2007-06-30

 

L'ancienneté du neuf

Pourquoi le passé se rapproche-t-il de nous quand nous vieillissons?

J'esquissais une réponse à cette question dans un billet précédent. Ce n'est pas seulement que notre propre passé devient plus riche, émouvant et immédiat que le présent, les incidents de l'anfance et de la jeunesse prenant une importance démesurée qui persiste tandis que le présent ou les années récentes s'effacent de plus en plus vite de notre mémoire, si même les événements d'hier ou avant-hier parviennent à marquer cette pierre de plus en plus réfractaire. Le passé devient alors une contrée plus vaste, plus riante et plus attirante pour le voyageur du temps qui peut y prendre ses aises, tandis que le présent change si vite qu'il donne l'impression de s'effriter sous nos pieds.

Toutefois, il y a autre chose. En vieillissant, on acquiert en guise de contrepartie la possibilité de lancer des ponts vers des passés de plus en plus lointains parce que le temps a désormais une métrique. Tout semblait figé, presque complètement statique au temps de l'enfance. Les édifices étaient éternels et les individus aussi. Mais une fois que le changement s'observe, il nous fournit des repères pour mesurer à la fois ce qui change et ce qui ne change pas.

Prenons un exemple concret. Le mois dernier, avant de visiter le musée gallo-romain de Nice et les ruines de Cemelanum, j'ai fait le tour du jardin public contigu. Les enfants qui jouaient en ballon, les familles qui pique-niquaient, les kiosques qui ouvriraient après la sieste pour offrir des jeux ou des friandises, tout me rappelait ma propre jeunesse et si ces humbles réalités du quotidien continuaient, presque inchangées, cela me permettait d'imaginer que trente ou quarante ans avant mes plus anciens souvenirs, les choses ne seraient pas si différentes non plus, à quelques détails vestimentaires ou linguistiques près. C'est ce qui me permet d'imaginer sans beaucoup de peine les promeneurs dans un parc semblable (ou le même) il y a cinquante ou soixante ans... Comme si je venais de passer par une porte temporelle.

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2007-06-29

 

Le Canada autochtone

Quand l'argent tombe du ciel, personne ne s'interroge sur sa provenance. En arrivant au pouvoir, le gouvernement Harper a décrété une réduction de la TPS qui correspondrait à une réduction annuelle de 4,5 milliards des revenus du gouvernement, selon le premier ministre. Mais d'où venait cet argent? Le gouvernement Harper dépense aussi pour l'armée et son équipement et sa mission en Afghanistan; ces montants se chiffrent en milliards. Puisqu'on réduit les taxes, d'où vient donc cet argent?

J'avais évoqué précédemment les excédents financiers prévus l'hiver dernier, avant les petits cadeaux budgétaires de Flaherty et Harper qui les avaient essentiellement éliminés. Bref, ce sont les surplus budgétaires, y compris la fameuse marge de sécurité de Paul Martin, qui ont été absorbés par une partie des réductions et des dépenses du gouvernement conservateur.

Mais il y a aussi eu des coupures, qu'on aurait tort d'oublier. Ainsi, l'accord de Kelowna avec les autochtones du Canada a été jeté à la poubelle par Harper; cet accord négocié non sans mal aurait investi dans les communautés autochtones un milliard de dollars par année pendant cinq ans, ce qui représente environ le quart de la somme correspondant à la réduction de la TPS...

On croit parfois que la spoliation des autochtones du Canada est quelque chose d'ancien et de dépassé. Mais peut-être pas tant que ça...

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Photoblogue franco-ontarien

Le nouveau numéro de Liaison, outre quelques réflexions sur le territoire canadien-français qui me semblent trop abstraites ou traditionnalistes pour être entièrement pertinentes au XXIe s., signale un photoblogue franco-ontarien, celui de Mariana Lafrance. Cette dernière est originaire de Hearst, a grandi dans la région de l'île Manitoulin a étudié à l'Université d'Ottawa ainsi qu'à l'Université de Toronto et s'est établie à Sudbury. Le gros de ses photos proviennent de cette ville, qui est celle de mes premiers souvenirs d'enfance. Comme elle s'intéresse beaucoup aux anciens édifices de la ville, je pourrais sans doute retrouver quelques bâtiments que j'ai connus — si seulement je m'en souvenais assez précisément pour les reconnaître!

Hier, j'ai fui la canicule en allant voir Live Free or Die Hard. Le titre s'inspire de la devise de l'État du New Hampshire. Le reste du film pourrait relever de la science-fiction tellement le scénario voit grand. Ce n'est pas un simple immeuble qui est la cible des terroristes mais tout le pays (le reste du monde n'existe pas, évidemment, même si un krach boursier à Wall Street aurait des répercussions mondiales). Bruce Willis reprend son rôle fétiche et fait de son mieux avec un scénario divertissant mais bourré de trous — le premier film de la série avait l'avantage d'être basé sur un bouquin et les auteurs professionnels continuent à planter les scénaristes hollywoodiens quand il s'agit de conférer un minimum d'unité et de cohérence à une intrigue. La première moitié du film, au moins jusqu'à la destruction en direct du Capitole, séduit par ce qu'elle nous montre du plan des terroristes et ce qu'elle révèle des faiblesses d'un système pourtant conçu justement pour contrer les terroristes de ce monde! Le reste du film est nettement moins intéressant, malgré quelques cascades spectaculaires, et certaines scènes d'action ont un petit parfum de réchauffé. On gratte le fond de la casserole, mais quand il fait si chaud, la climatisation anesthésie le sens critique...

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2007-06-27

 

Le corps cartésien

Dans sa critique pour le Globe and Mail du livre I Am A Strange Loop de Douglas Hofstadter, Jeffrey Foss conclut en rejetant la thèse de Hofstadter quant à la survie partielle de sa femme défunte. L'existence, en ce qui le concerne, s'enracine uniquement dans un corps. Quand c'est le corps d'un autre, quand Douglas prête son corps aux pensées de sa femme, ce n'est pas la même chose.

D'une part, cette attitude est intransigeante : pour Foss, l'existence est un phénomène qui n'admet pas de gradations ou de zones grises. C'est tout ou rien. Si l'existence n'est pas le fait d'un esprit dans le corps qui l'a vu naître, il ne peut s'agir que d'une pâle copie, d'un ersatz méprisable.

D'autre part, cette réaction trahit un rejet sans ambages du dualisme cartésien. Le corps n'est pas une simple machine au service d'un esprit qui représente l'essentiel de l'identité de l'être pensant. Pourtant, comme le soulignait Ian Hacking dans le numéro d'automne 2005 de idea&s: the arts & science review, les sociétés occidentales industrialisées (mais pas le Japon) demeurent très cartésiennes en médecine. Dans les cas comme celui de Terry Schiavo, et a fortiori dans les cas de mort cérébrale complète, le corps devient un simple vestige qui peut être profané sans heurter notre sens de la dignité humaine. Il peut être converti en pièces détachées pour les transplantations ou il peut être condamné à une déchéance pénible par asphyxiation ou privation d'eau et de nourriture jusqu'à l'arrêt des fonctions vitales. (Je dis « pénible », mais peut-il y avoir peine s'il n'y a personne pour ressentir cette souffrance? Dans de tels cas, le corps conserve-t-il plus ou moins de conscience qu'un poisson? qu'un ver de terre?)

Ceci ne se justifie que si le corps désâmé n'est plus qu'une machine. Or, si le corps est à ce point secondaire et indigne de respect en tant que tel, la survie de l'esprit quand il utilise un autre substrat ne serait-elle pas réelle, quoique plus ou moins partielle?

Bref, Foss s'insurge contre des tendances lourdes de nos sociétés. Autre preuve et autre indignité : la transformation des cadavres en objets pour l'édification ou le divertissement des foules. Aujourd'hui, j'ai visité l'exposition Le Monde du corps 2, au Centre des sciences de Montréal. Dans le monde moderne, je me demande si une telle exposition peut nous apprendre grand-chose. Le discours médical et sanitaire a tellement envahi nos vies que nous sommes familiers, même si nous n'avons jamais étudié l'anatomie, avec la plupart de nos organes. Les images abondent ainsi que les articles sur les mesures à prendre pour avoir soin de tel ou tel de nos organes.

En revanche, les occasions sont plus rares de les voir. Entre l'image et l'objet, il reste un fossé. Paradoxalement, l'effet produit par leur étalage est atténué par le fait même qu'on n'a presque jamais l'occasion de les voir, tant que la peau nous les cache. De fait, les corps les plus émouvants sont ceux qui conservent quelque chose de leur apparence superficielle : sourcils, globes oculaires, cils, ongles, peau... En particulier, je retiens l'homme en tranches verticales qui révèlent presque tout de son intimité sans que son épiderme blanchâtre nous laisse oublier qu'il a été un individu vivant autrefois. En général, toutefois, quand ils sont écorchés, évidés, nettoyés, plastinés et posés, ces corps ne sont pas des cadavres mais des coquilles.

Et la seule réflexion qu'ils inspirent est d'ordre métaphysique, voire historique. Après tout, une telle exposition représente une régression scientifique au temps des dissections publiques, que ce soit dans l'Alexandrie hellénistique ou dans l'Europe de la Renaissance. Dans ces deux cas, la dissection représentait une découverte et un enseignement. Entre ces deux cas, la dissection médiévale aurait été tout au plus une confirmation des livres et une leçon de choses pour médecins si démunis en matière de chirurgie qu'ils laissaient volontiers la taille de la chair à des barbiers. Mais la dissection médiévale procurait aussi le choc de la connaissance des viscères, afin de l'épargner au médecin qui, plus tard, aurait à confronter l'intimité des corps.

L'exposition Le Monde du corps 2 nous fait revenir au Moyen Âge. Sur le plan scientifique, ce n'est plus (seulement) au niveau des organes que l'on apprend le corps. Entre temps, la cellule a été découverte, la biochimie, l'ADN... L'anatomie n'est plus qu'un élément parmi d'autres de la médecine moderne (Mario Tessier nous rappelle une partie de son histoire ici). Par contre, l'étalage des viscères rappelle ce que nous sommes en réalité, jour et nuit, ce que nous cessons jamais d'être en poursuivant un raisonnement philosophique ou en satisfaisant un besoin corporel. De la chair.

Pour l'instant.

