2007-02-13

 

Iconographie de la SFCF (14)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; et (13) une boule de feu historique.

L'horreur est un drôle de nom pour un genre littéraire quand on y pense. C'est comme si on avait appelé la science-fiction l'étonnement et la fantasy le ravissement. Autrement dit, le trait distinctif de l'horreur n'est pas un rapport à la réalité comme dans le cas de la fantasy, la littérature de la rêverie et de l'imagination, ou le jeu avec la connaissance comme dans le cas de la science-fiction. Non, il s'agit clairement d'une réaction, d'une émotion forte suscitée par la lecture. Du coup, l'horreur peut se nicher partout. Le compte de dépenses de la lieutenante-gouverneure du Québec ou de l'armée des États-Unis en Irak frappera d'horreur un comptable. La vue d'un VUS (avec chauffeur parlant dans un cellulaire) fera frémir un écolo. Et un kirpan incitera André Drouin à demander qu'on décrète l'état d'urgence au Québec.

De même, en littérature, l'horreur peut naître du récit d'un fait divers parfaitement véridique comme elle peut être sécrétée par la fiction, qu'elle relève du surnaturel ou non. Et les deux se nourrissent mutuellement. Le roman Les Racines du mal de Dantec doit beaucoup de sa force à la description des forfaits de meurtriers en série semblables à ceux qu'évoquent les médias. Ainsi, l'horreur inclut des ouvrages fantastiques tout comme elle inclut des ouvrages parfaitement réalistes. Au Canada francophone, il existe certes quelques ouvrages sur l'horreur, mais il n'existe à ma connaissance aucune histoire un tant soit peu développée du genre. Les débuts de l'horreur se confondent avec le conte fantastique québécois du XIXe s., qui compte son lot d'histoire de revenants et de transformations monstrueuses. Le thème du loup-garou est déjà connu et exploité, entre autres par Honoré Beaugrand (1848-1906), dont la nouvelle « The Werwolves » (1898) aurait inspiré (lointainement) le film The Werewolf (1913), réalisé par le Canadien Henry MacRae qui allait aussi porter à l'écran les premiers Flash Gordon.

Au Québec, l'horreur littéraire connaît une nouvelle vie avec l'essor de la littérature en fascicules essentiellement née en 1941. Dès le début, la mise en marché de ces pulps québécois va miser sur l'attrait angoissant de l'horrifique. Et, dès le début, ce sont des auteurs ayant touché à la science-fiction qui sont présents dans ce nouveau créneau. Ainsi, Emmanuel Desrosiers (qui a maintenant droit à sa rue à La Prairie) est l'auteur des aventures du détective Johnny Steel, qui confinent à l'horreur dans l'épisode du 8 avril 1941, intitulé Le monstre de Gravenstein. En mars 1941, Alexandre Huot, auteur de L'impératrice de l'Ungava (1927), se met à signer les aventures d'un détective rival, Albert Brien, dans le périodique Le Bavard d'Adjutor Ménard. Celles-ci sont ensuite reprises sous la forme de fascicules distincts, publiés par « A. Huot, B.A. » et imprimés par les frères Antonio et Edgar Lespérance. C'est une de ces aventures d'Albert Brien dont je reproduis ici la couverture. Le fascicule semble dater de 1944 et il est assorti de la recommandation suivante : « Le lecteur est prié de ne pas détruire le papier de ce fascicule, mais de le conserver. C'est une arme de guerre. » Le titre et la couverture de ce « roman d'aventure et de détective » encouragent à croire à quelque récit horrifique et surnaturel, mais c'est parfaitement trompeur. La fille du diable en question n'est autre que Rosette, la femme d'Albert Brien, qui infiltre une bande de criminels qui lui ont décerné ce surnom improbable. (On se demande si le récit a été écrit après qu'on ait trouvé le titre...)

