2008-07-31

 

L'avenir de l'énergie au Québec

Que l'on croie ou non à l'existence d'un pic pétrolier dès aujourd'hui, tout indique que la production pétrolière ne pourra pas répondre à la demande à venir si celle-ci ne change pas de caractère. L'autre jour, je montrais à quel point la consommation d'énergie au Québec dépendait des importations, tant pour le pétrole et le gaz que pour l'électricité.

Néanmoins, un exercice de prospective (« Perspectives STS ») mené par le Conseil de la science et de la technologie du Québec — et présenté par Alain Bergeron, auteur de science-fiction à ses heures, dans ce document (.PDF) — a tenté de cerner le défi posé par la pénurie inéluctable de carburants fossiles. L'exercice a accouché d'un rapport (.PDF) qui propose des priorités et des orientations stratégiques à court et moyen terme pour le Québec.

Il propose trois orientations :

1. Le soutien aux technologies stratégiques qui présentent un bon potentiel d’efficacité énergétique et de production d’énergie à partir de sources renouvelables;

2. Le maintien et la consolidation des compétences déjà en place dans les domaines où il y a un avantage comparatif reconnu pour le Québec;

3. La réalisation des retombées économiques, sociales et environnementales attendues du développement de l’efficacité énergétique et des nouvelles technologies de l’énergie.

Bon, whatever...

Plus concrètement, cela signifie que le Québec doit parier sur l'innovation, dans trois domaines présentés ainsi : Ceci part d'un constat clairement énoncé : « La diminution des réserves de combustibles fossiles, en particulier le pétrole, et la lutte contre les changements climatiques rendent plus criants les besoins en R-D en matière d’efficacité énergétique et de nouvelles technologies de l’énergie.» Et si ceci s'applique surtout en Europe, le rapport en accepte la validité pour le Québec.

Ceci rejoint un article intéressant de Tessaleno Devezas et compagnie qui propose de revoir une vieille idée (.PDF) de Cesare Marchetti mise de l'avant en 1977, durant la précédente crise de l'énergie. Celui-ci avait envisagé la fin du système énergétique fondé sur le pétrole et son remplacement cyclique par une nouvelle source d'énergie, tout comme le pétrole avait remplacé les sources d'énergie précédentes. Toutefois, Marchetti prévoyait le remplacement du pétrole par le gaz naturel, puis par l'énergie nucléaire. Si les données préliminaires disponibles en 1977 semblaient justifier cette prévision, ce n'est plus le cas. Le déclin des anciennes sources d'énergie (charbon et bois) s'est stabilisé, et l'augmentation de l'utilisation des nouvelles sources d'énergie (gaz naturel et nucléaire) plafonne.

Par conséquent, Devezas et cie suggèrent de conserver le modèle de Marchetti mais de le réviser. Ils combinent le pétrole et le gaz naturel comme relevant des mêmes énergies fossiles, et ils décident de prendre au sérieux la notion de l'efficacité énergétique comme source d'énergie en soi (une source de négawatts...). Du coup, on voit apparaître une nouvelle source d'énergie qui s'inscrit dans la périodicité des cycles de substitution antérieurs. La combinaison du nucléaire et des énergies renouvelables prendrait ensuite la relève, ramenant l'humanité à la situation d'avant la Révolution industrielle, quand les principales sources d'énergie (biomasse, bois, vent) étaient toutes renouvelables. Les auteurs n'essaient pas de justifier la capacité des énergies renouvelables à satisfaire aux besoins anticipés; il leur suffit de justifier la prédominance à venir de nouvelles sources d'énergie sur les anciennes.

Mais l'idée d'un retour au passé ne semble pas si horrible si, comme il y a longtemps, ce serait un moyen de combler durablement les besoins en énergie de l'humanité, sans jamais avoir à s'inquiéter de nouveau d'une pénurie d'énergie.

Si cette intuition devait se vérifier, elle atténuerait les inquiétudes soulevées par la mise à jour des scénarios du premier rapport Limits to Growth produit en 1972. La mise à jour en 2002 a fait l'objet d'un livre, Limits to Growth, the 30-Year Update, dont l'argumentation est résumée ici et ici (.PDF). Les projections de ces scénarios incluent le recyclage et l'augmentation de l'efficacité, mais peut-être pas au point de leur attribuer une croissance aussi exponentielle que pour les autres facteurs.

Je l'ai lu avec une certaine inquiétude, en me demandant si l'empire romain pourrait illustrer le phénomène du dépassement des limites, suivi d'une correction inéluctable. Épuisement des sols, épuisement des mines... Il y a quelques indications de ces limites à la croissance dans le monde romain; l'usage de l'avortement et de l'infanticide serait alors une conséquence, et non une cause du déclin démographique.

Mais la vraie question, connaissant la capacité humaine à s'habituer à tout, est plus subtile. Si le monde actuel connaît une transition semblable, réduisant sa population pour s'adapter aux nouvelles productions énergétiques, aurons-nous conscience de vivre un effondrement et un déclin semblables à ceux de l'Antiquité?

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2008-07-30

 

La Lune dans la brume

Pour mon anniversaire, mon oncle de France, qui d'architecte à la retraite se fait de plus en plus artiste informatique, m'a envoyé l'image ci-dessous — ainsi qu'une dizaine de variantes. (S'il y a des amateurs curieux, qu'ils me contactent.)J'ai préféré celle-ci parce que j'y vois non seulement le chemin de la Lune tracé par son reflet à la surface des eaux (à ne pas confondre avec le roman Le Chemin de la Lune que Marcel Godin, mort cette année, avait fait paraître en 1992 et que j'avais critiqué mais dont je ne me rappelle pratiquement pas), mais parce que la Lune a l'air de surgir d'un brouillard qui a avalé tout l'horizon.

On peut s'imaginer en canot sur un lac de Bouclier canadien en train d'avancer dans la brume, sur le chemin que la Lune trace en faisant scintiller les vaguelettes qui ne sont visibles que dans son prolongement. Seul avec le lac, le canot et le silence de la nature sauvage... À condition de se convaincre que la pleine Lune brille tellement qu'elle parvient, avec l'aide d'un brin de licence poétique, à percer la brume...

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2008-07-29

 

Obole uchronique

La suite de Farthing de Jo Walton s'intitule Ha'Penny. (Autrement dit, on passe de la pite à l'obole en bon français médiéval...) L'action du roman se déroule quelques semaines après celle de Farthing, ce qui n'est pas établi assez tôt pour les lecteurs du premier livre qui n'en auront pas gardé un souvenir suffisamment précis. Mais l'inspecteur Carmichael de Scotland Yard est le seul personnage principal qui est de retour, chargé d'enquêter sur l'explosion d'une bombe dans la maison d'une actrice vieillissante. De fil en aiguille, ceci le mettra sur la piste d'un complot pour faire sauter Hitler et le nouveau premier ministre anglais, de plus en plus ouvertement fasciste, dans un monde où le Royaume-Uni a conclu une paix séparée avec l'Allemagne nazie qui poursuit la guerre contre l'Union soviétique.

Viola Lark, alias Larkin, fait partie d'une famille de sœurs élevées sans grand discernement par un père tyrannique sur le modèle des sœurs Mitford, ce qui pourrait expliquer leur fascination par des hommes dominateurs et sûrs d'eux, y compris Hitler. Viola, qui a quitté les cercles de l'aristocratie pour devenir une actrice, ne fait pas exception : dès qu'un terroriste irlandais et incontestablement mâle se pointe, elle subit son attraction physique... Il le faut pour expliquer pourquoi elle ne tente pas de se soustraire à une conspiration qui lui semble vaine et futile. Plus tard, on lui prouve que la cause est juste et elle y adhère de tout cœur, mais si le personnage est bien campé, il n'est pas entièrement convaincant dans son rôle de terroriste.

Les critiques de Ha'Penny semblent bonnes, que l'on y voie une attaque en règle de la Grande-Bretagne de Blair ou de l'Amérique de Bush. J'ai moi-même lu le livre d'une traite, tout en protestant intérieurement que Jo ne pouvait pas assassiner Hitler au moyen d'une bombe puisque je l'avais déjà fait dans ma nouvelle « Les outils de l'ombre » (dans Solaris 154 en 2005)... Le roman souffre du défaut propre aux uchronies et aux thrillers historiques axés sur les tentatives d'assassinat de personnes célèbres : il n'y a que deux fins possibles. L'une est espérée et l'une est sans surprise. Si on a la surprise, on a rarement la fin voulue. Si on a la fin voulue, on n'a pas nécessairement la surprise. Walton n'arrive pas vraiment à se sortir de ce dilemme, car elle n'introduit pas vraiment de rebondissement supplémentaire après l'explosion de la bombe qui ne tue pas Hitler.

Eh oui, je révèle la fin pour en parler, car à force de chercher à ménager une surprise, Walton signe une fin globalement improbable. D'abord, même s'il ne faut pas confondre l'histoire réelle et l'uchronie, disons que, du point de vue du multivers, c'est au moins la troisième fois qu'Hitler échappe miraculeusement à un attentat à la bombe. Ça commence à faire beaucoup : le miracle ne saurait être une habitude... Dans ce cas-ci, Walton abuse des coïncidences. Carmichael est mis sur la piste par une conversation de dernière minute, mais le terroriste irlandais aurait pu faire sauter la bombe dès le début de la pièce à laquelle assiste Hitler et le premier ministre. Il est loin d'être clair pourquoi il ne l'a pas fait. De même, Carmichael, pressuré par ses supérieurs et pressenti par eux comme chef d'une Gestapo britannique à son corps défendant, va sauver Hitler sans se rendre compte de ce qu'il fait. C'est un peu faible.

