2007-01-31

 

L'innovation au Québec

Mieux vaut tard que jamais. Depuis un an environ, le gouvernement libéral du Québec s'est réveillé et augmente son appui à l'innovation scientifique et technique au Québec. En décembre dernier, le gouvernement lançait même Un Québec innovant et prospère : Stratégie québécoise de la recherche et de l'innovation (.PDF).

Ce que j'ai remarqué en compulsant les dernières statistiques québécoises en la matière, c'est que les indicateurs de la recherche et du développement retenus tracent un portrait flatteur de l'importance donnée au Québec à la recherche et au développement. En 2004, par exemple, les dépenses totales pour la recherche et le développement données en annexe de la Stratégie citée ci-dessus placent le Québec en tête pour les dépenses calculées selon la part du PIB. Ces dépenses représentaient 2,72% du PIB québécois, tandis qu'elles ne représentaient que 2,44% du PIB ontarien ou 2,02% du PIB canadien. (En chiffres, ces dépenses sont respectivement de 7,21 milliards de dollars, 12,6 milliards de dollars et 26,0 milliards de dollars.)

Comme la moyenne du G7 en fait de dépenses pour la recherche et le développement est de 2,5% du PIB, tandis que la moyenne de l'OCDE est 2,26% et celle des États-Unis est de 2,68%, le Québec se classe très honorablement. Il fait mieux que l'Allemagne ou le Danemark, même s'il fait moins bien que la Finlande (3,51%) ou la Suède (3,95%).

Il serait certes possible de critiquer la répartition de ces dépenses, les universités représentant une part beaucoup plus importante qu'ailleurs tandis que les entreprises québécoises se font tirer l'oreille (comme dans tout le Canada, en fait). Mais on peut aussi tester la bonne performance du Québec en calculant les dépenses par tête pour la recherche et le développement.

En utilisant des statistiques officielles pour la population canadienne en 2004, j'obtiens donc des dépenses par tête de 954.88$ au Québec, de 1017.42$ en Ontario et de 812.86$ pour tout le Canada. Qu'est-ce que cela signifie? Tout d'abord, cela veut dire que dans une province aussi riche que l'Ontario, il est possible de consacrer une plus petite part du PIB à la recherche et au développement tout en fournissant plus de fonds aux chercheurs. Ensuite, on doit comprendre que l'Ontario et le Québec s'étant spécialisés dans les activités de recherche et de développement (ces deux provinces ont les plus grosses universités, et la plupart des plus grandes compagnies du pays), il est normal pour elles de dépenser plus que la moyenne dans ce domaine.

Ainsi, le choix de mettre de l'avant le chiffre exprimé en pourcentage du PIB n'est sans doute pas innocent. Il permet de croire que le Québec fait déjà très bien et on peut craindre que ce choix trahit la volonté du gouvernement libéral d'en faire le moins possible pour être ré-élu.

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2007-01-30

 

En parlant de science-fiction classique

Ce qui agite un peu la communauté internationale de la science-fiction en ce moment, c'est le lancement de la liste planetasf par l'Argentin Sergio Gaut vel Hartman, un regroupement de fans et de créateurs internationaux. Un peu comme le réseau global paralittéraire (Rede Global Paraliteraria) également lancé sous la forme d'une liste Yahoo par Bruce Sterling et l'auteur brésilien Roberto de Sousa Causo (dont j'ai traduit une nouvelle parue dans Utopiæ 2002 chez L'Atalante), les fondateurs espèrent que les nouveaux logiciels de traduction puissent faciliter les échanges dans plusieurs langues. Mais ce n'est pas si évident... Néanmoins, on y croise du beau monde, dont Valerio Evangelisti.

En parlant du Brésil, j'en profite pour signaler le blogue d'un nouvel auteur de science-fiction, Nicolas Schmaltz de Lille en France, dont le roman, La nouvelle résilience, se passe en partie à São Paulo.

Pour conclure, je tire des messages qui s'échangent sur planetasf deux adresses de pages qui raviront les fans de space-opéra. La première illustre un vaste assortiment d'astronefs du cinéma et de la télévision. La seconde se montre encore plus maniaque dans l'inventaire et la représentation comparative (à l'échelle) de nombreux astronefs de la fiction. On y retrouve même un vaisseau du roman Starplex de Robert J. Saywer. Mais pas le Dauphin d'Argent du Vagabond des Limbes...

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Comment peut-on être singulariste ?

Dans le numéro de décembre du Scientific American, Rodger Doyle s'en prend, sans la nommer, à la Singularité de Kurzweil : « A widespread notion is that computers, the Internet, nanotechnology, bioengineering, and so forth represent a fundamental change in human affairs. » Parmi les sources qu'il cite, il y a cet article (.PDF) de Robert J. Gordon, un économiste que j'ai déjà cité, article paru depuis dans The Journal of Economic Perspectives à l'automne 2000.

Cet article est toutefois moins enclin à rejeter la réalité de la croissance économique à la fin du siècle dernier qu'on pourrait le croire. Même Gordon se voit forcé d'admettre que l'accélération de la productivité de 1995 à 1999 se compare favorablement aux chiffres enregistrés durant la période dorée qui va de 1913 à 1972. Toutefois, il finit par calculer que le gros de cet accroissement de la productivité, compte tenu de facteurs cycliques, reste étroitement lié au secteur de l'informatique en général et à une partie du secteur manufacturier. C'est ce qui différencie cette période, selon Gordon, de la seconde révolutions industrielle (1860-1900) durant laquelle de « grandes inventions » ont radicalement amélioré le mode de vie des pays qui en ont bénéficié. L'électricité, le moteur à explosion, la chimie synthétique, les technologies des communications et les technologies sanitaires ont transformé presque tous les aspects de la vie quotidienne si on se rapporte à la situation en 1850 ou 1750.

En particulier, Gordon éreinte l'ordinateur qui, selon lui, a d'ores et déjà donné tout ce qu'il pouvait donner en améliorations réelles de la productivité du travail. (Notons toutefois que les limites qu'il cite aux apports des ordinateurs incapables de supplanter les humains sont justement celles que la Singularité vingienne ferait exploser.) Quant aux bénéfices d'internet, ils restaient suffisamment incertains en 1999 pour qu'ils n'imposent pas la conviction.

Doyle s'inspire en grande partie de Gordon, mais son essai d'une page intitulé « Not So Revolutionary (Recent advances are no third industrial revolution) » n'est pas une démonstration particulièrement étoffée. Il se contente surtout de signaler les changements dans la nature des occupations de la population, l'agriculture n'exigeant plus qu'une poignée relative de travailleurs tandis que les entrepreneurs, cadres et travailleurs modernes ont supplanté les propriétaires fonciers, marchands et artisans d'autrefois.

Il s'est écoulé plus de cinq ans depuis la parution de l'article de Gordon, mais la situation n'a pas fondamentalement changé. Certes, la réseautique actuelle permet de perfectionner la gestion de nombreux procédés et stocks, mais les gains ne sont-ils pas marginaux, relativement aux investissements? Les gains de productivité demeurent bien réels aux États-Unis, mais résultent-ils d'un écrémage apparenté à celui qu'on connaît en France, en partie lié aux délocalisations des emplois les moins productifs? Quant aux équivalents des grandes inventions d'antan, dans le genre des voitures volantes ou des cabines de téléportation, nous les attendons encore.

Toutefois, il suffit de suivre l'actualité des technologies pour savoir que les progrès techniques n'arrêtent pas. Au ras du sol, c'est difficile d'évaluer le rythme exact, mais l'absence de percées substantielles dans les domaines autres que ceux de l'informatique et des communications n'exclut pas la possibilité d'atteindre un seuil critique. Si l'informatique avancée ou les biotechnologiques permettent de créer de nouvelles façons de penser, ou d'expérimenter la réalité (en plusieurs versions parallèles?), ce serait aussi significatif que l'allongement de la journée permis par l'invention de l'éclairage électrique ou le rétrécissement du globe induit par le train, l'automobile, l'autoroute et l'avion.