Car dire que c'est ce que nous sommes, c'est prendre position implicitement dans le débat instauré par Descartes. Serait-ce plutôt nous sommes, c'est-à-dire dans un corps de chair? Tout dépend de ce que ce « nous » englobe, du corps entier ou du seul esprit.

Quoi qu'il en soit, j'ai l'impression de mieux comprendre la très vieille interdiction chrétienne de profaner les corps ou de pratiquer la dissection, la source de tant d'histoires de résurrectionnistes au Canada et de récits apparentés ailleurs (jusqu'à Frankenstein — de fait, Shelley ne trouve-t-elle pas plus facile d'imaginer la création chirurgicale d'un être humain dans la foulée de la révolution en anatomie après Vésale?). Car il semble difficile de croire entièrement aux dogmes après avoir contemplé l'intérieur du corps qui rapproche tellement l'être humain des autres animaux tout en donnant une piètre idée de l'art du grand architecte divin. Descartes avait tenté de résoudre la question en rabaissant le corps au rang de machine de chair à l'instar de ce qui servait aux animaux afin de rendre l'attribution de l'esprit à Dieu plus vraisemblable. Surtout que l'esprit impossible à appréhender autrement que par l'introspection ne suscitera pas les mêmes réserves au sujet de son origine divine que la chair périssable. Quel être pensant se rabaissera quand il est seul à connaître la nature de ce qui doit être jugé?

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2007-06-26

 

Les proximités du temps

Je me suis laissé prendre au piège d'Adieu Volodia de Simone Signoret, que j'avais donné en cadeau à ma tante il y a presque vingt ans et qui m'est revenu en guise d'héritage. Encore un récit de l'entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale? Sans doute, encore que ce ne soit pas un simple témoignage. Née en 1921, Simone Signoret n'avait que dix-huit ans en 1939. Les parties du roman qui se déroulent durant les années vingt, et plus particulièrement en 1926, ne sont pas le fruit de son observations ou de ses réminiscences; elle a dû les reconstituer comme une romancière. Comme elle raconte surtout l'histoire de deux familles juives, les Guttman et les Roginski, établies dans un petit immeuble du XXe arrondissement, elle s'intéresse aussi à une partie de Paris qui n'est pas celle de sa jeunesse. Ses souvenirs d'enfance concerneraient plutôt Neuilly, où elle a côtoyé (de loin) aussi bien Sartre que Chris Marker. De fait, Signoret dote la famille Roginski d'une antenne neuilléenne grâce à un frère qui a réussi, ce qui me permet de me retrouver en terrain connu.

Certes, Signoret a le même âge que la jeune Elsa Roginski, mais Elsa, dite Zaza, ne prend la parole qu'à la toute fin du livre. Et ce que Signoret a pu retenir de plus authentique de cette époque apparaît sans doute dans les pages qui concernent la préparation du bachot. Mais le roman est loin de se résumer aux affres des étudiants ou même à l'épopée d'une compagnie de fabrication de costumes pour le théâtre puis le cinéma ; l'intrigue aligne une série de personnages qui retiennent tour à tour l'attention, que ce soit le futur bachelier Maurice Guttman, Nicole l'arriviste, Alex Grandi l'artiste ès costumes, le vieil instituteur M. Florian, Stépan Roginski le survivant des pogroms ukrainiens... Sur eux tous plane, symbolique, l'ombre du cousin Volodia, miraculé des mêmes pogroms qui ne sortira plus qu'une fois de la prison soviétique, pour être expédié aussitôt en Sibérie. Celui qui a échappé aux sabres cosaques n'échappera pas à la terreur totalitaire et de nombreux amis et voisins des Guttman et Roginski basculeront eux aussi dans la nuit. Mais ce n'est pas le produit de la même participation aux événements que pour Suite française d'Irène Némirovsky.

Est-ce si lointain pour moi, d'ailleurs? Il y a plus d'une façon de considérer les distances temporelles. On peut donner la primauté à l'expérience et tenir pour inexistant tout ce qu'on n'a pas vécu en personne, de sorte que le passé qui précède notre naissance est encore plus nul et non avenu que le lendemain, puisque nous gardons toujours une chance de faire l'expérience du futur.

Quand on a des enfants, pourtant, on s'inscrit dans la chaîne des générations, ce qui invite à mettre sur le même pied le temps des petits-enfants et le temps des grands-parents. Ils sont également inaccessibles, mais, comme on en sait plus sur le passé que sur l'avenir, celui-ci est un peu plus proche.

Sans être parent moi-même, il me semble parfaitement valable de compter les années avant et après ma naissance pour me situer dans le flot du temps. Ne suis-je pas, en un sens, aussi proche de ce qui s'est passé vingt ans après ma naissance que de ce qui s'est passé vingt ans avant? À tout le moins, le degré d'étrangeté reste compréhensible : si je peux mesurer ce qui s'est passé et transformé durant une période donnée, je peux me faire une idée des changements associés à la même durée avant ma naissance. En partant de ce principe, plus je vieillis, plus je peux reculer dans le temps avant ma naissance. Désormais, je peux me projeter aux portes de l'année 1926, qui joue un rôle crucial dans Adieu Volodia. Et l'Exposition universelle de 1937 ne m'est pas plus étrangère que les événements de 1997.

Il reste la césure de la guerre, dont nous n'avons pas connu l'équivalent depuis ma naissance. Mais Adieu Volodia s'attache beaucoup plus aux années antérieures, puisque Signoret elle-même n'a vécu la guerre que de manière périphérique, à la fois comme une période de privations et les débuts de sa carrière au cinéma! Du moins si je me fie à ce qu'elle raconte dans La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était, qui permet de constater a posteriori tout ce qu'elle a repris de sa vie pour le mettre dans le roman. Et sans doute que la condamnation implicite du communisme soviétique doit être lue comme un repentir tardif de son engagement pour le Parti durant les années cinquante...

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2007-06-25

 

Méta-orientalisme

Dans une lettre de Theodor W. Adorno à Walter Benjamin en 1936, la difficulté de raconter à cette époque comme on le faisait avant est soulevée et Adorno croit déjà avoir l'assentiment de Benjamin : « Si je ne me trompe pas trop, la première phrase des Affinités électives avec l'introduction hésitante des noms dont vous avez vous-même donné une interprétation a déjà conscience, avec ce tact infaillible de Goethe en matière de philosophie de l'histoire, de l'impossibilité de la narration. »

De quelle phrase s'agit-il? Dans la traduction de Carlowitz, on lit : « Un riche Baron, encore à la fleur de son âge et que nous appellerons Édouard, venait de passer dans sa pépinière les plus belles heures d'une riante journée d'avril. »

La science-fiction passe souvent outre en adoptant d'emblée la narration traditionnelle, qu'elle soit impossible ou non, puisque son but, c'est de dépeindre un monde lui-même impossible selon les critères du jugement commun. Si le roman réaliste peut instruire le procès en dissolution de la narration, c'est parce que le lecteur est toujours en mesure de faire le raccord entre le texte et la réalité.

La situation est sans doute différente pour le fantastique, qui fait aussi le raccord avec la réalité, mais de manière minée et toujours incertaine. Ainsi, l'auteur du roman The Arabian Nightmare (1983) est parfaitement conscient de tout ce que la théorie littéraire moderne dit de la difficulté de conter, voire de narrer. Pourtant, Robert Irwin confie la narration d'un roman où la réalité ne cesse de prendre les traits du rêve à un conteur du Caire... Historien de métier, Irwin connaît bien l'Orient, ainsi que l'orientalisme dénoncé par Said et défendu par Irwin lui-même.

La critique de l'orientalisme par Said est justement une critique d'un certain discours. En voulant raconter l'Orient, l'orientalisme colporterait des racontars et réduirait au silence les sujets de ses textes. Le roman d'Irwin fait tout le contraire, puisque le narrateur intervient sans vergogne dans l'histoire pour dialoguer avec le lecteur, s'introduit dans l'histoire et survit en quelque sorte à sa propre mort. Quant au héros du roman, lui aussi s'en tire. Bref, il n'ya ni mort du sujet ni mort du narrateur...

Ce serait toutefois exagéré d'en faire une machine infernale montée pour abattre l'orientalisme de Said. Tout en profitant amplement des possibilités de l'Orient comme décor, le roman ne me semble pas se prononcer sur l'Orient réel; il rend plutôt hommage non pas à l'Orient de la fiction mais à la fiction de l'Orient, c'est-à -dire aux Mille et Une Nuits, dont un des compilateurs serait le conteur du récit. À coup sûr, j'ai eu envie de finir de lire les contes des Mille et Une Nuits en finissant le roman d'Irwin. Bref, il s'agit d'un roman trompeur en tout, sauf en ce qui concerne son amour des tromperies de la fiction.

Les prodiges et les duperies de l'Orient font partie de son attrait pour les orientalistes, et en particulier les écrivains qui explorent volontiers la frontière fluctuante entre le rêve et la réalité. Prosper Mérimée s'intéresse à l'Algérie comme beaucoup d'autres en France au milieu du XIXe siècle, quand l'Algérie devient peu à peu une colonie. Vers 1844, il projette d'y voyager et il essaie d'apprendre l'arabe. Au terme de sa vie, il rédige une courte nouvelle qui se passe en Algérie. La rédaction de « Djoûmane » occupe Mérimée durant les premiers mois de 1870. La nouvelle est publiée après sa mort en 1873. Son propos? Le narrateur est un officier des chasseurs de l'armée française en Algérie, sans doute vers 1865, au temps de l'insurrection algérienne de 1864-1868. Tout juste rentré d'une expédition avec ses hommes, il reçoit l'ordre de repartir en campagne avec ses hommes pour garder un gué, mais il est d'abord invité à une réception chez le colonel. Des baladins arabes offrent une performance saisissante, qui culmine avec l'apparente mort d'une fillette mordue par un serpent... et ressuscitée ensuite par le chef de la troupe. Au prodige succède le rêve. Sur la route du gué, le narrateur s'endort et rêve qu'il a poursuivi à cheval un des chefs de l'insurrection, qu'il a chuté au fond d'un gouffre et qu'il explore ensuite un dédale de grottes et de cavernes où il assiste à de nouveaux prodiges... avant de se réveiller et de se rendre compte qu'il a rêvé. D'un serpent monstrueux à une séductrice allongée sur ses coussins, tous les ingrédients de la rêverie érotique sont là.