Et le raisonnement de Carmichael en fin de compte, s'il n'est pas une justification a posteriori, reflète un point de vue politique parfois exprimé dans les cercles d'une certaine gauche aussi idéaliste qu'attentiste. On aura souvent entendu durant les prémisses de l'invasion de l'Irak qu'il est inutile d'abattre les dictateurs par la force tant que la population n'est pas prête à adhérer aux valeurs démocratiques. De même, tant Viola que Carmichael raisonnent qu'il est futile d'assassiner un dictateur, car il sera aussitôt remplacé, et par pire encore, qui sait... En fait, comme presque aucun grand dictateur n'a été assassiné, on ne peut pas l'affirmer avec certitude. En revanche, la mort naturelle d'un Staline ou d'un Mao a bel et bien changé les choses en Union soviétique ou en Chine, car les successeurs des pires tyrans sont toujours des héritiers, dans une certaine mesure, ce qui modifie forcément leur rapport à l'exercice du pouvoir

Et comme dans le roman précédent, Walton prend le parti d'une certaine gauche alarmiste pour qui l'introduction de cartes d'identité est nécessairement le premier pas sur la pente glissante qui conduit au totalitarisme. Ce n'est pas toujours le cas, quand même... Je reste aussi un peu sceptique face à l'utilisation d'une menace communiste pour mobiliser les peurs populaires à l'appui de la démarche fascisante du nouveau gouvernement britannique. L'élection d'un gouvernement travailliste en Grande-Bretagne en 1945 dans notre version de l'histoire était-elle entièrement une fonction des quatre dernières années de guerre et de la victoire soviétique sur les Nazis? Ou était-elle au moins en partie l'aboutissement d'une tendance de fond qui remontait aux années noires de la crise économique avant 1939? N'est-ce pas anachronique de poser, pour l'ensemble de la Grande-Bretagne, une plus grande hostilité au communisme et aux Juifs qu'au nazisme, qui a, même dans cette version de l'histoire, infligé de lourdes pertes britanniques durant la campagne de France et le Blitz? On comprend que le communisme effraie les cercles aristocratiques et aisés au cœur de ces deux romans, mais la majorité de la population aussi? Enfin, je ne doute pas que Jo Walton connaisse mieux que moi l'histoire britannique de cette période.

Le lecteur francophone notera au passage que le roman écrit de travers le mot français « alouette », en principe parce que Viola Lark le prononce à l'anglaise en disant « alouetta ». (C'est du moins ce que voulait l'autrice, et ce que semble confirmer une déformation parallèle d'un mot allemand à la page suivante.) Mais comme il s'agit du nom même de Viola et qu'elle baigne dans les milieux culturels de Londres depuis des années, on peut se dire qu'au moins un francophone aurait corrigé sa prononciation depuis le temps.

Malgré ces réserves, j'ai hâte de lire le troisième volume, Half a Crown, car Jo Walton n'ennuie jamais ses lecteurs.

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2008-07-28

 

Une retombée de Readercon

Chaque année, les auteurs présents à Readercon font connaissance les uns avec les autres, ou avec leurs lecteurs, en distribuant des citations de leur prose sur des étiquettes autocollantes que l'on accumule sur une feuille à part. En principe, on suggère aux collectionneurs d'étiquettes d'en faire un jeu oulipien en les rebrassant pour en faire de l'art trouvé. Ou on peut pousser le jeu jusqu'à se servir des citations recueillies comme inspiration d'un texte. C'est ce que j'ai fait pour la première fois; on retrouve dans le récit suivant des échos d'extraits de la prose d'Yves, de Grimmwire, du Grand Chloré...

Parfois à Paris, on s'endort dans le train et on se réveille en Italie. Le paysage n'a plus une goutte d'eau en trop. Les arbres ont rétréci, réduit à des silhouettes desséchées à l'habit d'un vert plus sombre, plus concentré, ou ils ont disparu. Là où il y avait de l'herbe, il y a des cailloux. Les toits sont faits de tuiles de terre cuite et recuite. Le soleil se hisse à peine au-dessus de l'horizon et sa lumière est déjà riche d'éblouissements à venir.

Il suffit de laisser le train rouler toute la nuit pour changer de climat, ou de continent si on se croit déjà en Afrique... Les voyageurs les plus vieux racontent toutefois qu'il existe d'autres trajets et d'autres destinations, autrement plus étranges. La réalité bifurque dès que le train emprunte un tunnel à la sortie de Paris.

Les personnes autorisées — mais par quelle autorité? — ont alors le droit d'ouvrir un portail quelque part dans les ténèbres du souterrain. À quoi reconnaît-on ces portiers de l'ailleurs? Les conteurs ne s'entendent pas. Sont-ils petits, sont-ils gros? Sont-ils de grands gaillards bardés de cuir et de tatouages, la peau criblée de petits ronds dessinés avec art pour faire beau ou pour faire oublier les blessures par balle et les brûlures de cigarettes? Sont-ils de petites filles aux cheveux blancs, un crayon feutre à la main pour dessiner une porte sur la cloison du wagon? Sont-ils jeunes et pétants de santé, sont-ils vieux et chancelants? Sont-ils saouls et crasseux, ou chics et mystérieux?

Adrien le Débandé n'est pas un portier, mais il en attend un. Pour se distraire, et il a bien besoin, assis dans le train qui fait défiler Paris la nuit dans ses fenêtres, il invente des équations quadratiques et il s'amuse à calculer leurs racines dans sa tête. Nombres réels, imaginaires et complexes caracolent. Le temps passe comme s'il en était le maître. Ou comme si Adrien n'avait pas abandonné depuis longtemps ses études en mathématiques. La pointe d'une théorie sur la nature du temps fait surface dans sa tête, mais il la repousse sous le sol tout de suite. Il ne se fait plus confiance, ou peut-être préfère-t-il ne pas ramasser le trésor qu'il a jeté aux orties, jadis. Il a peut-être changé d'avis, mais il n'aime pas changer d'idée.

— Appelez-moi Napoléonne.

La voix éraillée tire Adrien d'un songe un peu imprécis, parti de la racine carrée de deux pour remonter au théorême de Pythagore et aux secrets de la première secte de mathématiciens de l'Antiquité, chassés de ville en ville dans l'Italie du Sud, persécutés pour l'admission des femmes dans les cercles de disciples du Géomètre. L'une de ces premières mathématiciennes ne s'est-elle pas tranché la langue avec les dents plutôt que de ...

— Napoléonne !

Le portier est une femme et c'est maintenant qu'il s'en rend compte. Il l'examine un moment, muet et sceptique. Elle ne paie pas de mine, mais c'est sans doute parce qu'il faut la payer... En apparence, c'est une catastrophe ambulante, issue de quelque chambre de bonne à Neuilly, mal fagotée, du mauvais bord de la soixantaine, les cheveux rougis par le henné et le visage refait à coups de fard. Mais quand elle ouvre la bouche, son sourire est fait de perles.

— Napoléonne la Noyée, si vous voulez tout savoir.

— Pourquoi ce nom ?

Elle le fixe, comme s'il était encore plus laid qu'elle.

— Je suis celle qui plonge entre les réalités, celle qui tient la barre du timonier quand le train aborde l'aiguillage inexistant et s'enfonce vite sous la surface du temps, celle qui gouverne quand, corps et biens, le convoi sombre pour ne jamais revenir, coule et se noie. Je suis celle qui ne revient pas, la morte immonde que l'on croit tristement noyée avec tout son monde, celle qui ne revient hanter personne ici et sur qui se disent tant de faussetés aussi.

Quand elle éclate de rire, les perles de son sourire brillent, comme dans l'écrin d'un coquillage géant prêt à se refermer sur le nageur avide et imprudent.

— Et le prénom?

— J'en ai un pour chaque mission. Je n'ai pas de parents dans ce monde, comme dans la plupart des réalités où je ne suis jamais née. Je prends le prénom qui me plaît puisque je ne suis née que de moi et de ma volonté. Certains croient que la mort a hâte de réclamer les orphelines comme moi; mon prénom est donc mortel, car il va périr quand nous changerons de monde.

— Mais, voyons, il n'y a rien à craindre où nous allons, je croyais?

Adrien éprouve un pincement d'angoisse, mais la portière refuse de le rassurer.

— Il y a tout à craindre. Les mondes possibles sont si nombreux. De l'autre côté, il se peut que de la glace quantique jaillisse de tous les moteurs et circuits électriques, des commutateurs aux murs, des carcasses de voitures dans les dépotoirs, des ordinateurs de bureau au repos... Ailleurs, peut-être, l'avenir a été aussi radieux qu'on l'avait imaginé : des astronefs argentés ont visité les planètes, Disney a colonisé la Lune et des mineurs exploitent la ceinture d'astéroïdes. Ailleurs, il y a aussi des mondes si tranquilles que les événements les plus dramatiques de leur histoire tiendraient dans un texte de 800 mots, tout comme il y en a d’autres où un tome de 800 pages ne constituerait qu’une brève introduction aux affaires récentes. On ne peut pas vouloir l'extase sans risquer l'horreur, mon jeune ami.

— Attendez, dit Adrien, j’aimerais...

— Trop tard.

— Merde ! s’écrie-t-il tandis qu’une torsion dimensionnelle propulse le train dans un univers sans pitié.

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2008-07-26

 

Outils généalogiques

Pour ceux que la généalogie familiale intéresse, les outils ne manquent pas sur internet. Le passe-temps est si populaire que les sites gratuits et payants abondent. Il suffit de se tourner vers les carrefours les plus populaires pour trouver de longues listes d'hyperliens.

En pratique, cependant, j'ai trouvé les sites suivants les plus utiles, du moins parmi les sites publics n'exigeant pas un abonnement payant. Il s'agit de sites nord-américains puisque je me suis surtout intéressé à la généalogie de mes ascendants nord-américains. Tout d'abord, pour la période la plus ancienne, au temps de la Nouvelle-France et jusqu'en 1800, il y a le Programme de recherche en démographie historique (PRDH) de l'Université de Montréal, dont les données se fondent sur un répertoire des actes d'état civil (jusqu'en 1799), un dictionnaire généalogique (jusqu'en 1779) et un répertoire des unions et des filiations (jusqu'en 1799). En principe, si on peut remonter jusqu'à un ancêtre canadien-français bien identifié au XVIIIe siècle, on peut ensuite remonter jusqu'aux premiers Européens arrivés en sol canadien.

Pour travailler sur le XIXe siècle québécois, je me suis tourné vers la base de données du Centre de généalogie francophone d'Amérique. Il s'agit toutefois de prendre les filiations fournies avec un grain de sel; en aucun cas ne faut-il les prendre pour parole d'Évangile. Pour le XVIIIe s., on peut comparer les résultats aux données du PRDH; pour d'autres périodes et d'autres régions géographiques, on peut jeter un coup d'œil aux archives des Mormons, FamilySearch.

Sinon, il existe de nombreux sites commerciaux, pour l'Amérique du Nord, la France ou ailleurs. Une simple recherche Google les affichera tout en haut des listes de résultats... mais ce n'est plus du sport quand on paie...

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2008-07-25

 

Jean-Pierre April et son jeune alter ego

En avril dernier, j'avais signé une critique du roman-recueil de Jean-Pierre April, Mon Père a tué la Terre. L'auteur a fini par réagir et nos échanges sur les questions soulevées par mon commentaire sont maintenant en-ligne dans la section des commentaires. La discussion a beaucoup porté sur le réalisme des narrateurs à la première personne qui sont des enfants (qui ont moins de quinze ou quatorze ans, disons). Mais elle a aussi comporté quelques échappées sur d'autres questions, dont la possibilité de créer des lieux de rencontre en-ligne pour les auteurs, leurs critiques et leurs lecteurs.

