2006-02-24

 

Iconographie de la SFCF (5)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; et (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ».

S'il existe un milieu constitué de la science-fiction canadienne d'expression française (SFCF), il ne remonte vraiment qu'à 1974. C'est la date de la parution du premier numéro du fanzine Requiem, qui allait devenir la revue Solaris. C'est la date de la parution du premier roman d'Esther Rochon, En hommage aux araignées; Rochon allait participer plus tard à la fondation d'imagine..., la seconde revue d'importance dans l'histoire de la SF d'ici, et signer plusieurs ouvrages marquants. L'année est d'ailleurs fertile en parutions relevant de la science-fiction, et il faudra y revenir. Mais la création de Requiem va créer un pôle d'attraction pour les amateurs et les créateurs de SF au Québec et dans tout le Canada francophone. Cependant, il est possible de faire remonter la science-fiction moderne au Québec à 1960 environ. C'est à compter de 1960 que la science-fiction s'impose, et d'une manière consciente de ses spécificités. Elle est présente dans les « pulps» québécois, c'est-à-dire ces fascicules hebdomadaires offerts à la vente pour servir en pâture des histoires policières, des histoires d'espionnage (dont les aventures du célèbre IXE-13 de Pierre Daigneault), des histoires d'amour, etc. La science-fiction fait aussi son entrée dans la littérature pour jeunes, encore clairsemée, et elle va inspirer de nouvelles initiatives dans la suite de la décennie des années 1960...

Parmi ces initiatives, il faut compter les séries créées par la maison d'édition Lidec pour les jeunes lecteurs. J'ai déjà fait allusion à la série « Unipax » de Maurice Gagnon, qui mettait en scène une organisation secrète vouée à la cause de la paix. Si l'attirail technique reflétait les expériences de Gagnon dans la Marine canadienne, le contexte et les intrigues choisies s'inspiraient plutôt de la vogue des institutions internationales (comme l'ONU) après la Seconde Guerre mondiale et de la popularité des histoires d'espionnage à la télévision. Pour ne pas se sentir lié par l'actualité, Gagnon avait projeté assez loin dans l'avenir le cadre de ses romans, même si, en pratique, ce futur lointain se démarquait assez peu du contexte des années 1960... En revanche, dans la série « Volpek » d'Yves Thériault (mieux connu pour autre chose), l'inspiration est beaucoup plus locale puisque Volpek, désigné comme « l'agent secret canadien » sur la couverture du troisième volume et des suivants, est un digne successeur d'IXE-13. Et le futur retenu est beaucoup moins éloigné : l'action se passe en 1975 ou un peu après.

Pourquoi s'intéresser à ces petits romans pour jeunes? D'abord, parce qu'ils ont exercé une influence durable, en partie relayée par un auteur comme Daniel Sernine. En effet, l'organisation Argus de Sernine n'est pas sans avoir quelques points de ressemblance avec Unipax... Et si on se tourne vers les aventures de Volpek, le lecteur observera rapidement que, dans le premier volume, La Montagne creuse (1965), les ressorts de l'intrigue ressemblent fort à ceux du roman Chronoreg de Sernine. Une base secrète ennemie au Labrador, un agent secret canadien, une menace nucléaire, l'utilisation de sous-marins par l'ennemi... Le traitement est fort différent, mais l'influence ne semble pas douteuse.

Si l'extrapolation peut sembler modeste dans la série de Thériault, c'est pourtant ce qui fait des aventures de Volpek de la science-fiction relativement étoffée pour son époque. L'auteur se soucie de la vraisemblance de ce qu'il décrit et il signe un appendice qui explique (et justifie)certains éléments de son intrigue. On notera qu'il croit à la possibilité d'un téléstylo, appareil « trans-récepteur audio-visuel de la grosseur d'un stylo», en 1975. (Il n'avait que trente ans d'avance environ sur les téléphones portables actuels avec caméra intégrée...) Il est également optimiste en ce qui concerne le pistolet-laser : « Cette documentation datée 1965 autorise donc à prévoir pour 1975, un pistolet-laser foudroyant. » Le reste du dossier se cantonne dans la vulgarisation de bon aloi et Thériault montre souvent qu'il est branché sur l'actualité de son temps. Ainsi, la base au Labrador est creusée avec l'aide de bombes atomiques, ce qui correspondait à certains projets du programme Atoms for Peace lancé à la fin des années 1950. Dans Le secret de Mufjarti (1965), il est question de substances cancérigènes — le DDT n'est pas mentionné, car Rachel Carson venait tout juste de faire sortir Silent Spring — et le dossier de Thériault fait état des découvertes récentes en ce qui concerne l'effet cancérigène de la cigarette... Dans Les dauphins de Monsieur Yu (1966), Thériault fait écho aux recherches récentes sur l'intelligence des dauphins — et sur les tentatives de certains militaires de se servir d'eux. Encore une fois, ce savant asiatique qui modifie des animaux pourrait rappeler le personnage éponyme de la nouvelle « Les amis de monsieur Soon » de Sernine.