Le texte d'un roman comme The Arabian Nightmare est un peu la contrepartie écrite de l'orientalisme visuel incarné par des tableaux comme ceux que j'ai eu l'occasion de contempler au Musée des Beaux-Arts de Nice. Par exemple, le tableau de Félix-Auguste Clément acquis par l'État au Salon de 1872, « Marchandes d'eau et d'oranges, au Caire », visible au centre de cette image. Un exemple encore plus connu est cette toile de Paul-Désiré Trouillebert intitulée « La servante de harem », qui date de 1874, que je reproduis à droite. (On notera la coïncidence des dates de la nouvelle de Mérimée et de ces deux toiles, toutes produites entre 1870 et 1874.) L'attrait de l'exotisme oriental tient beaucoup à la représentation de la femme orientale dans les créations européennes. À la fois séquestrée, voire esclave comme dans la toile de Trouillebert, et lascive, elle est l'emblème de la sexualité vécue ouvertement et offerte sans honte inutile derrière les portes bien closes du harem. Ce que le voile et l'isolement du sérail défend contre le regard étranger est d'autant plus piquant et recherché par le colonisateur européen. Mais si la femme esclave peut occuper les fantasmes masculins, il ne faut pas oublier que sa représentation est la marque et le rappel de l'altérité de l'Orient, qu'il est donc futile de chercher à connaître puisqu'il serait irrémédiablement étranger.

J'ai aussi vu « L'Orientale » de Marie Bashkirtseff (1858-1884) au musée de Nice, un portrait que je reproduis ci-contre. Comme Marie Bashkirtseff était très blonde tandis que son modèle était très brune, on soupçonne que l'attrait des contraires a joué dans son choix de sujet. Après tout, malgré l'intitulé, la quincaillerie habituelle de l'orientalisme ne trouve aucune place dans ce tableau, il n'y a pas de voile, de chaîne, de narguilé, de décor architectural dépaysant, de bijoux orientaux... L'altérité de l'Orient n'apparaît plus que dans les traits du visage et, à la rigueur, dans la simplicité de la pièce de tissu qui dénude les épaules. Et pourtant, il y a la même tristesse dans le regard de cette Orientale et dans le regard de la servante du harem. Tristesse ou distance? Les artistes ne tranchent pas, quoi qu'ils aient pu penser. Il y avait déjà le même recul dans la toile de Clément, une marchande détournant la tête tandis que le regard de l'autre a une fixité qui trahit plus la nervosité que l'hostilité. Mais le musée avait réuni dans ce corridor du rez-de-chaussée d'autres toiles orientalistes, aux traits plus convenus, comme dans le cas de la scène que je reproduis ci-dessous. (Elle est d'un peintre dont je n'ai pas retenu le nom; quant à la tache lumineuse, elle n'est pas le fait de mon flash, mais d'un reflet du soleil de mai.) Par contre, je suis moins sûr d'avoir vu la « Thaïs » d'Adrien-Henri Tanoux, pourtant mentionnée par le site du musée. L'ensemble donne à réfléchir sur la question posée implicitement par Irwin : la fiction n'est-elle pas plus importante que la plate réalité? le rêve chatoyant n'a-t-il pas le droit de durer même quand le moment historique qui en a accouché est passé?

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2007-06-24

 

De Mérimée à Kay

La longue fin de semaine se transforme cette année en une série de partys. Chez Astrodan, hier, ce qui m'a donné l'occasion de visiter deux des nouvelles stations de métro à Laval. Pour fêter l'anniversaire de πR, aujourd'hui. Pour la version canadienne du barbacoa d'origine mexicaine à Old Orchard demain.

Pendant ce temps, je termine un petit recueil des nouvelles de Prosper Mérimée, qui est sans doute plus célèbre aujourd'hui pour sa dictée que pour sa fiction. (Les rats de bibliothèque le connaissent aussi pour sa complicité malheureuse avec le grand voleur de livres du XIXe siècle, le comte Libri-Carucci qui avait dérobé des livres rares à gauche et à droite, dont une partie du fonds Peiresc, le fruit de ces vols ayant alimenté la collection Ashburnham dont les restes se trouvent à Florence.)

J'avais lu « Colomba » et « Carmen », mais j'ignorais à quel point Mérimée avait flirté avec le fantastique. C'est un flirt très todorovien, car les incidents fantastiques ou insolites sont parfois démystifiés et une explication réaliste (la folie du témoin dans « La Vénus d'Ille », par exemple) demeure souvent possible, comme dans « Le Horla » de Maupassant.

Outre « La Vénus d'Ille », le fantastique est sans doute le plus marqué dans « Lokis », histoire lithuanienne qui met en scène un personnage qui pourrait être l'enfant d'une femme et d'un ours. Au passage, Mérimée, qui aimait se documenter à fond sur un sujet, en homme selon mon cœur, nous en apprend beaucoup sur la culture, les coutumes et le folklore de la Lithuanie et des peuples slaves de la région. Il signale ainsi la chasse au joubr, le nom donné à l'urus ou bison européen (et aussi, dans sa graphie anglaise zubr, à un mouvement politique biélorusse). Ce qui m'a rappelé le zubir de Guy Gavriel Kay dans The Sarantine Mosaic, divinité sous la forme d'un urus, que lui-même avait découvert dans un livre de Simon Schama et non dans Mérimée.

Comme je n'ai pas l'édition française de l'ouvrage de Kay sous la main, j'ignore si Élisabeth Vonarburg a traduit zubir par joubir, ce qui aurait été relativement logique et aussi un bel hommage aux lettres françaises.

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2007-06-23

 

Le paradoxe de Fermi sur Terre

Les tentatives de communiquer avec les extraterrestres continuent à faire parler et toute discussion sur le sujet ne tarde pas à explorer les hypothèses habituelles pour expliquer le grand silence cosmique. La difficulté posée par ce grand silence si on admettait les postulats des partisans de la pluralité des mondes aurait d'abord été reconnue par l'Italien Enrico Fermi. Le paradoxe de Fermi contrastait, implicitement, la jeunesse de notre espèce et l'âge nettement plus élevé de l'Univers ou de la Galaxie ; compte tenu des distances relativement modérées entre les étoiles et du nombre d'étoiles, il semblait contradictoire qu'en dépit de cette pléthore potentielle de mondes habités, pas un représentant de ceux-ci ne se soit manifesté sur Terre.

Selon une enquête (.PDF) d'Eric Jones, la remarque de Fermi à la base du paradoxe aurait été formulée à Los Alamos entre le 20 mai 1950 et le 8 mai 1951. Carl Sagan et quelques autres croyaient qu'elle remontait à l'époque de la Seconde Guerre mondiale, mais les scientifiques à Los Alamos durant la guerre avaient d'autres sujets de préoccupation et il semble effectivement plus vraisemblable qu'elle s'inscrive dans le contexte de la première vague soucoupiste.

Il faut noter que le raisonnement de Fermi, qui semble si simple et évident, n'aurait pas pu être articulé beaucoup plus tôt. Cela ne faisait que vingt ans environ que les scientifiques commençaient à se faire une idée de l'âge véritable de la Galaxie et de l'Univers. La certitude de l'existence d'autres galaxies n'était guère plus ancienne. Et la possibilité de voyager entre les étoiles par des moyens techniques n'était évoquée par les auteurs de science-fiction que depuis le début du siècle environ. La démonstration par les Allemands de la capacité des fusées de quitter l'atmosphère terrestre était encore plus récente.

Parmi les solutions proposées au paradoxe de Fermi, il y a l'hypothèse du zoo, qui veut que les extraterrestres pourraient nous contacter mais choisissent de ne pas le faire afin de ne pas perturber notre existence ou notre développement, dans notre propre intérêt. Ce qui est assez proche de la Première Directive de non-interférence de Star Trek.

D'aucuns ont trouvé cette solution improbable, en particulier à la lumière de l'histoire humaine. Depuis quelques années, toutefois, des indigénistes comme Sydney Possuelo militent activement en faveur de la création de réserves protégées qui préserveraient les dernières communautés humaines isolées de tout contact avec le monde extérieur. Il en existe déjà quelques-unes, mais elles sont toujours plus ou moins menacées. Néanmoins, cette volonté de préserver un isolement préférable au contact en tant que tel indique que l'hypothèse du zoo n'est pas si invraisemblable...

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2007-06-22

 

Correction holistique ou punitive

Appliquons donc au plan de redressement de l'UQÀM les leçons du débat sur la correction des examens de français au Québec, dont je parlais il y a quelques jours. (Le laxisme serait d'ailleurs encore plus grand que celui que je déplorais!) À la base, il est question d'imputabilité et de responsabilité. L'étudiant doit-il être pénalisé pour ses fautes de manière proportionnelle à leur nombre? Si on pose que oui, on introduit une nouvelle notion, celle de la commensurabilité. La peine doit être proportionnelle à la faute, si je puis dire, ce qui est un fort ancien principe de justice. La correction holistique ne déroge pas nécessairement à ce principe, mais elle introduit une part de subjectivité dans la correction (« impressionniste », avoue le rapport Berger). Or, comme la subjectivité des individus est incommensurable, la correction deviendra elle aussi incommensurable.

La mentalité trahie par les recommandations du rapport Berger fait tache. Le plan de redressement proposé à l'UQÀM par le fossoyeur épargne pratiquement tout le monde; ni les profs ni les étudiants ne paieront de leur poche. Certes, ils devront sans doute enseigner plus souvent ou enchaîner des cours plus nombreux dans la même journée, en plus de se satisfaire d'équipements et de soutiens rognés au maximum. Et les hausses salariales seront limitées à 2%...

Pardon? Aux États-Unis, en 2006-2007, près de 8% des institutions postsecondaires avaient réduit leur masse salariale moyenne, selon le rapport annuel de l'association des professeurs, et ceci durant une année faste pour la rémunération. En 2003-2004, une année moins faste, le même rapport indiquait que 0,8% des institutions avaient fait accepter des réductions financières à leurs professeurs parce que la situation l'exigeait. En général, ce sont des baisses de revenus (d'origine gouvernementale ou non) qui impose ces resserrements.