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2008-07-24

 

Le chevalier noir

Meilleur que le premier!

Nolan s'est surpassé. Si le premier film pâtissait de quelques longueurs et d'une intrigue un peu trop axée sur la métaphysique de la peur, The Dark Knight bénéficie d'une intrigue cohérente et du réalisme intrinsèque des aventures de Batman qui, contrairement à la plupart des superhéros, n'a pas de pouvoirs surhumains. Dès le début, c'est un long duel entre Batman et le Joker qui s'amorce. Si le conflit est d'abord larvé, il devient de plus en plus direct et spectaculaire. L'escalade est horrifique et on se demande parfois où et comment le Joker a obtenu tous les explosifs dont il a besoin.

Si les scènes d'action, comme dans le premier film, manquent parfois d'une certaine lisibilité parce qu'elle ont lieu la nuit, elles sont assez violentes pour poser sans ambages la question fondamentale du film. Quelles sont les limites à respecter quand on veut faire respecter des limites? La question interpelle les principaux personnages et même les meilleurs souffrent, en fin de compte, d'avoir outrepassé ces mêmes limites. Gordon a toléré des flics ripoux et il finit par en payer le prix. Wayne s'est fait hors-la-loi pour punir lui-même les criminels et ceux-ci, acculés au pied du mur, ont fait appel au Joker, un dément qui affirme être au service du chaos.

La question est fondamentale et reste d'actualité. La solution? Le film se dérobe quand vient le moment de se prononcer. La solution, c'est peut-être de ne pas outrepasser les limites de la loi et de la moralité, justement, ou de pouvoir compter sur un chevalier noir, un Cincinnatus qui risquera toujours de devenir un Coriolan ou un César...

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2008-07-23

 

La nouvelle garde

Après le roman de Scalzi, Old Man's War, je suis passé à un roman de Nick Sagan, le fils de Carl, et j'ai découvert un ouvrage nettement plus satisfaisant. Certes, l'écriture n'est pas excessivement recherchée et l'intrigue, qui rebondit d'une péripétie à l'autre, reflète en partie l'expérience télévisuelle de Sagan : on a l'impression de passer d'un épisode à l'autre dans le cadre d'une série télévisée qui suit une trajectoire propre, qui ne sera pas nécessairement affectée par chacune de ces péripéties. Néanmoins, les personnages ont une complexité qu'on ne retrouve guère chez Scalzi, ils ont une pensée plus nuancée et ils se permettent d'espérer en un monde meilleur.

Le troisième volume d'une trilogie est souvent illisible pour qui n'a pas lu les deux autres. Mais Everfree (2006) de Nick Sagan n'exige pas qu'on ait lu Edenborn ou Idlewild auparavant. L'auteur a choisi de mettre en scène de nouveaux défis pour les protagonistes des livres précédentes, des posthumans qui ont grandi dans une réalité virtuelle, vaincu une épidémie meurtrière pour les humains ordinaires et commencé à ressusciter les humains cryogénisés. Ce sont ces ressuscités qui vont compliquer les choses pour le personnage principal, Halloween, et ses semblables.

C'est presque l'envers du roman de Scalzi. Cela se passe sur Terre, et non dans l'espace. Et l'humanité doit apprendre à vivre ensemble au lieu de se débarrasser de tous ses ennemis. Certains personnages restent un peu superficiels, en particulier Halloween, dont l'exploration des conflits intérieurs n'est pas plus creusée que dans les séries télévisées qui présentent des personnages sardoniques dont les commentaires acerbes sont censés révéler les gouffres intérieurs...

Toutefois, Sagan déploie de nombreuses ressources de la science-fiction moderne sans rechigner : intelligences artificielles, réalités virtuelles, biotechnologie, théories scientifiques récentes en biochimie et primatologie... C'est ce qui en rend la lecture agréable même quand on se rend compte qu'il ne s'agit que d'une énième variation sur un thème post-apocalyptique. On lit de la sf de notre siècle et non du siècle dernier.

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2008-07-22

 

La vieille garde de la SF

Je viens de lire Old Man's War (2005) de John Scalzi, un roman de science-fiction militaire qui a été accueilli avec beaucoup d'enthousiasme et avec le Prix John W. Campbell du meilleur nouvel auteur en 2006.

Ma réaction initiale : « Cette merde fumante a gagné un prix? »

Certes, il s'agissait d'un prix pour toute la production de Scalzi comme nouvel auteur, ce qui se limitait essentiellement à ce livre mais permet de relativiser un peu et de ne pas se tirer une balle dans la tête après avoir essayé d'imaginer ce qu'il faut en déduire de l'état de la science-fiction en ce moment... Néanmoins, je viens de découvrir qu'en espagnol, le roman a été traduit sous le titre La Vieja Guardia. Ceci me semble particulièrement approprié, car le roman a tout pour plaire aux lecteurs d'un certain âge, à la vieille garde des fans, donc. Seulement, si j'avais eu envie à ce point de lire une resucée de Starship Troopers mâtinée de Forever War, j'aurais relu Heinlein et Haldeman, car l'évolution de mes goûts est telle que la relecture aujourd'hui de ces classiques d'autrefois risquerait d'en faire de pâles imitations des ouvrages dont je me souviens...

Tout ce que Scalzi offre de neuf, c'est le recrutement de personnes âgées qui, pour cette raison, sont censées accepter plus facilement le transfert de leur esprit dans un corps cloné nettement amélioré par la biotechnologie. La description du processus n'explique pas très clairement pourquoi il ne reste plus personne dans le corps d'origine, tout comme les amateurs d'une vraisemblance scientifique minimale avaleront difficilement (sans jeu de mots) de multiples races extraterrestres qui aiment manger de la chair humaine ou des extraterrestres humanoïdes intelligents de trois centimètres de haut... Je ne m'attarderai pas trop sur les défaillances de l'extrapolation socio-politique; Jean-Jacques Régnier les a assez bien traitées ici. Je me contenterai de dire que j'ai failli arrêter de lire quand la description de l'entraînement se prolonge et que Scalzi l'étoffe en faisant l'article de l'arme du fantassin.

Le reste relève de la science-fiction militaire, exécutée avec un certain savoir-faire et pimentée d'une pointe d'humour de la part du protagoniste, mais en nettement moins sardonique que les meilleurs textes de Keith Laumer et en nettement moins palpitant que les romans de David Weber. Les nouveaux corps des recrues leur confèrent des capacités surhumaines; la principale nouveauté sous ce rapport, c'est l'existence d'un module informatique qui permet aux soldats de communiquer plus ou moins télépathiquement et de mieux coordonner leurs actions.

Sinon... Le problème principal, c'est que Scalzi n'arrive pas à rendre crédible l'utilisation de super-fantassins. À l'époque de Heinlein, qui avait connu les premiers chars et les premiers avions, c'était déjà difficile de justifier l'importance future de l'infanterie. Dans une certaine mesure, les fantassins de Heinlein combinaient les rôles de l'aviation, de l'infanterie et des blindés. De nos jours, la combinaison des satellites, de l'aviation, de l'artillerie à longue portée et des blindés ne laisse aux fantassins qu'un rôle limité, qui est souvent celui de servir les machines, d'occuper le terrain et d'intervenir dans les zones construites où il faut limiter les dégâts et les blessés. Mais Scalzi nous montre des fantassins à pied, pourvus d'armes d'une puissance limitée et protégés par une combinaison à peine capable de résister aux balles. En général, ils ne semblent pas trop se soucier des dégâts collatéraux et de la recherche d'un modus vivendi, car les forces coloniales se battent pour conquérir de nouveaux mondes ou repousser des adversaires qui revendiquent les mêmes mondes. (Interdit de poser des questions sur l'intérêt des planètes pour une civilisation spatiale, la possibilité d'établir des fermes dans des environnements étrangers, etc.)

Pour faire avaler ses légionnaires interstellaires à des lecteurs modernes, Scalzi soutient, par exemple : « There has never been a military in the entire history of the human race that has gone to war equipped with more than the least that it needs to fight its enemy. War is expensive. It costs money and it costs lives and no civilization has an infinite amount of either. »

De la part d'un citoyen des États-Unis, dont toute l'histoire militaire a reposé sur le déploiement de moyens nettement supérieurs à ceux de ses ennemis, c'est d'une ignorance ahurissante. Que ce soit en Afghanistan ou en Irak, au Viêt-Nam ou en Corée, contre le Japon et l'Allemagne, contre les Premières Nations ou contre les États confédérés durant la Guerre de Sécession, voire contre le Canada en 1812, les États-Unis ne sont presque jamais partis en guerre sans avoir tout ce qu'il fallait pour combattre et vaincre l'ennemi, pas seulement se battre. (Je ne fais pas entrer en ligne de compte ici l'incurie des généraux étatsuniens qui explique plusieurs déboires des États-Unis même quand leurs troupes avaient l'avantage du nombre et de l'équipement.) Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis n'ont presque jamais combattu sans jouir d'une supériorité aérienne quasi absolue. Contre les guerriers autochtones des Prairies armés de fusils ou d'arcs, ils disposaient de canons. Quand des corps expéditionnaires faisaient la guerre aux Philippines, à Cuba, en Amérique centrale ou ailleurs, ils avaient des cuirassés, des canonnières, des mitrailleuses, des véhicules motorisés et parfois des avions. Dans un passage ultérieur, Scalzi trahit sans doute une certaine compréhension de cette histoire militaire des États-Unis, quand un des personnages ironise : « I think I like our tradition of overwhelming force better. » Le roman ne précise pas quel rapport de force les unités humaines acceptent, mais on sent bien qu'une trop grande infériorité ne semble pas naturelle...

Bref, Scalzi se prend peut-être pour Donald Rumsfeld, le partisan des interventions militaires légères (comme en Afghanistan ou en Irak, où cette doctrine a prolongé les combats pendant des années...), mais il contredit des siècles d'expérience. Au contraire, aucun belligérent n'essaie de calculer au plus près les moyens alloués à ses forces armées, car personne ne voudra risquer de se faire surprendre par des circonstances qui élimineraient au mauvais moment leur mince avantage. Si les combattants sont souvent d'égale force, c'est parce que les petits n'attaquent pas les gros, et que les petits se trouvent des alliés s'ils sont menacés par un gros. Ou sinon, les petits se rendent sans combattre et les gros ne se vantent pas des succès obtenus contre des adversaires inférieurs en nombre...

