2010-12-31

 

Les années fantômes

Demain, nous aborderons l'année 2011, la première année de la deuxième décennie du troisième millénaire (selon le calendrier chrétien).

C'est la fin des années fantômes, ces années dont le chiffre incluait toujours deux zéros leur conférant une certaine insubstantialité. Elles avaient commencé dans le flou et le vague : on se souviendra de la peur du bogue de l'an 2000 et du lamentable débat d'ignares qui se demandaient si le troisième millénaire commençait en 2000 ou en 2001. Politiquement, elles avaient réellement débuté avec les attentats du 11 septembre 2001, instaurant la dictature de la crainte et de la haine de l'autre. (Ce que l'on peut imputer aussi bien aux responsables des attentats qu'à ceux qui ont réagi dans le sens de leurs intérêts et de leurs préjugés.) Culturellement, elles ont été marquées par le divertissement presque narcissique, voire onaniste, des branchés : de l'iPod à YouTube, des réseaux sociaux comme Facebook jusqu'à Twitter, des films à grand déploiement d'effets spéciaux aux séries télévisées plus ou moins cohérentes, tout était prétexte à la distraction individuelle, même momentanée, portant la recherche de l'oubli du temps présent à un degré jusqu'alors inconcevable. Socialement, elles ont été vécues dans le déni de l'évidence : au lieu de parler d'inégalité ou de pauvreté, de la stagnation des revenus des classes moyennes ou des infrastructures à reconstruire, la plupart des citoyens des pays riches ont préféré se griser de bulles...

Si cette décennie n'a pas de sobriquet, si cette ère n'a pas été une Belle Époque ou une série d'Années folles, c'est peut-être parce que nous avons été trop distrait pour penser à lui donner un nom. Ce soir, cette décennie s'efface donc. Comme un fantôme qui traverse un mur...

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2010-12-30

 

La vie derrière soi

Les jours, les mois, les ans, qui les a vus passer,
de l'aventurier sans foi, sans or, sans feu,
ou du bon ouvrier niché en banlieue
qui se traîne au tombeau, lent et le dos cassé ?

L'errant a couru au front, il a vu trépasser
des compagnons joyeux qui riaient de l'enjeu
de leurs jeunes efforts tant qu'ils mouraient heureux
d'avoir donné un nom à un monde ignoré.

L'ouvrier s'est casé, s'est logé, a servi
de toutes ses forces les volontés d'autrui
et n'a jamais manqué d'écouter son voisin

Mais si l'errant connaît les années révolues
par ce qu'il a fait malgré la soif ou la faim,
l'autre avait des enfants — et qui ne le sont plus.

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2010-12-29

 

Un vocabulaire pour extraterrestres

Le problème de la réception de messages d'origine extraterrestre est plus complexe qu'on le croit souvent. En sus des défis techniques, le déchiffrement du message pourrait s'avérer ardu si son auteur n'a pas consenti d'effort particulier pour faciliter ce décodage.

Un petit compte rendu (.PDF) rapporte la composition d'un message typique dont le déchiffrement a été soumis comme problème à une collaboratrice de l'auteur du message codé, ainsi qu'à cinq étudiants de premier cycle. Les étapes initiales du déchiffrement sont faciles — il s'agit d'identifier les codes (en binaire) symbolisant des parenthèses et les marques de l'égalité ou de l'inégalité. La définition des opérations fondamentales de l'arithmétique (addition, soustraction, division, multiplication, etc.) suivait. Le plus compliqué, c'était de passer ensuite des mathématiques à la physique, une transition obtenue dans ce cas en exploitant des nombres sans dimension tels que la constante de structure fine. Ce n'était pas le plus évident, mais la solution de l'énigme permettait ensuite de définir des unités. Dès lors, ce n'était pas très compliqué de définir le proton, le neutron et l'électron en fonction de leur masse et de leur charge, puis de définir les éléments du tableau périodique en fonction de leurs nombres de protons, neutrons et électrons, et enfin de définir le Soleil en fonction de sa masse et de sa composition isotopique ainsi que les planètes, en partie en fonction de leurs paramètres orbitaux conformes aux lois de Kepler... Au bout de douze heures de travail, la collaboratrice de l'auteur avait déchiffré le message et toutes ces informations.

En un sens, c'est impressionnant d'observer qu'un enchaînement aussi court permette d'arriver à identifier et étiqueter dans ce message les corps du système solaire, et la Terre elle-même en tant que patrie de l'humanité. Mais il s'agit aussi d'une communication plutôt impersonnelle. Comment s'y prendrait-on pour échafauder un vocabulaire capable de désigner des réalités plus complexes et d'exprimer des idées plus compliquées? La communication avec des extraterrestres a pour avantage d'obliger à la simplification en faisant abstraction de tout ce qui est trop local et spécifique à notre culture d'origine. En même temps, cela se fait au prix des nuances. Du coup, ce serait intéressant d'imaginer quelles nuances disparaîtraient d'un message émis par des extraterrestres à la lumière des nuances disparues d'un tel message...

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2010-12-28

 

L'iconographie de la science-fiction

La couverture du catalogue de l'exposition « Sciences & science-fiction » à la Cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette à Paris reflète déjà une certaine idée de la science-fiction. Ou ne reflète pas, puisque la version numérisée de la couverture (ci-contre) ne révèle pas le choix d'une couverture argentée dans la ligne des anciens tomes de la collection « Ailleurs et Demain ». (En fait, l'apparence qui résulte de la numérisation est plutôt psychédélique — ce qui correspondrait, après tout, aux années de la première montée en puissance de la science-fiction en France.) L'exposition a eu pour commissaires Ugo Bellagamba (de l'Université de Nice), Patrick J. Gyger (alors à la tête de la Maison d'Ailleurs), Roland Lehoucq et Clément Pieyre (de la Bibliothèque nationale de France). Je n'ai malheureusement pas pu juger en personne du contenu de l'exposition et je suis donc incapable de dire si le catalogue est un reflet fidèle de cette exposition. Après tout, ma propre contribution au catalogue — un article intitulé « Le mur du futur » qui vulgarise le concept de la singularité vingienne — correspondait à une commande passée sans qu'on m'informe de ce que l'exposition avait à dire sur le sujet. En tout cas, le reste du sommaire porte plus sur la science vue par la science-fiction que sur la science-fiction telle qu'elle serait vue ou appréciée par les scientifiques.

En effet, ce sont surtout les thèmes classiques de la science-fiction qui structurent l'ouvrage : fin(s) du monde, extraterrestres, voyages dans le temps, voyages interstellaires, utopies, langues inventées, uchronies, villes du futur, robots et cyberespace. Quelques articles se démarquent par un ancrage plus scientifique, dont « Atteindrons-nous bientôt les étoiles ? » de Lehoucq et « Une machine emblématique : le laser » d'Éric Picholle, mais l'ensemble ne m'a pas semblé parvenir à approfondir le sujet des liens entre les sciences et la science-fiction. Le plus grand apport de ce catalogue se situe peut-être sur le plan visuel. Quiconque connaît un peu l'iconographie de la science-fiction mesurera les richesses qu'il était impossible de faire entrer dans un ouvrage d'à peine 200 pages. Néanmoins, l'échantillonnage qui s'étend sur plusieurs siècles est très impressionnant et permet d'apprécier le caractère révélateur de certaines images qui trahissent soit les priorités des lecteurs (les bustes féminins, dénudés ou non, dans le cas des anciens pulps) soit la vision du futur à telle ou telle époque. Même si les représentations des villes du futur sont assez extravagantes, il existe de nombreuses villes ou quartiers ou édifices qui ne sont pas loin d'avoir réalisé ces visions de la science-fiction... Un de ces jours, il faudra s'interroger sérieusement sur le fait que la science-fiction a peut-être le plus influencé les architectes du XXe s., et non les scientifiques, les inventeurs, les industriels, etc.

Bref, il s'agit d'un livre qui avance une thèse dès les premières pages — qu'il faut tenir compte de la science-fiction comme phénomène de la culture du XXe s. — mais qui n'arrive pas tout à fait à la justifier. Ou qui laisse à d'autres le soin de compléter la démonstration... On va s'y employer.

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2010-12-27

 

Les vertus de l'argent sonnant et trébuchant

En novembre dernier, le Globe and Mail publiait un article d'Ira Basen intitulé « The algorithm method: Programming our lives away ». L'article rappelle l'utilisation de plus en plus commune d'algorithmes programmés pour prendre les décisions qui nous concernent, en fonction de variables heuristiques, parfois, ou d'arbres de décision, souvent. Lorsque le choix des variables déterminantes n'est plus entre nos mains (parce qu'une corrélation significative a été observée) ou que la structure de l'arbre de décision n'est connue que des initiés, le contrôle des événements échappe un peu plus à la majorité de la population. Évidemment, les algorithmes n'ont prise sur nous que si nous sommes soumis à une surveillance préalable, ou si nous participons au dévoilement des données nous concernant. Encore qu'il est difficile de ne pas être repéré, tôt ou tard :

« The most useful algorithms can incorporate enormous amounts of data that we make available to them — sometimes wittingly, sometimes not — to make connections between seemingly unconnected pieces of information and predict our behaviour. Every credit-card purchase, every search, every click of the computer mouse adds to this massive database of our interests and intentions. »

Ceci m'a rappelé que, dans le feuilleton Le Ressuscité de l'Atlantide, j'écrivais dès le milieu des années quatre-vingt sur les vertus de l'argent sonnant et trébuchant dans un monde où les transactions numérisées seraient faciles à surveiller et faciliteraient la surveillance des faits et gestes des citoyens du futur. Voici le passage de l'épisode publié dans imagine... 36 en octobre 1986, où les personnages empruntent un trottoir roulant :

En sautant dessus, la psychicienne jeta quelques pièces dans la gueule d'une machine qui
surveillait l'accès au tapis roulant. Alexis Lewis se redressa et déclara:

— Je suppose que tu ne connaissais que la monnaie métallique ou de papier à ton époque. De nos jours, il y a aussi l'argent électronique mais nous aimons porter un peu de monnaie. C'est plus pratique et plus discret que les électrons pour ceux qui se méfient du grand nez d'un gouvernement contrôlant les ordinateurs...