Mais quand il s'agit de dépenses inconsidérées qui ont été engagées par un recteur à la tête d'un conseil d'administration représentatif, on pourrait se demander si, a fortiori, ce n'est pas la responsabilité de tous qui est engagée. Sur la vingtaine de membres du conseil d'administration de l'UQÀM, on compte trois représentants des professeurs, deux représentants des étudiants et un représentant des chargés de cours. Il ne s'agit pas d'une majorité, mais le recteur lui-même est nommé au terme d'une consultation de toute la communauté de l'UQÀM. Il me semble difficile, donc, pour cette communauté d'éluder toute responsabilité dans les dérapages des dernières années.

Sans exonérer les gouvernements de leur propre part de responsabilité, on peut se demander si, dans l'intérêt propre de la future bonne gestion de l'UQÀM, il ne serait pas préférable d'appliquer une correction un peu plus... punitive que ce que propose le plan de redressement actuel. Les étudiants font déjà leur part pour l'amélioration de la situation financière de l'université en payant des frais de scolarité de plus en plus élevés tout en voyant l'offre de cours réduite. Alors, pourquoi les professeurs ne feraient-ils pas leur part? Un gel des salaires (ou une réduction... horreur!) aurait l'avantage de les mettre devant leurs responsabilités corporatives quand il s'agit de siéger au conseil d'administration et de superviser la direction d'icelui. S'ils le sentaient passer dans leur portefeuille, ils seraient un peu plus motivés à l'avenir...

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Le triomphe des métis

Un article paru en novembre 2006 fournit une preuve possible du métissage de la lignée Homo sapiens avec celle des humains de Néanderthal. Le plus intéressant, c'est que la preuve retenue est un trait génétique associé à l'évolution du cerveau humain moderne, le gène MCPH1 (microcephalin), dont l'allèle qui se retrouve maintenant chez 70% environ des humains ne remonterait qu'à 37 000 ans approximativement. De plus, cette variante est répandue en Europe et en Asie, mais elle est nettement plus rare en Afrique. La discussion par le professeur John Hawks est à rapprocher des résultats colligés dans Before the Dawn de Nicholas Wade.

Si ce métissage a bien eu lieu, ce qui reste à confirmer si jamais on retrouve de l'ADN néanderthalien en quantité suffisante, et si le gène en question est bien associé à un quelconque surcroît d'intelligence, il pourrait s'agir d'un facteur qui aurait contribué, ceteris paribus, aux succès historiques des Européens. Certes, il faut souligner que 2 500 ans de succès relatifs (depuis la bataille de Marathon, disons), cela reste moyennement significatif sur une période de 37 000 ans... Après tout, l'agriculture est arrivée en Europe de l'Orient, et non l'inverse.

Pourrait-il s'agir d'un gène dont l'utilité ne s'est révélée que tout récemment? Après tout, les Néanderthaliens ne passent pas pour avoir été des lumières, intellectuellement parlant. Quoi qu'il en soit, je trouve intéressant la possibilité que ce soient des métis qui aient été à l'origine de la trajectoire européenne, en particulier si on songe à la fétichisation de la pureté raciale par les générations européennes récentes.

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2007-06-20

 

Animisme urbain

En fin de journée, je suis passé chez Mehdi qui crèche désormais à deux pas de la Main de Mordecai Richler et de Michel Tremblay. J'en ai profité pour prendre quelques photos des graffiti qui décorent l'envers de la Main... c'est-à-dire l'arrière des immeubles qui bordent la rue. Par une soirée aussi torride, plus d'une porte était ouverte pour laisser l'air circuler et rafraîchir l'intérieur des locaux, ou pour laisser les employés sortir et prendre l'air. Même si l'air en question conservait, à deux doigts de minuit, une touffeur que n'atténuait pas les quelques gouttes d'eau qui tombaient... Les graffiti faisaient partie de ce décor, n'attirant l'intérêt de personne, mais je m'y suis intéressé parce que je me demande depuis longtemps si les graffiti pourraient en fait remplir un rôle muet mais essentiel, soit celui de l'humanisation du paysage.
Les murs et les portes de cette allée, véritable coulisse de la Main, aussi déserte en pleine représentation que la scène était affairée, étaient ornés de nombreux graffiti : signatures de tagueurs, esquisses, symboles divers... Un élément pas si rare de cet art urbain est l'inclusion d'un visage, caricatural ou non, parfois réduit à des yeux ou présent sous la forme d'un crâne.
De nombreux peuples primitifs et pas si primitifs vivaient dans un univers animé, où tout était doté d'une àme. Tout ce qui bougeait, en particulier, était susceptible de se faire attribuer une âme : les animaux (comme leur nom le dit), les plantes, le vent, la rivière, les vagues et tempêtes de la mer, le feu, la foudre et même les tremblements de la terre. Le mouvement était signe de vie. Et la vie rendait possible le mouvement parce qu'il était décidé par une âme.Mais comment représenter la vie? Cet animisme primordial attribue aux entités une âme par analogie avec celle des êtres humains. Anthropomorphisme? Bien sûr, et comment pourrait-il en aller autrement? Nous naissons et grandissons dans un univers qui est d'abord humain de bord en bord, parce qu'il est celui du ventre de la mère, puis celui des soins maternels et de l'attention paternelle. Tout ce qui compte et qui tourne autour du nouveau-né est d'abord humain. Si nous prêtons au reste de l'univers des propriétés humaines, telle que la dotation d'une âme, la moindre des choses, c'est de lui prêter aussi d'autres caractéristiques, dont la parole et le regard. Ainsi, dans les contes et les fables, les animaux parlent. Et le regard est si prégnant et puissant que les bourreaux se cachaient le visage pour se protéger du dernier regard du condamné tandis que des peuples entiers ont encore aujourd'hui un rituel pour conjurer le mauvais œil. Ainsi, je suis fortement tenté de penser que si les graffiti de nos villes peuplent les murs de visages et de regards, y compris sous la forme de spirales comme à Newgrange — qu'un symbolisme plus récent associe aux yeux, c'est pour les faire vivre, voire pour confirmer la présence d'une âme que nous pressentons confusément. Doter un objet d'un regard, c'est d'abord lui donner quelque chose comme une présence humaine. Et nous dire que nous ne sommes plus seuls en ville.

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2007-06-19

 

J'aime tellement Radio-Canada...

... que j'en voudrais deux.

L'idée m'est venue en écoutant la Première Chaîne de Radio-Canada. Je ne sais plus quel rabâchage ou moment de connivence entre vieux de la vieille m’a inspiré l’envie de scinder au moins les chaînes radio généralistes de la Société. Après tout, en Grande-Bretagne, il y a non seulement la BBC, mais aussi BBC Two (et BBC Four).

Mais au nom de quoi opèrerait-on cette division? Il existe déjà des distinctions géographiques, des émissions locales et des combinaisons différentes de la programmation selon les parties du pays. Il serait également pensable d’opérer en fonction des créneaux de marketing, en ciblant certaines catégories de revenu ou classes sociales ou publics aux goûts bien identifiés. Mais cela risquerait de créer des laissés-pour-compte, c’est-à-dire ceux qui ont des goûts trop variés ou une culture jugée inintéressante.

Puisque la réalité du futur Canada francophone, c’est le vieillissement, je proposerais plutôt de scinder Radio-Canada sur la base de l’âge. Cela se fait déjà implicitement dans l’industrie privée, qui compte des stations pour jeunes et des stations qui ressassent les succès d’autrefois pour ceux qui s’en souviennent...

Or, l'âge médian de la population canadienne en 2006 était de 38,9 années, selon la compilation annuelle (.PDF) de Statistique Canada. Comme cet âge médian tend à augmenter de quatre mois par année depuis quelques années, on peut supposer que l'âge médian sera de 39,2 années en 2007. Et comme la population francophone est plus vieille en moyenne, mettons que l'âge médian des francophones doit être presque exactement de quarante ans. Par conséquent, il semblerait raisonnable de créer une chaîne pour les plus de quarante ans et une chaîne pour les moins de quarante ans.

Ceci aurait de nombreux avantages. Création de nombreux postes pour la relève, garantie d'emploi pour les vétérans blanchis sous le harnois, ouverture à de nouvelles idées et à de nouvelles expériences, etc. Et, surtout, l'auditoire pourrait choisir de se tourner vers la chaîne susceptible de lui offrir le moins d'allusions à des événements vieux d'une quarantaine d'années et plus, ou le moins d'allusions à des événements tout récents comme si l'Histoire avait commencé en même temps....

Politiquement, cela vaudrait la peine d’y réfléchir. En ce moment, Radio-Canada est la victime de l’indifférence d’une partie du public canadien, en particulier au Canada anglophone, et de l’hostilité des stations privées. Mais c’est sur la base de la programmation actuelle du réseau, qui ne mobilise pas grand-monde et qui ne justifie pas des crédits supplémentaires. Par contre, la création d’un nouveau réseau pourrait être vendue à plusieurs clientèles différentes, en promettant même aux conservateurs plus de diversité idéologique...

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2007-06-18

 

Images de Peyresq

De nos jours, en particulier dans un milieu comme celui de la science-fiction qui pullule d'amateurs de gadgets et de caméras numériques, on n'échappe plus à la surveillance. Si ce ne sont pas les blogueurs qui notent ce qui se dit ou ce qui se fait, ce sont les photographes qui vous croquent à l'improviste. L'étape suivante, c'est bien entendu la mise en ligne pour que plus rien ne reste ignoré — sauf les choses importantes, diront les mauvaises langues, puisque nous finissons par tout (sa)voir d'un événement, mais sans savoir ce qui s'y est dit. C'est sans doute la meilleure raison possible pour continuer à se rendre en personne à des congrès et colloques.

En attendant les prochaines journées Sciences et Fictions de Peyresq, on peut feuilleter les clichés de celles de 2007 ici, en plus bien sûr de la petite galerie de photos de ce blogue. Serais-je à ces prochaines journées S&F de Peyresq? Je l'espère bien, mais il faudra que je fasse le saut de Boréal 2008 à Peyresq en peu de jours.

En revanche, si je ne venais pas, je pourrais envisager une visite à Wiscon — on lira à ce sujet le témoignage fort intéressant de Christian Sauvé sur sa visite à ce congrès. Mais il me faudrait convaincre quelques personnes de faire le trajet avec moi en voiture pour réduire les frais...