Scalzi a-t-il servi comme soldat? Sa bio ne l'indique pas, mais il est permis d'en douter. Un passage du roman explique une des utilisations du cybermodule implanté : « The only drawback to BrainPal communication is that your BrainPal can also send emotional information if you're not paying attention. This can be distracting if you suddenly feel like you're going to piss yourself in fright, only to realize it's not you who's about to cut loose on the bladder, but your squadmate. It's also something none of your squadmates will ever let you live down. » Ce que l'histoire militaire indique, c'est que même si la peur n'est pas une expérience universelle sur les champs de bataille, elle est assez bien partagée et qu'elle peut prendre des aspects nettement plus incapacitants qu'une décompression soudaine de la vessie. Certes, il est possible que les corps refaits des super-soldats du roman sont insensibles à la peur, mais ce serait une modification plutôt majeure et qu'il aurait fallu signaler...

En guise de conclusion, je révise à la hausse mon opinion de la complexité et maturité du roman jeunesse d'Ed Willett, Lost in Translation. Ce qui m'a déplu le plus, c'est sans doute le simplisme de la conception par Scalzi d'une guerre apparemment éternelle parce qu'il est dans la nature de toutes les espèces intelligentes de vouloir toujours occuper plus de planètes et de se battre pour elles... Étant donné ce que Scalzi affirme dans le même livre au sujet des ressources limitées des civilisations, on se demande bien quand les sociétés en cause finiront par reconnaître que, dans certaines circonstances (et surtout quand la guerre est technologique), ce n'est pas sage de partir en guerre à tout bout de champ et contre tout ce qui bouge...

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2008-07-20

 

Readercon, retour et bilan

Dernière journée, qui tient plus de la demi-journée. Il faut déjà songer à rassembler les livres achetés ou emportés, boucler les sacs et prendre congé. Le petit déjeuner est bref, avalé en moins de deux dans un café Starbucks d'un petit centre commercial voisin, dont les arcades ont un faux air d'Italie. Je commence par faire face à un dilemme. Deux excellents sujets à la même heure... Je mise sur « The Fermi Paradox Paradox » avec Michael A. Burstein, Jeff Hecht, Steven Popkes, Robert J. Sawyer et Ian Randal Strock. Les débats sont bien menés et stimulants, mais, pour une table ronde qui devait se questionner sur l'absence de textes portant sur l'absence d'extraterrestres ailleurs, on passe beaucoup de temps à parler... d'extraterrestres.

Après un repas au centre commercial en bonne compagnie, j'assiste à la fin de la discussion sur « If Fantasy Is Created, Does Science Fiction Evolve? » avec une belle brochette composée de Jeff Hecht, Mike Allen, R. Scott Bakker, Judith Berman, James L. Cambias, Sarah Castle, Ted Chiang, Thomas A. Easton, Rose Fox, Walter H. Hunt et Yves Meynard. Sans surprise, les participants sont beaucoup trop nombreux pour que la discussion s'engage vraiment, mais des idées intéressantes sont émises.

Je termine l'après-midi, et le congrès, en assistant à une causerie de Kandel sur la SF polonaise et à une présentation de Resa Nelson sur l'écriture de son premier roman de fantasy, qui l'a incitée à se familiariser avec le travail traditionnel du forgeron et le maniement de l'épée. Je note la recommandation par Kandel du webzine Words Without Borders pour les traducteurs cherchant un débouché en anglais et la mention du Higgins Armory Museum par Nelson. Puis, c'est l'heure des adieux et l'aventure de la recherche d'une station-service pour faire le plein, pour la première fois depuis notre départ de Montréal. C'est que la jauge est au plus bas et que le voyant se met à clignoter...

Quant au chemin du retour, la pluie est au rendez-vous (ce qui n'est pas si rare) pendant la traversée des montagnes, mais les précipitations sont d'une rare intensité... avant de se calmer lorsque nous redescendons dans les plaines qui entourent Montréal.

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2008-07-19

 

Duel textuel

La troisième journée de Readercon est toujours la plus remplie, mais pas nécessairement par les événements au programme officiel. Ainsi, j'ai certainement assisté à plusieurs tables rondes, mais ce n'est pas ce que j'ai retenu de la journée. Comme historien, je me suis senti presque obligé de venir à la table ronde « Underutilized Historical Eras in Spec Fic » sur les époques historiques sous-exploitées en SF. Toutefois, la discussion a dérivé sur les romans historiques, tout en ne parlant qu'un peu des uchronies et quasiment pas de la valeur de certaines époques pour alimenter ou inspirer la réflexion des créateurs de monde. Quant au panel sur la communication chez Lem, « In Space, No One Can Understand You », il n'est pas entièrement sorti des généralités, mais les témoignages étaient bien sentis et ils soulignaient l'importance de la communication tout court chez Lem quand les ouvrages de science-fiction sont si nombreux à sauter par-dessus, par exemple avec le Traducteur universel de Star Trek. Mais le clou de la journée, après les réunions d'affaires et les rencontres entre amis, c'était bien entendu The 22nd Kirk Poland Memorial Bad Prose Competition. Dans la photo ci-dessus, Eric M. Van, James Patrick Kelly, Yves Meynard et Debra Doyle attendent l'arrivée des ultimes participants et se préparent mentalement à une chaude lutte. Il faut noter leurs airs concentrés... La plupart des ouvrages retenus dataient d'avant 1945, mais des extraits particulièrement savoureux étaient issus des pages de Stephen Donaldson et d'un roman tout neuf, The Wanderer's Tale de David Bilsborough (Tor, 2007) — déjà traduit et publié en français chez Plon Jeunesse... Quand j'étais jeune, je trouvais le style de Donaldson singulier, mais la profusion verbale pouvait cacher le sens exquis du faux emploi. Le passage retenu ne dissimulait rien de ses faiblesses, disons... Quant à Bilsborough, qui se voulait sans doute comique, il cumulait en quelques pages des absurdités qui avaient de quoi laisser pantois et qui seraient assez représentatives de l'ouvrage (ou de l'auteur), si je n'en crois que ce blogueur montréalais sur la fantasy... Comme l'ami Grimmwire avait annoncé qu'il ne reviendrait pas s'il perdait, le suspense était au rendez-vous et, durant l'événement, j'ai composé rapidement un sonnet pour honorer l'éventuel gagnant, en me gardant quelques vers de réserve selon la tournure des événements. En fin de compte, je n'ai pas eu à invoquer un « verdict cruel », car Grimmwire a perdu (il salue une dernière fois ses fans dans la photo ci-contre) et la foule a perdu, mais Yves a gagné. Dans la photo ci-dessus, on le voit au moment de l'annonce, chaleureusement applaudi par l'auditoire et les autres participants.
Les deux champions

Quand la foule aura ri, il n'en restera qu'un.
Ils étaient deux amis, mais si l'un est battu,
l'autre dira merci : aimé pour ses vertus
et pour son art chéri, il est celui qui vainc!

Des deux fiers concurrents, il n'en restera qu'un,
le chevalier errant de la prose pointue,
si l'un est le plus grand, l'autre sera foutu,
réduit au triste rang des pires écrivains

Se hissant des bas-fonds, luttant pour la victoire,
L'auteur au crâne rond a conquis une gloire
scandée par les dupes de son art éternel

Et le talent déçu du champion passé,
qui gagner n'a pas su, peut attendre un dégel
tandis que l'artiste règne sans se lasser

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2008-07-18

 

Questions de traductions et de traditions

Du début à la fin, la journée aura été dominée pour moi par les aventures de traductions. À 11h, une table ronde portait sur les écrits de Lem, ce qui amenait nécessairement les personnes présentes (Michael Cisco, David Hartwell, Michael Kandel, Jonathan Lethem et moi-même) à évoquer les aléas de la traduction de Lem en anglais. Lethem confirmait que, pour l'édition en langue anglaise, les traducteurs de Solaris avaient traduit du français à l'anglais. Hartwell rappelait que les traductions d'auteurs de science-fiction de l'Union soviétique ou de l'Europe de l'Est étaient justifiées aux États-Unis par le souci d'en apprendre plus sur l'ennemi communiste. Mais lorsque Lem, apparemment déçu par sa découverte de la science-fiction commerciale aux États-Unis, en signe des critiques acerbes, il est dédaigné par les auteurs étatsuniens. (Pourtant, dans sa fiction, sa critique du triomphalisme techniciste peut viser aussi bien les États-Unis que l'Union soviétique, officiellement matérialiste et progressiste, qui s'enorgueillissait à l'époque de ses succès dans l'espace.)

Durant la table ronde, j'ai feuilleté un peu les deux traductions de Solaris dont je disposais. En français, une incise fait référence à un « experimentum crucis » pour décrire une expérience envisagée, ce qui renvoie explicitement à un concept d'une certaine importance dans l'histoire des sciences et qui remonte à Newton. En anglais, les traducteurs ont mis, aussi simplement que platement, « key experiment », ce qui frise la redondance et fait disparaître toute la résonance historique de l'expression latine (sans doute utilisée par Lem en polonais). Quod erat demonstrandum...

La dernière table ronde, à 20h, réunissait des auteurs de SF pour jeunes qui s'intéressaient au multiculturalisme, dont Vandana Singh, Dawn Alaya Johnson, Anil Menon et moi-même. Si j'ai vraiment été le seul à parler de la langue comme facteur d'aliénation, la discussion explore beaucoup plus l'absence de personnages auxquels les membres de minorités « visibles » peuvent s'identifier (en particulier dans la littérature de science-fiction ou de fantasy pour jeunes produite aux États-Unis?) et les réactions encore dubitatives des directeurs littéraires face aux textes dont les personnages sont identifiés explicitement comme n'étant pas blancs, voire anglo-saxons. Entre autres, le cas de la lettre de refus de George Sanders du webzine Helix a été soulevé. Les discussions après la table ronde ont été passionnantes (on voit dans la photo ci-contre Yves Meynard parler avec Vandana Singh et Anil Menon.)

Quant au congrès en général, il a l'air de bien se dérouler, mais il reste très sage. La preuve? Les vénérables tableaux trimballés d'un congrès à l'autre par « Filthy Pierre » restaient désespérément vides en fin de journée...

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2008-07-17

 

Readercon 2008, le défi

Cette année, la délégation canadienne-française est particulièrement nombreuse à Readercon (Yves, Joël, Benoit G, le Grand Chloré, René W, Grimmwire, Christian S, etc.), ce qui est parfaitement logique puisque Montréal accueille la Convention mondiale en 2009. En même temps, le défi a été lancé par Valérie : en faire un congrès si mémorable que les fans québécois d'un certain âge cesseront de seriner aux plus jeunes leurs souvenirs du congrès mondial de Boston en 1980. (Que je n'ai pas connu moi-même...)