En 1986, c'était la surveillance du gouvernement qui suscitait l'inquiétude. De nos jours, si l'information qui nous concerne se retrouve plutôt entre les mains des grandes compagnies (comme Google), est-ce une raison pour ne pas s'en inquiéter?

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2010-12-26

 

Fantastique franco-ontarien

Les annales du fantastique franco-ontarien comptent désormais un ouvrage de plus. Il s'agit du recueil Soudain l'étrangeté (David, 2010) de Françoise Lepage. Le dernier livre d'un auteur prend nécessairement un relief particulier, par accident ou non. Françoise Lepage avait perdu son mari, Yvan Lepage, en 2008 et elle a succombé à un mal foudroyant cette année (il existe désormais une bourse Françoise-et-Yvan-Lepage pour les étudiants de l'Université d'Ottawa), de sorte que l'ombre de la mort planait déjà sur l'ouvrage lors de son écriture et qu'elle s'appesantit tout à fait sur la lecture que nous en faisons désormais.Lepage avait été bibliothécaire et traductrice. Elle avait aussi enseigné la littérature pour la jeunesse à l'Université d'Ottawa en plus de signer une Histoire de la littérature pour la jeunesse (Québec et francophonies du Canada) en 2000. Elle était aussi directrice de la collection qui a publié Jean-Louis Trudel.

Le recueil compte dix-neuf nouvelles, pour la plupart concises et directes, qui s'inscrivent de toute évidence dans la lignée des courtes nouvelles de Maupassant. Le ton rappelle souvent celui des auteurs classiques, comme Mérimée, Maupassant, Chamisso ou, plus récemment, MacOrlan. Toutefois, la tonalité varie d'un texte à l'autre. Certaines nouvelles relèvent franchement du fantastique, mais d'autres se contentent de mettre en place une atmosphère fantastique, d'entretenir le doute todorovien ou de créer une ambiance marquée par l'ouverture aux potentialités du surnaturel. Quelques-uns relèvent plutôt de l'insolite (« Le tour de clé », « Méprise »), ou de l'exercice de style. Ainsi, la première nouvelle du recueil, « L'enfant de Figueras », plonge le protagoniste dans les décors de certaines toiles de Dali en jouant sur la traversée du cadre. Une nouvelle ultérieure, « La fresque », reprend l'idée en sens inverse puisque c'est un personnage qui sort du cadre — d'une fresque, en fait — pour tenter de happer une voyageuse de passage. Comme dans les autres textes sur le fil, on hésite entre l'explication fantastique et l'explication par l'erreur humaine — hallucination, inattention, onirisme, défaillances de la mémoire...

Plusieurs nouvelles misent sur le dérapage fantastique pour faire effet. « Le cheval de course » relate la déstabilisation du protagoniste, un poète qui s'est lié avec le propriétaire d'un cheval de course jusqu'aux dernières lignes, quand l'animal dénommé Pégase s'envole. Dans certains cas, la chute est inattendue, mais pas fantastique. Dans « L'intrus », l'occupante d'une maison isolée est terrifiée par les tentatives d'effraction d'un inconnu un peu balourd mais obstiné, jusqu'à l'arrivée de son mari qui fait fuir ce qui était sans doute un ours. La peur de l'ours refait surface dans « Des ombres dans la montagne », où deux voyageuses sont isolées en pleine nature par un séisme, l'une d'elles succombant à la peur de l'invasion du monde par des ours vengeurs — une peur si puissante qu'elle fait basculer le personnage dans le vide, transformant la chute en une chute littérale.

Des peintres sont convoqués au fil des pages : outre Dali, Gustave Moreau et Paul Delvaux inspirent des textes. Ce ne sont pas les nouvelles les plus réussies, même si « Léa » suscite le frisson avec une rare efficacité — peut-être parce que la trahison d'un être aimé est plus terrifiante en définitive que les manifestations surnaturelles les plus horribles.

De fait, l'amour est un sujet occasionnel. Outre « Léa », Lepage met aussi en scène des rencontres sans lendemain dans « Marine », par exemple, où une femme fait l'amour avec une créature amphibie. Ou dans « Fleur vénéneuse », qui évoque les retrouvailles d'une femme au soir de sa vie avec l'homme — ou le spectre ? — dont elle s'était éprise à la faveur d'une rencontre passagère.

La mort est un sujet nettement plus présent. L'intrusion de l'inexpliqué dans la nouvelle « Le visiteur » rappelle le décès d'un enfant qui a péri dans un incendie. Dans « Alexandre Printemps », le personnage principal, un jardinier hors pair, quitte ce bas monde, mais non sans avoir fait comprendre aux jeunes de son village le tragique de la guerre, de ses ravages et de la destruction gratuite. Dans « Le guibou », un homme superstitieux se laisse acculer au suicide par la peur d'avoir été victime du maléfice d'un jeteur de sorts. Les ultimes nouvelles du recueil abandonnent la plupart des conventions narratives pour livrer, sous la forme plus brute de blocs de poésie et d'émotion, des récits se réduisant à la description d'une situation et de son aboutissement. La protagoniste de « Transparence » s'appelle Cristale : de plus en plus transparente au fil des ans, elle passe de plus en plus inaperçue et succombe finalement à l'invisibilité en quittant le monde des vivants pour se muer en un amas de glace translucide, devenu roche par la faute des « oiseaux de l'oubli » et condamné à l'oubli éternel. La nouvelle « Le dernier pont » raconte la traversée d'un pont à sens unique qui mène la protagoniste dans une terre dont on ne revient pas, mais qui recèle une parcelle de réconfort. Enfin, « Le rendez-vous manqué » est sans doute la plus impénétrable des nouvelles du recueil — et peut-être bien la plus poignante. Un petit chef-d'œuvre de l'inexplicable.

Cela dit, il est tentant de voir dans ces dernières nouvelles une exploration de destins pires que l'anéantissement de la mort. Dans « Transparence », le personnage principal a vécu sans être remarquée des autres et a disparu sans qu'on se souvienne d'elle. Dans « Le rendez-vous manqué », les personnages vivent et meurent avec la conviction d'avoir raté quelque chose de crucial à leur existence. En quelque sorte, ce sont des nouvelles consolantes. Mais si le recueil est peut-être un peu inégal, dans l'ensemble, la qualité des meilleures nouvelles ne nous consolera de la perte de Françoise Lepage pour les lettres franco-ontariennes.

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2010-12-25

 

Joyeux recensement !

Si on en croit la Bible, la naissance de Jésus coïncida avec la tenue d'un recensement romain et, si celui-ci n'avait pas eu lieu, les circonstances de sa venue au monde auraient été fort différentes (au point d'invalider certaines des prétentions de Jésus — ou de ses disciples — à incarner le Messie prédit par certains prophètes juifs). Rappelons ce que dit la version liturgique de l'Évangile de Luc : « En ces jours-là, parut un édit de l'empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre. Ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et chacun allait se faire inscrire dans sa ville d'origine. » Sans recensement, pas de preuve dans le texte que Jésus était de la descendance de David. Sans recensement, pas de naissance à Nazareth. Sans recensement, pas de bébé dans une mangeoire.

Ce qui est quelque peu ironique si on songe que Stephen Harper, premier ministre influencé par les sectes évangéliques chrétiennes, s'oppose à la version longue du recensement canadien. L'Histoire nous apprend d'ailleurs qu'il y avait également eu chez les Juifs des adversaires des recensements romains, dont un certain Judas le Galiléen (ou le Gaulanite) qui s'engagea dans une résistance sans espoir. Peut-être faudrait-il convaincre Stephen Harper que, les voies de Dieu étant impénétrables, il ne devrait pas se mêler d'une procédure qui aurait, selon l'évangéliste, déjà servi les intentions divines...

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2010-12-24

 

Les statistiques du cancer en France

Dans certains milieux français, on s'énerve beaucoup en répétant à l'envi que le nombre de cancers en France a augmenté de tel ou tel pourcentage faramineux. Par exemple, cet article de février 2010 prétend que :

« Le contexte général de l’enquête menée par Génération futures (ex MDRGF) et le réseau européen Health & Environnement Alliance est bien connu : le nombre de cancers explose et cette épidémie ne peut pas s’expliquer uniquement par des facteurs génétiques et par la consommation d’alcool ou de tabac. Les facteurs environnementaux, au sens large, doivent être pris en compte pour expliquer qu’entre 1980 et 2005, l’incidence du cancer a progressé de 93% chez l’homme et de 84% chez la femme (données InVS). »

Ces chiffres sont exacts et, pourtant, ils relèvent de la désinformation. Le terme est brutal, mais si tout le monde prenait le temps de vérifier la source des affirmations qu'on relaie, la Toile ne serait pas un capharnaüm où se mêlent le vrai et le faux. Prenons, par exemple, l'affirmation qu'il faut tenir compte des facteurs environnementaux pour expliquer la progression de l'incidence du cancer — ce qui laisse entendre qu'ils expliqueraient une fraction non-négligeable de cette augmentation.