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2007-06-17

 

Lettres amphibologiques

Dans Le maître des bourrasques de Laurent McAllister, le personnage principal reçoit une lettre dont il faut lire une ligne sur deux. Le genre est bien connu, entre autres par une correspondance apocryphe entre Georges Sand et Alfred de Musset, encore que les sources divergent sur les acrostiches. Le canular remonterait aux années entre 1870 et 1915, ce qui n'est pas inintéressant puisque j'ai trouvé mon inspiration pour la lettre dans Le maître des bourrasques dans un numéro de la revue française La Nature paru entre 1872 et 1890 approximativement. De mémoire, l'exemple donné tenait de la lettre d'amour à faire passer sous le nez d'un père jaloux. Aurait-il inspiré aussi l'auteur du canular dont Sand est la victime?

Un autre exemple est donné dans le journal des étudiants du Petit Séminaire de Québec, L'Abeille. Dans le numéro du 10 juillet 1851, on reproduit une lettre amphibologique, attribuée à Mme de Saint-André, qui aurait communiqué ainsi avec Louis de Bourbon, prince de Condé, emprisonné après l'échec de la conjuration d'Amboise en 1560. Cela donne ceci :

« Croyez-moi, Prince, préparez-vous à
la mort : aussi bien vous sied-il mal de
vous défendre. Qui veut vous perdre est
ami de l'État. On ne peut rien voir de
plus coupable que vous. Ceux qui
par un véritable zèle pour le Roi
vous ont rendu si criminel, étoient
honnêtes gens et incapables d'être
subornés. Je prends trop d'intérêt à
tous les maux que vous avez faits en
votre vie pour vouloir vous taire
que l'arrest de votre mort n'est plus
un si grand secret. Les scélérats,
car c'est ainsi que vous nommez ceux
qui ont osé vous accuser, méritaient
aussi justement récompense, que vous
la mort qu'on vous prépare, votre seul
entêtement vous persuade que votre seul
mérite vous a fait des ennemis,
et que ce ne sont pas vos crimes
qui causent votre disgrâce. Niez
avec votre effronterie accoutumée
que vous ayez eu aucune part à
tous les criminels projets de
la conjuration d'Amboise. Il n'est pas,
comme vous vous l'êtes imaginé, im-
possible de vous en convaincre : à
tout hasard recommandez-vous à
Dieu. »

Avec quelques développements supplémentaires, la lettre citée par L'Abeille sera reprise dans L'Opinion publique le 18 juin 1874. Comme quoi, rien ne se perd...

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2007-06-16

 

La référentialité en science-fiction

Si je peux me fier à mes souvenirs en la matière, j'ai découvert le cyberpunk en commençant par Count Zero, suite à une suggestion de Jean-Marc Gouanvic qui, vers 1985, avait cru déceler une parenté entre mes premiers écrits et ce que faisait William Gibson ou ses compagnons de route à la même époque. C'était trop d'honneur, mais j'étais en prise sur les sciences et les techniques de mon temps, dans la mesure de mes moyens, et mes textes de science-fiction reflétaient ces intérêts. N'empêche que je n'ai pas tardé à me procurer les ouvrages fondateurs du cyberpunk pour comparer. J'ai commencé par trouver Count Zero à la bibliothèque centrale d'Ottawa, peut-être bien en édition reliée. (La couverture d'un exemplaire signé de l'édition de poche de 1987 est reproduite ci-contre.) Le premier chapitre m'avait soufflé et je l'ai tenu longtemps pour l'essence même du cyberpunk. La combinaison de la virtualité, des technologies de pointe, de la violence comme marchandise et de l'exotisme mondialisé était capiteuse. J'ai été enivré. En lisant ensuite Neuromancer, j'ai distingué un autre ingrédient de la recette. car Gibson (et Sterling aussi) faisait référence à des concepts ou à des idées technologiques qu'un lecteur comme moi connaissait par des articles techniques, des comptes rendus dans les médias de masse, des descriptions dans la presse de vulgarisation, voire des conférences ou des mentions en classe. En multipliant les références mais sans les assortir de la moindre explication détaillée, Gibson obtenait une masse critique de références (une sorte d'hypertexte réduit à sa seule surface) dont la densité informationnelle frisait celle de la singularité littéraire au-delà de laquelle la compréhension devient impossible.

Suite à une recommandation enthousiaste de Christian S. sur Fractale Framboise, j'ai acheté dès sa sortie le roman Blindsight de Peter Watts. Je crois qu'une partie de l'attrait pour les amateurs de sf dure vient du fait que Watts fait pour les sciences et techniques des 15-20 dernières années ce que Gibson avait fait en son temps. Je soupçonne que, pour quelqu'un qui n'est pas un fondu des sciences et des techniques, cela frise l'illisibilité... ou la poésie. Encore que Watts n'hésite pas non plus à introduire des concepts qu'il explique ensuite, parfois en les montrant en action, parfois en fournissant une explication plus détaillée quelques pages ou dizaines de pages plus loin. C'est un moyen d'obtenir un double effet littéraire. Watts met d'abord en scène l'étrangeté du monde en l'étayant de références lancées sans la moindre explication, induisant un vertige et un dépaysement appréciés des amateurs de sf, puis il fournit un peu plus loin aux lecteurs appâtés les éclaircissements voulus. Dans ce second temps, c'est le cadeau d'une révélation et le plaisir d'appréhender un concept neuf qui permet de se sentir plus intelligent. J'ai été moins frappé par la nouveauté des théories — que Watts traite souvent en réductionniste pur et dur. C'est rafraîchissant justement parce que c'est un peu passé de mode, mais c'est souvent un peu court. D'abord, comme le souligne Watts lui-même, il aboutit à une conclusion qui rappelle celle de Karl Schroeder sur la post-intelligence dans Permanence. Ensuite, il distingue intelligence et sentience (conscience de soi, capacités d'auto-réflexivité) d'une manière qui m'est familière depuis que je mets en scène dans mes histoires du futur des intelligences artificielles plus intelligentes que les humains mais dépourvues de volition parce qu'inconscientes. L'argument n'est pas exactement le même, mais, en ce qui me concerne, cette double similarité m'empêche d'y voir toute l'originalité désirée. De plus, Watts recycle de nombreuses idées en circulation actuellement, exception faite de l'hypothèse d'une race disparue de vampires (ce qui peut rappeler les goules décrites par Joël Champetier dans La Peau blanche). Et sa postface fournit, plus ou moins sérieusement, les références bibliographiques pour un grand nombre d'éléments utilisés par Watts dans son roman. En un sens, c'est pousser un peu plus loin ce que Gibson faisait. On avait déjà remarqué l'affection de Gibson (comme chez d'autres auteurs de l'époque, tel Bret Easton Ellis) pour les marques. Dans son cas, elles étaient souvent inventées, mais elles prenaient une valeur presque incantatoire dans ses romans. On peut voir les références explicites ou codées à des technologies connues comme des étiquettes, pour les seuls initiés peut-être. La valeur garantie par une marque réputée fait d'une marque — ou d'une étiquette — le symbole d'un bien de consommation. De ce point de vue, le cyberpunk a fait des références la base d'une transformation consumériste de la science-fiction. L'équivalent science-fictif de la consommation de marques et de logos était la consommation de références. En fournissant ses sources bibliographiques, Watts concrétise un peu plus l'économie implicite des références technico-scientifiques en sf et façonne une marchandise de luxe pour le lecteur sf rompu à cette consommation. Ce que reflète peut-être l'accession du roman au cercle ultime des finalistes pour le Prix Hugo du meilleur roman.

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2007-06-15

 

Quand la vie est ailleurs

Synchronicité... Dans le Globe and Mail d'hier paraissait un article émouvant et assez fin de Gail McLaren sur son père, anglophone canadien d'un certain âge qui toute sa vie avait vécu à Paris par l'intermédiaire de la littérature, de Dickens à Hemingway. Elle racontait comment son père avait fait le voyage une seule fois, en compagnie de sa fille, et comment il expliquait dans une lettre ultérieure que ses lectures l'avaient prédisposé à vivre Paris non seulement comme un nouveau décor visuel, comme un spectacle pour la vue, mais aussi comme un réseau de souvenirs, d'associations et d'anticipations. Il n'était jamais retourné à Paris, mais sa visite avait été une expérience profondément émouvante et d'une richesse presque excessive. (Cela peut se comparer à l'expérience de voyage d'un Henri-Raymond Casgrain qui, au XIXe siècle, multiplie les pèlerinages (.PDF) en des terres déjà balisées par des auteurs et des voyageurs antérieurs.)

Et je suis allé hier soir assister à une conférence de Bernard Saladin d'Anglure, professeur émérite de l'Université Laval, ancien disciple de Claude Lévi-Strauss et anthropologue étudiant la culture inuit depuis des décennies. Cela se passait à Ottawa, rue MacLaren...

Le conférencier a discuté de l'envers de ce genre de projection sur d'autres lieux de ce qui devrait constituer notre vie propre. Les télécommunications sont une malédiction quand les voyages ne sont pas aussi faciles que les transferts d'informations. Au Québec, passe encore que le Plateau devienne l'Omphalos de la culture branchée, car, dans le sud de la province, si on croit que la vie réelle est à Montréal, on peut s'y rendre assez facilement. Et on constatera alors, qui sait, que la vie sur le Plateau n'est pas automatiquement plus excitante que la vie à Rimouski.

En revanche, chez les Inuit du Grand Nord, les télécommunications présentent à longueur de journée tout ce qui fait la vie dans le sud, mais il est tellement difficile d'aller voir pour soi-même afin d'en épuiser les charmes que la vie dans le Grand Nord prend les traits d'une peine de prison. Si le père de Gail McLaren avait fait de Paris son jardin secret, le martèlement médiatique ferait du Sud fantasmé un véritable tourment transformant la vie dans les communautés isolées par la distance en une existence carcérale... Autrefois, la vie dans le Grand Nord était autrement plus dure, mais sans moyen de comparer, les Inuit s'en accommodaient.

Maintenant, il y a même internet, dont les jeunes se servent pour socialiser; Bebo.com serait un des sites préférés de la jeunesse du Nunavik. Internet s'ajoutant à la télévision, l'acculturation est d'autant plus rapide. Mais si cette génération finit par épuiser les attraits des ailleurs, à force d'interactivité et de consommation télévisuelle, sera-t-elle alors libre de s'intéresser à sa propre culture?

