2007-09-25

 

Iconographie de la SFCF (18)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; et (17) le théâtre moderne de SFCF.

Dans certaines de ses réminiscences, Daniel Sernine avoue l'influence sur lui du visionnement de la première série de Star Trek, mais je ne sais plus s'il faisait référence à la série diffusée en 1966-1969 quand il aurait eu moins de quatorze ans ou à la diffusion de La Patrouille du cosmos après 1971. D'ailleurs, l'histoire même des séries de sf diffusées en français reste à écrire. Dans son article (.PDF, accès restreint) sur La Patrouille du cosmos, Caroline-Isabelle Caron date de 1971-1972 le doublage de la série et se montre assez vague sur les dates de diffusion. Selon certaines sources en-ligne, le doublage remonterait même à 1969 et le début de la diffusion en français au Canada est daté de 1971 ou 1973. En Europe, la télévision française n'aurait pas diffusé la série (en conservant le doublage québécois) avant 1982, mais d'autres soutiennent que la série aurait été diffusée vers 1974 soit par Télé Luxembourg soit par Télé Monte-Carlo soit par les deux...

Il se peut qu'il y ait dans certaines mémoires une confusion entre la série d'origine de 1966-1969 et le dessin animé de 1973-1974. La série d'origine aurait été doublée et diffusée au Canada en 1971-1972, puis le dessin animé aurait été doublé et diffusé en français pratiquement en temps réel en 1973. Cette interprétation permet en tout cas de comprendre la parution en 1973 dans la collection Jeunesse-Pop d'un roman clairement inspiré par Star Trek : Les Insurgés de Véga 3 par Jean-Pierre Charland. Certes, les illustrations de Gabriel de Beney ne trahissent pas toujours une telle influence, car la couverture se démarque nettement de l'iconographie de Star Trek. Toutefois, si on se tourne vers le texte et les illustrations intérieures, les indices sont beaucoup plus parlants. Né en 1954, un an avant Daniel Sernine, Jean-Pierre Charland a donc dix-neuf ans en 1973. A-t-il vu la série d'origine en anglais? Le seul indice quant à son passé de téléspectateur vient du nom du capitaine du Prométhée, Thierry L'Arc, qui même s'il pourrait renvoyer à une héroïne bien catholique d'avant la Révolution tranquille rend beaucoup plus clairement hommage à Thierry la Fronde, grand succès télévisé des années 1963-1967 en France... On remplace une arme dépassée par une autre, et hop! La série a également été diffusée au Canada, mais je n'ai pas pu retrouver de dates précises...

Le Prométhée est un vaisseau spatial qui ressemble assez à l'Enterprise : « Ce transtellaire épousait la forme d'un grand disque d'environ trois cents mètre de diamètre, et la hauteur, en son centre, était d'environ trente mètres. Il brillait d'un éclat argenté. Sur le dessus, au centre, se plaçait le poste de commande, tandis qu'au-dessous régnait le principal canon laser. Il se propulsait grâce à l'antimatière et atteignait ainsi une vitesse égalant près de mille fois celle de la lumière. » (p. 10) Il n'est malheureusement pas représenté par Gabriel de Beney, alors que celui-ci dessine plusieurs fois les chasseurs embarqués à bord du Prométhée (en arrière-plan sur la couverture). Par contre, les vaisseaux sphériques des ennemis zvorakiens peuvent rappeler les astronefs de la série Perry Rhodan, publiée en français depuis 1966. Certes, des astronefs sphériques existaient ailleurs en sf : des romans de Robert A. Heinlein, d'Andre Norton et H. Beam Piper mettent en scène des astronefs sphériques près de vingt ans plus tôt. Gabriel de Beney traduit assez fidèlement la description de Charland : « Devant eux, à moins de cinq cents mètres, s'alignaient les sept vaisseaux. C'étaient d'énormes sphères d'environ deux cents mètres de diamètre. Leurs coques étaient faites d'un métal extrêmement brillant, comme de l'argent poli. Chacune était posée sur quatre pieds énormes, s'enfonçant profondément dans la neige. Sous les coques se voyait la surface bleutée de leurs réacteurs photoniques. » (p. 34)

Ce sont d'autres éléments du roman qui révèlent sans risque d'erreur l'influence de Star Trek. À l'intérieur du Prométhée, qui dispose d'un « gigantesque cerveau électronique [de] bord », le poste de commande a quelques traits en commun avec la passerelle de l'Enterprise, même si le capitaine Thierry L'Arc bénéficie d'un écran individuel pour ses communications, comme on le voit dans cette illustration. Plus révélateur encore, le Prométhée dispose d'une salle de téléportation. (Selon Caron, l'expression n'apparaît en tant que telle que dans la seconde moitié de la série traduite en français au Canada.) Dans une scène, le capitaine et son second s'y rendent : « Après avoir tourné à droite, ils se trouvèrent devant une porte métallique. Thierry appuya sur un bouton. La porte coulissa alors, laissant apparaître une grande pièce carrée. Deux hommes étaient là, assis devant une table de contrôle. Ils mettaient les appareils au point. » Le capitaine distribue alors des radiants : il s'agit d'une arme de poing qui « pouvait soit simplement étourdir, soit encore tuer. » (Selon Caron, la traduction de l'anglais phaser par Michel Collet varie et La Patrouille du cosmos substitue au mot phaser plusieurs termes, dont laser, faisceau et fuseur.) La scène se termine sur le moment de la téléportation : « Ayant équipé ses compagnons, Thierry L'Arc alla se placer sur un des cercles d'un blanc laiteux dessinés sur le plancher. Ses compagnons firent de même. Un flot de lumière blanchâtre les enveloppa lentement. Leurs silhouettes s'estompèrent doucement, puis disparurent. » (p. 22)