Or, si on visite le site de l'Institut de veille sanitaire, on trouve certes le rapport (.PDF) à l'origine de ces données. Et on lit en effet en page 2 que « En 25 ans (1980-2005), l'incidence du cancer a quasiment doublé chez l'homme (+93 %) et fortement augmenté chez la femme (+84 %). » Mais on dirait que les auteurs de l'article n'ont même pas lu jusqu'à la fin de la page 2, car on y trouve aussi la déclaration suivante :

« Ces augmentations sont liées notamment à l'essor démographique et au vieillissement de la population, l'augmentation du risque intervenant pour 52 % chez l'homme et 55 % chez la femme. »

Parce que, s'il faut vraiment tout expliquer, il y a plus de Français et de Françaises aujourd'hui qu'en 1980. Il est donc parfaitement naturel que le nombre de cancers ait augmenté puisqu'il y a tout simplement plus de personnes susceptibles de tomber malade.

Parce que, depuis 1980, la population française dans son ensemble a vieilli (on se souviendra du débat sur les retraites, non ?). Or, l'incidence du cancer est plus élevée en fin de vie ; quand une grosse tranche de la population passe de moins de quarante ans à plus de soixante-cinq ans, le nombre de cas de cancer augmentera même si la probabilité qu'une personne de soixante-dix ans soit touchée par le cancer reste absolument pareille.

Ainsi, une fois les chiffres corrigés pour tenir compte de cette augmentation démographique et de ce vieillissement, il reste une élévation du risque d'un diagnostic de cancer, cette augmentation plus juste et plus proche de la réalité étant de 52% chez l'homme et de 55% chez la femme. Ce qui correspond à un « excès » de 46 000 cas environ chez l'homme et de 34 200 cas environ chez la femme.

Chez l'homme, l'essentiel de cet excès est constitué par les diagnostics additionnels de cancers de la prostate (41 000 diagnostics non expliqués par la démographie ou le vieillissement), qui comptent pour près de 90% de cet excès. Or, cette montée en flèche des cas de prostate s'expliquerait essentiellement (jusqu'à preuve du contraire) par l'introduction de nouveaux tests qui n'existaient pas en 1980. Des études récentes suggèrent d'ailleurs que beaucoup de ces diagnostics sont « inutiles » dans la mesure où il s'agit d'un cancer à évolution si lente dans certains cas que beaucoup d'hommes vieillissants risquent de mourir d'autres causes avant d'y succomber.

Chez la femme, cet « excès » est d'abord constitué par les diagnostics additionnels des cancers du sein (19 000 diagnostics non expliqués par la démographie ou le vieillissement), qui comptent pour la majorité (55%) de cet excès. En grande partie, c'est le résultat de diagnostics plus fréquents (examens mammaires, etc.). Dans ce cas aussi, des études récentes ont soulevé la question de la possibilité qu'on diagnostique des cancers si précoces qu'ils auraient connu une rémission spontanée même sans traitement. Une autre fraction de l'excès est représentée par les 4 000 diagnostics en excès de cancers du poumon, soit près de 12% de l'excès, attribuables en grande partie à l'augmentation du tabagisme chez les femmes depuis cinquante ans. Bref, rien de très mystérieux dans tout cela, même si chaque diagnostic est une tragédie.

Je résume.

Chez l'homme, si on fait abstraction de la démographie, du vieillissement et du cancer de la prostate, la véritable augmentation du risque d'un diagnostic de cancer n'est pas de 93%, mais de 6%. Mettons 5-10% en admettant qu'une partie de l'augmentation des cancers de la prostate soit due à des causes organiques potentiellement liée à des facteurs environnementaux. Chez la femme, la situation est plus compliquée puisque l'incertitude plane en partie sur les causes organiques des cancers additionnels du sein et du poumon, mais le résidu inexpliqué serait plus près de 15-20% que de 84%.

Il est parfaitement possible que de telles augmentations soient attribuables en tout ou partie à des facteurs environnementaux (prétendons un instant que la cigarette n'est pas une source de pollution de l'environnement immédiat...). Je privilégie moi-même une alimentation plus bio depuis quelques années, en partie pour des raisons de santé, mais aussi en songeant à la protection de l'environnement et de la biodiversité des espèces domestiquées.

Cela dit, il existe une autre partie du rapport de l'InVS que le message ci-dessus passe sous silence. Toujours en page 2, on note que : « Globalement, le risque de mortalité par cancer a diminué ces 25 dernières années (-25 % chez l'homme et -20 % chez la femme). »

Bref, compte tenu de l'augmentation de la population et de son vieillissement, le risque de mourir d'un cancer a diminué depuis 25 ans en France. Les cancers les plus agressifs liés à la prise d'alcool ou de tabac sont moins nombreux, tandis que les autres se guérissent mieux (ou auraient guéri de toute manière, mais c'est un autre débat). Quant au reste, eh bien...

L'épidémiologie est une science difficile. Je n'ai fait que relever ci-dessus quelques évidences, mais il existe des débats de spécialistes beaucoup plus compliqués que je ne peux pas aborder dans un billet aussi court. Ce qui devrait inciter tout le monde à la prudence au moment de succomber à des effets d'annonce trop alarmistes. On oublie trop souvent que la droite n'est pas seule à exploiter la peur dans l'espoir de gagner une partie de la population à sa cause. Le rôle joué par le terroriste musulman à droite est parfois tenu à gauche par le méchant polluant chimico-industriel...

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2010-12-23

 

Science-fiction (trop) philosophique

Foucault et les extraterrestres (Triptyque, 2010) est le premier roman de Patrick Doucet, professeur de psychologie au cégep Marie-Victorin qui avait déjà signé un livre de voyage. L'ouvrage est court, dépassant à peine la centaine de pages, et le propos romanesque réduit à la portion congrue. L'essentiel du texte consiste en deux contes philosophiques relatés par deux personnages distincts. Au premier abord, les rapports entre le professeur Leroux — célèbre anthropologue spatial du XXIIe s. — et sœur Chahine — une religieuse qui pratique l'archéologie sur Terre à la même époque — peuvent faire penser à la relation épistolaire entre Galilée et sa fille Maria Celeste, une nonne. Mais le professeur et l'archéologue sont deux égaux dans l'ouvrage de Doucet — deux pairs qui correspondent en se faisant part de leurs découvertes respectives et qui s'aiment malgré la distance qui les sépare lorsque le professeur part pour explorer un autre système solaire et procéder à une enquête ethnologique sur une nouvelle espèce de sophontes. Toutefois, le lecteur constate vite que ces deux personnages ne sont guère que des prétextes à la relation des deux contes philosophiques en cause.

Le roman se termine sur leur ultime conférence conjointe, alors que Chahine relate une nouvelle variante du récit biblique de la Chute, révélée par ses investigations du passé de la Terre, tandis que le professeur Leroux raconte son observation de la planète P, dont les habitants se distinguent par leur destin particulier : nés d'un volcan, incapables de se reproduire, ils s'emparent d'une parcelle de terrain qui leur appartient, où ils font leur trou et où poussent des arbres à livres qui les fournit en lecture. Et lorsqu'ils terminent un livre, ils le déposent près de leur trou, édifiant à force qui un mur qui une tour (de Babel?). Ces créatures symbolisent assez clairement les savants, les lettrés, les érudits, bref, les amants du savoir qui se font d'une spécialité de la connaissance un bastion...

En fait, l'auteur oppose deux leçons tirées de ces deux allégories. Dans le nouveau récit de la Chute, c'est le chien qui est créé à l'image de Dieu, et à qui Dieu donne un compagnon, Adam (auquel il adjoint ensuite Ève). Mais Canis le chien, qui est doué de parole, se laisse circonvenir par le Serpent qui lui promet un os en échange de de chaque mot connu de lui. Le pauvre animal échange donc la pensée verbale, bref, la connaissance, pour l'aisance matérielle : c'est ce que le professeur Leroux appellera le marché de Canis. Sur la planète P, le professeur s'est intéressé par contre à Zipps, un héros des Pés (comme il appelle les habitants de ce monde). Zipps s'est lancé dans la lecture tous azimuts, s'ouvrant à toutes les catégories de livres alors que la plupart de ses congénères sont plus sélectifs. Ceci lui permet d'échafauder une tour dotée d'une saillie qui se projette dans la direction de ses voisins et lui permet d'aller à la rencontre de l'un d'eux, ou de voir plus loin — même s'il voit mieux le volcan originaire, toutefois, il ne peut en percer le secret. Ou échapper à la mort.

C'est ce que le professeur appelle le pari de Zipps, qui consiste à consacrer sa vie à la satisfaction de la curiosité intellectuelle qui nous sort de nous-mêmes en s'ouvrant à la pensée des autres (ce qui correspond au message d'une citation de Michel Foucault tirée de son introduction à L'usage des plaisirs, « C'est la curiosité - la seule espèce de curiosité, en tout cas, qui vaille la peine d'être pratiquée avec un peu d'obstination: non pas celle qui cherche à s'assimiler ce qu'il convient de connaître, mais celle qui permet de se déprendre de soi-même. » — d'où le titre du livre de Doucet).