Le mécanisme est assez semblable dans une des livraisons des Aventures extraordinaires de Phantasma, Détective Privé. Cette série publiée par Les Éditions Populaires (tombée sous le contrôle d'Antonio Lespérance en 1949) doit-elle quelque chose au personnage du Phantom? Les liens de parenté entre ce héros de la BD étatsunienne créé en 1936 et le détective canadien Phantasma sont loin d'être évidents, mais ce nom de Phantasma semble bien indiquer une intention de s'acoquiner avec l'horreur et le fantastique. Quoi qu'il en soit, un dénommé Charles Plantagenet signe un épisode intitulé Le Spectre justicier. Encore une fois, malgré le titre et malgré l'illustration de couverture, le surnaturel n'est qu'illusoire. Le spectre en question est celui d'une jeune fille que le détective Phantasma fait passer pour morte. Mais cela permet à l'auteur de signer une scène qui voit celle-ci incarner une revenante qui accuse son meurtrier :

— Dieu ! implora Mme Millette, protège-moi!... un esprit!... un véritable esprit.
— L'esprit de celle que vous avez noyée dans le fleuve... misérables assassins d'enfants ! Je viens vous annoncer votre mort prochaine.
Et lentement, bien lentement, le fantôme s'avança vers les criminels. Le bandit montréalais, qui avait si souvent bravé la police de la métropole, se jeta la face contre terre en s'écriant:
— Grâce, grâce ! Je jure de ne jamais plus assassiner ni voler personne.
— Trop tard! Il te faut maintenant expier tes fautes. Je vais te toucher de ma froide main de noyée et tu t'en iras en poussière, misérable tueur!
Un petit bras, qui paraissait tout décharné sous les rayons lunaires, s'étendit vers lui et...
Un instant après, Clément sentit, sur sa tempe, le froid canon d'un revolver, tandis qu'une voix toute différente lui criait :
— Ne bouge pas gredin, ou je fais feu! Je suis Phantasma et j'arrête ici ta vie criminelle.

La neuvième aventure de Phantasma nous transporte loin des berges du Saint-Laurent puisque l'action se déplace en Saskatchewan. Le nom de l'auteur de l'épisode Le flambeau du spectre n'est pas donné, mais l'épisode suivant, L'Assassinée du souterrain, est attribué à Charles Plantagenet et les deux sont étroitement liés, de sorte qu'il est logique de croire que c'est Plantagenet qui signe également le premier volet, usant d'un pseudonyme ou non. Encore une fois, il est question de spectre. Un personnage s'est aventuré dans un repaire sous terre lorsqu'il aperçoit « avec une épouvante indicible, dans le fond de ce sinistre souterrain, une main spectrale qui tenait un flambeau ! ». C'est ce que représente évidemment l'illustration de couverture, mais cette fois l'explication ne nous est pas donnée immédiatement. Par contre, elle est assez explicitement promise au lecteur (et partiellement dévoilée) dans les lignes qui terminent l'épisode :

Hélas! s'il avait su, le malheureux PHANTASMA, les horribles découvertes qu'il allait faire en visitant la ville souterraine!
S'il avait pu prévoir les dangers sans nombre que lui et ses deux lieutenants courraient dans l'affaire de L'ASSASSINEE DU SOUTERRAIN, il eût sûrement pris certaines précautions extraordinaires...
S'il avait su de surcroît, que les trois frères Labrie, finiraient par s'évader, il ne se fût pas cru si en sûreté dans ces sortes de catacombes diaboliques, où Red Devil avait été remplacé par la plus monstrueuse bande de criminels de tous les temps! Que n'aurait-il pas fait pour être sûr de mettre un frein aux vols et aux assassinats sans nombre perpétrés par ces bandits toujours sans peur, mais jamais sans reproches!
Qu'on ne manque pas de lire notre prochain récit : L'ASSASSINEE DU SOUTERRAIN, que nous conseillons aux personnes cardiaques ou nerveuses de ne pas acheter...
Les autres se sentiront sans doute passer des frissons sur le corps en lisant ces horribles aventures, les plus terribles jamais vécues par un détective sur cette planète!
Jamais on ne pourra s'imaginer, avant d'avoir lu cet extraordinaire fascicule, les horreurs sans nom que découvrit PHANTASMA, en même temps que le cadavre de L'ASSASSINEE DU SOUTERRAIN, une jeune femme blonde d'une merveilleuse beauté, allongée sans vie avec l'apparence du sommeil, près d'un lit à colonnes et à baldaquin d'une richesse inouïe...
Un autre que PHANTASMA fut devenu fou de terreur à la vue des invraisemblables scènes d'outre-tombe qu'avaient préparées les astucieux bandits comme arme de protection de leur repaire, contre un ou des intrus éventuels.
B R R R R !

