2009-06-29

 

Le désert auditif de Radio-Canada

J'écoute habituellement la Première Chaîne à la radio de Radio-Canada. Mais pour combien de temps?

Un triste effet des coupures s'entend tous les jours : de plus en plus d'émissions sont rediffusées à une heure plus tardive la même journée. Et je ne parle même pas des rediffusions d'émissions comme Les Années-lumière : hier, à l'heure habituelle, on pouvait écouter de nouveau une émission entendue le 2 mars dernier. C'est un avant-goût du désert auditif que les coupures nous préparent, sans doute, pour cet automne.

Mais combien reste-t-il d'heures originales en ce moment? Je n'ai pas osé faire le calcul, mais j'ai l'impression qu'il n'y a guère plus qu'un tiers de journée, tout au plus une moitié. Par jour en moyenne, pour une semaine typique...

Dans la catégorie des bonnes idées qui se perdent, je me demande s'il ne serait pas plus intéressant de confier ces heures à des émissions produites par des étudiants, des stagiaires, voire des bénévoles? À condition de bien aménager les conventions collectives ou d'obtenir quelques assouplissements, Radio-Canada n'y perdrait sûrement pas grand-chose.

Du coup, on pourrait avoir cet été (on peut rêver) une émission entière sur la science-fiction, le fantastique et la fantasy...

Libellés : ,


2009-06-28

 

L'éthique protestante et l'esprit du privilège

La semaine dernière, un ami me demandait s'il existait dans les sciences sociales des travaux aussi durables que les résultats fournis par les sciences exactes comme la physique, où on s'appuie encore selon les cas sur des formules des XVIIe (Newton), XIXe (Maxwell) et XXe (Einstein) siècles. J'ai répondu en citant un classique des sciences sociales, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme de Max Weber, qui date de 1904-1905. Malgré les critiques, l'ouvrage demeure incontournable pour aborder les problématiques qu'il a lui-même définies.

De plus, il peut encore jeter un éclairage utile sur des phénomènes modernes, comme l'entitlement dont je parlais en rapport avec les jeunes. Toutefois, cette culture du « tout m'est dû » n'est pas exclusive aux jeunes. Au contraire, elle pourrait procéder d'un mal plus répandu. La Californie, par exemple, est une fois de plus au bord d'un gouffre financier en raison des limites placées sur sa capacité fiscale en 1978 par un vote populaire qui décréta des restrictions sur les impôts fonciers et soumit toute augmentation de l'imposition à l'approbation du public. Or, comme on l'a vu en mai, c'est difficile d'obtenir cette approbation — et les chiffres semblent indiquer un très bas taux de participation, ce qui magnifie d'autant le potentiel de blocage d'une minorité. Il est tentant de conclure que, dans un tel contexte, il est aisé pour les votants de réclamer beaucoup tout en refusant de payer. C'est une forme de la culture du « tout m'est dû ».

S'il est logique pour un contribuable de refuser une augmentation de sa contribution fiscale, la question, c'est toujours de savoir si les avantages privés qu'il retire en conservant une plus grande part de sa paie ne sont pas annulés par la dégradation de l'environnement quotidien. On se plaint de la criminalité, on s'enferme dans des enclaves hyper-protégées, on déplore la détérioration des services publics et de la propreté publique... et on ne fait jamais le lien. Cette inconscience est à la base du rapport entre « private affluence » et « public squalor » — l'augmentation de l'affluence des individus accompagnant parfois l'augmentation de l'indigence publique — dont je parlais déjà en 2006. Et la résistance à l'imposition semble renforcée par la conviction que la richesse individuelle n'entraîne aucun devoir de solidarité, même dans l'intérêt d'une amélioration de l'environnement quotidien.

C'est ce refus qui me semble participer de la culture de l'entitlement. Weber suggérait qu'en gros, la pensée calviniste avait fait du succès matériel le signe concret du salut éternel, justifiant ainsi une vie consacrée au travail et à l'accumulation concomitante de richesses. Par conséquent, contrairement à la méfiance traditionnelle qu'inspirait l'enrichissement, l'éthique protestante favorisait le développement du capitalisme moderne. (C'est cette dernière conclusion qui est le plus critiquable, car une recherche même forcenée de la richesse ne rime pas nécessairement avec capitalisme.) Ce que Weber suggérait aussi par la bande, c'est que plus les tenants de cette croyance seraient prospères, plus ils se croiraient justifiés de l'être, une aisance moyenne pouvant n'être qu'accidentelle tandis qu'une prospérité éclatante serait clairement prédestinée.

De nos jours, on pourrait se demander dans quelle mesure l'idéologie néo-conservatrice n'a pas sécularisé le calvinisme, en susurrant tout bas que la richesse est la récompense du seul travail et accomplissement individuel, mais ce que l'analyse de Weber éclaire aussi, c'est le besoin de justification. Plus les riches sont riches, plus ils sont sûrs de leur bon droit, car plus ils ont besoin d'être sûrs de leur bon droit. Toute concession ouvrirait la porte au doute. De sorte que les manifestations d'égoïsme et d'entitlement pourraient être magnifiées par l'inégalité croissante. L'inégalité nourrit psychologiquement l'inégalité.

Libellés : ,


2009-06-27

 

L'année des balises

Je n'aimais pas Michael Jackson. Pourtant, je fais partie du cœur de cible de la génération qu'il a touchée durant les années quatre-vingt. De fait, je me souviens de sa musique et de ses vidéos, de sa voix perçante, de l'énergie et de l'intensité de ses chorégraphies... mais je n'ai jamais été conquis. Ou plutôt, il n'a jamais signé une chanson qui m'ait vraiment remué.

Néanmoins, sa mort produit un choc. Je n'ai certainement pas lu tout ce qui s'est dit, mais, dans le premier flot de commentaires, j'ai rarement entendu mentionner l'assassinat de John Lennon ou le suicide de Kurt Cobain, même si les événements me semblent pareillement subits. Spontanément, on a plus souvent fait le parallèle avec la mort d'Elvis, ce qui traduit sans doute une conception non pas du décès, mais de la vie de Jackson. Grandeur et déchéance.

Mais pour tous ceux de ma génération, la mort de Jackson ajoute une balise de plus à une année riche en anniversaires qui rappellent le temps passé et des années qui correspondent à des points tournants des dernières décennies. L'actualité de 2009 fait parfois écho à ces événements... 1969 : on a marché sur la Lune et chanté à Woodstock; 1979 : l'Iran a fait la révolution, l'U.R.S.S. a envahi l'Afghanistan (mais pas pour longtemps) et le Canada a redonné le pouvoir aux Conservateurs (pour nettement moins longtemps) au moment où le prix du pétrole s'envolait; 1989 : le mur de Berlin tombe et le communisme aussi ; 1999 : Pluton redevenait la neuvième planète après avoir été la huitième pendant vingt ans... (Il faut avouer que la guerre au Kossovo à part, 1999 n'a pas été une année mémorable.)

Et si une génération est frappée par la mort de Jackson, c'est aussi parce qu'elle fait de 2009 une balise pour les années à venir, qui nous rappellera quand l'ombre de la mort a plané pour la première fois sur un vaste pan de nos jeunesses.

Libellés :


2009-06-26

 

Encore un peu d'astronomie historique

Sur une liste que je fréquente, on vient de signaler ce billet qui recense de superbes photos associant des phénomènes astronomiques à des monuments de l'Antiquité. Sinon, la même série inclut cette photo composite de tout ce qui reste de la Supernova de Tycho, observée sur Terre en 1572 dans la constellation de Cassiopée, soit une nébuleuse encore en expansion.

Et, en prime, une photo de l'Observatoire Lick en Californie, vers 1888, où on voit la lunette méridienne utilisée par les astronomes, quelque peu diminuée par les appareils qui l'entourent...(Photo de H. E. Mathews — Library of Congress, LC-USZ62-93987)

Libellés : ,


2009-06-22

 

Comment traduire Esther Rochon?

Les moments de transcendance ont besoin de tarte aux pommes.