Le roman peut s'achever dès lors — ce qui ne manque pas d'arriver, une bande d'extrémistes faisant sauter une bombe qui met fin aux jours du professeur Leroux et de sœur Chahine.

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2010-12-22

 

Réhabiliter Jospin...

Les longs cycles idéologiques et politiques m'interpellent.

Dans la foulée de la Première Guerre mondiale et du krach de 1929 (deux événements séparés par un intervalle pas si différent de celui qui sépare le 11 septembre 2001 du krach de 2008), les tenants d'un État interventionniste, voire providentiel, soit de droite (corporatisme, fascisme) soit de gauche (socialisme, communisme), l'ont disputé aux ultimes défenseurs du libéralisme du XIXe siècle. Entre l'élection de Franklin Delano Roosevelt et la victoire des Travaillistes anglais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, on peut dire que l'État-providence l'a emporté sur tous les fronts.

Ces repères historiques laissent croire que de nombreux événements contingents auraient joué un rôle dans le triomphe d'une idéologie redistributionniste dans de nombreux pays occidentaux et au-delà. Mais il s'agissait d'une tendance de fond, que les autoritarismes de droite et de gauche ont exploitée, et qui a fini par s'imposer même aux pays les plus libéraux. Un succès aussi large amène à croire qu'il devait exister à la base une conscience largement partagée d'un problème à résoudre. En première approximation, j'aurais tendance à suggérer qu'il s'agissait de la grande pauvreté des « misérables » de Hugo ou des « prolétaires » de Marx, en somme, de l'exclusion d'une grande masse de la population des fruits de la prospérité engendrée par les grandes révolutions industrielles du XIXe siècle. La conscience d'une grande indigence (matérielle, sociale, culturelle) coexistant avec une richesse capable d'y remédier aurait permis la mise en place d'un système assurant une meilleure répartition de la richesse.

Les sentiments mènent le monde, plus que la logique ou la raison. Sans la conviction que la pauvreté était un problème, les faits n'auraient rallié que la frange de la population qui prend le parti des faits (et peut-être uniquement parce que les faits sont de leur côté).

Où en sommes-nous aujourd'hui? Au sein des pays occidentaux, existe-t-il encore le sentiment que la pauvreté est un problème criant? Ou bien l'a-t-on abolie comme problème en la délocalisant en Chine ou en Inde, ou en la confinant à des populations marginales, issues de l'immigration, par exemple, dont la grande majorité de la population ne se sent pas solidaire? En fait, les succès mêmes de l'État-providence semblent avoir miné le sentiment d'une urgence et le débat public le plus viscéral porte depuis près d'un demi-siècle sur les coûts de ce système. Mais cela ne cache-t-il pas en fait le sentiment que la richesse de la majorité a cessé d'augmenter depuis la fin des Trente Glorieuses, ou de leurs équivalents dans la plupart des pays occidentaux? L'idéologie néo-conservatrice de droite s'est emparée de cet enjeu pour proposer une explication de cette stagnation de la croissance : fardeau fiscal trop lourd et dépenses sociales trop généreuses. L'échec de la gauche a été de nier jusqu'à très récemment la réalité des pressions économiques subies par la grande majorité des contribuables. La réaction la plus concrète — mais écartée avec obstination par les gauches dites « réalistes » ou de « troisième voie » depuis une vingtaine d'années — a consisté à proposer de relever le fardeau fiscal des plus riches (ou des banques, ou des grandes compagnies). Mais comme cette mesure ne profiterait pas de manière évidente à la majorité des contribuables des classes moyennes, mais surtout aux plus défavorisés et au maintien du statu quo, elle n'a pas obtenu l'adhésion du plus grand nombre, en l'absence du sentiment d'une urgence reliée à la pauvreté.

C'est pourquoi il faut réhabiliter Lionel Jospin, qui disait en 1999 qu'avant de répartir la richesse, il fallait la créer (ce qu'a repris depuis Dominique Strauss Kahn) : « Avant de redistribuer les fruits de la croissance économique, il faut qu'il y ait croissance et donc production. » Pas seulement d'un point de vue comptable, mais d'un point de vue profondément politique — parce que c'est nécessaire (mais non suffisant) à l'adhésion populaire en faveur d'une politique de redistribution. Outre ce desserrement de l'étau financier subi par les classes moyennes, il faudrait aussi ranimer un sentiment d'urgence ou d'indignation ou de pitié — en fait, n'importe quel sentiment autre que l'indifférence — face à la pauvreté et à la précarité.

Certes, depuis quelques années, les politiques de droite ont comme effet d'accroître la précarité, sinon la pauvreté en tant que telle. Ceci pourrait produire à terme des effets politiques, mais je doute de leur imminence, du moins tant qu'un contre-discours n'aura pas été articulé. La réalité ne suffit pas, même si elle est insupportable, tant qu'elle ne suscite pas de réaction largement partagée et qu'elle ne s'inscrit pas dans un cadre de compréhension des choses qui porte à l'action. Mais si la certitude d'une relance de la croissance était acquise, si la pauvreté de nos semblables redevenait une question brûlante et si un parti politique était capable d'exprimer pourquoi la solidarité rapporte plus que l'égoïsme, il serait alors permis d'espérer.

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2010-12-20

 

L'homme qui croyait aux hélicoptères noirs

Selon les rumeurs rapportées par Jeffrey Simpson dans le Globe and Mail du 17 juillet, la décision de mettre au rancart le formulaire long du recensement n'est pas une lubie de quelques ministres hérités de Mike Harris ou d'une faction de fondamentalistes libertaires au sein du parti Conservateur du Canada; en fait, elle remonterait à Stephen Harper lui-même.

Comme quoi le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre, ainsi que le veut un dicton québécois d'origine anglo-américaine... Le prédécesseur de Stephen Harper, Stockwell Day, croyait que les chutes du Niagara alimentaient le lac Erié et que l'humanité avait côtoyé les dinosaures, sans doute avant le Déluge... Bref, ni la paléontologie ni la loi de la gravité n'existaient pour ce fervent chrétien.

Le cas de Stephen Harper est encore plus inquiétant. Il n'est pas impossible qu'il soit le dirigeant canadien le plus déconnecté de la réalité depuis Mackenzie King, qui se servait d'une boule de cristal et de médiums pour s'entretenir avec les esprits de ses chiens, de sa mère décédée et de grands défunts comme Léonard de Vince, à la différence près que Mackenzie King était parvenu à ne rien trahir ou presque de ses tics superstitieux et consultations de l'au-delà durant ses mandats comme premier ministre.

En revanche, Harper s'arrange pour nous rappeler de temps en temps que son intelligence indéniable comporte un point aveugle : il croit volontiers à une conspiration — des élites, des fonctionnaires, des savants, des artistes et des pauvres qui méprisent, manipulent et exploitent les gens ordinaires... Bref, de temps en temps, il se montre sous un autre jour. Sous le politicien perce l'obsédé fanatisé qui n'est qu'à deux doigts de croire que le gouvernement (le sien?) dispose d'hélicoptères noirs pour espionner la population et implanter des balises radio dans les molaires des citoyens afin de pouvoir traquer chaque Canadien à distance.

Son opposition au recensement semble participer de cette paranoïa ciblée, qui fait de l'État l'ennemi des citoyens (et il prêche par l'exemple, démontrant depuis longtemps qu'un gouvernement comme le sien qui méprise le pluralisme démocratique peut instrumentaliser de manière dangereuse la puissance de l'appareil étatique quand il s'agit de faire taire les voix discordantes). La version longue du recensement serait trop intrusive, ou donnerait trop de prise à l'État sur les individus — ou, peut-être qu'en fait, le recensement long aurait surtout le tort de mettre en lumière des minorités qui n'ont pas voix au chapitre dans la plupart des grandes instances canadiennes et dont l'électorat conservateur fait peu de cas : femmes, immigrants, autochtones, minorités ethniques ou linguistiques...

Quoi qu'il en soit, la volonté de Harper de gouverner au mépris des faits et de la réalité (ce qui rappelle le slogan des Républicains de Bush convaincus de créer leur propre réalité) a de quoi inquiéter. Soit elle est obscurantiste, soit elle est profondément égoïste. Le résultat risque d'être le même, cependant, dans un cas comme dans l'autre.

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2010-12-19

 

Les signes du déclin

La trilogie des films d'Arcand — Le déclin de l'empire américain, Les invasions barbares et L'âge des ténèbres — a fait du Québec quelque chose comme l'Auvergne de Sidoine Apollinaire, province pas si lointaine emportée dans la débâcle d'un empire plus grand. Si le diagnostic du déclin et de la chute de l'Occident n'est pas nouveau (on relira Spengler, même si son ouvrage principal appelait au césarisme allemand pour sceller le déclin de l'Occident), il a de quoi convaincre cette fois quand on examine les signes d'un déclin possible.

Si le cœur de l'empire actuel est aux États-Unis, ceux-ci ont déjà leurs gladiateurs et leurs jeux du cirque. On a relevé dans l'histoire romaine l'importance accordée au programme de l'arène locale, quand les édiles d'une ville ravagée par une invasion barbare s'empressaient après-coup d'organiser un nouveau spectacle dans l'arène. Or, après le 11 septembre 2001, on vit toute l'attention des États-Unis se braquer sur le retour à la normale symbolisé par un nouveau match de baseball...