L'industrie des fascicules allait continuer à tourner pendant près de vingt-cinq ans. Cependant, on connaît relativement peu de séries carrément horrifiques après 1950. Outre la série des aventures de Phantasma, il faut sans doute classer dans la même catégorie Les Drames du Grand Guignol aux Éditions du Bavard (qui utilise aussi le titre La fille du diable, avec une couverture différente) et les deux séries des aventures de Rapax, dont j'inclus ici une réclame parue au revers du Flambeau du spectre. J'ai pu lire quelques épisodes des Aventures diaboliques de Rapax 2 et l'horreur y est présente sous des formes encore frappantes aujourd'hui. Pourtant, le genre horrifique est évacué de la littérature en fascicules après 1950 environ, du moins comme atout principal d'une série. La censure cléricale a-t-elle découragé les éditeurs et imprimeurs de toucher à un genre considéré comme frisant le satanisme? Ou l'horreur ne faisait-elle tout simplement pas recette? La recherche nous le dira peut-être un jour.

Par la suite, on repère assez peu d'ouvrages carrément horrifiques. Certains auteurs ont pu pratiquer une forme plus littéraire de l'horreur, dans La Belle Bête (1959) de Marie-Claire Blais, par exemple. On pourrait également citer quelques romans épars, plus outrancier ou sanguignolent que la moyenne, comme Le scalpel ininterrompu (1962) de Ronald Després (un roman qui a été revendiqué comme acadien, franco-ontarien et québécois tout à la fois!). Il serait sans doute également possible de citer quelques textes d'Yves Thériault, dont sa célèbre nouvelle « Le sac» (1944), quelques nouvelles de Michel Tremblay dans Contes pour buveurs attardés (1966), Jos Carbone (1967) de Jacques Benoit ou encore Les Enfants du sabbat (1975) d'Anne Hébert. Dans de nombreux cas, cependant, les auteurs sont loin de s'attarder sur les moments les plus palpitants ou de gérer consciemment la montée de la terreur. On peut également citer dans cette même veine le roman de Claude Mac Duff, La Mort... de toutes façons (1979). Les morts à répétition n'inspirent pas nécessairement l'horreur, mais la maquette de la couverture par Jean Provencher utilise le noir pour rattacher le livre aux genres plus glauques, voire plus sombres. Vers 1980, toutefois, Daniel Sernine est nettement plus conscient de s'inscrire dans une tradition horrifique quand il signe certains des textes qui seront réunis dans Les contes de l'ombre (1979) ou Quand vient la nuit (1983).

Dans le contexte de la vogue mondiale de l'horreur de cette nouvelle décennie, plusieurs auteurs canadiens s'essaient à l'écriture de récits horrifiques en français. Des nouvelles ouvertement horrifiques paraissent dans Solaris ou dans les autres revues littéraires, comme Stop ou XYZ. Les éditions Le Palindrome font paraître un ouvrage collectif en 1989, L'horreur est humaine — onze récits d'angoisse, d'épouvante et d'humour noir. La même année paraît une incursion dans le genre de Jean-François Somain, La nuit du chien-loup, aux Éditions Pierre-Tisseyre. Mais un roman de Somain, même lorsqu'il met en scène la violence et la bestialité, perd rarement un minimum de tendresse pour ses personnages. Du coup, c'est le choix de la couverture par Sylvain Bellemare qui fait beaucoup pour rattacher l'ouvrage au genre, en particulier le choix d'une dominante noire, comme dans le cas du roman de Claude Mac Duff. L'horreur en français s'installe pour de bon dans le paysage littéraire canadien durant les années suivantes. On peut signaler par exemple le lancement de fanzines comme Fenêtre secrète sur Stephen King (1995), publié par Hugues Morin jusqu'en 1999, et Horrifique (1993), encore publié de nos jours par André Lejeune. De nouveaux auteurs apparaissent ou s'affirment, comme Stanley Péan, qui publie Le Tumulte de mon sang en 1991 et Zombi Blues en 1996, entre autres ouvrages se rangeant dans l'horreur.

