2017-12-30

 

Endorphine

Jeudi, en revenant en train d'Ottawa, j'ai enfin regardé le film Endorphine (2015).  Cette réalisation d'André Turpin, scénarisée par Turpin et Valérie Beaugrand-Champagne avec l'aide de Robert Morin, est parfois présentée comme une création qui pourrait relever de la science-fiction.  Comme je ne renonce pas à ma quête des films de science-fiction québécois ou canadiens-français, je me devais de me pencher sur ce long métrage de 83 minutes sorti en 2016.  Le résumé permettait d'envisager un scénario un peu dickien, voire une histoire susceptible de rappeler The Lathe of Heaven d'Ursula K. Le Guin (roman ouvertement inspiré par Dick, d'ailleurs).  D'ailleurs, la première partie de la citation en traduction (plus ou moins fidèle) de Zhuangzi, « To let understanding stop at what cannot be understood is a high attainment », dont la suite a fourni à Le Guin son titre, pourrait aussi servir d'épitaphe à ce film.  Car le spectateur est très tenté de ne pas essayer de comprendre l'incompréhensible.

De fait, si le film commence de manière potentiellement intelligible et intéressante, avec l'histoire d'une jeune fille perturbée d'avoir assisté au meurtre de sa mère au point d'être soumise à une régression sous hypnose pour la libérer de ses penchants destructeurs, la suite ne se soucie guère d'offrir un fil conducteur.  Au mieux, on peut tenter de comprendre que le temps est devenu malléable (une future incarnation de la jeune fille en physicienne quantique dans la soixantaine soutient que le temps n'est qu'une illusion de la conscience, ce qui correspond à certaines discussions de la nature du temps en physique) comme une animation l'illustre.  Mais inverser le cours du temps ou accoucher de boucles causales n'arrive pas tout seul dans la physique moderne.  La science-fiction pourrait intervenir dans un tel cas, mais rien dans le film ne permet d'affirmer que le récit émerge des rêves sous hypnose de la protagoniste.  D'ailleurs, un leitmotiv en allemand nous répète qu'il n'y a pas de clé et que la seule question, c'est de savoir qui est la personne rêvée par les rêves du film.  Le meurtre est-il rêvé a posteriori ?  A-t-il eu lieu ?  Pourrait-il être changé ?

J'ai eu comme l'impression que les premiers scénaristes, Turpin et Beaugrand-Champagne, avaient bloqué sur la suite des choses aux alentours de la dérive de la jeune Simone qui a perdu sa mère.  Ont-ils fait appel à Robert Morin pour les tirer d'affaire ?  Au lieu d'un auteur de science-fiction ?

Le résultat est un film plus lynchien que dickien, bien filmé et bien tourné, avec un minimum de budget.  Mais s'il est beau sur le plan visuel, il a, sur le plan narratif, la beauté d'un tableau de Pollock.  Un peu comme si on avait jeté un paquet de spaghettis bien cuits sur une toile pour les arroser ensuite de jolies couleurs.  S'il y a une signification autre que dans le geste de création, que dans l'interprétation que les scénaristes pourraient en fournir ou que ce qu'on pourrait retirer d'une dizaine de visionnements successifs, calepin en main pour noter chaque élément susceptible d'être un indice, elle est très loin de s'imposer.  Chaque spectateur est bien sûr libre d'assigner un sens à cette histoire, mais une création artistique qui n'a de sens que dans le cadre de la subjectivité de chacun (réalisateur, scénariste ou spectateur) n'a dans ce cas pas plus de sens qu'un nuage ou que le mot xdkafj34valezzo.  Le film devient alors une tache de Rohrschach et rien de plus.

De fait, la critique n'a pas suivi et je crois qu'il serait juste de dire que le film est passé inaperçu à sa sortie (même si plus de 5 000 entrées au Québec, c'est assez respectable pour un film québécois).  Bref, entre art et onirisme, Endorphine ne touche à la science-fiction qu'en présentant un personnage (Simone à soixante ans) qui appartient implicitement à notre futur, mais sa réalité même n'est pas certaine.  C'est dommage, en un sens, car le Canada francophone attend encore un bon film de science-fiction dickienne...

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2017-12-17

 

Archéologie littéraire personnelle

En dépouillant à des fins bibliographiques ma collection de la défunte revue de SFCF imagine... (mettons qu'un dimanche matin, quand je devrais manier le stylo rouge avec sévérité, c'est une forme de procrastination utile), je suis tombé sur une annotation au crayon qui me permet de reconstituer un point tournant de ma carrière d'écrivain.  Dans l'image ci-dessous, on retrouve l'en-tête éditorial et pavé légal du numéro 21 paru en avril 1984.  On distingue clairement que j'ai souligné la mention cruciale fournissant l'identité et l'adresse du directeur littéraire.  (C'était peut-être bien le premier numéro de mon abonnement, d'ailleurs.)  J'en déduis que c'était pour soumettre un texte, ce que je n'ai pas tardé à faire avec toute l'inconscience de mes seize ans.  À cette lointaine époque, une revue comme imagine... n'était peut-être pas imprimée en couleurs avec de nombreuses illustrations comme Solaris aujourd'hui, mais elle avait l'avantage de paraître aux deux mois.  Si bien qu'il en fallait des textes...  Jean-Marc Gouanvic a jugé recevable le texte dactylographié que je lui avais soumis (« Œuvre de paix ») — et sans doute voulu encourager une jeune plume (ce qui était également plus facile quand une revue publiait avec une périodicité élevée).  Du coup, ma première nouvelle est parue en octobre 1984 dans le numéro 24.  Ainsi, en moins de six mois, à l'époque de la machine à écrire et du courrier postal, longtemps avant l'utilisation du courriel pour les soumissions sous forme de fichiers, ma nouvelle avait été soumise, acceptée et publiée.  J'avais dix-sept ans.

Le bon vieux temps n'avait pas que des défauts...

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