Enfin, c'est aussi le personnage le plus frappant de la série étatsunienne qui refait surface dans le roman de Charland. Le Vulcain Spock devient Idak, le second du vaisseau, qui a droit à l'introduction suivante : « Un extra-terrestre entra tout à coup dans le poste de commande. Ses yeux bridés, ses cheveux noirs et raides rappelaient un peu les habitants du secteur terrestre 3, autrefois appelé Asie, avant l'union universelle. Le personnage mesurait près de deux mètres et était très mince. Sa force physique était proportionnelle à sa taille, et son ossature extrêmement solide. Sur sa planète d'origine, l'attraction était le double de celle de la terre. Il était né sur Gnork, une des douze planètes gravitant autour de Proxima Centauri. » Il est représenté plus loin dans le livre par un croquis de Gabriel de Beney. Au premier plan, Idak, surpris par deux officiers zvorakiens, n'est pas sans rappeler le personnage de Leonard Nimoy, en particulier par la coiffure et l'arc des sourcils, voire la forme de l'oreille... La description des rapports entre les humains et les Gnorkiens est encore plus proche de la situation dans Star Trek : « Tout de suite, des relations amicales se nouèrent entre la Terre et Gnork. Les habitants de Gnork avaient une technique beaucoup plus poussée que la nôtre, ce qui modifia la face de la terre. Notre planète offrait un visage encore ravagé par la dernière guerre intestine terrestre, qui eut lieu vers la fin du XXe siècle. La culture gnorkienne permit de remodeler la planète de manière à ce que l'inégalité sociale, cause de cette guerre, n'existe plus. Les terriens n'avaient jamais pu s'acquitter de cette dette. C'est pourquoi les relations amicales entre les deux planètes ne cessèrent jamais. Peu d'humains, toutefois, gardaient pour les gnorkiens une réelle affection, car ces derniers, avec leur froide logique, les effrayaient un peu. » (p. 12)

Il ne s'agit pas exactement d'une fiction fanique au même titre que Némoville de Lacerte, mais c'était peut-être la première fois qu'une série télévisée étrangère influençait à ce point un roman de SFCF. Par la suite, on retrouvera les produits des entreprises de Henri Desclez, Belge né en 1942 qui s'établit au Québec à temps partiel vers 1976. Il fonde les Éditions P.A.F. à Westmount (sans doute au 4920 boulevard de Maisonneuve Ouest) et, sous cette raison sociale ou sous son propre nom, il publie une demi-douzaine de livres dérivés de séries japonaises populaires en leur temps, comme Albator (2), Candy (3), le Capitaine Flam (1) et Goldorak (2). Ces livres sont soit à visée pédagogique (Candy soigne ses dents) soit de simples aventures. Seul un connaisseur saurait dire si les deux aventures de Goldorak signées par Claude Leclerc et Monique Lepage (qui est inconnue de ce fan) reprennent des intrigues utilisées au Japon, mais il semble bien que l'enlèvement de Vénusia dans Le grand duel interplanétaire ne s'inscrit pas dans la série télévisée en français. Il ne s'agit pas non plus d'une retranscription de cette BD. Comme les publications de Desclez semblent reconnaître le copyright de Toei Animation, il s'agirait de produits dérivés légitimes, mais de conception et de production locale. Outre Leclerc et Lepage, le dessinateur Jean-Paul Hennion, qui a travaillé plus tard pour Radio-Canada et donné un coup de main à Thierry Labrosse, a beaucoup collaboré à ces ouvrages. On peut retrouver de véritables fictions faniques de Star Trek parues au Québec en français, comme Row, row, row your boat (1993) de Brigitte Labrecque. (Malgré ce titre, le roman est en français.) Mais, de nos jours, la plupart de ces fictions se trouvent sans doute plus souvent en-ligne que sous la couverture de romans publiés. Et je ne sais pas si, autrement que par inadvertance (voir le cas de Michel Brûlé et de Highlander), on trouverait beaucoup d'éditeurs québécois désireux d'exploiter de nos jours la veine des produits dérivés... Laissons donc Actarus et Venusia à leur bonheur, car ils étaient peut-être les derniers de leur espèce acclimatée en terre canadienne pour un bon moment.

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