2006-03-31

 

La SF à l'écran... en 1960

Après avoir évoqué des films de 1954, 1955 et 1976, rendons hommage à la première adaptation au grand écran d'un roman de Stanislas Lem, malheureusement décédé cette semaine au terme d'une carrière des plus significatives dans plusieurs domaines, dont celui de la science-fiction mais aussi de la pensée sur la technologie.

Le premier roman de Lem, Astronauci, est connu en anglais sous le titre The Astronauts, en français, sous celui de Feu Vénus, et sous celui de Der Planet des Todes en allemand. Le film qui en a été tiré a connu un destin encore plus mouvementé. Coproduction de la Pologne et de l'Allemagne de l'Est, essentiellement filmée dans les studios de la DEFA à Babelsberg en banlieue de Berlin, l'œuvre est la victime du contexte politique de l'après-Spoutnik et coïncide avec les tensions associées à la conférence de Paris. L'histoire remaniée sous la pression des autorités politiques met l'accent sur le pacifisme, sur l'internationalisme et sur l'horreur de l'arme atomique, explicitement (et quasi uniquement) associée à Hiroshima.

Le film est sorti en Pologne sous le titre de Milczaca Gwiazda et en Europe francophone sous le titre de L'Étoile du silence, mais le monde anglophone n'en connaîtra qu'une version charcutée, First Spaceship on Venus. Ce sont près de quinze minutes qui disparaissent au (dé)montage qui produit une version susceptible d'être distribuée en Allemagne de l'Ouest et aux États-Unis. Le capitaine russe de la fusée Cosmocrator est ainsi réduit à un rôle de simple figurant...

Malgré des choix narratifs douteux, l'intrigue demeure digne de respect. Vers 1970, la découverte d'un cylindre d'origine extraterrestre est associée à l'explosion de la Toungouska en 1908. Il contient un message et serait d'origine vénusienne. Le bloc socialiste décide d'envoyer une mission internationale sur Vénus pour en apprendre plus en utilisant une nouvelle fusée, le Cosmocrator, qui a tout juste assez d'avance sur sa concurrente étatsunienne pour qu'un savant des États-Unis, Hawling, soit obligé de se joindre à l'équipage. En chemin, le décodage du message révèle que les Vénusiens planifiaient l'extermination de l'humanité et la conquête de la Terre. Sur Vénus, les explorateurs découvrent les restes d'une civilisation disparue, qui s'est détruite elle-même dans une catastrophe nucléaire totale.

La première moitié du film est plutôt didactique, car les événements sont racontés (par une voix off) plutôt que montrés. On rencontre les membres de l'équipage international de huit personnes, qui comprend un capitaine russe, un ingénieur polonais du nom de Soltyk qui est cybernéticien (petit clin d'œil à Lem?) et qui a construit un robot mobile sur chenillettes appelé Oméga, un linguiste chinois, un autre de l'Inde, un pilote allemand, un physicien étatsunien et, comme médecin, une Japonaise, Sumiko, dont la mère est morte à Hiroshima. Le personnage africain, Talua, semble surtout affecté aux communications — ce qui peut rappeler le rôle dévolu à Uhura dans Star Trek, quelques années plus tard... (Une journaliste du nom de Jeanne Moreau apparaît brièvement, mais je n'ai pas pu déterminer s'il s'agit de l'actrice française. En revanche, Yves Montand et Simone Signoret avaient été pressentis avant de refuser.)

Le compte à rebours (qui rend hommage à la tradition inaugurée dans le précédent film de science-fiction tourné en Allemagne, Frau im Mond de Lang en 1928) lance la fusée dans l'espace et met aussi sur orbite le film, qui commence enfin à devenir plus intéressant. La réalisation de Kurt Maetzig (1911-?) est assez ordinaire, ainsi que la fusée et les costumes (les combinaisons spatiales — en cuir? — semblent assez primitives). En revanche, les décors vénusiens et les effets spéciaux sont des plus originaux. Le film exploite le procédé Schüfftan, qui permet d'intégrer les acteurs dans des décors artificiels de plus petite taille.

C'est relativement efficace, mais ce qui frappe surtout, c'est le style des décors, qui doit sans doute quelque chose aux recherches d'artistes comme Max Ernst ou Yves Tanguy dans le cadre du surréalisme et de l'expressionnisme. En science-fiction, on pense plutôt aux illustrations de Richard M. Powers aux États-Unis, qui avait commencé à creuser cette veine vers 1953. Et les deux tours penchées (voir l'illustration originale d'Alfred Hirschmeier à droite) qui se trouvent au cœur du centre de commandement vénusien rappellent assez le projet de Vladimir Tatline pour un monument à la IIIe Internationale (ce qui pourrait introduire une note subversive dans ce qui est ouvertement un film pro-communiste...). La « super-science » invoquée pour expliquer le fonctionnement de l'arme vénusienne destinée à exterminer toute vie humaine sur Terre a aussi quelque chose d'assez baroque pour amuser.

Bref, même si on prend avec un grain de sel capitaliste les bonnes intentions du film, on peut admirer les décors et goûter un film qui s'insère assez bien dans l'histoire de la science-fiction à l'écran entre Planète interdite et Star Trek.

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