Pendant ce temps, les États-Unis reculent sur le plan de l'innovation et de l'éducation, au moins relativement à leurs rivaux. D'autres pays montent en puissance, accumulant les brevets, maîtrisant des technologies de pointe et monopolisant des ressources essentielles (comme les terres rares). Il y a quelques jours à peine, le nouveau classement PISA des élèves aux États-Unis reléguait l'ensemble du pays à la queue du peloton...

Pendant ce temps, des immigrants illégaux entrent par milliers et décrochent des emplois de misère, qui dans la domesticité d'une millionnaire qui dans un abattoir de poulets. Suite à la crise financière, le chômage augmente et stagne, en particulier chez les pauvres, tandis que les grands spéculateurs de Wall Street continuent à empocher la manne des boni de fin d'année...

Bref, tout cela peut rappeler les invasions barbares qui ont parfois commencé par être des migrations de réfugiés, déplacés par des peuplades plus lointaines, comme les Huns. Ou la richesse des grands propriétaires de villas romaines, capables de se replier sur leurs terres et de s'isoler du désordre environnant.

Et, certes, le Walmart d'aujourd'hui peut rappeler l'ergastule d'antan...

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2010-12-18

 

Contre moi, Dieu

Le roman de Patrick Senécal chez Coups de Tête, Contre Dieu, est un tour de force entièrement raconté à la deuxième personne, d'une lecture pénible mais juste assez prenante pour qu'on la poursuive malgré le malaise qui s'installe quand le protagoniste plongé dans le désespoir dès les premières pages du livre succombe à la conviction que rien n'a de sens et que ses actes eux-mêmes, par conséquent, n'ont pas à en avoir non plus, même quand il se livre à des gestes inconsidérés susceptibles — et c'est ce qui se passe — de dégénérer ou d'avoir des conséquences soit fâcheuses soit tragiques soit irréparables, ce qui l'enfonce de plus en plus profondément dans la certitude qu'il se met au diapason d'une existence chaotique, sans pardon à attendre de quiconque, à commencer par ce Dieu auquel il ne croyait guère — Lui rendait-il un culte ? avait-il même fait baptiser ses enfants ? — mais qu'il rend responsable de ce qui lui arrive alors qu'il serait plus juste de dire qu'il avait surtout cédé dans sa vie antérieure à la pression sociale qui fait d'une vie rangée — en couple, en famille, en banlieue — un idéal qui justifie certains sacrifices et certaines compromissions dont notre homme est désormais affranchi puisque tout lui a été enlevé par le destin, par Dieu ou par quelqu'un d'autre qui s'exprime à quelques reprises à la première personne, de sorte qu'il pourrait s'agir d'un texte fantastique dans la mesure où il donne la parole à une entité surnaturelle ou métaphysique à moins, bien sûr, que la guerre contre Dieu lancée par cet anti-Job (ce qui rappelle, pas tout à fait arbitrairement, qu'un Heinlein vieillissant avait signé Job: A Comedy of Justice) après qu'une ultime et atroce révélation l'ait poussé à bout au moment même où il s'était soûlé de violence jusqu'à rassasiement, ne s'adresse pas à une divinité qui ne jouait aucun rôle apparent dans sa vie passée mais au personnage qui est le véritable maître de ses destinées, l'auteur lui-même, Patrick Senécal, qui met en scène une spirale infernale pas si différente des Sept Jours du Talion (autre référence biblique, où une victime est également crucifiée) et qui avait déjà exploré la tentation complexe du nihilisme (Aliss, Le Vide), mais qui est bien le seul qui peut légitimement parler à la première personne dans un texte qu'il signe en se glissant dans la peau de Dieu, si je puis dire, afin qu'il puisse finir de vider, aimerais-je le croire, le dilemme qui se pose à tout auteur moraliste qui veut illustrer les grandes questions existentielles (le bien, le mal, le sens) en faisant subir des horreurs à ses personnages ou en leur faisant commettre des horreurs, ce qui met en cause non seulement une hypothétique responsabilité de l'auteur à l'égard de ses personnages (qui ne sont que des fictions en tant que personnages) mais sa réelle paternité des pensées qu'il fait naître en lui-même, des pensées qu'il suscite chez d'autres et des conséquences que sa création peut avoir sur la société en général : une interrogation qui est aussi une réponse aux questionnements du personnage principal puisque les conséquences de nos choix ont un sens si et seulement les autres comptent et si nous comptons nous-mêmes, une vérité entrevue par le personnage de Mélanie dans le roman, si bien qu'en définitive, le combat d'un sujet de roman contre son démiurge ne peut être que la lutte pour acquérir un sens distinct des caprices et intentions de l'auteur et pour obéir plutôt à une cohérence (interne, externe, entière...) qui lui permettra d'échapper à sa condition subalterne et subsidiaire de sujet créé en le faisant accéder au rang de créateur à son tour grâce à son incarnation complète — parce que vraisemblable — dans la conscience des lecteurs.

Bref, Contre Dieu est un argument en faveur d'une littérature pleinement rationnelle — comme la science-fiction, mettons — et je suis entièrement en faveur.

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2010-12-17

 

L'aventure d'un mot dans deux langues

Le nouvel outil d'analyse du corpus linguistique de Google procurera des heures de plaisir (peut-être instructif...) aux amateurs de l'évolution terminologique des langues représentées dans les bases de données de la pieuvre... Il va falloir que je résiste à la tentation, mais j'ai quand même fait une petite expérience. Voici les statistiques de l'emploi du terme « science fiction » dans les textes disponibles en anglais entre 1945 (l'année de Hiroshima et Nagasaki qui, selon Don Wollheim, a joué un rôle décisif dans la reconnaissance de la science-fiction) et 2008.Cette première figure tend à démentir Wollheim ; il s'en faut de quelques années avant que le terme décolle vraiment, vers 1950 (au moment de la bombe atomique soviétique ? du lobbying spatial de plus en plus affirmé de von Braun et consorts ? à cause de l'apparition de nouveaux films de science-fiction ?). Il est clair qu'une inflexion marquée intervient après Apollo XI et que la science-fiction connaît un pic de popularité entre 1975 et 1985 (les années Star Wars, qui correspondent aussi à la rencontre de plusieurs générations de lecteurs assurant la best-sellérisation d'Asimov et compagnie). Après le creux de la vague vers 1990, un second pic semble coïncider, entre 1995 et 2005, avec l'apogée de la bulle des technos. Depuis, il y a décrue...

Qu'en est-il en français ? Pour la même période, les différences sont frappantes.Cette seconde figure montre une quasi-absence du terme jusqu'en 1950 (alors qu'il était quand même présent dans le monde anglophone). La coïncidence de ce premier point d'inflexion dans les sphères anglophone et francophone laisse entendre qu'il a pu exister des influences communes aux deux.

La suite est par contre plus intéressante. Il y a un premier pic entre 1965 et 1975, qui est centré sur l'alunissage d'Apollo XI, encore que l'événement lui-même n'a aucun effet apparent. Après une brève décrue, le pic le plus marqué émerge entre 1980 et 1990 (l'effet Star Wars et Goldorak ?). Suite à une nouvelle décrue, la bulle des technos stimule peut-être une légère remontée, mais c'est en fait l'amorce d'un plateau qui semble se prolonger. Pas de déclin comme en anglais, pas d'effet de mode... Le concept de la « science-fiction » ferait-il désormais partie des meubles en français ?

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2010-12-16

 

Le futur dans la France de l'entre-deux-guerres

L'anticipation dans la France de l'entre-deux-guerres, c'est le sujet d'un livre de Roxanne Panchasi, Future Tense: The Culture of Anticipation in France between the Wars (2009). Mais il ne faut pas se méprendre : même si elle n'hésite pas à citer les romans de science-fiction de l'époque, elle se préoccupe avant tout des autres manifestations d'un souci de l'avenir dans cette France si lointaine et pourtant si proche... (L'absence de la moindre allusion à Régis Messac démontre à quel point la science-fiction est secondaire ici.) Ce qui l'intéresse, c'est le contexte social et culturel d'une France obnubilée par le proche avenir. Et c'est ce qui peut nous intéresser également. Ne vivons-nous pas aujourd'hui dans un monde hanté par le spectre de conflits à venir (avec les extrémistes islamiques ou la puissance montante chinoise, au choix) ? Ne vivons-nous pas une crise financière et économique qui peut rappeler les mois et les années difficiles des années trente ? Ne sommes-nous pas assommés par une propagande qui incline à l'alarmisme sur tous les fronts ? Cela dit, l'histoire ne se répète pas en tous points : la crise environnementale, la décroissance démographique ou la question du pic pétrolier n'ont pas d'équivalents véritables dans la France de l'entre-deux-guerres. Et les menaces montées en épingle par les déclinologues et prophètes de malheur ont rarement la même ampleur que le programme proprement satanique adopté par un pays, l'Allemagne, qui était quelque chose comme la troisième ou quatrième puissance mondiale au temps d'Adolf Hitler...