La mission a bien commencé grâce à l'hôtel qui s'entête à donner aux Québécois des chambres à court d'un lit... Message subtil : couchez donc ensemble! Mais non, ce n'est pas ainsi que Readercon 2008 doit passer à l'histoire. Et ce ne sera pas non plus parce que Laurent McAllister aura été photographié, mirabile visu, en train de descendre des bières de la même façon qu'il écrit — à quatre mains.

Peut-être retiendra-t-on plutôt les tables rondes en soirée, qui ont permis à Yves de discourir avec gravité du rôle central en fantasy des personnages moralement ambigus, comme Sméagol/Gollum dans Le Seigneur des anneaux ou Severus Snape dans les aventures d'Harry Potter, tandis que d'anciens invités des congrès Boréal, comme Geoff Ryman, intervenaient dans les salles voisines... Ou bien, peut-être que l'histoire reste à faire ces prochains jours.

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2008-07-15

 

Fantasy amérindienne

La critique n'est pas toujours tendre pour les auteurs issus des communautés autochtones qui prennent pour toile de fond la catastrophe colombienne, c'est-à-dire la conquête des Amériques par les Européens, avec tout ce qui s'en est suivi en fait de massacres, de transformations du paysage et de bouleversements écologiques. Qu'on rappelle aux Blancs ce qu'ils ont pris (la terre) et ce qu'ils ont apporté (les maladies), et ceux-ci se plaindront souvent qu'on leur fait la morale. Ben voyons...

Pourtant, si les souffrances de la Première Guerre mondiale peuvent illuminer le Seigneur des anneaux et sa tragique fin d'un monde sacrifié pour en accoucher d'un nouveau, les drames de la résistance autochtone à l'envahissement européen doivent aussi pouvoir informer des œuvres de fiction. Un minimum d'empathie devrait permettre aux lecteurs de comprendre, au moins intellectuellement, ce qui s'exprime alors. Ainsi, la petite maison d'édition autochtone de Kegedonce Press, à Neyaashiinigmiing au bord de la baie Géorgienne, en territoire anishnabé, a publié une trilogie de fantasy par Daniel Heath Justice, un auteur de Toronto de la nation cherokee des États-Unis. The Way of Thorn and Thunder (2005-2007) est dans une certaine mesure de la fantasy traditionnelle, avec ses petits peuples humbles et fraternels opprimés par une puissance hégémonique. Des êtres maléfiques rôdent et une guerre menace, mais une poignée d'individus courageux vont se retrouver et faire le voyage jusqu'à la capitale pour le grand conseil qui décidera de l'exil ou de la guerre.... Aussi empreint de spiritualité autochtone qu'un roman comme Cry of Justice l'est de spiritualité chrétienne, ce premier tome, Kynship, n'est pas exempt de longueurs. L'auteur décrit plus souvent les apparences et les sentiments des personnages qu'il ne les fait vivre, mais il signe aussi une description profondément sentie et parfois originale de ce monde de l'aube, qui vivait autrefois en harmonie avec la nature avant l'arrivée des humains.

Néanmoins, l'auteur arrive à rendre plus qu'un peu de l'indignation ressentie par les habitants de l'Everland, qui voient leurs traditions et leurs droits bafoués par les envahisseurs. Ceci prépare le moment culminant du roman, quand les peuples assemblés doivent choisir entre l'exil et la résistance, un choix dont les Cherokees avaient été privés avant d'emprunter la Piste des larmes. Pour qui se souvient de cette histoire, la scène est au moins aussi émouvante (quoique moins bien écrite) que les grands conseils de guerre du Seigneur des anneaux. L'ultimatum a une réalité que n'ont pas vraiment les menaces souvent servies aux protagonistes de romans de fantasy signés par les citoyens de pays qui n'ont jamais connu la défaite, l'occupation ou l'humiliation. Mais la suite sera-t-elle à la hauteur? Le pourrait-elle seulement?

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2008-07-14

 

Europe 1990 (2)

J'ai passé le 14 juillet 1990 à Nogent-le-Rotrou, en famille, sous un beau soleil. De retour de ma tournée de la péninsule ibérique, j'en profitais pour me reposer et pour repenser ma façon de voyager. Une courroie de mon sac à dos qui me permettait de le porter en bandoulière avait lâché dans une gare en Espagne, alors que je courais d'un train à l'autre. Et puis, de l'Espagne au Portugal, j'avais pu constater que si un marcheur peut avoir besoin de tout ce que contient un sac à dos, un simple voyageur qui va profiter d'auberges de jeunesse en plein été (aucune crainte d'avoir froid la nuit sans sac de couchage), de pensions pas chères ou de petits hôtels peut très bien s'en passer. J'ai donc complété ma tournée européenne en utilisant un simple sac de voyage à poignées, avec courroie pour le porter en bandoulière. Photo ci-contre de ce qui reste aujourd'hui de ce sac (qui a dignement servi pendant quelques années de plus — mon périple européen n'avait quand même pas suffi à l'achever). Il y avait suffisamment de place dedans pour transporter une paire de draps cousus (pour les séjours en auberge), un appareil photo 35 mm, une trousse de toilette, une serviette et un gant de toilette, un Eurailpass, de quoi porter du linge propre trois jours de suite avant d'avoir à faire une lessive, une boîte de détergent à lessive, de la lecture, des ustensiles pour pique-niquer, un Let's Go Europe (et peut-être un second guide du même genre) et un journal de bord. Sans compter quelques cartes postales et dépliants... Mettons que je me suis fait arrêter une fois ou deux par des douaniers qui n'arrivaient pas à croire que je voyageais en ne transportant que ce sac. Je n'ai pas songé qu'ils pouvaient me soupçonner d'être un passeur... Pourtant, c'était idéal comme façon de voyager : à condition de ne pas craindre de me démettre l'épaule ou de me flanquer une scoliose, je pouvais le transporter partout, le garder sous mes pieds dans l'autobus, sous ma tête dans un compartiment couchette en train et ne pas craindre pourtant qu'un voleur à la tire soit tenté de s'enfuir avec quelque chose d'aussi lourd et volumineux!

Mais, le 14 juillet, pour ne pas rester à me tourner les pouces, j'étais sorti pour visiter un des rares endroits ouverts en ce jour, soit le château de Nogent-le-Rotrou. Le château en question a connu de nombreuses avanies au fil des siècles. Le donjon, un des plus vieux en France, a été ruiné durant la guerre de Cent Ans, mais les murs du donjon ne se sont pas écroulés dans l'incendie qui a fait dégringoler tout le reste. La photo ci-contre, prise du pied du donjon, sous un passage voûté, montre les fenêtres béantes de l'édifice et ce qui reste du grand âtre qui servait à réchauffer l'étage ou faire la cuisine, ou les deux... Les gravats et débris laissés par l'incendie du XVe siècle n'ont été déblayés qu'à la fin du XIXe siècle, par un propriétaire entiché d'archéologie en amateur. On avait retrouvé dans l'amas de moellons et de poutres calcinés les squelettes de deux ou trois soldats, je crois bien, ainsi que celui d'un chien. Comme par hasard, ce 14 juillet 1990, la cour du château accueillait une exposition de sculptures par un artiste de la région (ou plusieurs?). Et j'avais pris une photo de ce moulage (en bronze?) d'une paire de chiens sculptés. (Derrière, on voit l'étage supérieur d'une résidence aménagée par les châtelains des siècles qui ont suivi la guerre de Cent Ans.)Le programme de la journée n'avait pas été beaucoup plus élaboré. J'avais déjà fait le tour de Nogent-le-Rotrou de nombreuses fois et il ne me restait pas grand-chose à voir de neuf. Mon intérêt pour le bourg ne se renouvellerait que cinq ou six ans plus tard, quand je commencerais à travailler sur la série des « Saisons de Nigelle », ce qui me pousserait à explorer plus systématiquement les vestiges du passé à Nogent-le-Rotrou. En fin de journée, comme c'était le 14 juillet, nous sommes allés à dix assister au traditionnel feu d'artifice.

Le lendemain, toutefois, j'allais convaincre une partie de la parenté d'aller visiter Frazé et Illiers-Combray, à une trentaine de kilomètres de Nogent, soit l'équivalent d'une journée de marche... ou d'une petite demi-heure en voiture. J'étais passé par là en juin et j'en avais profité pour explorer l'univers proustien de Combray, inspiré par une causerie de Kim Stanley Robinson à un congrès de science-fiction — sans doute à Readercon, en 1990. Je ne sais plus si j'avais commencé à lire La Recherche du temps perdu, que je ne complèterais qu'au cours de l'année suivante, à Toronto, mais j'avais quelques notions de l'univers proustien que j'ai enrichies en visitant la maison de la tante Léonie et en passant par Méréglise (Méséglise chez Proust) le jour suivant, à pied. C'est sans doute dans le courant de cette journée du 15 juillet qu'un oncle m'a pris en photo, mais le cliché n'est pas daté et il pourrait tout aussi bien s'agir du 14 juillet, dans le jardin de la maison des grands-parents.(Le photographe surpris par un autre photographe...)

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2008-07-12

 

Le héros invulnérable

Achille aurait-il été un héros s'il n'avait pas eu son... talon d'Achille?

Je suis allé voir Hellboy II: The Golden Army hier soir. Mes attentes étaient peut-être trop élevées, tellement Le Labyrinthe de Pan (également de Guillermo del Toro) m'avait fait bonne impression. J'ai pourtant eu du mal à succomber au charme de mon premier Hellboy (je n'ai pas vu le film précédent et je ne connais pas la BD). Visuellement, rien à redire. Le spectacle est somptueux, inspiré par endroits par une esthétique surréaliste, ailleurs par Miyazaki peut-être (Princesse Mononoké?). L'action est également au rendez-vous, et souvent assez ingénieuse. L'intrigue n'est pas trop mal foutue non plus, avec quelques rebondissements de bon aloi.

Mais j'ai pourtant eu de la peine à m'intéresser aux personnages. Pourquoi? Sans doute parce qu'ils sont essentiellement invulnérables, soit au sens propre (trop forts, trop rapides, trop bien armés pour être menacés par autre chose que des puissances surnaturelles) soit au sens narratif (les besoins de l'histoire excluent qu'ils puissent périr), de sorte qu'il est presque inconcevable qu'ils puissent connaître l'amertume de la défaite sans recours.

Et l'Iliade aurait-elle été la même si elle n'avait pas eu Hector et Pâris?

Le manichéisme particulièrement prononcé de ce genre de films joue aussi. Il y a les bons et il y a les méchants. Il est impensable que les bons puissent subir de véritables revers et que les méchants puissent changer de camp. Même si le film s'efforce de bien faire comprendre les mobiles et les justifications des adversaires de Hellboy, ils restent des antagonistes juste un peu trop étrangers aux bons pour être sur le même pied qu'eux. Tout ceci enlève beaucoup de suspense à l'intrigue et me fait regretter d'autres genres d'histoires (dans la tradition européenne ou japonaise), où les héros peuvent être des anti-héros, et les méchants des héros, sans qu'il n'y ait toujours de distinction très claire entre eux, tandis que les souffrances des simples mortels seront réelles et périlleuses, de sorte que la défaite sera terrible et la victoire jamais garantie.