Seulement rien ne sera acquis avant cette heure, et c'est bien le problème de la Singularité.

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2007-01-29

 

Les valeurs de Sarko et Ségo

Cela faisait du bien ce soir de revenir à pied du centre-ville. Par une belle nuit d'hiver, les rues sont désertes, le ciel est dégagé, un quartier de lune brille entre les toits pointus du quartier étudiant et le marcheur dénombre en marchant les édifices en construction, les errants nocturnes et les commerces qui ont changé depuis la dernière fois.

Puis on arrive enfin dans son quartier habituel, les jambes engourdies par le froid, la peau du cou brûlée par la bise, des glaçons dans la barbe et de la buée de part et d'autre des lunettes. Et on se sent vivant parce qu'on n'est pas mort. Comme l'écrivait le poète Alden Nowlan dans « Canadian January Night »:

this is a country
where a man can die
simply from being
caught outside.

En quittant le bureau, j'étais allé visionner Arthur et les Minimoys au Quartier Latin. Le dernier film de Luc Besson... qui serait vraiment son dernier, selon certains.

Il s'agit bien entendu d'un film pour enfants, mais j'étais justement curieux de découvrir un film pour enfants qui n'était pas un produit de Disney ou Pixar, et qui n'était pas non plus une création de Hayao Miyazaki.

Ce qui frappe, outre l'animation, c'est le traditionnalisme de l'histoire. Royaume merveilleux à sauver d'un péril (dragon), trésor à récupérer (gardé par le même dragon) et princesse à épouser... Même le cadre temporel nous plonge dans le passé. Arthur, héros de l'histoire, vit sur une petite ferme du Connecticut vers le milieu du siècle dernier. Le retour de son grand-père, grand ingénieur qui a travaillé en Afrique, se fait attendre et la grand-mère est sur le point de perdre sa ferme au profit d'un développeur immobilier.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu au cinéma un bwana blanc présenté aussi positivement (pour un peu, il faudrait que je remonte à Daktari). Bien entendu, les personnages africains sont des plus sympathiques, mais j'avoue ne pas avoir compris exactement comment le peuple des Minimoys, d'origine africaine (mais de peau claire), a abouti dans le jardin des grands-parents d'Arthur alors qu'il était associé à une tribu africaine.

Bref, nous sommes loin des créations de Miyazaki, par exemple, qui véhiculent des valeurs moins centrées sur le grand méchant, la jolie princesse et le trésor qui peut tout régler. En revanche, le film de Besson tombe à point. La France de Sarko et Ségo, grands partisans du retour aux valeurs républicaines, l'Angleterre de Tony Blair de plus en plus critique du multiculturalisme et même le Québec obnubilé par les accommodements raisonnables témoignent tous d'un désir de fidélité aux idées traditionnelles. On le voit sans doute aussi dans la popularité d'une fantasy classique à souhait, qui se replonge dans les délices à peine modernisés du conte de fées et du roman de cape et d'épée.

Je ne serais pas trop mécontent, à dire vrai, si c'était aussi annonciateur d'un retour de la science-fiction classique, à la fois positiviste et critique, aventureuse et rationnelle, mais j'ai l'impression que les deux s'excluent.

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2007-01-27

 

Suite française (2)

Brève incursion lavalloise ce soir, chez Astrodan qui accueille aussi le Peuple de la Table et ses amis Examinateurs. L'expédition permet de comparer les rues de Rosemont et de Laval, qui ne se confondent décidément pas. D'une part, les résidences montréalaises alignées ont collé ensemble leurs façades de deux ou trois étages, festonnées d'escaliers droits ou tournants, qui aboutissent de plain-pied sur le trottoir. D'autre part, les pavillons et bungalows lavallois occupent chacun un territoire propre, n'abritent qu'un logement ou deux et s'écartent le plus possible de la rue (il n'y a pas de trottoir). L'hiver, chacune des maisons lavalloises semblent tirer une langue blanche et annelée, qui pourrait appartenir à un monstre spatial hollywoodien mais qui n'est en fait qu'un abri Tempo...

Du coup, penser à Irène Némirovsky et me replonger dans Suite française, c'est un dépaysement presque total, dans l'espace et dans le temps.

La seconde partie procure un sentiment d'achèvement dans l'inachèvement.

Pour corriger ce que je disais précédemment, il convient de lire Suite française comme un pan complet d'un ouvrage incomplet. Némirovsky avait envisagé une symphonie en cinq mouvements, de la campagne de France en 1940 jusqu'à la paix. Elle n'aura eu le temps que d'en compléter deux.

Après « Tempête en juin », j'ai donc lu « Dolce », qui raconte l'occupation d'un petit bourg par une unité allemande. Les dames Angellier, soit Lucile et sa belle-mère, doivent héberger un officier. (La famille Némirovsky avait dû héberger des sous-officiers allemands.)

Après la tourmente effrénée et kaléidoscopique de l'exode de juin 1940, nous passons à quelque chose de plus tranquille. L'action ne s'écarte pratiquement pas du petit bourg de Bussy. Hormis un geste sanglant qui éclate dans la seconde moitié du texte, le récit n'offre que peu de péripéties. L'action est intérieure, et souterraine. Lucile, dont le mari est prisonnier, souffre de son isolement. Sa belle-mère lui reproche de ne pas se montrer suffisamment affectée par la captivité de Gaston. Elle a peu d'amies parmi les habitantes du bourg. Ce qui rend d'autant plus dangereux les sentiments qu'elle commence à éprouver pour l'étranger avec qui elle partage la maison...

Si Lucile demeure au centre de « Dolce », l'autrice ne se prive pas de décrire les faits et gestes des autres habitants de Bussy, qui illustrent la diversité des réactions françaises à la défaite et à l'occupation. Sa plume reste acérée et n'épargne pas la châtelaine de la région, qui aimerait bien se trouver de l'autre côté de la ligne de démarcation, en France non-occupée, non pour échapper aux Allemands mais pour vivre sous le régime de Vichy. Ce qu'elle parvient à faire sentir surtout, c'est le poids extraordinaire du regard des autres dans un aussi petit chef-lieu. L'opinion publique compte même lorsqu'elle n'est pas raisonnable.

Des notes de la main de Némirovsky sont jointes en appendice. Elles ont été rédigées sur plusieurs mois et la dernière date remonte à la semaine avant son arrestation. Elles éclairent son plan --- et ses incertitudes. Elle ne pouvait pas connaître l'issue de la guerre, mais il est frappant de constater à quel point son projet aurait pu s'adapter aux épisodes subséquents de la guerre. S'il y a un point aveugle, il concerne les politiques antisémites nazies et les camps de la mort.

Point aveugle délibéré? Dans quelle mesure ignorait-elle la réalité des camps d'extermination, qui commençaient tout juste à s'organiser?

En tout cas, ces notes confirment que « Dolce » montre en quelque sorte la routine d'une occupation qui est rarement dramatique. En l'absence d'affrontements ouverts, ce sont des nuances de comportement qui sont analysées par les commères, recevant ou non leur approbation. Jusqu'au moment des révélations...