Examinée au microscope, la prose d'Esther Rochon peut souvent paraître indécise, vague, voire maladroite... Pourtant, même si le mot juste n'est pas toujours au rendez-vous, cette imprécision même contribue au trait le plus particulier et le plus original de ses fictions : l'évocation de profondeurs tapies sous les pieds des personnages et l'indication de mystères en plus, qui s'ajoutent aux surprises de l'intrigue, qui se laissent deviner mais qui restent toujours à exhumer, que l'on relise un texte dix ou vingt fois...

Du coup, il faut repenser le caractère apparemment ordinaire de l'écriture rochonienne. Et si la banalité était au service de l'extraordinaire? Les réticences, repentirs et hésitations de sa prose font partie d'un rapport global au réel qui passe aussi par les sujets de conversation et les menus incidents de la vie quotidienne. De sorte que lorsque l'intrigue déborde soudain de ce cadre pour offrir un moment de transcendance, celui-ci est mis sur le même pied et traité sur le même ton que la dégustation d'une tarte aux pommes et au caramel, acquérant ainsi d'emblée la même crédibilité que cette tarte aux pommes. L'abolition de toute tension entre la dimension merveilleuse de l'événement et les autres péripéties oblige presque le lecteur à accepter le merveilleux sans barguigner et, l'ayant accepté, à en digérer toute la saveur.

Dans une nouvelle comme « L'épine de cerf », l'approximation, l'imprécision, le flou des mots et des tournures accouche d'un espace incertain ouvert à plus d'une interprétation. Le mystère naît dans l'obscurité et ces choix stylistiques créent une marge où l'imagination peut se glisser, déteignant sur les autres descriptions, même les plus directes, en suggérant la présence d'ombres là où il n'y aurait peut-être pas lieu d'en percevoir. Ceci faisait aussi partie de l'art du chiaroscuro si je me souviens bien.

Même si je n'avais jamais discuté avec Esther Rochon de son écriture, j'aurais certainement soupçonné la présence dans cette nouvelle d'une allégorie. Bien que la nouvelle soit inscrite dans notre monde contemporain (de par la présence d'ordinateurs et d'internet, par exemple), certains détails laissent supposer que l'écrivaine a une autre époque en tête, quand une jeune fille de Montréal s'installant à Québec afin de s'adonner à des expériences artistiques pouvait passer pour particulièrement hardie, voire rebelle.

L'allégorie alimente aussi le mystère, car plus un texte donne l'impression de s'expliquer par le renvoi à un autre récit, plus il semble incomplet, sinon incohérent. L'allégorie plaque une fiction sur la surface d'une réalité sous-jacente et elle crée alors quelque chose comme un masque mortuaire, qui est façonné par le visage du défunt tout en le cachant à notre vue.

Mais si l'imprécision et l'allégorie sont les moteurs du mystère dans la fiction rochonienne, comment peut-on traduire un texte de Rochon si le traducteur n'a pas accès à la réalité qui nourrit l'allégorie et s'il doit composer avec une prose à laquelle le flou artistique confère une consistance élastique, en quelque sorte, puisque l'approximation verbale estompe la nature exacte de l'idée (si tant est qu'il y en avait une) à l'origine d'une image?

C'est la question à laquelle j'ai tenté de répondre en abordant la traduction de ce texte. Si je suis parvenu à relever le défi, le résultat paraîtra dans On Spec. Sinon...

On verra bien. Traduire du français à l'anglais est un art difficile pour un francophone. Quand je dois me lancer dans une traduction littéraire alors que je n'ai pas écrit en anglais depuis longtemps, je m'assure aussi de lire en anglais. Ainsi, pour compléter cette traduction, j'aurai aussi lu en même temps Air de Geoff Ryman, In and Down d'Alexander Brett Savory et Living Room d'Allan Weiss. Et j'ai aussi fait jouer de la musique en anglais. De vieux succès : Leonard Cohen, ABBA, la trame musicale du film Forrest Gump, Enya... Mais l'immersion linguistique ne suffit pas à résoudre les dilemmes habituels du traducteur, en particulier quand il doit gérer un texte dont le titre même est un jeu de mots trans-linguistique, et qu'il doit choisir entre une traduction littérale et une adaptation du texte à son nouveau public...

Libellés : ,


2009-06-17

 

Pour les autres historiens de l'astronomie qui me lisent...

En fait, je ne suis plus très actif comme historien de l'astronomie, mais cela ne m'empêche pas de continuer à m'intéresser au sujet. De temps à autre, je tombe sur des sites ou références dignes d'attention.

Par exemple, on peut consulter en-ligne une version préliminaire d'un article de Jacques Crovisier sur l'astronomie et les astronomes dans les ouvrages de Jules Verne. Le blogue de Guy Boistel, historien français de l'astronomie, fourmille d'informations et de liens qui valent le détour, y compris ce petit dessin humoristique qui m'a fait ricaner (Christian comprendra).

Il existe de nombreux autres sites, comme ce site généraliste au service de la Commission 41 sur l'histoire de l'astronomie de l'UAI ou ce répertoire de liens de l'AAS. Par exemple, si on désire calculer des éphémérides selon le modèle cinématique de l'Almageste, on peut le faire grâce à cette page de Robert Harry van Gent. De même, si on s'intéresse à l'astronomie des Anciens, on trouvera utile cette page de Dennis Duke avec ses animations des modèles planétaires de l'Antiquité. Craig Sean McConnell offre des modèles planétaires qui vont de l'Antiquité jusqu'à la Renaissance. Un autre grand travailleur n'est nul autre que Dennis Rawlins, dont la revue DIO s'intéresse aussi à l'astronomie de l'Antiquité. L'ancienne astronomie japonaise est explorée (littéralement) par ce site. En revanche, William Tobin est le biographe de Léon Foucault (1819-1868).

Et puisqu'on parle de Galilée cette année, il ne faudrait pas négliger son célèbre procès. Quant à la question de l'invention du télescope, il faut se pencher sur le cas de Juan Roget...

Libellés : ,


2009-06-16

 

La science-fiction dans le New York Times

Aujourd'hui, un blogue du New York Times signale un blogue du Guardian qui chante les louanges de l'inventivité langagière de la science-fiction et affirme sans ambages : « If you measure the health of literature by its impact on language, than there's no genre in better condition than SF ».

Le journaliste du Guardian s'étonne de l'influence de la science-fiction sur le vocabulaire de l'anglais usuel du XXIe s., mais il a sans doute encore plus raison de se poser des questions sur la stérilité langagière de la littérature générale. Car, la science-fiction n'est pas la seule source de nouveaux mots et de nouvelles expressions; le journalisme et les médias de masse (internet inclus) continuent à engendrer ou adopter de nouvelles locutions (« going postal », « anorak » au sens d'otaku ou de « wonk », « agony aunt », par exemple). Mais si la littérature générale n'est plus une source, cela confirmerait un soupçon répandu chez les fans de sf, qui sont depuis longtemps convaincus que la littérature générale n'est plus en prise sur le monde actuel.

De ce point de vue, les linguistes québécois (comme Jean-Claude Guédon, accoucheur du néologisme « courriel ») mériteraient d'être des auteurs de science-fiction. Par contre, la culture en France rechigne depuis longtemps à une telle inventivité, ce qui pourrait expliquer tout à la fois ses réticences face à la science-fiction et ses timidités en matière d'innovation technologique.

2009-06-15

 

La science-fiction dans L'Actualité

Le fait est assez rare pour qu'il mérite d'être signalé : la revue généraliste L'Actualité consacre un dossier à la science-fiction. Plusieurs acteurs de la SFCF, dont Élisabeth Vonarburg, Philippe-Aubert Côté et moi-même, ont été contactés par la journaliste, Louise Gendron, et nous sommes cités dans l'article. Sylvain Martel, dont j'ai déjà parlé pour ses exploits nanotechnologiques, joue le sceptique de service en ce qui concerne l'influence de la science-fiction sur la science. Il n'a pas entièrement tort, car je continue à considérer que la science-fiction est moins une source première d'idées qu'une chambre de résonnance pour des idées souvent apparues ailleurs.

