2006-03-02

 

La SF à l'écran... en 1976

En 1976, les films de science-fiction de 1954 ou 1955 étaient loin. Et Star Wars sortirait l'année suivante... (À la rigueur, on pouvait trouver à la télévision Space: 1999, mais... passons.) Ce qu'il y avait de plus récent, c'était 2001 (1968) ou encore Solaris (1972). Mais si ces films sortaient du lot, c'est parce qu'il existait bel et bien un corpus d'autres films de science-fiction, produits dans plusieurs pays.

Ainsi, en Allemagne de l'Est, le film de science-fiction de 1976 est une production internationale intitulée Im Staub der Sterne, ce qui se traduit par « Dans la poussière des étoiles ». (Cependant, la première image du film est une photo de galaxie. La véritable traduction serait-elle « Dans la poussière d'étoiles »? Ce qui serait une façon poétique de dire « Dans une galaxie près de chez vous » (!), car l'éloignement des lieux dans l'espace n'exclut pas un scénario qu'il était facile de décrypter à la lumière de l'affrontement Est-Ouest de l'époque.)

Il ne s'agissait que du plus récent film de science-fiction de la DEFA, la Deutsche Film Aktiengesellschaft de l'ancienne Allemagne de l'Est. Cette société fondée après la Seconde Guerre mondiale a produit de nombreux films et certains de ses films sont maintenant disponibles et même étudiés... Des films de SF de la DEFA, deux ont été dirigés par Gottfried Kolditz (1922-1982), soit Signale — Ein Weltraumabenteuer (1970), parfois décrit comme la réponse du monde communiste à 2001, et Im Staub der Sterne.

Ce dernier film n'est pas dénué d'intérêt, mais il faut arriver à le détacher de son époque, ce qui n'est pas facile. Car il est l'expression sinon de son époque du moins du bloc communiste. Filmé en Roumanie, autour des fameux volcans de boue de Berca, et en Allemagne de l'Est, dans les non moins fameux studios de Babelsberg, le film compte non seulement sur des acteurs est-allemands et roumains, mais aussi sur l'actrice tchécoslovaque Jana Brejchová (splendide dans le rôle de la commandante Akala), l'acteur yougoslave Milan Beli et une représentation polonaise.

Le scénario de base est si familier qu'il est difficile d'identifier une source spécifique qui l'aurait inspiré. Un astronef venu de Cynro se pose sur la planète Tem 4, répondant à un appel à l'aide. Mais les habitants de ce monde nient avoir besoin d'aide. Les visiteurs venus de Cynro sont sur le point de repartir lorsque l'un d'eux, Suko, découvre que les véritables natifs de Tem, le peuple Turi, a été réduit en esclavage afin de travailler à l'extraction d'un minerai précieux dans une immense mine souterraine. Les représentants de ce peuple opprimé réclament des armes pour se révolter, mais ce serait engager Cynro et Tem dans une escalade guerrière d'envergure galactique.

Même en 1976, on pouvait se demander pourquoi une civilisation maîtrisant le voyage interstellaire aurait besoin d'une main-d'œuvre primitive travaillant avec des pelles et des pioches. Cela dit, c'est le reste du film qui retient (ou non) l'attention. La musique est en partie électronique (ce qui comprend la dose obligatoire de thérémine?) et pourrait avoir imposé l'addition de plusieurs numéros de danse, en groupe ou non, par des jeunes femmes plus ou moins vêtues, histoire de mettre en valeur la composition de Karl-Ernst Sasse. C'est encore durant la fête organisée par les Temiens pour tromper la vigilance des émissaires de Cynro que leurs performances s'inscrivent avec le plus de naturel. Mais le choix de vêtements fait de l'ensemble une sorte d'hybride d'un épisode de Star Trek (première mouture), d'une soirée de disco des années 1970 et d'art contemporain plus ou moins réussi.