Le meurtre d'un Allemand précipite les choses, préfigurant le début d'une nouvelle phase de la guerre (l'invasion en juin 1941 de l'Union soviétique). En même temps, Némirovsky signe des pages qui auraient pu être écrites au sujet de l'Irak. Soudain, l'occupant se rend compte que le calme de son occupation lui cachait l'évidence du ressentiment des occupés. Les Allemands se rendent compte qu'ils s'illusionnaient... « Le crime lui-même ne les affectait pas d'ailleurs autant que cette solidarité, cette complicité qu'ils sentaient autour d'eux (car enfin, pour qu'un homme échappe à un régiment lancé à ses trousses, c'est que le pays tout entier l'aide, l'abrite, lui donne à manger, à moins naturellement qu'il ne fût terré dans les bois — mais on avait passé la nuit à les battre — ou, chose plus vraisemblable encore, qu'il n'eût quitté la région, mais cela, de nouveau, ne pouvait se faire qu'avec l'aide active ou passive des gens). »

Et les Français n'apprécient pas le rappel de leur impuissance; ils sont à la merci des Allemands. Eux aussi s'illusionnaient, croyaient à une sorte de paix, oubliaient que la soumission n'était pas identique à la paix.

Lucile fera en fin de compte le sacrifice de son amour, mais sans trahir ses sentiments. C'est réconciliée avec elle-même qu’elle assistera au départ des soldats allemands. Il y a aussi dans ces ultimes lignes une sorte de pressentiment que c’est la fin d’un monde, d’une civilisation. Début juin 1941, la guerre ne concernait encore qu’une poignée de pays. Un an plus tard, Irène Némirovsky verrait bien que la guerre avait pris une envergure inédite; elle ignorerait seulement (pour quelques semaines encore) que l’application de la solution finale par les Nazis faisait partie des traits qui caractériseraient à jamais ce paroxysme de la violence et de la brutalité. Le 2 juin 1942, elle révèle sa conception du projet dans une note pour elle-même : « ne jamais oublier que la guerre passera et que toute la partie historique pâlira. Tâcher de faire le plus possibles de choses, de débats... qui peuvent intéresser les gens en 1952 ou 2052.»

Sommes-nous intéressés? Oui, mais pour un ensemble de raisons enchevêtrées. L'inachèvement du projet littéraire. La vie interrompue du couple Epstein-Némirovsky. La certitude dans le cas de « Dolce » que la bourgade imaginaire de Bussy doit beaucoup à la bourgade bien réelle d'Issy-l'Évêque, et la certitude donc que l'écrivaine travaille d'après nature. La mise à jour des tensions, même dans le cas de l'occupation la plus correcte possible, entre occupants et occupés, avec tout ce que ceci évoque dans le contexte politique actuel.

Et il y a ce qui n'est pas là. L'absence de l'ombre de la Shoah souligne à quel point la réalité du mal dépassait encore l'entendement de ceux qui avaient le plus intérêt à pressentir le danger. C'est donc en creux que se lit toute l'ampleur du crime à venir.

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2007-01-26

 

Le choc du grand froid

Il fait froid, pas le temps de compter jusqu'à trois,
les mots gèlent dans l'air, les mots pètent et cassent
Le vent frappe en bourreau cruel, avec sa masse
qui rompt les os et la peau, et qui nous abat

Il fait froid et la neige explose sous nos pas
La nuit, on est tout seul dans la rue où on passe
comme on est seul quand, un mauvais soir, on trépasse,
les membres engourdis et le souffle trop las

Il fait froid, ohé ! Pas la peine de crier :
le ciel cristallin est vaste et sourd et gelé,
il emprisonne une foule étouffée d'étoiles,
lucioles clouées et prises au piège

Il fait froid, la nature se dresse sans voile,
ne gardant de nous qu'une trace en pleine neige

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2007-01-24

 

L'enjeu de la productivité française

Il y a longtemps que je remets en cause la productivité française qui est devenu l'alibi de certains dans l'Hexagone.

Certes, la productivité par heure travaillée en France est parmi les plus élevées au monde. Mais s'il est concevable qu'une partie de cette productivité supérieure tienne au fait que les travailleurs français doivent accomplir un maximum de choses en un minimum de temps (et ont l'énergie de le faire parce qu'ils sont bien reposés), il ne fait plus aucun doute que cette productivité soit aussi le résultat d'un écrémage, comme je l'expliquais. Comme les charges et la réglementation découragent en France les emplois les moins payés et les moins productifs (dans les services, par exemple), ils ne s'ajoutent pas aux statistiques comme ils le font ailleurs, de sorte que les statistiques reflètent uniquement les emplois à forte valeur ajoutée. (Pareillement, plus un emploi est coûteux en raison des charges, moins il est coûteux en capital, relativement parlant, d'investir dans l'amélioration de la productivité de ce poste.)

L'effet sur les statistiques de productivité est excellent, mais l'effet sur l'emploi est moins bon, comme le rappelle Bernard Salanié dans cette opinion pour le Figaro. Le chômage, officiel et officieux, reste élevé. Pour réduire les inégalités, le bien public est dépensé en transferts au profit des dépossédés au lieu de passer en investissements plus productifs.

C'est un choix de société, que certains ont l'audace de faire passer pour un modèle, mais quand on regarde la France de loin, comme Salanié ou moi, on se demande combien de temps il résistera au mécontement de ceux qui paient et au mécontentement de ceux qui ne veulent pas de simples aumônes.

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2007-01-23

 

Le pays où souffle la liberté

Froide est la bise qui souffle la liberté,
attisant les querelles et malentendus,
rompant les liens chaleureusement tendus
entre amis et parents, patrons et employés

Finies les anciennes solidarités !
Nous ne rêvons plus, nos espoirs sont suspendus,
car tout mais tout est à vendre et tout est vendu...
Tombent nos projets quand souffle la liberté !

Froide la bise, salutaire sa morsure
Comme un vent chaud, la solidarité rassure
mais la liberté pure dérange et réveille

Qui n'a jamais trébuché n'est jamais parti
Dire ce qu'on veut, penser ce qu'on veut se paye
Liberté d'errer est le prix de l'inédit

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2007-01-22

 

L'alibi de l'intolérance

Le fameux sondage de Québécor sur le « racisme » au Canada incluait (du moins dans sa version québécoise) des questions sur l'accommodement raisonnable, ou plus exactement sur l'application des lois canadiennes quand elles empêchent le respect ou la conservation des us et coutumes des immigrants. En fin de semaine, on a fait beaucoup de cas à l'émission Ouvert le samedi de Radio-Canada du fait que les trois quarts des répondants issus de l'immigration au Québec affirmaient que le Québec était trop tolérant et que la loi canadienne devait primer sur les habitudes culturelles des immigrants.

Soit. Mais il ne faudrait pas que cette opposition devienne l'alibi de l'intolérance. On saute un peu vite sur cette réponse pour donner raison aux sceptiques. (La jurisprudence en la matière est d'ailleurs plus complexe qu'on le pense parfois.)

Admettons que ces immigrants nous disent qu'ils ne veulent pas retrouver au Canada les contraintes des pays qu'ils ont quitté (ou fui). En faire automatiquement un blanc-seing pour mettre fin aux accommodements raisonnables reposerait sur la présupposition que les immigrants ont nécessairement raison et que la législation existante a tort. Curieusement, je soupçonne que si la réponse avait penché dans l'autre sens, elle n'aurait pas été prise au sérieux. On aurait haussé les épaules en laissant entendre qu'évidemment, les nouveaux Canadiens sont en faveur de l'accommodement raisonnable et de la tolérance.

Demandons-nous plutôt quelles sont les valeurs que nous voulons défendre. Si le Canada prenait des mesures répressives contraires à la liberté de culte, c'est bien dans ce cas qu'il deviendrait semblable aux pays d'origine des immigrants en question. Ceux-ci ne reproduisent-ils justement pas les valeurs illibérales de leur société d'origine, en souhaitant seulement que l'on change le bâton de main en inversant les valeurs imposées à tous? Simple basculement : l'opprimé deviendrait l'oppresseur, mais le mécanisme resterait le même.