J'ai épluché l'ensemble du dossier, constitué d'un article de Gendron et d'une entrevue avec Julie Czerneda, ainsi que de listes de lecture en science-fiction et d'un tirage de deux laissez-passer gratuits pour Anticipation, disponibles sur le site internet de la revue. Et je ne trouve rien à redire. C'est du beau travail, qui se montre compréhensif pour la science-fiction et qu'aucun fan ne désavouerait, je crois. Avec un peu de chance, il attirera quelques inscrits de plus au congrès mondial Anticipation, qui est mentionné dès la première page.

Libellés :


2009-06-14

 

La SFCF dans The New York Review of Science Fiction

Dans le numéro de mai du New York Review of Science Fiction (Numéro 249, Vol. 21#9), Amy Ransom signe un survol de la SFCF, profitant de la tenue du congrès mondial de science-fiction, Anticipation, à Montréal. En tant qu'observatrice désintéressée, elle vante et défend la SFCF comme je ne pourrais pas le faire moi-même dans la mesure où je suis partie prenante... En plus d'offrir un survol très rapide la production récente, elle inclut une bibliographie des livres et des nouvelles de SFCF disponibles en anglais. Une excellente initiative qui permettra peut-être aux lecteurs anglo-américains de découvrir que plusieurs anthologies (les volumes de la série des Tesseracts) et romans sont encore disponibles dans le commerce — ou de faire leurs emplettes sur place à Anticipation.

Je me dois de noter cependant quelques coquilles dont l'origine n'est pas claire. Par exemple, les congrès Boréal fêtent leur trentième anniversaire cette année, et non le treizième, mais Amy le savait certainement puisqu'elle les inscrit dans une liste de dates en ordre décroissant à l'endroit correspondant à trente ans d'histoire boréalienne... Par contre, quand elle écrit que les anthologies Aurores boréales 1 (réunie par Norbert Spehner) et Les Années-lumière (réunie par Jean-Marc Gouanvic) sont sorties il y a seize ans, et non vingt-six ans, elle insère cette mention à l'endroit correspondant à la date fautive. Quelques-uns des détails bibliographiques auraient aussi besoin d'être révisés : par exemple, c'est Michèle, et non Michelle, Laframboise, tandis que Natasha Beaulieu a signé « Ève-Marie », et non « Marie-Ève », dans Tesseracts7.

Mais bon, pourquoi se plaindre si ça nous rajeunit?

Libellés : , ,


2009-06-12

 

Un péché originel encore radioactif

Le choix du gouvernement Harper de se retirer de la production d'isotopes médicaux n'est sans doute pas très risqué sur le plan politique. Pourtant, de se faire dire que les ingénieurs canadiens sont maintenant incapables de reproduire ce que leurs prédécesseurs ont pourtant su réaliser, cela donne le frisson. N'est-ce pas ainsi que les décadences commencent?

Toutefois, depuis le temps que les écologistes font preuve d'une aversion essentiellement irraisonnée pour tout ce qui est nucléaire, le grand public s'est laissé convaincre que tout ce qui est radioactif présente des dangers particulièrement aigus. Cela s'est vu chaque fois que la NASA a voulu lancer des sondes dotés d'un générateur thermoélectrique à radioisotope : l'opposition des écolos a été stridente alors que les risques d'une fuite véritablement dangereuse étaient infimes. L'ironie, c'est les souhaits des écolos pourraient être exaucés tout simplement faute de combustible pour alimenter les générateurs de futures missions spatiales.

Il faut savoir que, depuis 1993, tout le plutonium-238 employé dans les générateurs des sondes spatiales de la NASA était d'origine russo-soviétique. Or, les réserves s'épuisent, parce qu'aucun pays n'en fabrique plus. Même si l'isotope n'a aucune espèce d'utilité militaire, il était autrefois produit en même temps que des isotopes destinés aux arsenaux nucléaires des grandes puissances. Depuis la fin de la course aux armements, personne n'a voulu dépenser les sommes requises pour une production limitée de plutonium-238. Produire de nouveaux isotopes radioactifs n'est pas une idée politiquement populaire ou gagnante.

Pourtant, la demi-vie de 88 ans du plutonium-238, la nature relativement inoffensive de ses émissions radioactives, la quantité de chaleur générée par unité de masse et de volume, la stabilité chimique, la résistance mécanique et la résistance à la corrosion ou à la dissolution font de cet isotope un atout unique et irremplaçable. Quand il n'y en aura plus, il faudra faire une croix sur les missions spatiales destinées à explorer les confins du système solaire. D'ailleurs, selon ce rapport publié par la National Academies Press, la NASA a déjà dû rayer de ses listes des missions moins prioritaires, faute d'assurances quant à la disponibilité d'une provision garantie de radioisotopes.

D'où vient cette réticence occidentale à s'occuper sérieusement de tout ce qui est nucléaire? Sans doute du péché originel de la science atomique : son application première à la construction des bombes nucléaires qui ont détruit Hiroshima et Nagasaki.

Libellés : , ,


2009-06-11

 

Une politique désindustrielle

La philosophie de l'administration Harper en ce qui concerne la recherche scientifique et le développement technique du Canada devient de plus en plus claire : s'en passer.

J'ai déjà fait remarquer que, même pour sauver le Canada des effets de la récession, le budget Flaherty de cette année refusait d'envisager des possibilités plus ambitieuses que de nouvelles autoroutes. Et c'est sans parler du traitement réservé à la recherche scientifique, qui a subi des coupures et des coups de pouce douloureux pour exiger toujours plus d'applications et toujours moins d'investigations fondamentales. Ce matin, on annonçait que le gouvernement Harper comptait retirer le Canada de la production d'isotopes médicaux; la controverse hystérique provoquée par les propos de la ministre Raitt faisait pourtant passer cette nouvelle en second, et la sortie du bilan trimestriel du gouvernement Harper achevait de l'enfoncer...

Pourtant, c'est un autre symptôme d'une attitude généralisée chez les Conservateurs : faire confiance au privé pour s'occuper du futur et tout faire pour que le gouvernement du pays n'ait plus son mot à sur l'avenir collectif des Canadiens. On sauvera donc une industrie sclérosée (l'automobile version Détroit-Windsor) et on fera l'aumône à une industrie potentiellement durable (la foresterie). Mais quand il s'agit d'assurer un contrôle canadien d'une industrie de pointe, que ce soit en matière de satellites de télédétection comme Radarsat-2 ou en téléphonie, le premier réflexe des Conservateurs de Harper, c'est de s'en laver les mains. Le pays peut se désindustrialiser de fond en comble, ce ne sera pas grave tant qu'il restera possible d'exporter du pétrole de l'Alberta...

Libellés : ,


2009-06-10

 

Les Jardins Finnerty


À l'instar d'Hugo, qui offre parfois des photos en prime après la fin de son voyage, j'ai eu envie d'offrir quelques photos que je n'avais pas pu caser ailleurs. Je les ai prises dimanche matin dans les Jardins Finnerty aux portes du campus de l'Université de Victoria. Les jardins sont ouverts au public, mais les visiteurs sont responsables de bien refermer les portes grillagées pour empêcher la visite d'indésirables, selon la pancarte accrochée bien en vue : il s'agit de protéger les jardins des déprédations des lapins de l'université ou des cerfs du voisinage — que je n'ai jamais entrevus. Les massifs fleuris et variés m'ont rappelé un peu ceux du Jardin botanique de Montréal, mais les Jardins Finnerty sont moins grands. Ils sont parcourus par un sentier savamment tracé pour faire perdre de vue leur taille véritable aux visiteurs. Grâce aux boucles et détours du chemin, on a vraiment l'impression de parcourir un vaste terrain combinant de nombreuses plates-bandes, quelques pièces d'eau, des arbres et arbustes rares, des pelouses et même un petit boisé. Chaque saison, chaque semaine, chaque jour correspond à un moment dans le cycle de la vie végétale, du bourgeonnement à l'épanouissement des fleurs, à la chute des pétales qui jonchent dans la photo ci-dessous une pelouse soigneusement entretenue.Le bambou que j'avais repéré en train de pousser à l'état sauvage le long du sentier des Cinque Terre, près de Corniglia en Italie, je l'ai retrouvé dans ces jardins, ombrageant un petit étang. Du coup, on a vraiment l'impression de se trouver dans une enclave tropicale distincte de tout le reste du Canada... Malgré les portes grillagées, je suis aussi tombé sur un lapin à l'intérieur des limites du jardin. J'espère que les jardiniers réussiront à l'attraper... À l'autre bout du jardin, j'ai pris cette photo d'un autre étang. Étang? Mais oui, il faut regarder de près pour voir qu'il s'agit d'un reflet dans cette mare témoignant du grand calme de l'air matinal. Plus loin, le sentier ménageait un aperçu sur le boisé au cœur des jardins, créant l'illusion trompeuse de l'orée d'une grande forêt pluviale de la Colombie-Britannique... Enfin, le sentier m'a ramené à mon point de départ.De cette visite matinale, je garderai un souvenir fleuri...