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2007-06-14

 

Le fossoyeur

Je ne suis pas un détracteur inconditionnel de Lucien Bouchard. Dans la plupart de ses incarnations successives (fruits de reniements successifs, diraient certains), il a su poser des actions positives. Mais je trouve quand même sacrément fort qu'il se fasse maintenant un peu d'argent de poche en travaillant pour l'UQÀM en qualité de représentant de l'université chargé de renégocier le contrat avec la firme Busac Inc. pour le projet de l'Îlot Voyageur. Et ceci alors que le plan de redressement de l'UQÀM annonce des mesures douloureuses... et qu'il est pour beaucoup dans le sous-financement des universités québécoises, et indirectement dans la pression financière qui a poussé l'ancienne direction de l'UQÀM à se lancer dans des spéculations immobilières mal ficelées.

Certes, les coupures ont commencé un peu avant son arrivée à la tête du PQ et elles étaient inévitables du moment que le fédéral réduisait ses paiements de transfert, mais elles ont continué ensuite et Bouchard a toujours refusé de hausser les frais de scolarité qui, dans les autres provinces canadiennes, avaient atténué le choc financier, comme le rappelle cette lettre du recteur de l'Université Laval en 1998. (En 2003-2004, le manque à gagner résultant de la non-indexation des frais de scolarité depuis 1994-1995 atteignant plus de soixante millions de dollars pour le réseau québécois.) Certes, avant son départ, il avait aussi tenté de corriger le tir en soutenant l'introduction des contrats de performance qui soumettaient les universités à des critères de gestionnaires étriqués et à de nouvelles redditions de compte réduisant d'autant leur indépendance. Même s'il s'agissait des premières augmentations depuis presque dix ans, les sommes investies n'avaient pas comblé le trou créé par les coupures antérieures.

Pendant ce temps, les autres universités canadiennes s'en tiraient suffisamment mieux pour que la CRÉPUQ (Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec) conclue (.PDF) en 2003-2004 que les universités québécoises accusaient un déficit comparatif de 375 millions de dollars. Ce déficit aurait été bien moindre si le manque à gagner depuis 1994-1995 n'atteignait pas 250 millions de dollars par rapport au niveau de référence des subventions, en sus du manque résultant du gel des frais de scolarité. Ainsi, par la faute des coupures opérées par le gouvernement Bouchard, le retard financier des universités québécoises n'était pas d'une soixantaine de millions, mais de près de 400 millions.

Et les conséquences sont visibles. J'ai souvent parlé de la grande misère des bibliothèques universitaires du Québec. Mais j'ai aussi constaté au fil des ans les retards technologiques, l'importance donnée aux chargés de cours au détriment des professeurs et les services (heures d'ouverture, etc.) réduits à la portion congrue.

Mais, d'autre part, le nouveau rôle de Lucien Bouchard est parfaitement cohérent. Apràs avoir infligé une blessure mortelle à des universités comme l'UQÀM, il creuse leur tombe.

Addendum : En ce qui concerne le financement du fédéral, je reproduis le diagramme ci-dessous pris de ce survol historique et tiré du rapport d'Odette Madore en 2003. À première vue, il suggère que, dès 2000 environ, les provinces avaient récupéré le financement d'avant les coupures — mais la population avait augmenté entre temps et les frais de santé s'étaient envolés...

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2007-06-13

 

Sceptique à outrance?

Je revoyais un vieil ami hier à Outremont quand il a été question de la prestation vidéo de Sarkozy au G8 alors que nous cassions la croûte en fin de journée, profitant de la douceur d'une soirée idéale.

Mon interlocuteur croyait à l'hypothèse de l'ébriété, mais j'étais sceptique. Pourtant, c'était lui le scientifique, chercheur aguerri bardé de diplômes. Pourquoi y croyait-il et pas moi?

D'abord, il avait vu, et pas moi. La force de la chose vue est particulièrement puissante pour les scientifiques qui ont l'habitude de travailler avec les faits qui leur sont présentés. Si les faits naturels peuvent s'avérer complexes, ils ne sont jamais trompeurs à dessein. En revanche, la fréquentation des documents historiques et des pamphlets politiques accoutume l'histoire à se méfier des biais personnels, des intentions politiques, des mensonges délibérés, des erreurs et même de la franchise quand elle s'appuie sur une mémoire faillible...

Et puis, il y a l'expérience qui m'a appris que si quelque chose est trop beau ou croustillant pour être vrai, c'est sans doute le cas. Plausible mais... faux! Mais il y a aussi la fréquentation d'internet qui fait le lit du scepticisme : sans parler des canulars et des arnaques nigériennes, j'avais déjà vu la vidéo fabriquée de Charest et Dumont complètement saouls... Sans avoir vu l'extrait en question, je soupçonnais une tromperie ou une erreur de plus.

En fin de compte, l'extrait vidéo est authentique et relativement convaincant, mais on peut également choisir de croire que ce joggeur émérite était essoufflé (!) par son arrivée au pas de course et un peu désorienté. Il se reprend par la suite, mais on se demande toujours s'il n'aurait pas pris un verre de petite eau russe par erreur durant son entretien avec Poutine.... Comme il n'y a pas encore d'ivressomètre fonctionnant sur image, on ne conclura pas aujourd'hui.

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2007-06-12

 

Souvenir de Boréal 86

En faisant le ménage pour reconstituer le dossier du space-opéra de Laurent McAllister, j'ai retrouvé le début d'une version manuscrite d'un roman appelé Les trésors de Serendib (devenu par la suite Un trésor sur Serendib). La chose aboutira dans le fonds Jean-Louis Trudel, tôt ou tard. Dans le même calepin, j'ai également retrouvé une lettre composée à Longueuil en septembre 1986 à l'issue du congrès Boréal. Pour les amateurs de vieilleries, j'en livre l'essentiel, à deux ellipses près, ci-dessous, dans toute sa candeur. J'avais tout juste dix-neuf ans...

« J'ai écrit les lignes suivantes de Longueuil où j'étais pour le congrès de science-fiction Boréal 86. Il est fascinant de rencontrer tous ces gens que je ne connaissais que par écriture interposée. Élizabeth [sic] Vonarburg, directrice littéraire de Solaris et écrivaine publiée en France, me rappelle Mme D*** de Louis-Riel... C'est une réunion très intime, à peine soixante-deux participants. Elle est un peu nombriliste : il y a beaucoup d'auteurs et d'éditeurs, mais peu de lecteurs. C'est le dernier épisode de mes vacances, commencées avec le voyage à Expo 86, grâce à ce concours de Pacific Western (je ne peux pas trop m'en glorifier; je calcule que j'avais un peu plus d'une chance sur six de gagner). Quand ce congrès sera fini, ce sera l'entrée à l'université, où j'ai déjà mon casier.

« Soit dit en passant, Longueuil est une petite ville. La rue principale, croisant la vieille route de Chambly, a été rénovée à la mode d'autrefois arrangée au goût d'aujourd'hui : réverbères désuets, dallage de briques rouges, bacs à fleurs, façades retapées, estaminets embellis, maisons historiques garnies de plaques explicatives. Je ne dis pas que c'est laid, mais ce n'est pas authentique. Néanmoins, il y a un air vaguement européen — tôt le matin, du moins. La rue offre de belles échappées sur Montréal, de l'autre côté de la rivière, et ses installations olympiques. L'église est pourvue d'insolites portes en verre — commentaire sur l'Église au Québec ?

« J'ai découvert de nouveaux lecteurs de mes histoires parmi les participants et mon feuilleton semble les avoir accrochés. Je suis étonné, mais les quatre premiers épisodes sont les meilleurs. Pour la première fois, je sens la pression des attentes de mes lecteurs.

« Si je semble prolixe, c'est que je suis en veine de mots. Le congrès m'inspire; j'ai écrit deux courtes nouvelles pour un concours d'écriture sur place. L'une d'elles a remporté le deuxième prix.

« Du côté de mes autres écritures, le septième épisode du feuilleton est terminé, d'une façon qui me déçoit. Mais pas d'impatience, il ne paraîtra pas avant un an, un an et demi. Je pense à ajouter un huitième épisode, vrai épilogue. L'histoire du concours Solaris continue à faire la navette entre moi et Élisabeth Vonarburg; dans deux numéros peut-être... [...] Le roman de madame Marois sera peut-être publié un jour, si les coupures budgétaires le permettent. On verra... À part cela, j'ai quelques projets pour les concours d'imagine... et Solaris. Si mes études me laissent le temps, cela donnera peut-être des résultats. »

Notes

— le feuilleton en question, c'est Le Ressuscité de l'Atlantide, qui paraissait dans la revue imagine... à cette époque et que le Fleuve Noir devait publier en volume en 1994

— la nouvelle primée sur place, « Flash », est paru dans le numéro 5/6 du fanzine Samizdat

— l'histoire du concours Solaris, c'est la nouvelle « Les proscrits de Géhenna », parue dans Solaris 71 en 1987

— le roman de madame Marois correspond, sauf erreur, aux deux romans pour jeunes parus en 1995 chez Médiaspaul, Les Rescapés de Serendib et Le Prisonnier de Serendib (finalistes en 1996 pour le Prix Trillium)

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2007-06-11

 

Le philosophe et l'érudit

Le dossier « Imaginaires du numérique » dans Spirale 188 (janvier-février 2003) se laisse feuilleter avec plaisir, si on veut bien sauter la diatribe de Jean-Claude Rochefort. Les articles individuels, comme celui d'Éric Le Coguiec sur les cyberprojets architecturaux, offre des exemples concrets (en architecture, en photographie, etc.) et des aperçus théoriques sur la création virtuelle (citations de Focillon, Sloterdijk, etc.) qui sont souvent fulgurants. Mais j'y trouve aussi une absence de culture ou de perspective historique qui me désole (tout autant que cette lacune me rassure sur la valeur de mon doctorat, qui n'est pas que redites).

Cette ignorance du passé me semble trop commune chez certains intellectuels qui sont parfaitement disposés à discourir brillamment sur un sujet donné, mais qui ne se donneront pas toujours la peine de l'approfondir. Ainsi, je suis tombé récemment sur cet article (.PDF) de Richard Saint-Gelais dans Voix et Images en 2002, « Orbites elliptiques de la proto-science-fiction québécoise : Napoléon Aubin et Louis-Joseph Doucet dans les parages de Cyrano de Bergerac et de Jules Verne ».

Cet article m'avait échappé au moment de signer mon enquête « Aux origines des petits hommes verts » (paru en français dans Solaris) ou encore mon essai vernien « Les enfants de Jules Verne au Canada : la génération étouffée » (paru dans Solaris). Mais il ne m'aurait rien appris, malgré l'analyse très serrée que fait Saint-Gelais des procédés utilisés par Louis-Joseph Doucet dans sa nouvelle vernienne.