Un jour ou l'autre, il faudra trancher. Croyons-nous à la charte des droits et à la protection des minorités contre l'arbitraire des majorités, ou voulons-nous revenir au XIXe siècle quand le Canada était un pays chrétien, protestant ou catholique au choix, sans qu'un troisième choix fût possible ?

Cela dit, il y aurait des choses à dire sur les accommodements raisonnables, mais ce sera pour une autre fois.

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Deus ex infante

Un vieux dicton hollywoodien veut qu'un acteur ne doit jamais s'attendre à avoir la vedette s'il joue dans un film avec des animaux ou des enfants. (« Never work with animals or children », un aphorisme attribué à W. C. Fields.)

Nous sommes génétiquement prédisposés à céder aux appels pressants d'un bébé. C'est ce qui rend leurs cris si dérangeants (en particulier quand ce n'est pas notre enfant). Faire la sourde oreille aux miaulements de félins en chaleur, aux beuglements d'un animal en détresse ou aux couinements d'une bête qu'on égorge, c'est nettement plus facile qu'ignorer les pleurs d'un bébé.

Dans un sens, le film Children of Men (adapté du roman éponyme de P. D. James et porté à l'écran avec intelligence par Alfonso Cuarón, qui ne chôme pas puisqu'il a aussi participé à la réalisation du Laberinto del Fauno) repose sur la puissance de l'être le plus faible et le plus désarmé. À la rigueur sur le récit archétypal de la naissance d'un certain persécuté en Palestine il y a deux mille ans. Mais sur pas grand-chose d'autre.

Le film rappelle la valeur de l'enfance (ce qui n'est pas sans intérêt dans un monde où il y a près de deux milliards d'enfants de quinze ans et moins), mais il n'établit aucun lien utile, concret, intéressant entre notre monde et ce futur pour le moins improbable.

Pour une fois, l'anticipation se démarque clairement de la science-fiction. Children of Men est un excellent film d'anticipation, et un film de science-fiction exécrable. L'action se passe en 2027, dix-huit ans après la naissance du dernier enfant des hommes. Depuis, les femmes sont stériles et personne ne sait pourquoi. L'ordre mondial et l'économie se sont effondrés, sauf en Angleterre, soumise à un régime répressif qui traque les réfugiés, et apparemment en Argentine, où vivait le plus jeune membre de l'humanité jusqu'à son assassinat. Cet exceptionnalisme britannique (symbolisé par la manchette légendaire d'un journal qui n'était pas le Times de Londres : « Fog in Channel — Continent Isolated ») se retrouvait déjà dans V for Vendetta.

Malgré les moyens gigantesques qui auraient été consacrés à la solution de l'infertilité, on ne connaît même pas la cause de cette stérilité subite. Et on ne saura pas non plus pourquoi une femme a conçu, si c'est la première ou si c'est une simple exception.

Le scénario de l'infertilité humaine universelle n'est pas nouveau en sf. (Le Canadien Edward Llewellyn avait décrit dans sa série « The Douglas Convolution » un monde décimé par la stérilité attribuable à un médicament répandu ou à l'emploi de contraceptifs.) Mais l'absence d'explication fait de ce film une œuvre frustrante de science-fiction, au point où cela n'en est plus.

On accepte d'habitude qu'un récit de science-fiction incorpore un « miracle » que le lecteur ou spectateur doit admettre sans s'interroger. Mais ici, il y en a deux. Les femmes arrêtent d'avoir des enfants, puis une femme recommence.

Certes, on peut, même en restant dans le cadre du film (je n'ai pas lu le livre), relever des éléments d'explication. La mini-fourgonnette où le protagoniste Theo retrouve la future mère d'une nouvelle génération appartient à un quelconque Biological Institute, ce qui suggère que des recherches plus ou moins licites ont abouti... Et l'infertilité est apparue dans la foulée d'une épidémie mondiale d'influenza.

Mais le film s'en tient aux péripéties de la fuite de Theo avec la réfugiée enceinte qu'il escorte vers la liberté, pour la sauver comme il n'a pu sauver son ancienne épouse. L'espoir de lendemains meilleurs est symbolisé par le bateau envoyé à leur rencontre, baptisé Tomorrow et armé par un certain Human Project. (Ce nom tient du plaidoyer implicite pour les valeurs de l'humanisme et de l'apologie controversée d'un humanisme manipulateur par Sloterdijk.)

Ces péripéties ont l'avantage d'être passionnantes et contrastées, combinant humour et pathétique, ce qui les rend plus réalistes que le film d'action hollywoodien de base. La scène de chasse-poursuite en voiture subvertit complètement cinquante ans ou plus de clichés... L'intrigue n'est pas sans défaut, toutefois. J'ai beaucoup de mal à croire que la police, qui recherche aussi Theo, ne sait pas où trouver les parents de celui-ci, alors que les clandestins l'ont découvert en quelques jours de surveillance artisanale de Theo... Et si la Grande-Bretagne est coupée du monde, on se demande comment elle réussit à se nourrir — ou à faire pousser du café...

Néanmoins, la naissance de l'enfant tant attendu transforme le film. Il ne s'agit plus seulement d'une dénonciation du virage fascisant de la Grande-Bretagne, certaines scènes saisissantes évoquant Abu Ghraib et Guantánamo. Le bébé devient un sauf-conduit, un talisman qui s'époumone. Sa seule présence émeut, suffisant à imposer un cessez-le-feu, et on ne peut pas s'empêcher de se dire que tous les enfants du monde devraient avoir droit aux mêmes égards. Et on regrette qu'il n'en soit pas ainsi.

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2007-01-20

 

Le labyrinthe du faune

Une belle histoire fait autant de bien qu'un bon vin. On en sort le cœur léger et les yeux humides, heureux d'avoir été ailleurs et heureux d'être revenu.

Dans le nouveau film de Guillermo del Toro, El Laberinto del Fauno (Le Labyrinthe de Pan/Pan's Labyrinth), la catharsis d'Aristote est au rendez-vous. Il s'agit de l'émotion authentique, même si le récit finement calibré se double d'un pendant fantastique qui laisse une échappatoire à l'héroïne tragique, appelée Ofelia comme de juste.

Nous sommes en Espagne, en juin 1944. Ofelia est la fille au seuil de l’adolescence de Carmen, la veuve d’un tailleur qui s’est remariée avec un capitaine dont elle attend un enfant, un garçon. L’armée franquiste traque dans la montagne les derniers partisans de la République déchue. Le capitaine Vidal chargé de liquider ces maquisards est une brute qui ne tient qu’à son fils à naître, mais qui ne se doute pas qu’il est environné d’amis de ses ennemis. Il a établi son quartier-général dans un vieux moulin, à proximité des ruines d’un labyrinthe où Ofelia ne tarde pas à s’aventurer, guidée par une fée voletante. Au cœur du labyrinthe l’attend un faune qui reconnaît en elle la princesse perdue d’un royaume merveilleux, qu’elle pourra regagner si elle triomphe de trois épreuves successives.

L’imagination des jeunes filles est depuis longtemps un ressort caractéristique de la fiction, présent dans des ouvrages chéris de plusieurs générations de lecteurs. Cette capacité de construction d’univers inventés et animés par un verbe ardent est d’autant plus sacralisée que ses prolongements adultes suscitent la méfiance, sous la forme du bovarysme ou sous celle de l’extase mystique des visionnaires.

Au XIXe siècle, Anne de la maison aux pignons verts ou la petite princesse Sara Crewe imaginent et racontent, et leurs complices tombent sous le charme. Plus ou moins orphelines, elles préfèrent voir le monde avec les yeux du rêve. Au XXe siècle, ces mondes imaginaires gagnent en substance. Le conte d’hier devient un monde réel qui existerait de l’autre côté du mur. La série d’Eghantik de Julie Martel commence dans notre monde pour aboutir dans un univers magique où l’héroïne est une princesse, bien entendu.