Libellés : ,


2009-06-09

 

Passages

La pluie bat le pavé, la pluie lave la rue
et noyant les années, la pluie emporte tout;
Comme la faux du temps, elle balaie d'un coup
la vie la plus brillante et l'amour le plus cru.

Plus le jour avance, plus la pluie tombe dru,
tous nos baisers et bonheurs courant à l'égout :
les chagrins, les enfants, les crimes, les bons coups,
tout ce qui hier vécut et ce matin mourut.

Qui repêchera son bien dans ces débris
désormais emmêlés dans le froid friselis
d'eau de pluie qui coule comme un long flot de larmes ?

Qui osera, sous le ciel gris et les gouttes,
se dresser contre la dissolution, sans armes
pour défendre sans espoir les gains de ses joutes ?

Libellés :


2009-06-08

 

Le chemin du retour

Entre deux avions, à Toronto, en train de croquer un sandwich face à la baie vitrée qui surplombe les avions et les pistes, je me demande pourquoi les ports et les aéroports manquent singulièrement de beauté. De pittoresque, non, encore que les aéroports modernes ne sont guère pittoresques non plus. Surtout que l'époque des aéroports construits avec un certain souci de recherche architecturale est presque révolue. Tempelhof a fermé. Le Terminal 8 de l'aéroport J. F. Kennedy de New York a été démoli et le Terminal 5 est en rénovation depuis 2005. Mais Orly Sud demeure.

Ailleurs, sauf exception, on se contente d'engager des architectes au salaire minimal qui donnent ce qu'ils peuvent, c'est-à-dire les aérogares utilitaires comme à Toronto, Montréal ou Nice. (Évidemment, l'audace ne paie pas toujours...) Cela dit, les ports conservent un certain cachet, même les plus modernes, que ce soit grâce au gigantisme de leurs installations ou tout simplement parce qu'on sent la mer, les embruns, le vent venu de loin, quand on se promène sur les quais. Les aérogares sont devenues des espaces fermés qui interposent des murs et des cloisons de verre entre les voyageurs et le grand air; ce ne sont plus que les petits aéroports qui donnent accès aux pistes, comme lorsque j'avais pris cette photo en arrivant à Victoria...

Libellés : ,


2009-06-07

 

Chez Lex Luthor

Je ne l'avais pas prévu, mais j'ai rendu visite aujourd'hui à Lex Luthor — et aussi au professeur Xavier et à ses X-Men. En effet, sur le chemin du Pacifique, je me suis arrêté à l'université Royal Roads (anciennement un collège militaire) dont l'édifice le plus ancien est Hatley Castle, construit en 1906-1908 par James Dunsmuir, dont la famille dominait l'économie de la Colombie-Britannique à l'époque. Si je me souviens bien, c'est l'académie des X-Men (dans les deuxième et troisième films) qu'on découvre d'un côté du manoir dans la photo ci-dessous...Et, de l'autre côté, c'est le manoir des Luthor dans la série Smallville qui apparaît quand on fait le tour et qu'on prend la photo ci-dessous... Le campus de l'université actuelle compte une lagune, des pavillons historiques remontant à la Seconde Guerre mondiale et plusieurs jardins. Il est cerné par des bois qui abrite une vie sauvage pas si farouche. Ainsi, au détour d'un chemin, j'ai surpris ce jeune cerf en train de brouter...Il y avait aussi un paon, qui a obstinément refusé de faire la roue. Quand j'ai repris la route, ce fut pour me rendre avec mon cousin jusqu'à French Beach, petit parc provincial sur la côte ouest de l'île de Vancouver. La baie était moins escarpée que dans le parc des Cinque Terre, mais je la voyais au niveau de la mer, ce qui change la perspective. Dans cette baie, le littoral alterne des grèves rocailleuses, des plages sablonneuses et des bordures rocheuses à peu près impassables à marée haute.Ce n'est pas encore tout à fait l'océan Pacifique, mais cela se rapproche nettement plus de la puissance sauvage et indomptée de la mer que dans les anses et les baies tranquilles qui entourent Victoria — sans parler des berges domestiquées de Vancouver. Par conséquent, comme je l'ai déjà fait à quelques occasions, j'ai pris une photo de mon sac bleu sur la grève de galets au bord du détroit de Juan de Fuca, pas trop loin du véritable océan. Le soleil se coucherait bientôt et un vent frais soufflait. Les vagues n'étaient pas fortes, mais les rouleaux moutonnants assaillaient la côte sans se lasser.Je me suis aussi trempé les pieds dans cette eau glaciale, qui représentera cette année la borne extrême (probablement) de mes voyages et de ma course vers le couchant.

Libellés : ,


2009-06-06

 

Le potentiel des espaces post-naturels

La première session du matin porte sur l'environnement et les jeunes. Charlotte Amanda Hagood analyse les écrits de Rachel Carson et se penche sur Horton Hears A Who! du Docteur Seuss. L'écologiste Mike Vandeman intervient ensuite pour offrir une critique de l'ouvrage de Richard Louv, Last Child in the Woods: Saving Our Children from Nature-Deficit Disorder. Il souligne qu'en réclamant que les jeunes passent plus de temps en pleine « nature », on ne se demande pas si la nature (les forêts, les milieux naturels et leurs créatures) réclament pour leur part une plus grande présence humaine (on fait, on voit mal lesquels auraient besoin de visiteurs humains, à part les maringouins...). Et il pose la question de savoir quelles activités seraient les plus propices à favoriser une sympathie des jeunes pour l'environnement en général. Louv cite la chasse, la pêche, la construction de forts, le ranching... ce qui semblerait plutôt inculquer aux jeunes une attitude propice à l'exploitation de la nature. Louv recommande que les jeunes emportent leurs téléphones portables dans les bois, ce qui indigne Vandeman, pour qui il n'y a rien de moins favorable à la communion avec la nature. Mais c'est peut-être parce qu'une génération plus âgée les associe encore à la vie en ville et à la civilisation technologique au lieu de les tenir pour acquis de la même façon que Vandeman accepterait peut-être d'avoir une montre avec lui...

Mary Gove et Catherine D. Ross-Stroud prennent ensuite la relève pour discuter des ouvrages pour les jeunes lecteurs et de l'environnement bâti où les jeunes vivent. Gove fournit une liste de titres, mais elle n'avait pas apporté suffisamment d'exemplaires pour tout le monde. J'ai donc dû m'en passer, mais la liste incluait The Lorax du Docteur Seuss et The Giving Tree de Shel Silverstein. Comme enseignante, Gove espère inculquer à ces élèves une culture critique au moyen de ces livres afin de les aider à établir des liens entre leurs propres vies et les grandes questions de l'heure. Quant à Ross-Stroud, elle rappelle l'influence de Le Corbusier sur l'urbanisme moderne en notant que l'ensemble des éléments de sa conception d'une « machine à habiter » a souvent été oublié par les architectes qui s'en sont tenus à dresser de grandes barres et des logements sociaux massifs privés des environnements verdoyants voulus par Le Corbusier — et par d'autres architectes français avant lui, en fait, comme Auguste Perret. Or, Ross-Stroud relève que les effets de ces environnements urbains austères, dénudés, bétonnés et carrément brutaux n'apparaissent pas souvent dans les romans qui s'intéressent aux jeunes défavorisés des banlieues et des complexes de logements sociaux, alors que ces choix architecturaux coupent les jeunes habitants des barres de leur environnement urbain.