Comme je l'indiquais dans mon article sur Verne et comme l'ont aussi révélé les recherches de Mario Rendace, Doucet était loin d'être le seul à son époque à jouer avec les références verniennes. Quant à Napoléon Aubin, la référence à Cyrano de Bergerac est presque obligée depuis que Michel Bélil avait signalé une parenté possible dans imagine.... Or, les références et emprunts possibles ne manquent pas dans le texte d'Aubin, tellement qu'on finit par se dire que la référence à Cyrano de Bergerac trahit l'indigence de la recherche plutôt que la culture du critique. Tout au plus Saint-Gelais cite-t-il un parallèle possible entre le feuilleton d'Aubin et un élément du récit Le diable boiteux (1707), d'Alain-René Lesage (1668-1747), quand le démon Asmodée fait disparaître les toits des maisons de Madrid pour en révéler l'intérieur aux regards. Passons sur les allusions par Aubin à Don Quichotte ou à la mythologie (Pégase). On notera que son cheval volant est appelé Griffon, ce qui le rattache à l'Hippogriffe de Roland Furieux, qu'une jument engendra d'un griffon (Chant IV) et qui permit au duc Astolphe de monter jusqu'au paradis terrestre avant de visiter la Lune à bord du chariot du prophète Elie (Chant XXXIV). Dans mon article sur les petits hommes verts, j'ai relevé un parallèle intéressant entre un passage du premier épisode du feuilleton d'Aubin et un passage du roman de Louis Desnoyers, Les Aventures de Robert Robert. Quant à l'utilisation par le protagoniste du feuilleton d'un mélange de gaz hilarant (allégorie du Fantasque lui-même en tant que remède aux mauvaises dispositions du gouverneur britannique) et de gaz inflammable, dit hydrogène, c'est sans doute un renvoi à une autre histoire de voyage dans la Lune, parue au siècle précédent — tout en reflétant l'effet produit sur les esprits par les premiers ballons à hydrogène.

Cette histoire commençait à la troisième personne :

« Mon pauvre Oncle, comme le sait l'Europe entière, ayant déjeûné après s'être vivement querellé avec un Physicien de ses amis, fut attaqué d'une collique si violente, que ma sœur & moi fûmes dans la plus grande alarme. Croyant qu'un clystère pourroit le soulager, dans le trouble où j'étois, je saisis une seringue, je l'ajuste au postérieur de mon Oncle : mais au lieu d'un liquide émollient, c'étoit de l'air inflammable que j'introduisois dans ses entrailles. Soudain je vis ce cher Oncle s'élever de son lit par degrés, voler au plafond, y faire deux ou trois tours, puis s'échapper par la fenêtre. »

Dans la suite de l'histoire, l'oncle lui-même prend la parole et raconte à la première personne, tout comme Aubin :

« Malheureusement ma fenêtre étoit ouverte; mon remède de gaz inflammable me fit, malgré moi, passer à travers, & je fus bientôt emporté dans la plus haute région atmosphérique. Le souvenir de l'aventure de défunt Icare, celle d'un autre étourdi qui se cassa les jambes en route, ni le danger de mon périlleux voyage, ne me causèrent aucune inquiétude. Les Physiciens, comme on sait, n'ont jamais peur : au contraire, la disposition de mon corps me laissant la face tournée vers la terre, je contemplois avec sécurité le tableau le plus magnifique que la Nature ait jamais offert aux yeux des mortels ; une sensation douce se répandit par tous mes membres ; l'air étoit si pur & si calme, je nageois dans une paix profonde, je croyais respirer le bonheur. »

Montant toujours ainsi, l'oncle arrive dans la Lune. « Oui, cher Lecteur, dans la Lune; rien n'est plus vrai : j'étois parvenu, sans le savoir, dans ce satellite de la Terre. »

Bref, l'épisode en apparence banal d'Aubin attend toujours d'être analysé en détail à la lumière des ouvrages qui l'ont précédé dans le temps.

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2007-06-10

 

Vingt-deux heures à Québec

J'ai fait le saut à Québec pour fêter le cinquantième anniversaire de René B. L'autobus en provenance de Montréal s'est perdu dans les petites rues parce que le boulevard Charest était en réfection et j'en ai profité pour quitter le navire en perdition puisque l'appartement n'était qu'à deux pas. J'y ai admiré la chambre des livres (voir la photo ci-contre), où on a ménagé un petit espace qui accueillera le nouvel ordinateur donné en cadeau pour que l'écrivain ajoute de nouveaux volumes à la collection du bibliophile. Si j'avais un exemplaire des Légendes de Virnie sous la main, j'y chercherais la postface pour voir si je me souviens bien de l'épopée de la composition des nouvelles de ce recueil, qui avait fait des rapports de l'auteur et de l'informatique une légende de plus... Au cas où l'écran plat ne serait pas assez attirant, j'ai contribué un carnet à la cause. Après tout, il m'arrive encore d'écrire à la main des pages entières que je retranscris plus tard à l'ordinateur. Bref, ce fut l'occasion de revoir les Nidicoles, de rencontrer (trop brièvement) Guillaume M. et de saluer Francine de Vilveq ainsi que l'autre Clodjee. Une moitié de Laurent McAllister a aussi retrouvé une moitié de Michel Martin : que l'histoire retienne que leur plaisir fut entier. Le lendemain, je passe d'abord par le chantier de l'autoroute Dufferin-Montmorency pour photographier les progrès de la démolition depuis ma dernière visite. Mais si je suis resté à Québec, c'est surtout pour en profiter et faire une tournée des expositions dans les musées.

Premier arrêt : le Musée national des Beaux-Arts du Québec. Si je consacre quand même quelques minutes aux œuvres des peintres du vingtième siècle, dont Borduas, Pellan et le Riopelle de l'Hommage à Rosa Luxemburg, l'objectif demeure la collection Pérez Simón.

Les puristes déplorent sans cesse la marchandisation actuelle de l'art, mais la visite de l'exposition d'œuvres de la collection Pérez Simón rappelle que l'art pictural est devenu un objet presque entièrement commercial dès le XIXe s. Avant, il était souvent utilitaire. Devant une peinture de Brueghel le Jeune reproduisant la prédication de saint Jean-Baptiste déjà peinte par son père, on retient que le sujet religieux est assaisonné d'un jeu qui n'est qu'une version du très populaire Où est Charlie? qui nous amuse encore aujourd'hui. Les vedute composites d'antiquités romaines par Pannini ne sont pas autre chose que des montages de cartes postales pour une époque qui n'en avait pas. Les triptyques religieux et autres tableaux sacrés servent le culte : les vertus de la pédagogie par l'image étaient déjà bien comprises. Et les portraits de mécènes ou de leurs familles remplissent le rôle joué aujourd'hui par les caméras (numériques) et Flickr.

Mais quand la photographie et la lithogravure ont supplanté la peinture dans certains de ses rôles, l'art n'avait plus qu'à devenir un objet de consommation (de prestige) ou une pratique exploratoire de la plastique pure. Les académiciens français et les préraphaélites anglais créent un art qui se vend. Les impressionnistes ouvrent de nouvelles voies, en payant parfois le prix de l’impopularité, mais faute d’assigner un nouveau rôle à l’art, ils sont également récupérés par le marché de l’art. D'où l'impression qu'on peut avoir que l'art était bien moins une marchandisation quand il était plus commercial...

Avant de reprendre l'autobus, j'ai visité partiellement deux expositions au Musée de la civilisation de Québec : celle sur les dragons et celle sur le Pérou de Tintin (et d'Hergé). Des deux, j'ai préféré celle sur le Pérou, peut-être parce que j'ai un peu visité la région. Ou peut-être parce que, lorsqu'il s'agit de dragons, on tombe vite dans le mythe, la légende et le romanesque. Tandis que l'exposition sur le Pérou et ses civilisations précolombiennes nous apprend comment on vivait dans cette partie du monde...

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2007-06-09

 

Increvable Jules Verne

Dans les nouvelles du jour, il y a l'annonce de la tenue à Los Angeles d'une édition étatsunienne du Festival du film Jules Verne Aventures présenté depuis quinze ans à Paris. Il s'agit en fait de la seconde édition, prévue pour décembre 2007. L'édition française avait eu lieu à Paris du 18 au 24 avril derniers.

Si ce festival avait échappé à l'attention, c'est sans doute parce qu'il se consacre non pas aux récits d'aventure présentés par les grandes compagnies hollywoodiennnes mais aux documentaires. Ainsi, même si Buzz Aldrin et Patrick Stewart faisaient partie des invités en 2007, les films de fiction ne jouent qu'un rôle secondaire dans la programmation. À la rigueur ils appâtent le chaland, mais le festival veut rendre hommage avant tout à l'aventure authentique et à l'exploration de la planète.

C'est une autre preuve de la pérennité de la marque créée par Jules Verne (et Hetzel) et aussi de la richesse de son œuvre. Même en faisant abstraction de la dimension futuriste et science-fictive, il en reste assez pour donner naissance à un festival qui dure depuis quinze ans et qui s'étend maintenant sur deux continents...

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2007-06-08

 

Pauvres politiciens

On n'a pas tous les jours envie d'avoir pitié des politiciens, mais je suis fortement tenté de verser une larme pour Jean Charest. La politique environnementale du parti Libéral prévoit de faire payer les marchands d'essence au Québec. Ceux-ci préviennent, ouvertement ou non, que la facture sera immanquablement refilée aux consommateurs.

Tout de suite, c'est le tollé. Taxe déguisée! Nouvel impôt! On pressure le pauvre monde!

Ben voyons! La semaine dernière, selon les sondages, les Québécois refusaient les baisses d'impôts proposées par le gouvernement Charest. Cette semaine, ils s'indignent qu'on veuille augmenter le fardeau fiscal. Pourtant, une partie de l'intelligentsia québécoise se pète volontiers les bretelles en faisant écho aux vantardises du gouvernement quand il dit être plus vert que le reste du Canada. C'est si agréable de pouvoir taper sur l'Alberta... Mais quand il s'agit de mettre la main à la poche pour faire plus, au lieu de se contenter des avantages acquis (hydro-électricité), il n'y a plus personne.