Les trois premières couvertures de la série restent assez fidèles au registre habituel des histoires d'espionnage. L'illustration de La Montagne creuse peut sembler relativement futuriste, mais l'artiste se borne à représenter un « avion-jet de grande performance », tel que mentionné dans le texte. Or, les avions de chasse à réaction commençaient à essayer les ailes en delta depuis quelques années, comme dans le cas du mythique bombardier canadien Avro Arrow. Par contre, dans les quatrième et cinquième volumes de la série, Thériault opte pour de la science-fiction franche. Du coup, l'artiste André L'Archevêque doit relever un défi différent. Pour Le Château des petits hommes verts (1966), il doit représenter des personnages qui pourraient être les premiers petits hommes verts de l'édition canadienne-française! C'est ce qu'on voit dans l'illustration de droite.

Le père d'André L'Archevêque, Eugène L'Archevêque, avait été le propriétaire du journal humoristique Le Bavard, lancé en novembre 1940. À cet organe de presse et de soutien du maire Camilien Houde avaient succédé une série d'entreprises. En janvier 1941, Eugène publie un premier fascicule vendu au prix modique de 5 cents l'unité. Il sera ensuite au cœur de l'activité éditoriale de ces pulps québécois et il fera appel à son fils plus d'une fois pour l'illustration de couvertures.

André L'Archevêque n'en est donc pas à ses premières armes en la matière. D'où le calme de ses compositions, sans doute. Il ne ressent tout simplement pas le besoin de crier sur tous les toits qu'il illustre un ouvrage de science-fiction. Toutefois, pour illustrer Le dernier rayon (1966), L'Archevêque s'en tient à des explorateurs de l'espace engoncés dans des scaphandres relativement classiques. (On peut les comparer à ceux de Destination Lune.) Le roman correspond à un changement de cap assez soudain dans le parcours de Thériault — ou de Volpek si on veut. À la fin du Château des petits hommes verts, les secrets obtenus des extraterrestres contactés par Volpek ont permis aux humains d'acquérir les principes du vol interstellaire. Mais quand débute Le dernier rayon, il n'est plus question pour Volpek de se balader dans le vaisseau interstellaire MARSTAK 1X et de filer « dans l'orbite d'attraction d'une super-nova située à quarante millions d'années de lumière de la Terre.» Il se met plutôt à chercher un moyen d'atteindre des destinations beaucoup plus modestes, pas nécessairement plus loin que l'orbite terrestre.

Le moyen de propulsion est inusité. Il est question de l'aide apportée par un canon au véhicule spatial de Volpek; ceci pourrait refléter la rumeur des expériences menées par Gerald Bull pour construire des canons gigantesques, capables de propulser des satellites en orbite ou des obus à des centaines de kilomètres de là. L'ensemble de ces couvertures se distingue par la maturité des traits et le travail sur les couleurs. Mais la présence de la science-fiction dans ces illustrations est réduite et c'est surtout la qualité des tableaux qui assurait un degré de vraisemblance rejaillissant sur la science-fiction.

Comments:
Bonjour

Je ne sais pas si ça peut vous intéresser : je suis la nièce d'André L'Archevêque. Nous sommes en train de faire un catalogue raisonné de ses œuvres.
Si vous avez des documents qu'on pourrait scanner, on apprécierait.
Il ne peint plus mais se porte très bien.
Pour me joindre : madod@videotron.ca
 
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