Enfin, William Stroup rappelle la création de notre conception moderne de l'enfance vers la fin du XVIIIe s. (par Rousseau, etc.) en citant des poètes romantiques (Wordsworth, etc.) qui témoignent de la transition. Il note au passage que l'enfance de ce temps ne manquait pas de contacts avec la nature, au contraire, car la maladie, les intempéries et les mauvaises récoltes jouaient un rôle bien plus grand dans les vies de tous...

La discussion a porté entre autres sur les comportements des jeunes quand ils découvrent la nature. Quelques personnes ont rappelé que les jeunes garçons d'autrefois ne devenaient pas automatiquement des amis de la nature quand ils couraient par monts et par vaux : ils chassaient, ils pêchaient et certains s'amusaient à embrocher des grenouilles sur un bâton, voire à en écorcher vives. Ce qui m'a rappelé que le soir précédent, les filles de mon cousin parlaient d'amis de l'école qui avaient piégé un des lapins de l'Université de Victoria, l'avaient tué, l'avaient fait cuire et l'avaient mangé. Comme j'ai vu certains lapins manger dans la main de visiteurs, attraper un des lapins universitaires n'est pas exactement une grande prouesse. Du coup, on se demande s'il ne vaut pas mieux encadrer les rapports des jeunes à la nature en les initiant aux rituels de la pêche ou de la chasse plutôt que de les laisser s'en prendre à des bêtes à demi apprivoisées pour le plaisir de transgresser les règles? La seconde session de la matinée commence avec une communication un peu chaotique de Lee Rozelle, de l'Université de Montevallo en Alabama — un établissement dont je n'avais jamais entendu parler. Il nous propose d'accepter que le monde n'est pas sur le point de prendre fin, ce qui va effectivement un peu à contre-courant dans un tel congrès. Et il suggère d'attaquer le problème des espaces post-naturels au moyen de l'inventaire des trois phases de la maturation adolescente selon Turner : la séparation du sujet de son groupe d'appartenance ; la phase de liminalité durant laquelle le sujet vit un brouillage des catégories et des frontières habituelles à l'écart du groupe ; la phase de (ré)intégration qui voit le sujet rejoindre la communauté en accédant à un nouveau statut. Rozelle utilise l'exemple du roman Underground de Don DeLillo, qui met en scène des espaces blancs qui sont les dépotoirs, les accumulations de déchets, les sites d'enfouissement, les lieux de traitement et d'épuration, dans la mesure où ces lieux sont effacés de notre conscience collective, au point de devenir invisibles. Pour les réintégrer et admettre leur existence, il faut s'occuper de nos déchets, en les recyclant tout en éliminant les sites devenus inutiles, si j'ai bien compris... Du coup, ces lieux aussi symboliquement post-naturels que sont les dépotoirs accèdent à notre conscience collective.

Stephanie LeMenager offrait ensuite une communication sur le pic pétrolier et la pétromodernité. En pratique, elle a commencé par recommander la BD Fashion 2012 de Mark Herbst qui explore les réactions possibles à la fin d'un mode de vie (capitaliste et consumériste) qui n'est pas la fin du monde. Selon elle, cet ouvrage illustre l'affectivité qu'il faudrait pouvoir associer aux modes de vie moins consuméristes pour avoir une chance, comme société, de survivre à la fin de la pétromodernité. Prenant le cas du roman Oil (1927) d'Upton Sinclair (qui a inspiré le film There Will Be Blood), LeMenager souligne à point même un auteur hostile à l'industrie pétrolière se voit forcé de reconnaître des attraits à l'automobile. De fait, le pétrole bénéficie de tout un univers médiatique dont les représentations enchevêtrées (réclames, suppléments dans les journaux, etc.) valorisent la voiture et la consommation d'essence. Et la vie en automobile n'est pas seulement caractérisée par la vitesse et la liberté de mouvement de l'automobiliste : on ne peut nier que les routes qui sillonnent l'Amérique du Nord ont donné aux automobilistes un accès (potentiel) sans précédent à la nature du continent. Enfin, LeMenager admet que le pétrole est associé de par sa nature physique, noire et visqueuse, aux plaisirs du corps le plus souvent jugés inférieurs (sexe, défécation, etc.), ce qui s'ajoute aux autres facteurs pour faire du pétrole une source d'énergie irrésistiblement séduisante parce que sa séduction opère à plusieurs niveaux.

L'intervention de Lance Newman porte ensuite sur les origines de la nature en ville, qu'il associe aux Transcendantalistes étatsuniens comme Thoreau. Plus précisément, il fait remonter la tradition culturelle de la cité verte à Margaret Fuller (qui signait en 1843 l'essai proto-éco-féministe « The Great Lawsuit » ) et aux écrits sur New York de Lydia Maria Child, qui remontent aux mêmes années. Child critique le chaos et la saleté de New York, tout en notant l'existence malgré tout de « sunny spots of greenery » (concrets ou figurés) et en souhaitant en voir beaucoup plus. Ainsi, le Central Park d'Olmstead aurait répondu à ces critiques en prolongeant l'aspiration à la verdure en ville, mais en renonçant aux petits parcs de quartier dont les réformateurs comme Child auraient rêvé. Les commentaires subséquents font remarquer que Central Park a déplacé une importante communauté noire (Seneca Village) et que la tradition du film noir participe sans doute du complexe médiatique favorable à l'automobilité dans la mesure où la vie en ville est dénigrée comme sale et dangereuse, au profit des nouvelles banlieues pavillonnaires.

Je suis descendu en ville pour manger à midi avec des amis et collègues de SF Canada et Lyngarde, de sorte que j'ai raté la plénière avec Andrew Revkin. Mais il se trouvait dans la salle quand je suis arrivé pour les deux dernières communications de la journée, dans le cadre d'une session sur les catastrophes, et ce qui suivra peut-être. Corey Lee Lewis a lu des extraits d'un livre sur lequel il travaille, où il tient pour inévitable l'effondrement massif de notre culture actuelle. Au passage, il renvoie au livre de John Michael Greer, The Long Descent, pour expliciter sa conception du déclin comme non pas une apocalypse mais un effondrement catabolique — en français, voir ce bulletin (.PDF) sur le sujet — ponctué de chocs et de plateaux, mais toujours à la baisse. (Le catabolisme étant l'ensemble des réactions de dégradations moléculaires, on comprend qu'un effondrement catabolique est fait d'une série de dégradations successives de l'état premier.) Pour Lewis, il faut se résigner au déclin, et même y participer, si je puis dire. Non pas qu'il faille aider à la dégradation de la société, mais qu'il serait futile de combattre un phénomène de fond. Par conséquent, Lewis préconise une réduction de notre consommation (pour amortir les chocs) et un retour à la production locale (le biorégionalisme), susceptible de préparer l'avenir. Mais il est conscient du risque de se faire piéger par le paradoxe de Cassandre : si on croit aux avertissements prophétiques de Cassandre, on agit en s'exposant à les rendre nuls et non avenus; mais si on refuse d'y croire, ses prédictions risquent de se réaliser. Ce qui voudrait dire que plus on prédit l'effondrement, moins il est sûr?

Enfin, l'écrivain Gerald Gabriel nous a lu des extraits de son nouveau livre, New Land, qui semble relever d'une forme de fantastique ou de réalisme magique.

Les commentaires qui ont suivi ont posé la question du contrôle que Lewis prône : ne réitère-t-il pas nos tentatives de contrôler le monde naturel — des tentatives qui nous ont bien mal servis, en définitive? En fait, Lewis souligne qu'il propose que l'humanité apprenne à se contrôler elle-même au lieu de contrôler la nature.

Ce qui n'est pas un mauvais mot de la fin.