Qu'est-ce qui distingue le film d'un épisode de Star Trek, dix ans plus tôt? Pas grand-chose, en un sens, car si les Temiens sont censés être des oppresseurs vaguement capitalistes et fascistes (les séides du chef militaire ont des uniformes partiellement noirs, ce qui peut rappeler la mise des SS), qui sont coupables d'esclavagisme et de l'occupation d'une planète aux dépens de la population indigène (allusion transparente aux États-Unis dans l'imaginaire communiste), il était parfaitement possible d'inverser la parabole. Dans l'épisode « A Private Little War » de Star Trek, diffusé en 1968, Kirk doit décider d'aider ou non une peuplade primitive sur une planète où les Klingons sont en train d'armer leurs ennemis villageois. Contrairement à Suko qui plaide pour la non-intervention, Kirk décide de fournir les mêmes armes à ce peuple, mais sans leur fournir de meilleures armes afin de préserver l'équilibre des forces. La solution est-allemande est différente, et fidèle à la vulgate marxiste. L'astronef Cynro 19/4 décolle, mais Akala demeure pour nourrir l'espoir d'une révolution par le peuple opprimé Turi, qui a désormais son martyr, Suko — qui peut figurer Marx, Lénine ou même Che Guevara. (Même si j'ai mis un peu d'ironie dans ce paragraphe, il faut noter que j'ai moi aussi eu à prendre partie dans un roman où j'abordais une situation semblable, Fièvres sur Serendib, en 1996. L'héroïne finit par décider d'œuvrer pour la révolution...)

Certains éléments du film sont intéressants. La production a travaillé la gestuelle des Temiens, par exemple, et ceux-ci utilisent des aérosols qui sont peut-être nutritifs. Les vêtements, par contre, relèvent pour la plupart de l'idée qu'on se faisait à l'époque du futurisme vestimentaire : rien que des combinaisons moulantes à perte de vue... Les principales exceptions concernent les esclaves en guenilles grises ou brunes.

La passerelle (baptisée le pilotron) du Cynro 19/4 se distingue surtout de la passerelle de l'Enterprise de Kirk par son utilisation de couchettes pour les membres d'équipage. L'astronef a la forme d'une fusée qui, franchement, fait très vieux-jeu. Les drones de l'astronef, par contre, sont un peu plus intéressants, rappelant un peu le LEM d'Apollo.

Les Temiens aiment aussi les serpents, qui se promènent entre les mets du banquet offert aux émissaires de Cynro. Le dirigeant suprême des Temiens joue avec un serpent lorsqu'il reçoit la commandante Akala. Le symbolisme est un peu appuyé, non?

De fait, ce qui frappe le plus par rapport à Star Trek ou Space: 1999 ou 2001, c'est le rôle des femmes. Alors que les seules femmes présentes dans le camp temien sont des danseuses réduites à exhiber leurs charmes ou des servantes du peuple Turi, le gros de l'équipage du Cynro 19/4 est féminin. Outre la commandante Akala, il compte trois autres femmes et seulement deux hommes. Si l'un de ces derniers est l'héroïque savant, Suko, l'autre est un personnage plus bouffon, Thob, qui, parfois habillé d'une sorte de salopette bleue, incarne alors le bon sens de l'homme du peuple. Quand on pense qu'il a fallu des décennies à l'entreprise Star Trek pour se glorifier d'avoir nommé une femme aux commandes d'un vaisseau dans Voyager... Ce souci d'égalité n'exclut pas un étalage de nudité féminine qui aurait été impensable à la télévision nord-américaine.

Bref, il s'agit d'un film qui aborde un des principaux problèmes de la modernité technologique, l'asymétrie du pouvoir conféré aux uns par la technique et nié aux autres, et les conflits qui en découlent. En 1976, Kolditz connaissait peut-être le roman Il est difficile d'être un dieu des frères Strougatski sur le sujet de l'intervention (un film en a été tiré en 1990, Es ist nich leicht ein Gott zu sein). C'est ce qui le rend intéressant encore aujourd'hui alors que la critique de l'Ouest capitaliste et consumériste, affichant des réjouissances de façade alors qu'il repose sur le labeur d'esclaves qui triment sous terre et la spoliation d'un peuple indigène.
Ce qu'on aime, donc : un personnage de scientifique qui n'est ni fou ni même mégalo et plutôt courageux; une problématique toujours d'actualité (Afghanistan, Irak, Balkans); un féminisme audacieux pour son temps; certaines touches du décor (par exemple, les têtes coupées qui ornent des niches vitrées dans les appartements du dirigeant suprême — têtes robotiques ou gardées en vie sous perfusion, ce n'est pas clair). Ce qu'on aime moins : les décors souvent conventionnels ou trop peu convaincants, certains des costumes, le jeu parfois tonitruant ou trop théâtral des acteurs, une violence si peu réaliste (même pour une époque plus mesurée que la nôtre) qu'on croit presque à des représentations mimées vaguement expressionnistes, et une narration au rythme haché, jamais tout à fait fluide.

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