Panchasi établit des liens qui, dans certains cas, étaient absolument neufs pour moi. Ainsi, dès le premier chapitre, elle souligne le rapprochement que l'on peut faire entre la nécessaire réhabilitation des amputés et le développement de meilleures prothèses, et la popularité croissante de la mécanisation du quotidien. Tandis que les transports en commun s'adaptaient à une population mutilée en introduisant la priorité aux blessés de guerre, des innovateurs se penchaient sur l'électrification et l'automatisation des cuisines, ou sur la mise au point de chaises plus reposantes. Entre les mains d'un Corbusier, même l'humble chaise longue devenait une machine à vivre offrant ce que d'autres appelleraient le « Surrepos ». Du coup, si ce que Panchasi relève en France s'appliquait aussi en Allemagne, il y a de quoi se poser des questions sur la remise en question de la vie — et sur l'apparition de robots (des extensions de l'homme rapiécé avec des prothèses) dans des films comme Metropolis.

Le deuxième chapitre du livre s'intéresse à l'urbanisme du futur dans la France de l'entre-deux-guerres. Outre Le Corbusier (et ses inspirateurs, dont Tony Garnier et Auguste Perret) qui étaient partisans d'une nouvelle architecture en hauteur, ce sont aussi des auteurs de sf (Robida, Gervais et Côté) qui sont évoqués — y compris ceux qui envisageaient la destruction de Paris selon Jean-Marc Gouanvic, que cite Panchasi. La loi Cornudet de 1919 encourage la planification urbaine en France, mais ce sont aussi des considérations socio-politiques qui sous-tendent le débat entre le développement en banlieue d'une « ceinture rouge » (axée sur le logement social) ou d'une « ceinture verte »...

Le troisième chapitre, auquel on doit l'illustration de couverture, se penche sur la hantise de la prochaine guerre en France. En un sens, la ligne Maginot est un monument à une pensée futuriste, peut-être un des plus grands ouvrages d'art entièrement dictés par une vision de l'avenir plus que par le contexte présent. En même temps, la peur de la guerre à venir est aiguisée par la possibilité du déploiement de nouvelles armes terribles — en particulier les gaz toxiques...

Le quatrième chapitre analyse les discours de l'époque qui faisait des États-Unis d'Amérique l'expression même du futur, en les opposant ou non à une certaine idée de la « civilisation française »... L'avenir était littéralement devenu un pays étranger. Quant au dernier chapitre, il se penche sur la vogue de l'espéranto en France et sur les tentatives de s'en servir pour faire échec dans les contextes internationaux à la prédominance grandissante de l'anglais.

Présenté de cette manière, l'ouvrage de Panchasi est clairement un peu hétéroclite, et un peu trop court. Mais il permet de mieux comprendre les auteurs contemporains de science-fiction qui devaient vivre avec ce sentiment partagé en France d'une rupture à venir, à la fois désirée et redoutée. À tout le moins, il n'est pas inutile de rappeler que l'anticipation de bouleversements à venir était essentiellement correcte... Espérons que ce livre servira de pierre angulaire à de nouvelles investigations et des réflexions plus approfondies.

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2010-12-15

 

Accélérer la matière... puis l'esprit

En janvier 2007, je notais en passant l'expression de certains doutes relativement à la Singularité de Vinge et Kurzweil. Les progrès techniques depuis cinquante ans n'ont pas tellement bouleversé le paysage des pays industrialisés : automobiles, avions et trains se déplacent plus ou moins à la même vitesse qu'avant (il y a plus de TGV dans le décor, mais le Concorde a été abandonné). En revanche, sur une période plus longue, on ne peut nier que de nouvelles technologies ont accéléré l'allure de nos déplacements depuis le XVIIIe siècle : routes macadamisées, trains, bateaux à vapeur, automobiles, avions... En même temps, la vitesse des communications a augmenté encore plus vite, de l'allure du cavalier aux fesses les plus endurcies jusqu'à la vitesse de la lumière, même si cette accélération semble également plafonner depuis quelques décennies.

Ce qui change désormais, c'est la bande passante. Au temps du code Morse, elle était ridicule. Désormais, on peut regarder la télévision au téléphone... Cette révolution associée à l'essor de l'informatique personnelle et d'internet n'a pas bouleversé immédiatement les statistiques de la productivité économique, de l'avis de plusieurs économistes, mais elle commence peut-être à produire des effets tangibles — dans le contexte d'une crise économique qui n'est pas sans rappeler le contexte de la Dépression qui aurait stimulé le développement de nouvelles technologies, l'investissement dans l'innovation et le pari sur le futur.

Même si le contenu qui accapare cette bande passante n'est pas toujours enthousiasmant, la conjonction de la communication à la vitesse de la lumière et de l'accès à l'information sans limite ou presque induit peut-être une accélération moins évidente que celle qui résultait des grandes inventions du passé. Cette fois, ce ne sont plus les marchandises qui se déplacent plus vite (par avion, par camion, par cargo), mais c'est le travail humain qui est accéléré. Prendre rendez-vous pour un déjeuner d'affaires ? Pourquoi faire quand il suffit d'appeler pour se parler... Du coup, c'est le rythme de la journée de travail qui s'emballe. C'est l'enchaînement des tâches. C'est la cadence de nos pensées.
(Juin 1942, Edgewood Arsenal, Maryland : recyclage de masques à gaz — Library of Congress LC-USW3- 004787-D)

De fait, l'ambiguïté de cette nouvelle accélération, c'est bien qu'elle ne concerne plus uniquement les objets de notre quotidien (meubles suédois, gadgets chinois, fruits des antipodes...) mais qu'elle s'en prend désormais à nous. Nous profitons de cette accélération, mais nous la subissons aussi. Elle fait de nous des facteurs de productivité accrue. Et ce qui était confiné autrefois aux heures de travail de l'ouvrier asservi à une chaîne de montage envahit désormais toutes les sphères du quotidien. Le moindre différend entre deux individus peut générer autant de courriels qu'il fallait autrefois de télégrammes et de missives pour déclencher une guerre mondiale — avant d'aboutir à une conférence de paix à temps pour la fin de semaine. Autrefois, on discutait avec ses camarades des émissions de télévision, le lendemain, au bureau ou au café; aujourd'hui, on peut donner son avis en direct par Twitter, Facebook, etc. L'époque du travail à la chaîne exigeait une adaptation réciproque de l'humain et de la machine, mais quand plus personne ne dicte le rythme de fonctionnement de l'environnement médiatisé, qui donc pourrait le ralentir au besoin?(Octobre 1942, Long Beach, Californie : travail d'installation et d'assemblage de composants électriques dans les locaux de la Douglas Aircraft Company — Library of Congress LC-USW36-97)

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2010-12-14

 

Le projet de loi C-32

Le projet de loi C-32 destiné à moderniser la Loi sur le droit d'auteur est un monstre.

Ce n'est pas qu'il soit détestable à tous points de vue, mais il entasse pêle-mêle — et sans égard aux avis des créateurs — de nombreuses innovations juridiques qui sont parfois utiles, parfois obscures, parfois indéfendables... et même contraires à l'occasion aux conventions internationales. Le site de Culture Équitable fournit de nombreux aperçus sur les conséquences d'une loi élaborée dans le sens d'un sacrifice unilatéral de la plupart des intérêts actuels des créateurs, en ne considérant souvent que les seuls intérêts des usagers et des industriels.

En attendant d'avoir le temps d'analyser en détail ce projet de loi, je retransmets l'information suivante que j'ai reçue de l'Association des auteures et auteurs de l'Ontario français (AAOF) au sujet du comité législatif chargé d’étudier le projet de loi C-32.

Ce comité législatif siège deux fois par semaine (deux heures chaque fois) les lundis et mercredis, depuis cette semaine, je crois (les mardis et jeudis à partir du 31 janvier 2011). On peut écrire aux membres du comité législatif pour faire connaître sa position sur le projet de loi C-32. Voici leurs courriels :

Pablo Rodriguez - Lib : Rodriguez.P@parl.gc.ca

Marc Garneau - Lib : Garneau.M@parl.gc.ca

Dan McTeague - Lib : McTeague.D@parl.gc.ca

Carole Lavallée - BQ : LavalC8@parl.gc.ca

Serge Cardin - BQ : Cardin.S@parl.gc.ca

Charlie Angus - NPD : Angus.C@parl.gc.ca

Sylvie Boucher - Cons : Boucher.S@parl.gc.ca

Kelly Block - Cons : Block.K@parl.gc.ca

Peter Braid – Cons : Braid.P@parl.gc.ca

Mike Lake - Cons : Lake.M@parl.gc.ca

Dean Del Mastro - Cons : DelMastro.D@parl.gc.ca

Gordon Brown, Cons (Président) : Brown.G@parl.gc.ca

On peut aussi écrire à son député, bien entendu...

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2010-12-13

 

Le butin du Québec à Ottawa

Pourquoi Jean Charest ne réclame-t-il pas plus de moyens d'Ottawa? C'est la question que posait le rédacteur du Journal de Québec, J. Jacques Samson, dans un éditorial du 2 décembre dernier.

La réponse est claire : le Québec n'exerce plus aucune influence à Ottawa depuis que la moitié des sièges de la province sont plus ou moins trustés par le Bloc québécois.