Quand on parle d'une taxe sur le carbone, on n'y échappe pas, cela doit finir par se traduire par une taxe sur l'essence. Selon de nombreux environnementalistes, un tel incitatif financier est essentiel pour modifier nos habitudes, favorisant l'utilisation des transports en commun et décourageant l'étalement urbain.

Si le gouvernement Charest était franc, il soulignerait que cette taxe sur l'essence ne peut être assimilée à un nouvel impôt auxquels tous les contribuables seraient assujettis en fonction de leur capacité de payer. Il existe de nombreux moyens d'atténuer ou d'éliminer l'impact de cette taxe, que ce soit en optant pour des véhicules moins énergivores, les transports en commun, une résidence en ville ou des déplacements moins fréquents. Et ce n'est pas comme si les Québécois n'avaient pas été en mesure de voir venir. Cela fait un moment que les prix à la pompe augmentent et que l'on fait état de la pollution produite par les moteurs à combustion interne. Dans la plupart des cas, une telle taxe pénalisera d'abord l'imprévoyance et la consommation effrénée.

Mais, en ce pays, les gouvernements apprennent vite à ne pas dire la vérité à leurs électeurs...

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2007-06-07

 

Armes et bio-armes

Dans la trilogie White Queen de Gwyneth Jones, des extraterrestres issus d'une civilisation qui a maîtrisé les biotechnologies arrivent sur Terre et ils sont alors médusés de constater que des animaux qu'ils assimilent à des bio-armes sont traités comme de simples compagnons, voire des jouets pour enfants. Il s'agit bien sûr des chiens et autres animaux domestiques. Je trouve le concept utile, car si on se met à envisager les chiens comme des bio-armes, on les change de catégorie...

En 2004, 23 Canadiens ont été tués accidentellement par des armes à feu (trois autres Canadiens ont été occis par une arme à feu dans des circonstances qui ne permettaient pas de trancher entre l'accident et le suicide); les statistiques disponibles indiquent que, de 1970 à 2001, le nombre de morts accidentelles causées par des armes à feu n'a cessé de baisser, tombant de 129 et 143 en 1970 et 1971 respectivement à 20 et 28 en 2000 et 2001 respectivement. En ce qui concerne les blessures causées accidentellement par des armes à feu, les statistiques sont plus difficiles à trouver. Une source cite un taux moyen de 1,5 pour 100 000 durant la période 1990-1998; pour une population de trente millions de personnes, ce qui est légèrement excessif, cela correspondrait à 450 cas par année. Mettons 400 par an.

Quels sont les chiffres correspondants pour les conséquences des accidents impliquant des chiens? On entend régulièrement parler de morts et blessures imputables à des chiens, mais les statistiques ne sont pas nombreuses. Ce qu'on peut trouver indique que les chiffres seraient comparables à ce qu'on observe aux États-Unis, où on parle de cinq millions de morsures par année. Or, en partant d'une enquête d'un coroner québécois qui aurait rapporté en 1999 qu'il y avait eu 117 000 cas de morsures au Québec en 1997 et 1998, on arriverait, par extrapolation, à un demi-million de cas pour tout le Canada, ce qui est du même ordre qu'aux États-Unis, toutes proportions gardées. Quant aux décès imputables à des chiens, ils seraient de l'ordre de 15 à 20 annuellement aux États-Unis, ce qui correspondrait à un ou deux cas par année au Canada. En ce qui concerne les rapports entre les morsures ou décès et les races de chiens, on peut lire ce rapport (.PDF) de Merritt Clifton, qui a colligé des données pour la période allant de 1982 à 2006 sans faire de distinction entre le Canada et les États-Unis, mais en se limitant aux cas où la race du chien était bien identifiée.

Évidemment, les morsures infligées par les chiens sont de gravité variable. On a sans doute toujours raison d'amener un enfant mordu à l'hôpital, mais le traitement requis et les conséquences redoutées (infection?) dans le cas d'un mordillement par un chiot n'ont rien à voir avec les effets d'une attaque susceptible de mutiler à vie... Néanmoins, le nombre des morsures est si grand que même en admettant que la plupart ne sont pas sérieuses, il semble bien qu'il doive rester plus de cas graves, sur ce demi-million de morsures, que l'ensemble des cas de blessures par arme à feu. On notera qu'une étude a fait ressortir qu'un tiers des cas exigeant des soins hospitaliers résultaient de l'attaque par un chien d'un étranger et que le visage avait souffert dans 40% des cas...

Tout cela complique la comparaison des armes à feu et des bio-armes. D'une part, la vingtaine de décès causés annuellement par des armes à feu l'emportent de beaucoup sur les cas isolés attribuables à des chiens. D'autre part, le nombre de blessures attribuables à des chiens est bien plus élevé que le nombre de blessures accidentelles causées par des armes à feu. Quand on songe qu'il y aurait trois fois plus d'armes à feu que de chiens au Canada, on se demande bien lesquelles de ces armes sont les plus dangereuses...

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2007-06-06

 

Le Québec des gros chars

Ce matin, l'émission de Christiane Charette nous rappelait que Jacques Godbout a peur pour l'avenir du Québec. Tout comme Lise Payette, il redoute que son Québec disparaisse. Il repousse cette disparition plus loin que l'autre, en fixant l'horizon de 2076. Et il a sans doute raison. Je dirais même plus qu'il est nécessaire que ce Québec disparaisse.

En effet, ce que trahit Godbout en déplorant la décroissance du Québec, c'est le rôle joué par le nombre et la taille dans la pensée nationaliste. De la revanche des berceaux à l'emblématique « On est six millions », un certain Québec a rêvé d'être fort par la masse. Tout devait être plus gros au Québec : le territoire (trois fois grand comme la France!), les barrages, les ponts, les voitures (la grosse Cadillac, symbole de succès), etc.

Ce que le discours des déclinologues comme Godbout ne manque jamais de faire, c'est de sauter rapidement de la décroissance de la population du Québec en chiffres absolus au déclin relatif à l'intérieur du Canada. Les deux ne sont pas équivalents, pourtant. La population du Québec pourrait continuer à augmenter lentement ou se stabiliser sans que cela empêche son déclin relatif. Ainsi, on peut soupçonner que c'est le chat qui sort du sac : ce qui inquiète, c'est la perte d'influence. On se demande même si ce n'est pas une admission tacite de l'influence dont le Québec a profité au sein de la fédération et des avantages qu'il a retirés du relais canadien...

J'ai toujours été frappé par le fait que les Québécois se trouvaient trop peu nombreux quand il y a plus de Québécois (et même de Québécois francophones) que de Danois, de Finlandais, d'Irlandais ou de Norvégiens, entre autres pays plutôt recommandables... Le Québec actuel est aussi populeux que la Catalogne et il n'y a aucun scénario démographique prévoyant que la population du Québec puisse être inférieure en 2051 à six millions de personnes et quelques.

Le Québec fait face à un défi, mais c'est le défi du passage de la quantité à la qualité. Même si le Québec avait un taux de croissance naturel plus proche de celui de la France ou des États-Unis, il connaîtrait un déclin relatif (tout comme le Canada) dans un monde constitué de pays en pleine expansion démographique et économique. Le réalisme impose donc de miser sur la qualité, et non sur la quantité. Ni le Québec ni le Canada n'auront jamais un marché intérieur comparable aux chasses gardées de l'Europe, des États-Unis ou même du Japon. Il faudra donc savoir exporter. Quand les matières premières s'épuiseront, il faudra exporter des idées. Et pour que celles-ci soient originales, il faudra que l'innovation s'appuie sur la meilleure formation possible.

Au lieu, par exemple, de viser un taux de réussite aussi élevé que possible aux examens de français, il s'agirait de s'assurer que cet examen ait un sens. Le taux de réussite à cette épreuve est d'ores et déjà aussi élevé, sinon plus, que celui du baccalauréat en France. En fait, la révélation du jour, en ce qui me concerne, c'est qu'il est actuellement possible pour un étudiant du collégial de commettre jusqu'à 30 fautes dans un texte de 900 mots et de réussir quand mème ce qui est pourtant une épreuve de français ! Il me semble pourtant que si on veut investir dans une économie du savoir, on devrait se demander si ce n'est pas trop d'indulgence...

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2007-06-05

 

Les mycobactéries contre la dépression

Un article récent paru dans Neuroscience et signalé par Discover (on devrait pouvoir lire sans entrave la version initiale des auteurs ici) suggère que des microorganismes présents dans l'environnement naturel (les bactéries qui prolifèrent dans le sol, par exemple) pourraient avoir un effet psychologique sur les êtres humains.

Rappelons que certains imputent à la propreté excessive de nos maisons et lieux de travail, en particulier dans les pays industrialisés, l'augmentation des allergies et des cas d'asthme dans ces mêmes pays. Nous ne serions pas assez exposés à l'environnement naturel pour que nos systèmes immunitaires apprennent à distinguer les vraies menaces des autres. Mais certains scientifiques pensent aussi que des microorganismes naturels pourraient stimuler des neurones du cerveau qui jouent un rôle dans l'attitude, l'humeur et la tendance à la dépression. Ainsi, l'article en question montre qu'une bactérie spécifique de l'environnement, Mycobacterium vaccae, améliore l'humeur et le niveau d'énergie des animaux testés — des souris — tout à fait comme si c'était un antidépresseur pharmaceutique. (L'effet était toutefois de courte durée.)

Ceci pourrait expliquer pourquoi l'habitude que j'ai contractée de m'offrir des grandes randonnées à pied à la campagne semble avoir réduit de beaucoup les allergies dont je souffrais à l'adolescence. Ou à tout le moins pourquoi je reviens souvent de bonne humeur de ces grandes promenades. Et si le jardinage est un passe-temps si populaire, serait-ce parce qu'il combat vraiment la dépression? Tandis que les hivers neigeux du Canada priveraient les Canadiens du contact requis avec les mycobactéries...

Si le contact avec les bactéries du sol terrestre est essentiel à notre bien-être mental, ceci jette un autre jour sur certaines réactions des astronautes et cosmonautes qui ont accompli de longs séjours dans l'espace, ou qui se prêtent à des expériences d'isolement. La dépression et les réactions pathologiques au confinement (cabin fever) seraient associées non pas à l'enfermement en soi, mais à un manque objectif, celui des bactéries du sol. Mais les expéditions au long cours resteraient possibles tant qu'on pourrait emporter un peu de terre en pot...

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