Libellés : ,


2009-06-05

 

Voir de haut

La première session du jour porte sur les tentatives de créer et d'opérer des cours interdisciplinaires en équipe. En clair, des profs de langue et de littérature qui ont essayé de collaborer avec des profs issus d'autres départements ou facultés sont venus témoigner de leurs expériences, pas toujours heureuses. Franchement, je n'en ai pas retenu grand-chose, hormis quelques plans de cours que j'étudierai plus tard à loisir, car certains des problèmes rapportés relèvent de l'expérience strictement humaine des heurts possibles entre deux personnalités, dans des situations institutionnellement contraignantes... Néanmoins, je note deux ou trois bonnes suggestions de lectures; l'idée de juger l'enseignement sur les seuls résultats afin d'harmoniser les philosophies divergentes de domaines aussi distincts que les arts et les sciences; et que l'approche dialogique résultant de la présence de deux profs en classe qui ne s'entendent pas toujours est susceptible de plaire aux étudiants. Relativement aux réticences des étudiants en science ou en génie à se faire dire comment écrire par des profs de langue, sous prétexte de la trop grande spécialisation de leur domaine, un des panélistes leur a cité les critères des demandes de subvention de la NSF qui veut des textes « understandable to a scientifically or technically literate lay reader ». Et vlan!

Comme sujet de la discussion, l'interdisciplinarité a inspiré quelques commentaires additionnels. La session avait emprunté son titre à un essai posthume de Stephen Jay Gould, The Hedgehog, the Fox, and the Magister's Pox, précisément sur le sujet des deux cultures. On a invoqué Homi K. Bhabha, pour qui elle ne peut que susciter une crise chez les disciplines rapprochées par cette approche. On a cité l'Association for Integrative Studies, spécialisée dans le domaine, ainsi que la nouvelle Association for Environmental Studies and Sciences, qui veut soutenir les études interdisciplinaires de l'environnement. Et on nous a recommandé l'essai « Lise Meitner's Walking Shoes » de Rebecca Solnit (dans Savage Dreams) pour son écriture interdisciplinaire par excellence.

La seconde session du matin était prometteuse, car je m'intéresse par la force des choses à la culture étatsunienne du XIXe s. et ses rapports avec la technologie, c'est-à-dire avec son idéologie des moyens et des fins. Paul Outka devait aborder le posthumain au XIXe s., mais, en définitive, il s'appuie sur la théorie du posthumanisme de Katherine Hayles (dans How We Became Posthuman) afin de proposer une énième relecture de Walt Whitman. Pour Hayles, la posthumanité consisterait en un divorce du corps réel et du corps représenté, divorce accompli par les technologies de l'information et des communications. Chez Whitman, Outka retrouve un divorce semblable entre l'individu de chair et l'individu poétisé, mais c'est un divorce accompli par le mécanisme du fiat verbal du poète. Dans la mesure où l'humain moderne conçu par le libéralisme des Lumières est volontiers réduit à sa pure volonté et intelligence, au mépris du corps et des contingences matérielles, que Whitman chante l'individu incarné réinjecte de la chair dans le circuit et la tension résultante donne naissance à un cyborg... C'est une grille de lecture potentiellement intéressante, même si Outka m'a semblé insister plus que de raison pour la retrouver dans une description emblématique de l'herbe par Whitman. Qualifiée par ce dernier de « uniform hieroglyphic », l'herbe doit-elle être comprise comme une écriture qui est aussi une réalité physique? Ce qui apporterait de l'eau au moulin d'Outka... Ou cette expression fait-elle de l'herbe un phénomène inintelligible et impénétrable, qui est pareillement illisible pour tous? Auquel cas la dichotomie recherchée par Outka se dissout et lui fuit entre les doigts...

***

Cela dit, l'analyse que propose Hayles du test de Turing, dont j'ai déjà parlé quelquefois, ne m'a pas convaincu. Elle voudrait débusquer dans l'article de Turing sur son jeu de l'imitation le désir de mettre en lumière la corporalité de la pensée, dont les spécificités dépendraient du corps dont elle émane : « embodiment makes clear that thought is a much broader cognitive function depending for its specificities on the embodied form enacting it ». Pour Hayles, ce choix de Turing rouvre la question de l'indépendance de la pensée par rapport au corps : « By including gender, Turing implied that renegotiating the boundary between human and machine would (...) necessarily bring into question other characteristics of the liberal subject, for it made the crucial move of distinguishing between the enacted body, present in the flesh on one side of the computer screen, and the represented body ». Or, si l'individu idéal du libéralisme est doté du libre arbitre et d'une parfaite liberté de pensée, celle-ci ne peut pas être contrainte par les spécificités (sexuelles, etc.) du corps de l'individu en question. Comme Turing croit qu'au bout de cinquante ans de progrès, le juge du jeu de l'imitation se tromperait au moins 30% du temps sur la nature du joueur de l'autre côté de l'écran, il considère de toute évidence que l'intelligence d'une machine sera démontrée à l'instar de celle d'une personne, homme ou femme, capable d'endosser l'identité de l'autre si elle peut donner le change plutôt fréquemment, en définitive. C'est la base du test : « Will the interrogator decide wrongly as often when the game is played like this as he does when the game is played between a man and a woman? ». Et elle implique que l'intelligence doit pouvoir transcender sa corporalité plus souvent qu'à son tour.

Encore que... Le chiffre fourni par Turing comme seuil n'est pas dénué d'intérêt. Pour changer, considérons le jeu de l'imitation de manière probabiliste. À première vue, il existe deux résultats possibles : le juge décide qu'une machine est humaine ou il décide (correctement) qu'elle ne l'est pas. Mais il existe en fait quatre interprétations possibles. Dans le cas d'un échec de la bonne identification, c'est soit la machine qui a bien menti, soit le juge qui a mal interprété les indices à sa disposition. Dans le premier cas, l'intelligence artificielle a transcendé son corps : l'intelligence n'est pas asservie par sa corporalité. Dans le second cas, on ne peut rien conclure formellement du manque de perception du juge. Cet aveuglement laisse entendre, à la rigueur, que son intelligence spéficiquement humaine n'a pas été en mesure de déjouer une intelligence spécifiquement machinique... mais je n'y tiens pas. Examinons ensuite les deux interprétations d'une identification réussie. Dans le premier cas, si la machine a mal menti, ce serait parce que son intelligence n'a pu transcender sa matérialité. Dans le second cas, si le juge a bien deviné, ce serait aussi parce qu'il a été sensible à quelque chose d'irréductiblement machinique chez le joueur, de sorte que la corporalité gouverne l'intelligence, en fin de compte.

Le simple hasard permettrait de croire à l'habileté de la machine menteuse, et donc à l'indépendance de l'intelligence par rapport au corps, une fois sur quatre : 25% du temps... De même, une fois sur quatre, il faudrait incriminer la bêtise du juge. En réclamant un échec au moins 30% du temps, je me demande si Turing ne tenait pas à éliminer toute possibilité qu'on puisse blâmer uniquement les insuffisances du juge.

***

Mais revenons à cette seconde session. La seconde communication, par Ian Finseth, portait sur la rêrie, dont celle d'Henry James devant les dynamos de l'Exposition universelle de Paris en 1900. Pour Finseth, chez James comme chez Melville, la rêverie serait un moyen d'échapper à la culture machinique, voire au culte de la machine. La rêverie s'opposerait, de par sa vivacité et sa non-linéarité, à l'essence du machinisme : l'obstination et la linéarité. Finseth cite Maryanne Wolf, qui a signé Proust and the Squid, pour conclure que la lenteur nécessaire à la lecture fonde une absorption et une assimilation de vérités qui est incompatible avec la rêverie... À dire vrai, je n'ai rien noté d'autre, peut-être parce que je cognais des clous ou que je ne suivais plus. J'ai failli demander s'il avait lu La Poétique de la rêverie de Bachelard, qui cite, il me semble, quelques auteurs étatsuniens du XIXe s., mais je n'en ai pas vu l'utilité.

Enfin, Erica Hannickel s'est intéressé à la fiction de Charles Chesnutt (1858-1932), l'auteur entre autres de Conjure Woman. Elle a commencé par rappeler l'existence d'une véritable industrie viticole dans le Midwest au XIXe s., qui devait beaucoup à Nicholas Longworth et à sa promotion d'un vin purement étatsunien, produit avec les cépages de la variété Catawba. Selon Hannickel, Longworth serait le modèle d'un personnage dans la fiction de Chesnutt, tout comme ce dernier se serait servi de l'ouvrage de Peter Mead sur la culture de la vigne aux États-Unis, ouvrage dont la discussion de l'hybridation des cépages la rejette en des termes d'un racisme assez transparent, qui renvoie aux convictions de Longworth lui-même sur la nécessaire pureté du vin étatsunien d'origine locale... Ce qui soulève la question des intentions de Chesnutt, mulâtre lui-même, quand il trahit ainsi ses sources : dans quelle mesure cherchait-il à incriminer tout un système?