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2008-07-11

 

Fragments d'histoire familiale (5)

Dans la série de ces fragments d'histoire familiale appelés à composer (un jour?) le portrait impossible de mes antécédents génésiques, j'ai ajouté l'autre jour un morceau de plus en découvrant le logis de mon père à Montréal en 1950. Contrairement à ce que j'avais écrit, il n'habitait pas au 1019 de l'avenue Greene (cette adresse n'existe pas actuellement et je l'ai cherchée en vain, même si elle aurait pu exister avant la construction de l'autoroute Ville-Marie), mais bien au 1109 de la même rue. Du coup, j'ai pu retrouver cette adresse, qui correspond à l'édifice à droite dans la photo ci-contre. Encore plus près de l'ancien Forum, d'ailleurs... Au nord du viaduc de l'autoroute Ville-Marie (j'avais fourni une photo de l'envers du viaduc en mai dernier), cette rue s'orne d'assez belles maisons, mais mon père avait dû se contenter d'une chambre assez exiguë — un ancien caveau à charbon, selon ses dires. Un de ces jours, je repasserai pour tenter de deviner si le soupirail visible dans la photo aurait pu éclairer ce logement ou s'il y avait une entrée sur le côté...
Contrairement à ce logement éphémère de mon père, j'ai bien connu le chalet de sa tante, Anne-Marie Trudel, dite Kitty, épouse Pribyl. Dans cette photo, on voit le chalet en automne, car le sol est jonché de feuilles mortes. Une photo prise à la même époque (ci-dessus) montre le lac Bell en cette saison des couleurs. Ce chalet représentait l'aboutissement d'une série de résidences estivales fréquentées par quatre générations de Trudel. Pour la jeune Anne-Marie, ces déplacements estivaux ont sans doute eu la même importance dans son enfance que ceux qu'évoque Marcel Pagnol dans sa trilogie de souvenirs d'enfance. D'ailleurs, Anne-Marie a seulement trois ans de moins que Marcel, sa mère s'appelle Augustine comme celle de Marcel, son père s'appelle Joseph(-Edmond) tout comme le père de Marcel s'appelait Joseph et elle a un frère appelé Paul... (Ces parallèles doivent rappeler que les goûts, modes et mœurs du Canada et de la France convergeaient déjà à la fin du XIXe siècle.) Et si le patriarche Edmond n'est pas aussi férocement laïque que le père instituteur du petit Marcel, il semble avoir été un rouge sans concession en politique, libéral et Libéral à 100%.

Toutefois, si Marcel Pagnol a neuf ans quand il passe pour la première fois les vacances dans les collines de Provence, Anne-Marie en a treize quand son père fournit aux siens une première (?) villégiature dans les collines de la Gatineau. (Est-ce par hasard qu'il s'agisse de l'été suivant celui de la mort de sa sœur Henriette en juin 1910? Ou Edmond voulait-il soustraire ses enfants aux rigueurs de l'été dans les rues d'Ottawa?) Selon un livre d'or aux pages jaunies, le premier chalet loué pour l'été aurait existé sur l'île Gilmour près de Chelsea, au nord d'Ottawa. Aussi connue sous le nom d'île Chelsea, celle-ci accueillait de nombreux vacanciers venus de la ville au début du siècle dernier, comme en fait foi ce témoignage. Selon ce registre, la famille de mon arrière-grand-père Edmond Trudel (1860-1933) s'y transporte en 1911 et 1912, emménageant dans la villa « Bellevue », au numéro 14 de l'île Gilmour. En 1911, la famille est au complet quand elle arrive le 23 mai : les noms d'Edmond Trudel, de sa femme Augustine Raby et de ses enfants Jean-Joseph, Paul-Émile, Jeanne, Antonin, Anne-Marie et Andrée sont inscrits dans le livre d'or. À compter du 30 juillet, peut-être parce que toute la famille est rassemblée sur l'île pour les vacances, les visites se font nombreuses, et ce jusqu'au 17 septembre : des amis de Chelsea, des voisins de leur maison sur la rue Spruce à Ottawa, des Lahaie et des Raby de Buckhingham et Saint-André-Avellin, et même une madame Archambault de la rue Christophe-Colomb à Montréal. En 1912, c'est le 24 mai qu'on ouvre le chalet et, pour la première fois, la petite Andrée qui n'a pas encore six ans signe son nom en lettres carrées. Cette fois, les visites s'échelonnent beaucoup plus régulièrement du 26 mai au 15 septembre. Il y a ensuite un hiatus jusqu'en 1919. Le lieu de séjour n'est pas précisé pour les saisons suivantes, mais il est permis de croire qu'en 1919, 1920, 1921, 1922, 1923, 1924 et 1925, le clan Trudel est retourné chaque été à l'île Gilmour. Il ne semble pas y avoir de photo de la villa « Bellevue » en tant que telle, même si plusieurs photos d'époque subsistent. Par exemple, on retrouve Jeanne Trudel dans la photo de vacances ci-contre en compagnie de ses deux premiers enfants, Raymond Drouin et Henriette Drouin. Henriette, née en 1916, portait le même prénom que cette jeune sœur de Jeanne morte en 1910. On peut supputer qu'il s'agissait d'un hommage... La mère et ses deux enfants sont assis sur une roche et le paysage sauvage en arrière-plan fait immanquablement penser aux berges boisées de la rivière Gatineau. De là à conclure que la photo a été prise durant un séjour à l'île Gilmour, il n'y a qu'un pas. Les dates, en particulier, semblent concorder. La petite Henriette a au plus cinq ou six ans sur cette photo, ce qui ferait remonter le cliché à 1922 au plus tard.La construction d'un barrage entraîne l'engloutissement de l'île Gilmour en 1925-1926. En 1926, le petit clan prend donc le train afin de séjourner au village de Wakefield pour la belle saison. Les premières années, c'est-à-dire de 1926 à 1932, les Trudel occupent une maison appelée Rockhurst dans le livre d'or. La mort d'Edmond Trudel en mars 1933 mettra fin à cette série de villégiatures... Une vieille photo reproduite ci-dessus porte ce nom de Rockhurst et nous montre, dans un jardin sans autre signe distinctif, Alphonse Drouin et Cédulie Létourneau, les parents d'Anatole Drouin, le mari de la fille aînée d'Edmond, Jeanne Trudel. Une autre photo (ci-contre) nous montre un trio qui inclut cette fois une Henriette Drouin nettement plus âgée, en compagnie de ses grands-parents paternels. Par conséquent, il n'est pas impossible que la photo ait été prise à la villa « Rockhurst » de Wakefield. Le livre d'or indique d'ailleurs une visite de Jeanne et de ses enfants le 24 mai 1926... Malheureusement, si on distingue bien l'escalier et la véranda dans cette image, il n'est pas si facile d'établir un rapprochement avec les maisons encore visibles à Wakefield. Où se trouvait la villa « Rockhurst » ? Cette demeure estivale se situait sans doute sur le chemin Rockhurst, à l'entrée du village de Wakefield et à proximité d'un arrêt facultatif du train qui allait de Hull à Maniwaki. Mon père m'avait indiqué la maison en question, il y a plus de vingt ans, mais elle n'a pas été facile à retrouver. Le 1er juillet, je suis allé faire un tour sur place, comparant mes souvenirs à ceux de ma mère, et nous n'avons pu qu'hésiter entre deux maisons édifiées sur la côte. La première des deux se cache derrière les arbres, comme on le voit dans la photo ci-dessus. Mais elle a le cachet d'un chalet d'agrément de l'époque en question. Le bois de la façade vient d'être refait, de sorte qu'il est impossible de comparer ce qu'on voit de la finition à ce qu'on peut distinguer dans la photo d'Henriette et de ses grands-parents ci-haut. Mais il pourrait bien s'agir de la résidence « Rockhurst » puisque le perron ne ressemble pas du tout à celui de la maison du 80 de la rue Spruce à Ottawa. En revanche, la balustrade de la véranda dans la photo d'Henriette correspond grosso modo à ce qu'on peut voir de la balustrade dans la photo ci-dessus. Quant à l'autre candidate du chemin Rockhurst, elle se dresse en contre-haut de la première et a fière allure dans la photo ci-dessous.Malgré la présence dans les deux cas de tourelles d'angle coiffées d'un toit pointu, c'est sans doute la première des deux qui est la bonne. Le meilleur indice à cet effet est une photo sans date (ci-contre), qui pourrait montrer les grands-parents Drouin et leur bru, Jeanne Trudel, une fois de plus. La topographie correspond assez bien à ce qu'on peut deviner de la première des deux maisons ci-dessus, la balustrade de l'escalier à moitié caché par les buissons ressemble à celle de la photo avec Henriette Drouin vers 1926 (les montants blancs, tout particulièrement) et le toit de la tourelle d'angle le confirme. Mais les séjours à Rockhurst n'ont pas duré. Devenue veuve, Augustine Trudel n'avait sans doute plus les moyens de s'offrir des vacances. Quelques années plus tard, en 1939, c'est un clan recomposé qui emménage donc pour l'été dans ce qui est identifié comme « Spruce Cottage » à Wakefield. Le 18 juillet, à 14h30 (!), on enregistre cette fois l'arrivée de la vieille Augustine Raby, de son fils Antonin, de sa fille Anne-Marie, de son petit-fils André (fils aîné de Jean-Joseph) et de son fils Paul-Émile, qui escorte une infirmière du Minnesota, Doris Hanson. Cela s'est-il fait à l'instigation d'Anne-Marie Trudel, nostalgique des étés de son enfance? J'aimerais le croire... S'agit-il cette fois du chalet du lac Bell? Rien ne permet de l'affirmer, mais, comme dans le déménagement précédent, l'absence d'une nouvelle indication de lieu par la suite le laisse supposer. Après l'été de 1940, il faut attendre jusqu'en 1956 pour voir de nouveaux noms apparaître dans le livre d'or. Cette fois, il s'agit bien d'Anne-Marie « Kitty » Trudel, qui inscrit rétrospectivement des ouvertures du chalet en 1956 et 1957 avant de relancer la tenue du livre d'or en 1958. S'ensuivront trente années dorées pour ceux qui s'en souviennent encore.