El Laberinto del Fauno m’a rappelé Mirrormask de Neil Gaiman, mais en beaucoup plus maîtrisé. Dans les deux cas, une jeune fille a un pied dans notre monde et un pied dans un monde fantastique. Dans les deux cas, ce qu’elle peut accomplir dans le monde déterminera le cours des événements dans notre monde. Mais Guillermo del Toro s’est accordé la liberté d’imaginer une intrigue nettement plus dramatique en choisissant pour cadre l’Espagne franquiste, alors que Gaiman avait cédé à une certaine banalité en se contentant d’un cirque évoluant dans la Grande-Bretagne actuelle. La réalité tragiquement concrète (quoique stylisée) d’un combat d’arrière-garde propulse Ofelia dans ce monde fantastique dont les dangers comptent moins que ses promesses, alors que la triste réalité ne lui promet que laideurs, haines et périls. Ce monde cruel et sans joie nous pousse aussi à suivre Ofelia ailleurs, dans un monde de féerie pourtant sombre et arbitraire.

Sauf que le spectateur n’acceptera pas sans un pincement de doute le dénouement heureux de la quête d’Ofelia. Car, dans la nuit de l’Espagne fasciste, elle a péri comme périssent tant de victimes innocentes en temps de guerre. Sa mort n’a de sens que si le merveilleux existe, car elle devient alors un sacrifice librement consenti pour sauver une autre vie. Sinon, sa mort reste absurde, le fruit de l’irritation meurtrière d’une brute égoïste qui se venge sur une fillette de l’humiliation qu’une servante lui a fait subir.

La fiction aime donner un sens à la mort, soit qu’elle prenne les traits du sacrifice soit qu’elle mérite à la victime une gloire immortelle ou une récompense dans un autre monde. Les Grecs contemporains d’Aristote croyaient-ils à leurs mythes, y compris à la gloire acquise au héros? Vieille question... La conclusion du film refuse au capitaine Vidal la gloire du militaire mort en héros; son nom sera oublié. Et l’après-vie bienheureuse d’Ofelia n’est peut-être qu’une histoire, qu’un simple conte de fées...

C’est ici que la traduction du titre prend toute son importance. Le labyrinthe du faune est devenu celui du dieu Pan. Or, une confusion célèbre a compté le Pan antique au nombre de ces dieux méditerranéens qui mouraient et qui renaissaient, incarnations des cycles végétatifs de la Nature. (Le Jésus chrétien, qui naît quand les jours s'allongent et qui meurt puis ressuscite au seuil du printemps, résume en un seul personnage toute cette symbolique.) Son ombre qui plane sur le film peut nous inciter à prendre au sérieux la résurrection et l'après-vie d'Ofelia.

Enfin, au moins autant que celle du dogme chrétien...

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2007-01-19

 

Le racisme dans le cyberespace

Cela fait longtemps que la Toile accueille des sites extrémistes et que des groupuscules néo-nazis, par exemple, prêchent leurs idées dans le cyberespace tandis que d'autres conflits ethniques s'en servent pour relancer les hostilités. Arabes et Juifs, Arméniens et Turcs, Bosniaques et Serbes... il suffit de chercher un peu pour trouver.

Mais deux incidents récents nous donnent un avant-goût du futur. D'une part, il y a l'histoire de Shilpa Shetty, cette vedette de Bollywood qui participait à la version britannique de l'émission Big Brother et dont les démêlés avec les autres « concurrents » ont été pimentés de commentaires désobligeants, voire racistes. Comme les affrontements en question ont été filmés et que les médias ont répercuté les extraits les plus enflammés, un immense public n'a pas tardé à réagir et l'affaire a pris une envergure mondiale.

Orwell craignait l'utilisation de semblables moyens de surveillance par l'État, mais l'étalage au grand jour d'un écart de conduite aussitôt réprouvé par la population et les institutions s'avère également efficace pour contrôler la population...

D'autre part, il y a cette incursion dans le cyberespace du Front National de Le Pen (dont l'affidé Bruno Gollnish vient de se faire condamner en France pour avoir contesté les faits de la Shoah). Comme le rapporte The Guardian, le Front National a essayé de devenir le premier parti politique européen à établir ses pénates dans le monde virtuel de Second Life. Mais les habitants de ce monde virtuel ont protesté et il a dû s'éclipser.

Le plus intéressant dans les deux cas, c'est sans doute la dimension mondiale de l'affaire. Une émission britannique de télé-réalité et un univers virtuel basé aux États-Unis ont fait se rencontrer des personnes de toute la planète. Le village global de McLuhan n'est plus seulement le village des privilégiés; il regroupe aussi de plus en plus de gens ordinaires qui font sentir leur présence. La bien mal-nommée Jade Goody l'a découvert à ses dépens...

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2007-01-18

 

Le code de Johann

Il y a les codes et il y a ceux qui les décodent.

Les traducteurs décodent des messages secrets tous les jours. Un texte rédigé dans une langue étrangère est un message parfaitement secret pour qui ne connaît pas le code.

Mais c'est peut-être pourquoi je ne suis pas particulièrement friand des secrets à décoder et des énigmes qui reposent uniquement sur des jeux de transposition ou d'allusions. C'est déjà bien assez difficile de rendre parfaitement dans une seconde langue un texte écrit dans une première langue, en l'absence de toute intention de l'auteur d'obscurcir le sens de sa composition. Par conséquent, je n'éprouve qu'une admiration réduite pour l'ingéniosité des obsédés de la cryptographie. La clarté est difficile, l'obscurité beaucoup moins.

Certes, le codage ne produit qu'une apparence d'incohérence, cachant un message au sens relativement clair. Et le défi de la cryptanalyse, c'est d'accéder à ce sens en l'absence de la clé.

Mais si le sens du message est obscur, parce qu'il s'inscrit dans un contexte qui n'a plus cours, on se rapproche du défi de la traduction. Le sens des mots ne suffit pas. Pour traduire complètement, il faut aussi connaître — et reproduire ou transposer — le contexte d'origine, sans quoi on risque de prendre une expression imagée au pied de la lettre, ou vice-versa.

Les énigmes historiques reposent parfois sur la disparition partielle ou l'ignorance des éléments qui permettraient de comprendre le sens caché d'un message. L'astronome Regiomontanus avait pour vrai nom Johannes Müller, c'est-à-dire Jean Meunier en français. Originaire d'un village voisin de Koenigsberg en Franconie (Bavière), c'est-à-dire « la montagne du roi » en français, il latinise ce nom pour en faire Regiomontanus. (Sans trop exagérer, bref, en traduisant sans trop trahir, on pourrait faire de cet astronome un Jean Meunier de Montréal...)

Mais Regiomontanus est associé à un exercice de déchiffrement assez monumental, qui fait intervenir un astrolabe byzantin du XIe siècle, ensuite donné en cadeau par Regiomontanus au cardinal Bessarion, et un tableau de Piero della Francesca, « La Flagellation du Christ », qui a suscité plus d'une interprétation. A priori, c'est nettement plus sérieux que le «Da Vinci Code », mais je me garde la lecture de l'analyse complète pour plus tard...

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2007-01-17

 

Nixon, Harper et la Chine

Et si le Canada ne se gouvernait pas au centre, mais dans l'opposition...