***

L'après-midi, les congressistes avaient congé. Je me suis inscrit pour une excursion au parc Goldstream afin de grimper le mont Finlayson, qui culmine à 419 m. Ce n'est pas très élevé, mais on part essentiellement du niveau de la mer et la montée se fait presque verticalement quand on aborde la montagne par la face ouest. Malgré une dénivellation moindre que pour le tour du Courradour, j'ai trouvé la fin de l'escalade assez brutale, merci. Et, pour toute récompense, le sommet offrait une vue imprenable non seulement sur la mer embrumée et la ville de Victoria mais avant tout sur le complexe immobilier de Bear Mountain que l'on voit ci-dessous, avec ses hôtels, ses condos et ses terrains de golf... Pour la balade en pleine nature, c'était un peu raté.Cela dit, le retour par la piste en pente douce sur l'autre versant m'a permis de traverser des bois nettement plus rieurs, caractérisés par une vie végétale luxuriante. La mousse et l'usnée poussaient en abondance, comme on le voit dans cette photo de quelques fûts tapissés de vert.Ou encore, dans cette illustration d'un arbre qui n'a pas abandonné même après avoir été étêté par quelque intempérie...

Libellés : , ,


2009-06-04

 

Comment traiter de la fin du monde

La matinée m'a permis de compléter ma présentation et l'après-midi m'a servi à la donner. Après, la seconde session de l'après-midi était remplacée par un lancement de livres collectif (je n'ai acheté en fin de compte qu'un recueil de poèmes, A Strange Relief, par la poète franco-ontarienne Sonnet L'Abbé). J'avais déjà fait le tour de la salle de ventes précédemment, retenant l'existence d'une revue écologiste en-ligne qui publie des articles et des fictions, Terrain. J'en ai surtout profité pour bavarder avec EW et, après, pour nouer connaissance avec SGH de l'Université du Wisconsin.

J'ai partagé ma session avec deux communications aussi différentes qu'intéressantes. Mais comme je n'ai pas pris de notes, je ne peux pas en dire grand-chose. D'une part, John Joseph Morrell a souligné que la trilogie de Kim Stanley Robinson sur le réchauffement climatique (Forty Signs of Rain, Fifty Degrees Below, Sixty Days and Counting) s'intéressait surtout, en fin de compte, aux modèles politiques qui permettraient de s'attaquer à un tel problème. D'autre part, Hans-Georg Erney a recensé de nombreux ouvrages qui, dans la culture populaire, prévoient la fin du monde en faisant intervenir non seulement les changements climatiques mais aussi des invasions extraterrestres, des impacts de comète, etc. Sans parler des séries documentaires télévisées que l'ouvrage The World Without Us d'Alan Weisman a plus ou moins inspirées. Erney épingle une certaine mode qui explique pourquoi je conserve un certain scepticisme de base face aux prédictions les plus apocalyptiques des écologistes... sauf qu'il faut bien tenter de faire le tri entre ce que permet de croire la recherche scientifique et ce qui n'est que spéculatif.

Quant à moi, j'ai plaidé pour de nouveaux moyens de dramatiser les conséquences du réchauffement climatique. Les scénarios apocalyptiques ne font plus peur, en partie parce qu'ils ne correspondent pas aux prévisions actuelles des scientifiques qui tablent sur des changements nettement moins rapides, en partie parce que l'exagération est souvent trop sensible et en partie parce qu'ils se confondent avec d'autres scénarios (pic pétrolier, guerre nucléaire). Et l'argumentation moralisante des écologistes est loin de rejoindre tout le monde; l'égoïsme blindé des riches y sera toujours imperméable. Je suis donc parti d'un constat : étonnamment, la science-fiction traite assez peu du réchauffement climatique. Certes, j'aurais pu parler du roman La Saison de la colère de Claude Ecken, que je suis en train de lire, mais je n'étais pas encore sûr de la place qu'y prendrait le réchauffement climatique. En revanche, l'appendice fournit quelques suggestions de lecture dans le domaine de la science-fiction concernée par les changements climatiques. La liste commence avec AquaTM de Jean-Marc Ligny, inclut la trilogie de Kim Stanley Robinson, n'oublie pas Bleue comme une orange de Norman Spinrad et propose plusieurs autres auteurs : Andrevon pour Le Monde enfin, Ayerdhal pour Demain, une oasis, John Barnes pour Mother of Storms (1994), David Brin pour Earth (1990), Robert Silverberg pour Hot Sky at Midnight (1994) et Bruce Sterling pour Heavy Weather (1994). La conjonction des dates dans le cas des romans étatsuniens est assez frappante, rappelant une première montée d'inquiétude qui avait conduit aux accords de Kyoto. Néanmoins, la liste reste courte. Même si elle s'est allongée au fil des ans, je reste frappé par le petit nombre d'ouvrages à traiter d'un futur qui semble aussi certain, si la tendance se maintient, que n'importe quel autre futur abordé par la science-fiction. Les prédictions liées au réchauffement climatique sont aussi solides que n'importe quelle autre prévision actuelle, et nettement plus que d'autres (la Singularité, disons). Elles accouchent de cartes remarquablement précises et concrètes qui dessinent les contours, par exemple, des régimes de précipitation d'ici la fin du siècle. Autrefois, la science géologique et paléontologique permettait de dessiner les cartes de la Terre d'antan, en remontant à des millions d'années dans le passé. Si la science se croit aujourd'hui capable de se projeter à un siècle ou deux dans l'avenir, est-ce moins croyable?

Et j'ai aussi montré mes petites cartes topographiques de villes canadiennes assiégées par les eaux avant de parler du Groenland, non plus comme origine d'une montée des océans, mais comme lieu en soi, révélé par la fonte des glaces comme une terre neuve, la première depuis longtemps à la surface de notre planète. Pourquoi se rendre sur Mars? D'ici quatre ou quarante siècles, on pourra fouler un sol qu'aucun humain n'a jamais foulé puisque la formation de l'inlandsis du Groenland remonterait à deux millions d'années au moins, bien avant l'évolution d'Homo sapiens sapiens...

Libellés : , ,


2009-06-03

 

Des idées, des suggestions et des rencontres

La première session de la journée aura peut-être été la meilleure, grâce surtout à la prestation de Richard Kerridge qui a fait ressortir avec beaucoup de finesse toutes les implications d'un poème de Ruth Padel sur le réchauffement climatique et la conjonction contradictoire de l'angoisse et de l'inaction. Citant au passage Ursula Heise pour Sense of place and sense of planet, Kerridge a su faire ressortir toutes les nuances d'un poème qui confine au petit matin, avant l'affrontement des réalités quotidiennes, les inquiétudes d'une femme face au réchauffement de la planète.

Pour sa part, Jeanne Hemming devait parler des identités masculines et féminines à l'enjeu dans les romans de Michael Crichton et Kim Stanley Robinson ; faute de temps, elle s'en est tenu au seul sujet de Crichton, qu'il est beaucoup plus facile d'analyser en ces termes. Dans State of Fear, la masculinité de l'homme étatsunien est assimilée au rejet de l'environnementalisme et de la fausse menace du réchauffement climatique : l'identité nationale forcément masculine est inséparable de la souveraineté du pays, voire de sa suprématie politique à l'échelle mondiale. De sorte que le souci de l'environnement est par défaut féminin, et conséquemment inférieur. Pour sauver l'environnement, il faudrait le masculiniser ou en faire un enjeu de la sécurité nationale des États-Unis. À en juger par les discours d'Obama, ce dernier est conscient du dilemme et a opté pour la seconde solution. N'empêche qu'on se demande si la tendance à suspecter des conspirations visant à assujettir les hommes des États-Unis à des gouvernements étrangers n'a pas été aggravée par la stagnation des revenus depuis quarante ans, qui aurait fait le lit d'une insécurité larvée tout à fait prête à chercher un bouc émissaire...