Plus tard, je devais visiter le chalet pour la première fois en août 1967. Une marque à mon nom l'atteste — sans doute qu'un de mes parents avait tenu ma menotte de bébé vieux d'un mois à peine. Dans le livre d'or, je signe pour la première fois en 1975... Les derniers ajouts au livre d'or date d'août 1985, un peu plus d'une année avant le décès d'Anne-Marie Pribyl en novembre 1986. Depuis, la page a été tournée et ce dernier chalet est maintenant le domicile d'un auteur de science-fiction de la région.

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2008-07-10

 

L'indépendance énergétique du Québec

La course à la présidence des États-Unis a été accompagnée de nombreux discours sur l'indépendance énergétique des États-Unis.

En revanche, le sujet ne concerne pas les Québécois, sans doute convaincus de disposer de réserves énergétiques plus que suffisantes grâce à l'hydroélectricité. Après tout, comment le Québec pourrait-il manquer d'énergie puisque tout le monde sait qu'il exporte des kilowatts et des kilowatts à destination de New York? Le Québec n'a-t-il pas été (auto-)proclamé superpuissance de l'énergie propre?

Mais il faut se méfier de ce que « tout le monde sait ». Dans Solaris 167, un numéro spécial consacré à la ville de Québec en l'honneur de son 400e anniversaire, je signe une nouvelle intitulée « Le dôme de Saint Macaire » qui tente d'imaginer à quoi pourrait ressembler un futur Québec victime à la fois de la pénurie de pétrole et du réchauffement climatique. Or, si je prends ce rapport (.PDF) de 2004 sur l'énergie au Québec (pas excessivement récent, mais pas trop défraîchi quand même), on découvre dès les premières pages que l'électricité de source hydraulique représente moins de la moitié de l'énergie consommée au Québec...Ce diagramme montre la part (en pourcentage) de chaque source d'énergie consommée au Québec de 1992 à 2002. (Les quantités brutes ont été converties en tonnes d'équivalent-pétrole.) Comme on peut le voir, la combinaison des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) représente plus de la moitié de la consommation d'énergie au Québec. L'électricité fait jeu égal avec le pétrole, mais elle n'alimente que 38% environ de la consommation. Comme le Québec n'a pas de puits de pétrole, tout ce pétrole est importé et l'essentiel abreuve le secteur des transports routiers. Pour 2002, les données du rapport donnent le diagramme suivant. Il faut tenter d'imaginer ce qui arriverait au Québec si le pétrole commençait à manquer. Les solutions de rechange pour le transport en particulier ne sont pas nombreuses, mais ce sont aussi les industries et les maisons chauffées au mazout qui souffriraient. D'ailleurs, c'est tout simplement à cause des carburants fossiles que la balance commerciale du secteur énergétique au Québec est négative. Le secteur électrique dégage un léger excédent financier.

Mais n'est-ce pas la preuve que le Québec est au moins autosuffisant en électricité? En 2002, le Québec a livré 19 651 millions de kWh aux États-Unis et aux autres provinces canadiennes, mais il a reçu des mêmes 37 612 millions de kWh, soit presque deux fois plus que ses livraisons. Comment le Québec a-t-il pu générer un profit quand il reçoit plus d'énergie qu'il n'en livre à l'extérieur de ses frontières? La clé, c'est bien entendu l'achat de l'électricité des chutes Churchill au prix garanti (par un contrat dont Terre-Neuve se mord encore les doigts) d'un quart de cent ou moins le kWh, jusqu'en 2041 si Hydro-Québec le veut. Cette électricité est ensuite revendue pour de 3 à 5 cents le kWh au Québec ou de 8 à 10 cents le kWh à l'extérieur de la province... En termes énergétiques, la figure suivante illustre bien le déséquilibre. On peut voir à l'œil nu qu'en général, l'ensemble des importations a presque toujours dépassé l'ensemble des exportations — et je ne crois pas que les tendances aient changé depuis 2002...Ainsi, si jamais le Québec du futur était obligé de dépendre de ses propres ressources, il devrait apprendre à vivre avec moins de la moitié de sa consommation d'énergie totale actuelle et moins de 90% de sa consommation actuelle d'électricité. Encore qu'il est très difficile de faire passer l'électricité des chutes Churchill ailleurs qu'au Québec, de sorte que le prix de vente changera peut-être un jour, mais que les kWh du Labrador continueront d'aboutir au Québec...

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2008-07-09

 

Un prix solidaire de l'essence?

Payons-nous trop cher pour l'essence dont on abreuve nos voitures?

En fait, le prix varie beaucoup selon le pays ou la ville où l'on se trouve. Un grand sondage mondial des prix à la pompe de l'essence a été conduit par la Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit en 2006 et les résultats sont présentés dans ce rapport (.PDF) de 2007. Si on en tire un diagramme, on saisit mieux la gamme des prix. Cette diversité est principalement une fonction des interventions gouvernementales : dans certains pays, comme le Vénézuéla, des subventions abaissent le prix de l'essence loin en-deçà du prix coûtant; ailleurs, ce sont des taxes qui rehaussent le prix de l'essence, jusqu'à frôler les deux dollars le litre en 2006. Dans le diagramme ci-dessous, les prix sont donnés en cents étatsuniens par litre d'essence. En 2006, le prix moyen était de 1.01$. Il était minimal au Vénézuéla et maximal en Turquie. Les pays nord-américains, comme je l'avais déjà indiqué, paient nettement moins que les pays européens.

Sauf que...

Afin de corriger les chiffres données en dollars étatsuniens, on peut ensuite adopter les données de cette comparaison (.PDF) des prix mondiaux conduite en 2005 par la Banque mondiale. En intégrant l'indice qui rétablit la parité du pouvoir d'achat, on obtient un diagramme différent qui permet de se faire une idée de l'impact réel sur le portefeuille et le niveau de vie des prix disponibles dans chaque pays. Après tout, les prix ci-dessus correspondent à une conversion du prix local en monnaie étatsunienne. Or, comme on le sait, cette conversion est parfois trompeuse, car le taux de change ne reflète pas nécessairement le pouvoir d'achat (des biens essentiels). Par conséquent, si je convertis les prix de 2006 en utilisant les indices de parité du pouvoir d'achat, j'obtiens un diagramme très différent qui situe mieux la cherté de l'essence dans chaque pays par rapport à la cherté des autres biens de consommation.

Comme on le voit ci-dessous, c'est la Gambie, cette fois, et les autres pays pauvres (en Afrique, surtout) qui souffrent le plus quand il faut acheter de l'essence. L'extrême est nettement plus élevé, frôlant les quatre dollars corrigés, de sorte que l'écart entre les uns et les autres devient un gouffre. D'ailleurs, les pays riches se retrouvent au bas de la pente et leurs habitants paient entre le quart et le tiers de ce qu'on paie dans les pays les plus pauvres. C'est pourquoi la vie continue plus ou moins comme avant dans les pays riches, malgré la montée des prix de l'essence et quelques grincements de dents, tandis que les pays pauvres font face à des situations dramatiques. Un rapport récent de la Banque mondiale évaluerait à 15% la part de la hausse des prix de la nourriture imputables à l'augmentation des prix de l'essence. Tout ce qui sauve sans doute les pays pauvres, c'est de ne pas dépendre pour tout des transports motorisés devenus essentiels dans les pays riches...En 2006, le Vénézuéla restait le pays qui vendait l'essence la moins chère, mais les Suisses payaient moins que les Canadiens et la plupart des pays industrialisés payaient moins que le nouveau prix moyen en dollars ajustés, 1.94$...

Les prix se sont évidemment envolés depuis novembre 2006, mais la distribution devrait rester approximativement semblable. Sans doute que certains facteurs n'entrent toujours pas en ligne de compte (la longueur et la fréquence des déplacements requis peuvent varier selon les pays, et modifier l'impact d'une essence plus chère; on peut se déplacer en bicyclette l'hiver en France, mais pas au Canada, par exemple), mais le portrait fourni par le second diagramme est certainement plus proche de la réalité du quotidien.

Quand l'inégalité est aussi flagrante, on cherche forcément un moyen de réagir. Au minimum, on se dit que les Occidentaux comprendraient mieux la réalité du reste de la planète s'ils payaient un prix de l'essence plus proche de la moyenne mondiale calculée selon la parité du pouvoir d'achat, en versant au besoin à l'aide internationale l'excédent versé pour atteindre ce niveau...

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2008-07-08

 

Sous le pavé... la forêt?

Quel meilleur endroit pour assister au travail de la police qu'un magasin de beignes? Si si, je ne plaisante pas. La dernière fois, c'était d'un Second Cup à proximité de McGill. Cette fois, j'étais assis dans un Tim Hortons à proximité de Concordia quand deux véhicules de police ont arrêté une voiture à la porte du Tim Hortons. Les policiers ont arrêté et menotté le conducteur, sauf erreur — peut-être que le Journal de Montréal nous en dira plus sur cette arrestation dans son édition de demain. (Pour celle d'aujourd'hui, c'est sans doute trop tard.) De quel criminel dangereux s'agissait-il donc?

En rentrant ensuite chez moi, j'ai profité de la pause nocturne pour faire un peu d'archéologie urbaine. Si l'excavation de la rue devant chez moi n'a rien révélé de particulier, l'excavation d'une partie de la avenue du Docteur Penfield a mis au jour des vestiges historiques. Sous la chaussée, on découvre des madriers de bois que l'on peut voir dans la photo ci-contre. La disposition de ces poutres est trop régulière pour relever du hasard. Comme elles sont allongées en travers du chemin, j'ai d'abord envisagé qu'il puisse s'agir d'un ancien chemin de rondins. Mais cette avenue à flanc de montagne n'a sûrement jamais été marécageuse. D'ailleurs, si on regarde de près, on peut voir que les madriers ne sont pas contigus... Or, un des anciens tramways de Montréal circulait sur cette partie de l'avenue du Docteur Penfield qui rejoint ensuite le chemin de la Côte-des-Neiges, comme on peut le voir sur ces cartes de l'ancien réseau, il y a une soixantaine d'années. Par conséquent, il s'agit sans doute des traverses de cette ancienne voie ferrée. À Toronto, on installait encore des traverses de bois pour les voies des tramways il y a moins de trente ans. Quant aux rails d'origine, ils pourraient encore se trouver sous l'asphalte de la chaussée, car certains auraient été tout simplement enfouis tellement on avait hâte de livrer la voie publique aux seules automobiles. Mais le passé est parfois moins loin qu'on le croit...