En 1991, dans le film Star Trek VI, Spock citait un dicton qui, selon lui, était devenu d'usage courant parmi les Vulcains : « Only Nixon could go to China. » L'expression circulerait depuis au moins décembre 1984, mais je n'ai pas retrouvé la page en question : en revanche, un diplomate latino-américain l'emploie dans un article du 10 septembre 1989 dans le New York Times en page E2). Pour l'essentiel, elle remonte au moins à l'idée exprimée dans un article de Molly Ivins dans le New York Times le 6 juin 1977 et attribuée à Paul O'Dwyer, président du conseil de ville de New York :

« It's the same way that Nixon could go to China, where if a Democrat president had done it, he would have been accused of treason. »

Au Canada, on accuse plutôt le gouvernement de voler les politiques de l'opposition quand il fait de même. Ainsi, Jean Chrétien, après avoir minimisé le problème du déficit, avait réduit à néant le déficit fédéral, privant ses adversaires d'un argument utilisé plusieurs fois. Il s'inspirait sans doute de Pierre Elliott Trudeau qui, pendant l'élection de 1974, avait ridiculisé la politique de contrôle des prix et des salaires préconisés par le NPD avant de la mettre lui-même à l'essai une fois réélu.

Maintenant, c'est au tour de Stephen Harper de manœuvrer de manière à priver ses principaux adversaires, les Libéraux de Stéphane Dion, d'un argument électoral majeur : la gestion de l'environnement et la lutte à l'effet de serre. Non seulement Harper a-t-il à son compte les politiques des Libéraux, comme dans le cas de l'annonce des investissements dans les énergies renouvelables que les Libéraux revendiquent, mais il pourrait avoir l'occasion de montrer qu'il peut faire mieux qu'eux s'il réussit à s'entendre avec Layton pour avoir le soutien du NDP, qui réclament un retour à Kyoto comme prix de leur appui.

Layton n'espère sans doute pas remporter la prochaine élection sur le dos d'une telle entente, mais Stephen Harper escompte sans doute récolter les dividendes d'une politique susceptible d'apaiser les inquiétudes des Canadiens. Cela fonctionnera-t-il? Nixon n'a pas vraiment entamé le soutien de ses partisans avec sa politique chinoise, mais le Parti Québécois, quand il s'est mis les syndicats à dos en 1982, a perdu le pouvoir en 1984. Est-ce donc rentable de faire la politique de l'opposition au nom de la raison d'État?

Inspirés par l'aphorisme sur Nixon et la Chine, deux économistes ont tenté de calculer les bénéfices rapportés par cete stratégie qui consiste à faire, une fois au pouvoir, ce que l'on avait décrié dans l'opposition, voire en campagne électorale. Dans un article publié par Public Choice en 1998 (pp. 605-615), Tyler Cowen et Daniel Sutter examinent ce qui ressemble à un paradoxe démocratique.

Après tout, l'élu en question a été plébiscité par des électeurs qui ont rejeté la politique qu'il va adopter et pour laquelle il obtiendra l'appui de la population. Si la démocratie présuppose que les électeurs ont sinon raison du moins connaissance de leur propre opinion, comment une politique contraire à cette opinion, voire à leur verdict collectif, peut-elle être à la fois plus sage et plus populaire?

La solution pourrait reposer sur l'accès à des informations privilégiées par le politicien en cause, de sorte qu'il pourrait agir en connaissance de cause pour arriver à un résultat préférable qui apparaîtrait également comme désirable aux yeux de tous puisque ses partisans accepteraient qu'il doit avoir de puissantes raisons d'agir comme il le fait tandis que ses adversaires sont bien obligés de soutenir une politique qu'ils ont appelée de leurs vœux.

Aussi, Cowen et Sutter proposent d'expliquer le succès de cette stratégie mathématiquement, en bons économistes. Les électeurs seraient conscients de leur opinion mais aussi de leur ignorance de la meilleure politique à suivre dans un domaine qui ne suscite pas d'affrontement profondément idéologique. Lorsque Nixon se rapproche de la Chine, les électeurs sont en mesure lors de l'élection suivante de juger non des résultats de son revirement (qui ne sont pas encore connus) mais de son revirement.

Ce que Cowen et Sutter concluent, c'est qu'il y a plus de chances que l'électorat porte un jugement favorable sur un gouvernement qui revient sur ses positions pour adopter une politique controversée que sur un gouvernement qui impose la même politique au nom de ses convictions. Le premier obtient plus facilement le bénéfice du doute que le second.

Cependant, pour en profiter, il faut que la réputation du politicien qui agit contrairement à ses convictions soit bien établie. Bref, il faut que les électeurs fassent confiance aux déclarations des politiciens. S'ils se mettent à soupçonner qu'on leur ment, ils n'ont plus aucune raison de récompenser celui qui agit contrairement à ses convictions, car s'il a menti sur ses convictions, on retombe dans le cas du politicien qui met en œuvre son programme au lieu d'obéir à la raison d'État et de privilégier les intérêts supérieurs de la nation...

Toutefois, si le public fait confiance aux politiciens, c'est alors que ceux-ci ont le plus avantage à mentir sur leurs convictions propres, adoptant une ligne de conduite en apparence contraire à leurs convictions de manière à gagner le respect du public pour leur capacité à transcender les intérêts partisans...

Reste le cas où c'est la conversion du politicien à la politique de ses adversaires qui n'est pas sincère. Harper prend-il vraiment au sérieux l'effet de serre? Beaucoup en doutent. A priori, on serait tenté de croire que c'est le pire des cas de figure pour un politicien. S'il n'est pas pris au sérieux, ses partisans le rejetteront pour avoir quand même donné des gages à ses ennemis et ses opposants le rejetteront pour n'en avoir pas fait assez.

Certes, si Harper pouvait convaincre ses partisans qu'il en fait moins que nécessaire et ses opposants qu'il en fait plus qu'on pouvait espérer, il pourrait tabler sur un certain appui dans chaque cas. Mais il me semble assez difficile de promettre en même temps deux choses contradictoires.

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2007-01-16

 

En kayak de mer jusqu'au pôle Nord

Ainsi fond, fond, fond la banquise...

Les glaciers du Groenland fondent de plus en plus vite. C'est ce que rapporte le New York Times (inscription requise) dans un article dramatique. La nouvelle est sortie en même temps qu'un certain nombre de nouvelles inquiétantes pour le futur du climat terrestre. Un article de Marika Holland et Cecilia Bitz a été interprété comme prédisant la disparition de la banquise arctique (du moins en septembre) vers 2040 (en fait, ce résultat correspondait à un ensemble de simulations, mais l'ensemble de celles-ci semble indiquer en moyenne que ce résultat pourrait être repoussé jusqu'en 2080 environ, entre 2060 et 2110); Bitz en présente une version vulgarisée ici. Une lettre parue dans Nature en septembre dernier juge que le dégazage de méthane des lacs sibériens gonflés par la fonte du pergélisol serait cinq fois supérieur aux chiffres admis antérieurement. Sans parler de l'inconnue représentée par les clathrates qui pourraient libérer suffisamment de méthane pour accélérer le réchauffement encore plus vite que prévu...

Comme auteur, j'ai déjà commencé une histoire qui racontait l'expédition d'un kayakiste pour atteindre le pôle Nord. Ce futur se rapproche donc... Le dénouement que j'avais imaginé, c'était l'arrivée du bonhomme épuisé à la porte d'un somptueux casino flottant ancré au pôle, histoire d'illustrer la transformation du monde qui résulterait d'un tel réchauffement...

Ce qui frappe dans l'accumulation des études et des résultats, c'est qu'il y en a très peu qui révèlent des effets encore insoupçonnés susceptibles de réduire le réchauffement, alors que les incertitudes ont plutôt tendance à agir dans l'autre sens...

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Le choc du blanc

Retour de la neige, retour dans la neige...

Que la neige était belle cette nuit sur le mont Royal. Fraîchement tombée, elle scintillait, plus blanche que blanche, sous les lampadaires. Chaque pas qui me rapprochait de mon logis allumait aussi des étincelles dans la neige. J'avais l'impression de marcher dans un effet spécial d'un film hollywoodien...