En 1994, Daniel Sernine livre un roman d'horreur qui représente peut-être le point culminant de son évolution littéraire dans le genre, Manuscrit trouvé dans un secrétaire, aux Éditions Pierre Tisseyre. La même année, Joël Champetier signe La Mémoire du lac aux Éditions Québec/Amérique. Ce sont deux auteurs chevronnés et leurs romans reflètent leur sens du métier. Sernine pousse d'ailleurs le vice jusqu'à inclure des passages d'un roman horrifique écrit durant ses jeunes années, que l'on peut lire en parallèle avec le récit plus feutré qu'il a composé pour porter le roman. Champetier privilégie plutôt les recettes du thriller, livrant un ouvrage qui se lit d'une traite. Mais ces deux auteurs ne doivent pas occulter l'apparition d'une nouvelle génération d'auteurs acquis aux charmes vénéneux de l'horreur. Deux noms se détachent à cette époque, ceux de Natasha Beaulieu et Claude Bolduc. Toutefois, quand Claude Bolduc réunit en 1996 un collectif de nouvelles d'épouvante pour les jeunes, La Maison douleur et autres histoires de peur, pour Vents d'Ouest, il se retrouve à faire appel à des auteurs aguerris pour la plupart , dont Francine Pelletier, Daniel Sernine, Joël Champetier et Alain Bergeron, qui a signé trois romans d'horreur pour jeunes en 1994 à 1997 sous le pseudonyme-anagramme de Brian Eaglenor. L'illustration de couverture par Paul Roux, intitulée L'État du monde (1995), choque d'ailleurs les bonnes âmes et, comme on peut le voir ici, le bébé cloué au mur dans cette composition évoquant les guerres yougoslaves sera remplacé par une image moins dérangeante...

Bolduc et Beaulieu avaient commencé tous les deux par signer des nouvelles, et il faudra attendre jusqu'en 2000 pour voir sortir le premier roman de Natasha Beaulieu, L'Ange écarlate. En revanche, exception faite de son recueil Visages de l'après-vie publié par un micro-éditeur, Claude Bolduc se lance dès 1995 avec un roman pour jeunes, Dans la maison de Müller, chez Médiaspaul, et il va poursuivre sur cette lancée pendant plusieurs années. Son recueil Les Yeux troubles (1998) chez Vents d'Ouest sera d'ailleurs salué par la critique. Mais il continue également à creuser le filon de l'horreur pour les jeunes, avec des romans comme Le maître des goules (1997) dont on voit ici la couverture illustrée par Ève Legris et Mathieu Larocque, peut-être inspirée quelque peu par Le Cri d'Edvard Munch. Entre temps, Patrick Senécal était devenu la nouvelle supervedette de l'horreur au Québec avec des romans Sur le seuil et Aliss. Depuis, d'autres auteurs ont pris la relève dans le rôle de... relève. L'écrivain trifluvien Frédérick Durand a signé des romans saisissants chez La Veuve noire, dont le très efficace Au rendez-vous des courtisans glacés. Depuis 2003, cette jeune maison d'édition dirigée par Édith Madore se spécialise avec succès dans les genres policiers et fantastiques. Si Madore avait de l'expérience au départ, ce n'était pas le cas des jeunes fondateurs de la maison d'édition Les Six Brumes, qui fait un peu de tout : fantasy, fantastique, policier, science-fiction... Outre Dominic Bellavance, son auteur phare est sans doute Jonathan Reynolds, dont la plume prolifique a contribué de nombreux textes au fanzine Brins d'éternité, par exemple et qui se spécialise dans l'horreur. Enfin, un nouvel auteur prometteur, Michel J. Lévesque, lance aux Intouchables une nouvelle série, Arielle Queen, qui combinera, semble-t-il, l'aventure et des éléments relevant plutôt de l'horreur traditionnelle. Je reproduis ci-dessous la couverture du premier tome qu'il m'a transmise.

Comments:
J'ai bien hâte de lire cette série de MJL. Il a une bonne plume, agréable à lire, et sait raconter des histoires. Je lui souhaite la meilleure des chances.

M
 
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