La dernière communication du matin a été le fait du jeune Justin Lerberg, qui a plaidé pour le rôle des nouvelles technologiques numériques comme moyen de révéler les réalités du monde non-humain et aussi de mobiliser les énergies populaires. Contrairement à une impression répandue, la connaissance de la culture de l'image serait suffisamment développée pour qu'il soit possible d'interpréter les images de manière à comprendre ce qu'elles représentent et recouvrent. Ainsi, s'il ne faudrait pas espérer des nouvelles technologies de l'information qu'elles aident à sauver la planète, elles permettraient à tout le moins de mieux l'appréhender dans son entièreté — et elles rendraient l'interface entre les mondes virtuel et matériel accessible à tous. Bref, tant que le réchauffement climatique restera une question ouverte, il y aura une place pour les interventions des profanes et de nouvelles formes de mobilisation au moyen d'internet. Par la suite, Lerberg a cité le mouvement Power Shift 2009, qui se sert d'un vidéo sur YouTube pour inviter les jeunes à Washington, ainsi que le site Green For All associé à Van Jones, désormais compté au nombre des conseillers de la Maison Blanche. N'empêche que je n'ai pas été le seul dans la pièce à songer tout de suite que le réchauffement climatique, en tant que question restant à trancher, attirait aussi en-ligne les négationnistes et les hurluberlus.

En après-midi, j'ai assisté à une série de courtes communications, en principe sur la nature dans l'imaginaire européen. Ainsi, deux Canadiennes, Audrey O'Brien et Stephanie Posthumus, ont parlé des auteurs français J. M. G. Le Clézio (un Prix Nobel natif de Nice) et Michel Houellebecq respectivement. O'Brien a tenté de comprendre si les ouvrages de Le Clézio étaient en mesure de changer le monde tandis que Posthumus a conclu que Houellebecq cache mal qu'il croie encore que la littérature peut changer les gens, sinon le monde. Au passage, Posthumus égratigne le milieu intellectuel français qui, à la suite de Luc Ferry dans Le Nouvel Ordre écologique, assimile l'écologisme à un anti-humanisme et ignore presque complètement l'écocritique. Dans la méfiance qu'il témoigne envers la nature, Houellebecq serait typique de l'attitude française (malgré ses études en agronomie) et La Possibilité d'une île hésite à accorder au réel ou au naturel autre chose qu'un rôle d'intermède salutaire mais bref.

Deux Finlandais, Maria Laakso et Toni Juhani Lahtinen, ont ensuite évoqué des classiques de la littérature finlandaise qui font d'enclaves naturelles (une île, une forêt, un lac) des refuges salvateurs qui peuvent devenir des acteurs à part entière de l'histoire dans les ouvrages de Jansson ou l'épopée des sept frères de Kivi. Autre refuge européen, une forêt là-haut dans la montagne pour Adalbert Stifter dans son roman de 1841 ou 1842, Der Hochwald. Connu et respecté pour sa description des paysages, Stifter peut se comparer à Thoreau et, selon Eva Sattelmayor, son roman fait de la forêt une présence presque incarnée dans sa prose.

Elspeth Whitney est venue ensuite nous mettre en garde contre la tentation de réduire tout le Moyen Âge aux valeurs du christianisme, et le christianisme aux interprétations de Lynn White, pour qui le christianisme avait autorisé l'exploitation de la nature. Whitney note qu'ailleurs dans ses écrits, White tenait cette exploitation de la nature pour positive et libératrice, en fait, de sorte qu'il faudrait se montrer prudent en faisant de White un écologiste. Dans la mesure où, selon lui, le monachisme médiéval avait aussi fondé le capitalisme, la valorisation du travail et la croyance au progrès, il est aussi devenu une référence d'ouvrages plus récents (The Victory of Reason: How Christianity Led to Freedom, Capitalism, and Western Success, de Rodney Stark) et encore plus simplistes, divorçant d'autant plus l'humanité de la nature. Enfin, de manière très brève, Nigel Rothfels a évoqué une tentative allemande de colonisation de la Nouvelle-Guinée vers la fin du XIXe s. et les représentations de son échec en Europe.

En fin de journée, j'ai assisté à une session branchée sur la science-fiction. Hilary Hawley a parlé d'Oryx and Crake de Margaret Atwood, y voyant un ouvrage féministe où le personnage de Jimmy/Snowman tente de rendre à la nouvelle humanité un respect de la nature, des croyances, des rituels et une valorisation des histoires qui seraient privilégiés par l'écoféminisme. Ensuite, Andrea Campbell a examiné la trilogie Xenogenesis d'Octavia Butler pour son brouillage des frontières entre les extraterrestres, les humains et la nature, de sorte que la nature ne sert plus à fonder les distinctions entre les catégories familières aux humains de la trilogie. Enfin, Jennifer Wheat nous a offert un survol de plusieurs romans post-apocalyptiques, depuis Earth Abides de Stewart (1949) jusqu'à The Stone Gods de Jeannette Winterson (2008) et World Made by Hand de James Kunstler (2008), afin de cerner leurs visions du retour aux idéaux pastoraux.

Libellés : ,


2009-06-02

 

La course au soleil

Toujours plus à l'ouest, disait l'autre... Depuis Gênes au bord de la Méditerranée, dimanche matin, je n'ai cessé de voyager dans la direction du couchant pour arriver aujourd'hui au bord du Pacifique, à Victoria. Ainsi, retour matinal à l'aéroport Trudeau de Montréal et départ vers la Colombie-Britannique en deux étapes, moyennant une escale à Edmonton. Du coup, je peux débarquer en début d'après-midi (heure locale) à l'aéroport de Victoria, qui est encore plus intime que celui de Nice. À l'horizon (dans la photo ci-dessous) une montagne surplombe les hangars et les pistes de l'aérodrome, tandis qu'en quittant l'avion de WestJet, on descend sur le tarmac pour entrer à pied dans l'aérogare... Si je suis à Victoria, ce n'est pas exactement dans le but de faire du tourisme comme en Italie, même s'il fait nettement plus chaud qu'à Montréal et presque autant qu'au bord de la Méditerranée. En fait, je prends part à un colloque biennial de l'ASLE, l'association pour l'étude de la littérature et de l'environnement, une rencontre de thèmes qui me tient à cœur mais que, jusqu'à cette année, je ne savais pas attirer en soi l'attention de spécialistes. Le thème particulier du colloque, c'est le temps îlien... puisque Victoria se trouve sur l'île de Vancouver et que le colloque est accueilli par l'Université de Victoria, dont les pelouses sont envahies de lapins comme celui que j'ai pris en photo dans le cliché ci-contre. Est-ce une manière de contrôler la pousse du gazon? Il paraît que non et qu'on se dispute ferme dans la communauté universitaire quant à savoir ce qu'il faut faire des nombreux lapins qui se délecte de l'herbe sûrement plus savante que folle qui croît sur le terrain de l'université.

Libellés : ,


2009-06-01

 

Aussi ridicule au retour...

La connection entre l'aéroport Trudeau de Montréal et la ville est aussi ridicule au retour de voyage qu'à l'aller.

Comparons... À Nice, j'ai pris un des nouveaux tramways (électriques, spacieux, vaguement climatisés) au terme d'une attente de quatre minutes (le délai étant annoncé sur un panneau à chaque arrêt) pour aboutir devant la gare centrale de la ville, dont part un autobus direct qui dessert les deux aérogares de l'aéroport. Attente de quelques minutes encore, en bonne compagnie, de sorte que je n'ai pas vu le temps passer. Le trajet est rapide, sans grande attente et particulièrement effficace, de porte à porte.

À Montréal, il faut attendre à l'aéroport (bien plus de cinq minutes) que passe le 204 pour franchir le petit kilomètre jusqu'à la gare Dorval. Nouvelle attente pour prendre le 211 qui nous débarque au métro Lionel-Groulx. Nouvelle attente pour le métro, puis une nouvelle attente pour attraper l'autobus qui me dépose devant chez moi. J'aurais pu marcher au lieu de prendre cet autobus final, mais je tenais à mesurer la lenteur du processus jusqu'au bout. Et j'ai vu.

Libellés : ,


This page is powered by Blogger. Isn't yours?