L'hiver, la blancheur est froide, mais elle est aussi lumineuse. Quand la neige tombe et reste, elle met un terme à des semaines de grisaille, nourries par le raccourcissement des jours et le dépouillement des arbres. Ce qui nous désole peut-être le plus dans le réchauffement climatique qui nous prive de la neige pour Noël, c'est la prolongation de cette grisaille alors que le solstice d'hiver annonce le retour de la lumière. Nous aimerions que les éléments soient à l'unisson du sens que nous donnons à la fête de Noël. Le décalage entre la saison des fêtes et l'arrivée de la neige rappelle ce que ce rapprochement avait de fortuit; il n'existait autrefois que pour quelques pays nordiques de l'hémisphère nord. Dans le futur, il n'existera que pour les habitants des latitudes les plus septentrionales.

Ce sera aussi ça, la culture du futur.

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2007-01-14

 

Le mois de janvier et moi

Bien entendu, on a beaucoup entendu parler de changement climatique et de réchauffement global depuis le début de l'année. Je me suis donc dit qu'il serait possible de se servir des données climatologiques d'Environnement Canada pour confirmer ou non l'impression générale que ce mois de janvier 2007 est exceptionnel par sa douceur (pour le Canada, certes, et plus particulièrement pour Montréal).

J'ai donc choisi de compter le nombre de jours en janvier durant lesquels la température maximale a atteint ou dépassé les 5 degrés Celsius. Cela se fait vite et, en principe, comme ceci correspond à des événements extrêmes, une augmentation confirmerait une prédiction de la théorie du réchauffement global. Je me suis confiné aux mois de janvier depuis l'année de ma naissance et le résultat apparaît dans le diagramme ci-dessous.
Que doit-on retenir? D'abord, le record (dans cette nouvelle catégorie) remonte à 1990, quand le mois de janvier avait compté sept journées durant lesquelles la température maximale avait été de 5 degrés centigrades ou plus. Mais il y a six journées de ce genre en janvier 2006 et, cette année, nous en avons déjà eu six en moins de quinze jours. Le record sera-t-il égalé ou battu? C'est ce que nous verrons.

Sinon, il ressort clairement de ce diagramme qu'il existe une différence très nette entre la période 1967-1987 et la période 1987-2007. Il y a beaucoup plus de journées chaudes durant la seconde période que durant la première. Certes, il n'y a eu que cinq événements El Niño avant 1987, alors qu'il y en a eu sept après 1987 (je ne compte pas celui de 1986-1987), mais cela me semble insuffisant pour expliquer cette différence.

D'autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte, mais les chiffres bruts sont là...

(Notons que les données sont lacunaires pour janvier 1993, mais il ne manque que deux ou trois jours.)

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2007-01-13

 

Défendre l'illusion tranquille

J'écoutais aujourd'hui les chroniqueurs culturels de Radio-Canada se demander s'il y avait un second degré au film Jean-Philippe de Laurent Tuel.

Non, leur semblait-il. Pourtant, je suis tenté de rapprocher ce film de science-fiction (ou tout au moins uchronique) d'un autre qui vient de sortir, Rocky Balboa de Stallone.

De quoi s'agit-il? Dans Rocky Balboa, Sylvester Stallone (né en 1946) joue un boxeur vieillissant qui, contre toute attente, remonte dans le ring pour montrer qu'il est encore capable de se battre contre ses successeurs, et même de les battre... Jean-Philippe nous présente un Jean-Philippe Smet (né en 1943) qui n'est jamais devenu Johnny Hallyday (et qui n'est jamais devenu suisse), mais qui est quand même capable, aux alentours de la soixantaine, de monter sur scène et de s'imposer comme une star du rock.

Pas étonnant que ces films aient obtenu, à défaut d'un grand succès commercial, des critiques positives de la part de chroniqueurs qui, souvent, font partie d'une génération qui voit arriver sa date de péremption, et souhaiterait la repousser le plus longtemps possible.

La même crispation des baby-boomers, ou de ceux qui se font les porte-parole de leurs enfants (comme dans le cas de François Rebello, membre de la Génération X, mais militant pour les jeunes et les étudiants surtout entre 1994 et 2000), est perceptible dans la réaction au nouveau film québécois L'illusion tranquille. Outre le silence et les réactions approbatrices, il est clair qu'une simple remise en cause du statu quo au Québec passe pour une manifestation ou une manœuvre de la droite néo-libérale.

La blogosphère semble plus encline à applaudir ou à lui accorder le bénéfice du doute en attendant de voir si le film répond aux attentes exprimées çà et , mais il fallait entendre Rebello vanter à Radio-Canada la création d'emplois au Québec et la réduction de la pauvreté au Québec... Dommage que les données (.PDF) continuent à indiquer que le Québec traîne de la patte !

Reprenons la sempiternelle comparaison du Québec et de l'Ontario. En 2005, la population active atteignait 68% en Ontario et 65,6% au Québec, tandis que le chômage était de 6,6% en Ontario et de 8,3% au Québec. Pour tout 2006, le chômage était de 6,3% et de 8,0% respectivement (des améliorations relatives de 4,5% en Ontario et de 3,6% au Québec). La tendance n'est pas non plus favorable; en décembre 2006, le chômage était de 6,1% en Ontario et 7,5% au Québec. L'écart s'est effectivement réduit, mais il y a toujours moins d'actifs au Québec et plus de chômeurs. (Pour en savoir plus, je rappelle l'existence de cette excellente page de l'Institut de la statistique du Québec.)

Bref, le constat reste le même que lorsque j'en ai parlé la dernière fois.

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2007-01-11

 

Culture d'aujourd'hui, culture du futur

Qui l'eût cru? Wall Street se trouverait à Washington...

Ce n'est qu'une révélation parmi d'autres. Corriger les examens soumis par des étudiants qui ont déjà l'âge de voter permet d'en savoir beaucoup plus sur leur culture et leur vision du monde. J'ai été souvent attendri par leur idéalisme et leur saine indignation face aux horreurs de la première moitié du vingtième siècle (en supposant qu'ils ne cherchaient pas à plaire au prof, bien sûr), mais on finit par retenir surtout les erreurs...

Les profs aguerris (et résignés) font de ces erreurs des recueils de perles. (Il y a aussi les « perles de profs », qui en disent long sur l'ambiance dans les salles de classe hexagonales.)

Moi, c'est plutôt la révélation de leur inculture qui m'interpelle. Je croyais que tout le monde savait que le Rio Grande forme une partie de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. (Mais peut-être que j'ai trop lu et vu de westerns, en commençant par Lucky Luke...)

Manque d'attention? Manque d'attention au sens des mots? Les Boers pourtant dits d'origine néerlandaise sont devenus des Africains noirs dans plusieurs copies — mais peut-être que les étudiants en question croyaient que la Hollande se trouve en Afrique subsaharienne...

C'est en fin de compte la révélation du sens de la mission éducative. Avoir la patience d'enseigner les bases et de recommencer à zéro avec chaque génération. C'est ce qui est le plus agaçant dans la lamentation récurrente des baby-boomers sur l'inculture des jeunes, même si ce lieu commun est parfois corrigé par des opinions plus volontaristes : les pleureuses ne se rendent pas compte qu'on compare des pommes et des oranges. L'adulte qui a eu quarante ou cinquante années pour se forger une culture, corriger ses erreurs de jeunesse et voir le monde ne doit pas se comparer au jeune dans la vingtaine. Il y avait déjà du temps de Frère Untel des cancres et il y en a encore aujourd'hui parce qu'ils sont encore en phase d'apprentissage, tout simplement.

Maintenant, s'ils n'ont pas la volonté d'apprendre, tous les efforts de leurs enseignants n'apporteront rien, mais il faut être patient. Ceux qui se présentent à l'université sont, par définition, ceux qui veulent apprendre...

