variable, un horizon plus pur.

2013-09-22

 

Chiffres ronds

Aujourd'hui, j'ai ramassé au bureau de poste un colis historique. Et aussi préhistorique. En effet, il contenait mes exemplaires d'auteur de l'anthologie Dimension Préhistoire réunie par Meddy Ligner pour la collection Rivière Blanche chez Black Coat Press.

Si l'occasion est non seulement préhistorique, mais digne de mention, c'est que la nouvelle « L'homme qui fit couler une mer » que publie l'anthologie est en fait la centième nouvelle de ma plume à être publiée.  J'exclus naturellement de ce décompte les douze nouvelles que j'ai rédigées en collaboration avec d'autres auteurs (principalement Yves Meynard).  Accessoirement, cette parution représente aussi ma deux centième publication d'une nouvelle, compte tenu cette fois des nouvelles écrites avec d'autre.

En 1984, ma première nouvelle, « Œuvre de paix », paraissait dans imagine....  Vingt-neuf ans plus tard, c'est un jalon, mais pas une borne, que je pose.  Car il y en aura d'autres.

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2013-09-21

 

Pierre Léon (1926-2013)

Le 11 septembre dernier, l'auteur, linguiste et professeur franco-ontarien Pierre Léon, est mort à l'hôpital Mount Sinai de Toronto.  Je garde un excellent souvenir de toutes nos rencontres, malheureusement trop brèves, le plus souvent dans le cadre du Salon du livre de Toronto.  Souvent souriant et enthousiaste, il appréciait presque toutes les formes de la littérature.  Sa bibliographie — qui inclut des essais, des chroniques, des romans, des nouvelles, des contes et des écrits pour les jeunes — le confirme et son livre pour jeunes Les Voleurs d'étoiles de Saint-Arbroussepoil (1982) comportait quelques éléments de science-fiction.  Si je me souviens bien, je lui avais vendu et dédicacé un exemplaire de mon premier roman, Pour des soleils froids, en 1994.

Né en 1926 à Ligré en Touraine, deux semaines après mon père, il a enseigné à la Sorbonne, à Besançon, à Pau et à Columbus (Ohio) avant d'aboutir à Toronto, où il a fait sa marque comme linguiste.  Son avis de décès paru aujourd'hui dans le Globe and Mail fait également état des occasions où il a pu enseigner à l'étranger, à Jérusalem, Tokyo, Rio de Janeiro, etc. 

Ses amis et admirateurs auront l'occasion de célébrer sa vie à l'Alliance française de Toronto le mercredi 25 septembre (24 chemin Spadina) à partir de 17 h 30.

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