Harper a courtisé le Québec lorsqu'il a cru pouvoir réaliser une percée dans la foulée des succès de 2006, mais, pour des raisons jamais vraiment éclaircies, il a tourné le dos à toute possibilité d'un élargissement de la base conservatrice au Québec en 2008. Depuis, il est clair qu'il a fait une croix sur le Québec, de sorte qu'il a les mains beaucoup plus libres pour conduire les politiques qu'il préfère, et qu'il se contente d'assurer le service minimum, politiquement parlant, dans la province. Ou moins que le minimum, notera-t-on — si on a suivi la saga de l'amphi du maire Labeaume à Québec...

Mais sur qui le Québec pourrait-il faire pression dans ce contexte pour réclamer son prétendu butin ? Le NDP n'a qu'un siège québécois et le Parti libéral dispose du reste, mais ni l'un ni l'autre ne sont au pouvoir, et ni l'un ni l'autre ne peuvent ambitionner des gains importants tant que le Bloc québécois maintiendra son assise. Et si Charest accusait les Libéraux de ne pas assez défendre les intérêts du Québec à Ottawa, il ferait avant tout le jeu du Bloc québécois, dont toute expansion réduirait d'autant l'influence du Québec à Ottawa.

De fait, lors de la crise de la prorogation en 2006-2007, Harper a réalisé le rêve des nationalistes de l'Ouest canadien : en démontrant que le reste du Canada ne tolérerait qu'avec difficulté que le Bloc québécois exerce un pouvoir quelconque à Ottawa, ne serait-ce qu'en appui tacite à une coalition, Harper a essentiellement neutralisé, voire démantelé, les derniers vestiges du French Power inauguré par l'époque Trudeau honnie de l'Ouest, aussi longtemps que le Bloc québécois dominera la représentation québécoise francophone à la Chambre des Communes.

Néanmoins, tout n'est pas perdu pour le Québec. Charest est dans une situation désespérée qui lui permet — voire l'oblige — à envisager tous les gambits. Si aucun des partis fédéralistes à Ottawa ne peut procurer au Québec son « butin », il ne reste plus qu'à le réclamer du... Bloc québécois.

Car les griefs et réclamations qu'on adresse à Jean Charest, celui-ci pourrait tout aussi bien les adresser au Bloc québécois, qui se fait élire à répétition en prétendant défendre les intérêts du Québec, mais qui n'a pas fait avancer les dossiers qui rapporteraient le plus. D'ailleurs, selon quelle logique Jean Charest serait-il plus responsable de la situation qu'un parti bien en place au cœur du pouvoir fédéral ?

Du point de vue souverainiste, le Bloc québécois a pleinement atteint son objectif en creusant le fossé entre le Québec et le reste du Canada. La droite canadienne tient les souverainistes pour des traîtres — à tout le moins au système de gouvernement du pays : le Bloc québécois est-il véritablement une opposition loyale? La gauche canadienne estime les positions sociales du Bloc québécois, mais elle commence à piaffer en trouvant que, dans les faits, le Bloc québécois maintient Harper au pouvoir. Et les Québécois constatent que, dans les faits, le reste du Canada tourne de plus en plus le dos au Québec et aux francophones — ceci n'étant pas sans rapport avec cela. De ce point de vue, mission accomplie !

Mais tout en se voulant souverainiste, le Bloc québécois présente aussi régulièrement un argumentaire fédéraliste pour se faire ré-élire. Il serait donc temps de le mettre en face de ses contradictions...

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2010-12-12

 

Poudrerie d'automne, saison de Noël

Ruban noir effrangé sur un grand manteau blanc,
l'autoroute n'est qu'un étroit fil qui raccroche
les fêtards de Noël au bercail le plus proche,
un chemin tout rongé, qui n'est plus qu'un semblant,

une piste poudrée, parcourue d'un pas lent
pour ne pas s'envoler après une bamboche
et fendre le vent, la neige, jusqu'à la roche,
point d'arrivée fatal au terme de l'élan.

En pleine tempête, les bras tremblants et durs,
le chauffeur n'est qu'une volonté qui endure

aveugle à la beauté de la neige aux filets
ourlés par le blizzard au ras de la chaussée,
aux torsades blanches qui le pavé balaient,
tant qu'il est temps de rêver de vœux exaucés

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2010-12-11

 

L'avant-dernière sortie de Riquet le Potier au grand écran

Eh oui, nous sommes allés voir l'avant-dernier film de la série des Harry Potter au cinéma. Arrivés à la dernière minute, il restait encore plusieurs minutes de réclames diverses... et beaucoup de sièges disponibles.

C'était la première fois que je voyais un Harry Potter en français (et je n'ai pas non plus lu les romans en français). Même si j'ai été obligé de rectifier mentalement quelques expressions inédites pour moi (Chemin de traverse = Diagon Alley, Chaudron baveur = Leaky Cauldron), ce n'était pas trop compliqué en général, encore qu'il m'ait fallu près de la moitié du film pour comprendre que lorsque les personnages parlaient de transplaner, cela correspondait au terme apparate de la version d'origine. Il y en aurait long à dire sur les aléas de la traduction, les jeux de mots qui se perdent et l'enracinement plus concret de la terminologie anglaise... mais je suis un peu fatigué du sujet.

Quoi qu'il en soit, la langue n'était pas vraiment une barrière puisque je conservais un souvenir assez net (mais pas trop détaillé) du roman. La logique de l'action permet de faire abstraction de la langue qui la véhicule, en particulier dans un contexte extrêmement visuel.

Quant au film, il était fort spectaculaire et très bien mené. Mais tout comme pour les ultimes livres de la série, j'ai eu plus de mal à embarquer, en partie parce que la lutte contre le seigneur des ténèbres, le mal ultime, etc. etc. prend le dessus sur les affres des personnages, qui étaient au centre des premiers romans et qui faisaient de Harry en particulier un personnage exceptionnellement attachant. Creux, à la rigueur, mais n'est-ce pas le mal du siècle d'une génération qui cherche de quoi remplir sa vie? Maintenant que Harry connaît son destin, tout retard suscite l'impatience et c'est ce qui explique sans doute pourquoi on peut avoir l'impression que le film, tout comme le roman, traîne en longueur par moments.

Ce qui ne m'empêchera nullement d'aller voir le dernier film. Si ce n'est que pour tourner la page.

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2010-12-10

 

Le conformisme par facilité ?

Pourquoi la jeune génération Y nous semble-t-elle — à certains d'entre nous du moins — plus conformiste que celle de ses parents ?

Outre le contexte progressiste des années soixante et soixante-dix qui avaient érigé le dynamitage des valeurs établies (dévotion religieuse, ruralisme, racisme, sexisme) en pré-requis de la société de demain et le ralentissement récent des progrès susceptibles de sous-tendre un tel discours progressiste, il faut reconnaître que les parents des baby-boomers étaient plus qu'un peu cette « Greatest Generation » qui avait remporté la Seconde Guerre mondiale, assuré la prospérité de l'économie, fondé l'État-providence, marché sur la Lune et pris au sérieux les droits fondamentaux. Pour faire mieux, il allait falloir se lever tôt et se retrousser les manches — ou bien trouver une manière de ringardiser ces accomplissements en faisant passer leurs responsables pour des fossiles. D'où la contre-culture. Mais la rébellion ne saurait être aussi vive chez les jeunes d'aujourd'hui. Leurs parents se désespéraient de faire mieux que la génération de leurs grands-parents, mais les jeunes d'aujourd'hui ont le droit de trouver parfaitement réaliste l'ambition de faire mieux qu'une génération qui lègue à ses enfants des familles éclatées, des pays endettés jusqu'à la gauche, un monde miné par l'expansion des fondamentalismes religieux, en particulier islamistes, et une relève déficiente. Du coup, pas besoin de changer les règles pour jouer le jeu. Si le but du jeu, c'est de faire mieux que ses parents, il n'y aura pas besoin de faire preuve d'imagination, car la barre n'est pas fixée très haut.

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2010-12-09

 

Un colloque au CIRST

Le programme des Journées 2010 du CIRST était fourni (.PDF), mais il se limitait à une seule journée. Contrairement, il me semble, à certaines éditions précédentes.

La session du matin était la plus intéressante pour un historien, même si j'avais dû me lever tôt pour arriver à Longueuil en autocar et prendre le métro afin d'être là pour le début à 9 h 30. La présentation de François Duchesneau portait sur le concept d'organisme, préfiguré par le modèle du cerveau de Sténon et aussi par la Cosmologia sacra (1701) de Nehemiah Grew, envisagé par Georg Ernst Stahl et pleinement articulé par Leiniz. À la croisée du mécanicisme, de l'anatomie microscopique et de l'anatomie comparée, Leibniz faisait déjà référence en 1695 à la « machine de la nature », mais il explicite en 1704, dans une lettre à Lady Masham, la notion de l'organisme en se référant à une organisation biologique non seulement semblable à une machine dans son ensemble, mais dont les parties sont également semblables à une machine et se composent de sous-parties également semblables à des machines, et ainsi de suite... Leibniz complète ainsi un élan de la pensée philosophique amorcé, entre autres, par Descartes et aussi par Thomas Hobbes, dont les premières lignes du Leviathan notaient en 1651 : « Nature (the art whereby God hath made and governes the world) is by the art of man, as in many other things, so in this also imitated, that it can make an Artificial Animal. For seeing life is but a motion of Limbs, the begining whereof is in some principall part within; why may we not say, that all Automata (Engines that move themselves by springs and wheeles as doth a watch) have an artificiall life? For what is the Heart, but a Spring; and the Nerves, but so many Strings; and the Joynts, but so many Wheeles, giving motion to the whole Body, such as was intended by the Artificer? » Ce qui était une imitation est devenu un modèle, mais, depuis Descartes, les philosophes n'ont cessé de parler de la vie en termes machiniques et Leibniz ne se distingue peut-être de ses devanciers qu'en prenant des exemples techniques plus sophistiqués (on passe des automates mouvants de Descartes à des moulins). Il y avait depuis longtemps une labilité certaine de termes comme « organe » qui renvoyait, dès les Grecs, aussi bien à des organes vivants qu'à certains mécanismes (comme l'orgue!)... Mais je m'éloigne des propos de Duchesneau, dont on voudra lire le livre, Leibniz, le vivant et l'organisme.