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2008-07-07

 

Le soutien montréalais de la culture

La distribution du nouveau rapport annuel du Conseil des Arts de Montréal m'incline à examiner la répartition des subventions annuelles à la culture. Le rapport annuel divise les subventions aux organismes et les programmes de diffusion des activités artistiques, en identifiant quelles activités ont reçu combien d'argent. En adoptant les chiffres apparemment définitifs pour 2007, et en regroupant danse et théâtre dans les arts de la scène, j'obtiens le diagramme suivant.
Ce découpage sectoriel permet tout de suite de constater que les arts de la scène accaparent l'essentiel des subventions du Conseil des Arts de Montréal. Les arts visuels et la musique obtiennent la plus grande part du reste, tandis que la littérature, le cinéma et la vidéo ne raflent que des miettes, sans parler des arts médiatiques.

Qui sont les récipiendaires en littérature? On retrouve des organismes comme l'Académie des lettres du Québec, l'Association des écrivain(e)s québécois pour la jeunesse, l'Association des librairies du Québec, la Fédération des écrivain(e)s du Québec, les Poètes de l'Amérique française, la SODEP et l'UNEQ. On retrouve aussi des événements, dont le Salon du Livre de Montréal, Métropolis Bleu, le Festival interculturel du conte, le Festival international de la littérature et le congrès Boréal. De nombreuses revues (Espace, ETC, Exit, Lettres québécoises, L'Inconvénient, Lurelu, Mœbius, Séquences, Spirale, Vie des Arts, XYZ) sont aussi soutenues par le Conseil des Arts de Montréal.

Qu'est-ce qui explique la différence entre le soutien financier des arts de la scène et de la littérature? En partie, je soupçonne qu'il faille l'imputer au fait qu'on paie (mal, sans doute) les acteurs et autres artistes sur scène, mais en espérant toujours leur fournir un moyen de paye le loyer, tandis que les revues s'acquittent de la rémunération de leurs collaborateurs en considérant qu'il s'agit d'un simple pourboire sans rapport obligé avec leur survie au jour le jour...

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2008-07-05

 

Un dernier échantillon de la fantasy de 2007

J'avais ramené plusieurs romans de fantasy (acquis sans bourse délier ou non) du congrès mondial de fantasy à Saratoga Springs. J'en ai chroniqué plusieurs sur ce blogue au fil des mois, dont The Leopard Mask, Once Bitten, Twice Shy, The Scent of Shadows, The Kappa Child et Trial of Flowers. Il y avait de tout dans cet arrivage, du plus ordinaire au franchement extraordinaire, et cela se confirme avec le second roman de Jason Pratt, Cry of Justice. Dans la pile des romans rapportés, c'était le dernier échantillon obtenu en cadeau avec l'inscription. La prose de Pratt m'avait rebuté quand j'avais abordé le livre pour la première fois, un peu avant Noël, je crois... Cependant, j'ai découvert depuis qu'il suffisait de persévérer sur quelques pages pour que les choses s'améliorent nettement et que le récit devienne plus prenant. Un éclaireur et guerrier d'élite, Seifas, sert une mage et sa compagnie de soldats lancés à l'aventure dans un monde fantastique bouleversé par une guerre civile. Seifas fait un jour la rencontre de Jian, un combattant habile mais candide, que Seifas pousse sa commandante, Portunista, à recruter. Portunista est une apprentie magicienne qui lance sa brigade à l'assaut de la tour autrefois habitée par un mage puissant. Si elle est la premiêre à arriver sur les lieux, des rivaux cernent rapidement la petite prairie autour de la tour et un grand affrontement se prépare...

Je déteste l'allégorie, a dit Tolkien, en niant toute intention cachée qui façonnerait Le Seigneur des Anneaux. Et le plus grand mérite de la trilogie, dont Tolkien avoue sans ambages la référence à sa foi chrétienne et catholique, c'est bien de ne pas verser dans l'allégorie la plus évidente. Frodon a beau parcourir un chemin de croix jusqu'au bord du précipice, à un doigt du sacrifice, mais (faute peut-être de le faire pour les beaux yeux d'une dame, comme Jian pour Portunista) Frodon a besoin d'un Gollum providentiel pour que ses souffrances donnent la victoire aux siens. Dans un sens, c'est plus authentiquement chrétien, ou tout au moins catholique : les mortels peuvent aspirer à l'imitation du Christ, mais vouloir égaler Jésus en tout manquerait d'humilité et friserait le péché d'orgueil. (La doctrine protestante de la prédestination des élus, désignés d'emblée par une grâce qui les place à part, pourrait expliquer la popularité du motif sacrificiel, comme dans Trial of Flowers, chez les auteurs anglophones.)

J'ai découvert en-ligne que Pratt est un auteur « chrétien » avant de terminer ce livre, de sorte que j'ai pris conscience d'une dimension allégorique qui m'aurait peut-être échappé autrement. Le savoir a coloré toute ma lecture de la seconde moitié du roman. Les questions de la foi, du bien et du mal, de la tentation, du pouvoir et de la justice prenaient du coup un relief qu'elles n'auraient peut-être pas eu autrement. L'histoire en est-elle gâchée pour autant? Disons que c'est le coup de grâce. La prose de Pratt mise sur des effets de style qui sont plus gênants qu'autre chose, la plupart du temps. Dans la mesure où les personnages deviennent des archétypes (le Païen/Romain/Seigneur temporel, le Larron repenti, le Tentateur), l'intrigue perd de son intérêt, surtout qu'elle culmine avec une forme de résurrection et ne répond pas à toutes les questions.

Bref, même si c'est mieux écrit qu'un roman romantico-vampirique comme Once Bitten, Twice Shy, je trouve que mon instinct ne m'a pas trompé. C'est bien le plus faible des romans que j'ai ramenés de Saratoga Springs.

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2008-07-04

 

Europe 1990 (1)

Le 3 juillet 1990, j'arrivais à Barcelone sous la pluie, étrennant un Eurailpass valable pour deux mois de voyage gratuit en train dans la plupart des pays de l'Europe de l'Ouest. Après être parti dans une grande balade à pied qui m'avait mené de la banlieue de Paris à Domfront, aux confins de la Normandie, avant de culminer (grâce à d'autres moyens de transports) avec la visite des îles anglo-normandes de la Manche, j'étais prêt à sortir de la France. Et ma première destination était le seul autre pays européen que j'avais déjà eu l'occasion de visiter un peu : l'Espagne. J'avais donc fait de Barcelone ma première escale, débarquant dans une gare où j'avais commencé par acheter un plan de la ville à un comptoir qui offrait également une tablette de livres de poche, dont quelques-uns de science-fiction... Barcelone se préparait alors à l'accueil des Jeux olympiques en 1992, comme on peut le voir dans cette photo qui signale la construction de la piscine olympique. Je découvrirais d'ailleurs que le Musée d'Art catalan était malheureusement fermé au nom de ces mêmes préparatifs.

Le 3 juillet, je visitais trois auberges de jeunesse avant d'en trouver une qui avait de la place. Je n'avais pas apporté mon appareil photo (assez lourd, merci) dans mon périple à pied, de sorte que je n'ai pas de souvenirs photographiques de cette première partie de ma grande tournée européenne en 1990. Rien que des notes dans un journal de voyage et quelques cartes postales. Avant de quitter Paris, j'avais terminé un rouleau de photos en noir et blanc. De sorte qu'en arrivant à Barcelone, je commençais un rouleau de photos couleurs. Et Barcelone ne manquait pas de couleurs! La première photo que j'ai prise, dans les jardins du Palais royal, en témoignait, comme de juste. Sous un soleil ardent, le mariage du blanc des allées de gravillons, du rose des plates-bandes fleuries et du vert des gazons ou buissons m'avait tiré l'œil. Après avoir passé trois semaines au milieu du vert bocage normand ou sous le crachin breton, j'aimais!

La campagne normande, Saint-Malo et les îles de la Manche avaient aussi pour point commun d'avoir vécu à l'écart des grands courants historiques. Oui, j'avais croisé à Carrouges et Saint-Malo la trace de Jacques Cartier et de ses commanditaires. Oui, j'avais également croisé en chemin des rappels de la bataille de Normandie durant la Seconde Guerre mondiale. En revanche, la ville de Barcelone avait été beaucoup plus intimement mêlée aux grands événements historiques. Au Musée maritime de Barcelone, j'avais découvert la réplique de la Galère Royale de Jean d'Autriche, vaisseau amiral de la flotte chrétienne à la bataille de Lépante en 1571. Cette victoire obtenue par Don Juan d'Autriche n'avait pas été un tournant décisif dans l'immédiat, mais elle avait symbolisé la transition qui s'amorçait dans le monde méditerranéen, car la suprématie musulmane subissait un premier revers qui serait confirmé par d'autres. (Après le siège raté de Vienne en 1683, la puissance ottomane reculerait pour de bon, et tout le monde musulman aurait à supporter le dur sort des faibles et des vaincus, qu'il avait réservé au monde chrétien pendant longtemps...) Et la réplique de cette galère royale, réalisée en 1971, se dressait sous les voûtes des anciens Arsenaux royaux, vieux de sept siècles. Frisson historique garanti... La réplique impressionnait à la fois par son faste et par sa petite taille. Les hommes d'équipage étaient entassés dans une coque étroite et ils étaient bien mal protégés contre les coups et les tirs, comme on le voit dans cette photo du pont et des bancs de nage. Imaginez un peu le massacre quand la mitraille sifflait...
Barcelone, ce n'était pas seulement un des grands ports de la Méditerranée, qui remonterait au général carthaginois Hamilcar Barca. Et ce n'était pas seulement un des derniers réduits de la République espagnole en 1939. C'était aussi une grande ville d'art et de culture, qui fut à la fine pointe de la modernité de son temps. L'emblème en est le chantier de la Sagrada Família, le chef-d'œuvre inachevé d'Antoni Gaudí que j'appelais Notre-Dame-de-la-Construction-Perpétuelle dans mon journal de voyage... Le 4 juillet 1990, la cathédrale demeurait un grand chantier et les tours conçues par Gaudí avoisinaient les grues, comme on peut le voir dans une photo ci-dessous. La photo ci-contre illustre l'état des travaux d'une façade intérieure, encore que ce serait tout aussi intéressant du point de vue architectural si cela correspondait au projet de Gaudí dans l'état.Avec un appareil moderne, j'aurais pu ramener des dizaines de photos de ce passage à Barcelone, car, le 3 juillet, j'avais visité aussi un musée d'histoire et fait le tour de la crypte archéologique sous la cathédrale de la vieille-ville. Je me souviens également d'avoir fait la sieste sur un banc dans le quartier portuaire, d'être allé admirer le Palais Güell de Gaudí (dont il y avait aussi une fontaine dans les jardins du Palais royal, non loin des bosquets de bambous), d'avoir passé la nuit dans une auberge de jeunesse caractérisée par des conditions d'entassement et de malpropreté comme j'en ai rarement vues... Et je ne conserve que treize photos de cette quarantaine d'heures passées dans la capitale catalane!

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