Ensuite, Frédéric Bouchard a discuté du concept d'individu biologique, qui est devenu un peu flou dans la science moderne en raison de l'adoption du concept de colonies, de clones (végétaux, arboricoles), de symbioses et du fonctionnement quasi biologique de certaines constructions (les termitières). Il note qu'à la fin du XIXe s., les fonctions ont pris de l'importance au détriment de conceptions plus holistiques... Distrayant et instructif.

Enfin, Julien Prud'homme a enchaîné avec une communication sur la ductilité et la malléabilité du concept d'autisme. Celui-ci serait devenu, au Québec sinon en Amérique du Nord, le principal prisme d'interprétation des déviances. Diagnostic de substitution? Cette possibilité est confortée par le fait que, dans le système scolaire québécois, par exemple, les diagnostics de certaines dysphasies auraient diminué au fur et à mesure que les diagnostics d'autisme augmentaient. Surtout que le spectre des troubles reliés à l'autisme s'est nettement élargi après 1990, au plus grand profit de certaines spécialités et ressources québécoises qui étaient en quête de nouveaux rôles.

En fin de matinée, Jean-Pierre Beaud a recensé certaines dimensions du débat politico-scientifique autour de la version longue du recensement canadien. D'une part, tous les statisticiens s'accordent pour dire que le caractère obligatoire est plus important que la taille de l'échantillon : si on opte pour une enquête auprès de 30% de la population sans qu'une réponse soit exigée, le résultat sera moins fiable et utile qu'un recensement détaillé et obligatoire de 20% de la population. D'autre part, le gouvernement a accumulé les arguments (spécieux, en ce qui me concerne), allant de l'incontestable (« 30%, c'est plus que 20% ») aux arguments idéalistes (les données fournies volontairement seront plus fiables que les données obtenues par coercition). Ce faisant, il a soulevé des débats intéressants.

Par exemple, doit-on inclure l'ignorance, l'incompréhension, etc. dans les réponses, comme ce sera le cas dans un sondage obligatoire, ou vaut-il mieux les exclure a priori en ne réclamant que les réponses des personnes capables de répondre? En un sens, dans le second cas, les réponses reflètent mieux l'état réel du civisme des Canadiens et de la démocratie canadienne, en excluant d'avance ceux qui en sont exclus ou s'en excluent de toutes façons... Mais si un recensement sur une base volontaire attire la même participation déclinante que les élections, ce sera bien vite la majorité du pays qui n'apparaîtra plus dans les chiffres officiels — ce qui ne déplairait pas forcément aux Conservateurs de Harper.

À l'ère de la transparence, peut-on défendre un sondage qui n'était effectivement obligatoire qu'à la faveur d'un voile d'ignorance ? La plupart des répondants ignorant que les pénalités annoncées en cas de refus de répondre n'avaient pratiquement jamais été appliquées...

Cela dit, la tendance récente des sondages de Statistique Canada à faire une place aux questions sur les perceptions des gens, et non sur des réalités concrètes, prêtait parfaitement le flanc à la rhétorique démagogique des Conservateurs. Les sciences sociales ont aussi souvent démoli l'État que les néo-conservateurs, d'ailleurs, en prêchant la méfiance de l'autorité, etc. Du coup, les puristes se retrouvent... De plus, l'évolution même du Canada sur le sujet de la tolérance et de l'acceptation des différences a compliqué la tâche de défendre un recensement qui pose des questions sur les différences en risquant de réifier des groupes (autres que ceux qui sont officiellement reconnus par la Constitution) de manière inégalitaire.

Bref, si j'interprète un peu (beaucoup), le recensement fonctionnait comme une boîte noire, mais maintenant que l'ouverture de la boîte noire suscite des doutes, les défenseurs de la transparence sont mal placés pour réclamer qu'on la referme.

Ensuite, Jean-Guy Prévost a offert un petit survol des solutions de rechange au recensement dans les autres pays. De nombreux petits pays se basent non sur des recensements mais sur l'exploitation de registres administratifs — dans lesquels il est plus ou moins obligatoire de s'inscrire. Le seul grand pays à employer cette solution est l'Allemagne, pour des raisons historiques et politiques. (Paradoxalement, les Allemands trouvaient un recensement plus intrusif et contraignant que l'inscription dans des registres pas nécessairement plus sûrs...) D'autres pays ont opté pour des solutions mixtes et la France procède depuis quelques années à un recensement tournant sur une base régionale complété par des enquêtes annuelles.

Pour ceux qui voudraient sauver le recensement long, il y a un site (en anglais).

Les présentations ont pris fin avec une communication de Pierre Doray sur les palmarès universitaires qui font fureur depuis quelques années en opposant les universités à l'intérieur d'un pays ou dans plusieurs pays. Au Canada, ces palmarès servent d'arguments à des universités dont la concurrence est aiguisée par la décroissance attendue des inscriptions étudiantes en raison de l'évolution géographique attendue. Quant à Yves Gingras, il a abordé le même sujet en établissant une distinction entre « évaluer » et « classer ». L'évaluation est toujours possible, mais il y a un effet de classement qui est une officialisation propice à toutes les instrumentalisations, si j'ai bien compris, dont l'évaluation des étudiants en fonction des universités dont ils sont issus. Après tout, il existe des organisations dont les évaluations sont valables (comme SCImago). De toute manière, la mobilité des étudiants est limitée dans la plupart des cas, même si les exceptions comprennent les étudiants les plus convoités (les plus riches ou les plus performants). Bref, il n'y avait pas beaucoup de fans des palmarès dans la salle... mais c'était peut-être naturel à l'UQÀM, qui est souvent la mal-aimée des sondages qui font la place belle aux perceptions...

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2010-12-08

 

Le grand retour du blogueur

Cela faisait longtemps que ce blogue n'avait pas connu une aussi longue interruption. Mais c'est que j'ai été occupé.

Depuis la signature du contrat pour l'écriture de Suprématie en juin 2008, j'ai enchaîné — ou fait coïncider — durant cette période :

— l'écriture avec Yves Meynard de Suprématie (publié en 2009)
— la préparation pour publication du recueil Les Marées à venir (publié en 2009)
— la préparation pour publication avec Yves Meynard du recueil Les Leçons de la cruauté (publié en 2009)
— un post-doctorat d'un an
— des publications de textes divers dans la revue Liaison, le bulletin L'Omniscient de l'Association des communicateurs scientifiques, l'ouvrage Quels débats pour le XXIe siècle? et l'anthologie The Aurora Awards: Thirty Years of Canadian Science Fiction
— la soumission de deux articles et une notice pour un dictionnaire
— six communications universitaires dans des colloques ou congrès, de Peyresq en France à Victoria au Canada, en passant par Québec et Montréal
— l'enseignement de sept cours universitaires (et des poussières) totalisant plus de 850 étudiants
— l'écriture ou la publication de six nouvelles originales (et des poussières), sans compter les rééditions
— ma participation à l'organisation du congrès mondial de science-fiction Anticipation en août 2009
— un mandat de quatre mois comme conservateur des sciences physiques au Musée des sciences et de la technologie du Canada
— la traduction d'un roman de plus de 320 000 mots de l'anglais au français
— et une vie personnelle bien remplie qui a inclus, entre autres, des fiançailles, l'achat d'un appartement, un déménagement de Montréal à Québec et un mariage avec ma bien-aimée (photo ci-dessous) Le tout en faisant des aller-retour presque hebdomadaires entre Montréal et Ottawa, puis entre Québec et Ottawa jusqu'au déménagement final en août dernier...

Mais, désormais, mon horaire se libère un peu et le blogue devrait reprendre vie. Avec un peu de chance.

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2010-12-07

 

Passage à la télévision internationale

En principe, c'est demain que TV5 doit diffuser l'épisode sur la chimie de sa série « Science ou fiction ». Selon les informations dont je dispose, la diffusion aura lieu à 19 h le 8 décembre au Canada, avec une rediffusion le 9 décembre à 9 h 30. Il sera question de certains mythes urbains (avec tout au plus un fond de vérité, si on creuse très loin) relatif à la chimie en général, mais plus précisément à la chimie de l'alimentation.

J'ai participé au tournage de l'émission l'été dernier, non pas pour rétablir les faits (a priori, les réalisateurs avaient fait appel à des chimistes et biochimistes nettement mieux qualifiés que moi) mais pour aventurer quelques hypothèses afin d'expliquer la popularité de ces mythes très répandus. Je crois avoir dit quelques choses intelligentes, même si j'étais dans un état proche de l'épuisement complet à cette époque, mais reste à savoir si les réalisateurs auront retenu ce que j'ai dit de plus intéressant.

Le suspense commence...

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