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2007-01-08

 

Le chagrin le matin

Muet dans ton fauteuil, tu es comme l'arbre
Immobile il règne, à son sol attaché
Vers le haut il saigne, pour faire un ciel feuillé
Le monde prend le deuil quand périt son ombre

Là, je le vois assis, mort comme le marbre
Tout seul dans le salon, pâle et désenterré
Il était le galon, qui nous a mesurés...
Sait-il qu'il est parti? Son regard me sabre,

ses yeux s'accrochent et je voudrais lui dire,
lui crier, lui pleurer, qu'un revenant doit rire
s'il veut survivre en nous, et jamais accuser

Ou pas trop fort, papa — reste l'axe joyeux
qui me manque déjà, ressort d'un monde usé,
reste dans mon rêve, je veux aller mieux.

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2007-01-07

 

La physique des caractères

Qui était Ptolémée l'astronome? Un grand savant de l'Antiquité qui, à défaut d'être novateur et original, a su synthétiser les connaissances de son temps sous une forme utile à ses successeurs? Bref, malgré certaines approximations et erreurs, demeure-t-il possible d'en faire un digne représentant de l'astronomie hellénistique? Ou bien, l'accumulation de ses erreurs, contrefaçons et plagiats fait-elle de lui un simple faussaire, astrologue vénal qui ment d'un bout à l'autre, qui flatte les penchants de ses patrons et qui colporte une vision du cosmos en phase avec les préjugés du clergé alexandrin? (En termes modernes, on le comparerait alors à quelque scientifique à la solde d'un fabricant de cigarettes ou d'une compagnie pétrolière.)

Dennis Rawlins, qui produit la revue Dio, défend le second point de vue avec acharnement, dans la lignée d'al-Soufi, de Delambre (.PDF) et Robert Newton. Un bilan récent de Thurston confirme sans ambages que Ptolémée n'a pratiquement rien fait de ce qu'il affirme avoir fait en tant qu'astronome. Le modèle astronomique de Ptolémée demeure le meilleur modèle disponible avant Copernic, mais il est douteux qu'un aussi piètre praticien ait pu y apporter grand-chose. L'œuvre de Ptolémée restera donc comme le témoignage suprême de l'astronomie géométrique des Grecs anciens, mais sans qu'on puisse associer plus de la centième partie de ce travail au génie de Claude Ptolémée lui-même.

Que peut-on reprocher à Ptolémée, en définitive? D'une part, il s'est attribué le mérite qui revenait à d'autres en prétendant avoir exécuté lui-même les observations qui fondaient son système, en laissant entendre donc qu'il était l'auteur de tout, de bout en bout. D'autre part, il a entériné un système géocentrique à force de solutions ad hoc essentiellement pour la commodité des astrologues. Pour Rawlins, cela fait de Ptolémée un très sombre personnage. Mais Rawlins a fait ses premières armes en physique. Or, la véracité de l'observateur est une vertu cardinale des physiciens et la bête noire de nombreux astronomes et physiciens de sa génération, c'était l'astrologue qui colportait une vision périmée du cosmos pour son gain personnel. Par conséquent, un astrologue doublé d'un faussaire est quelque chose comme une bête noire absolue.

L'enjeu du débat pour les historiens des sciences, c'est de savoir si, pour des raisons plus ou moins contingentes, l'astronomie a reposé pendant un millénaire sur un ouvrage secondaire par un astrologue et compilateur fou, ouvrage qui aurait eu pour principal mérite de survivre tandis que périssaient les travaux d'astronomes plus méritoires comme Aristarque (pour qui la Terre tournait autour du Soleil) ou Hipparque. L'histoire de l'astronomie prendrait alors une coloration assez comique, pour ne pas dire risible. Or, les historiens préfèrent trouver un minimum de dignité dans leur sujet : au lieu d'admettre que nombre de « grands hommes » du passé seraient vite enfermés dans nos sociétés modernes, ils réussissent à leur accorder les vertus de leurs vices. Au lieu d'admettre que le manuel bâclé d'un astrologue provincial ait fondé toute l'astronomie ancienne, ils préféreront déceler une méthode dans le fatras des faussetés.

Néanmoins, il y a sans doute quelque chose de trop tranché dans la dichotomie de Rawlins. Entre le savant idéal, infaillible et parfaitement consciencieux, et le plagiaire vénal, astrologue et charlatan, il y a place pour l'érudit inlassable mais vantard et trop soucieux de sa propre gloire (ou de celle de ses protecteurs).

Les bons physiciens font de mauvais romanciers. Pour un physicien, il faut que tout soit clair et limpide, mais le cœur humain recèle des zones d'ombre et l'existence humaine des moments de faiblesse. Et l'inverse.

L'autre jour, Wesley Autrey a sauté sur la voie du métro à New York afin de sauver un jeune homme en proie à une crise d'épilepsie qui était tombé. Autrey s'est couché sur lui entre les rails et la rame est passée au-dessus d'eux. Les reportages et les témoignages qui ont suivi ont souligné que l'héroïsme est souvent de circonstance. On ne peut dire : héros un jour, héros toujours. Les gens ordinaires qui accomplissent des actions héroïques sans préparation aucune sont souvent les premiers surpris de ce qu'ils ont fait. Leur propre réaction les a surpris, et ils ne sauraient garantir qu'ils le referaient si l'occasion se représentait.

L'héroïsme est un acte exceptionnel, et non un trait de caractère. Les superhéros de la fiction posent des gestes héroïques de manière routinière parce que leurs pouvoirs leur permettent de le faire. Pour eux, l'extraordinaire est littéralement ordinaire. C'est peut-être ce qui les rend si populaires. On ne supporterait pas de voir des gens comme nous se montrer héroïques tous les jours. Il y aurait comme un reproche implicite... Mais applaudir aux exploits de gens pour qui l'héroïsme est ordinaire, c'est plus facile.

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2007-01-06

 

Retour au test de Turing...

Je reviens sur le sujet de l'intelligence artificielle que j'avais abordé cet été...

En 1985, Daniel Dennett avait soutenu que le test de Turing était un test maximal. Si un ordinateur passait le test de Turing, on ne pourrait nier qu'il soit doté d'intelligence. On pouvait se disputer sur le sens de tests moins exigeants, mais il semblait évident qu'une machine capable de faire la conversation avec un humain serait au moins aussi intelligente que cet humain. Dennett citait d'ailleurs Descartes, qui affirmait dans le Discours de la méthode que jamais les machines «ne pourraient user de paroles, ni d'autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées» :

« Car on peut bien concevoir qu'une machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même qu'elle en profère quelques-unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes : comme, si on la touche en quelque endroit, qu'elle demande ce qu'on lui veut dire; si en un autre, qu'elle crie qu'on lui fait mal, et choses semblables; mais non pas qu'elle les arrange diversement, pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. »

Ce que je trouve intéressant dans ce passage de Descartes, c'est qu'il n'envisage pas que l'on puisse traiter matériellement des informations au même titre que des impressions sensibles. Car le principe des ordinateurs actuels, c'est de réagir d'une manière mécanique à des données fournies par l'intermédiaire d'un clavier (ou autre interface). On pourrait dire que Descartes a été mauvais devin, et les partisans de l'intelligence artificielle espèrent forcément qu'il a eu tort. Mais l'erreur de Descartes pourrait être multiple. D'une part, il a pu se tromper en suggérant qu'une machine ne serait jamais intelligente. D'autre part, il a pu se tromper en affirmant qu'une machine ne serait jamais capable de produire mécaniquement des paroles apparemment sensées.

De nos jours, pourtant, avec le développement d'internet et des techniques de surveillance, on pourrait imaginer qu'un ordinateur (massivement parallèle? quantique?) aurait mémorisé un tel nombre de conversations réelles ou pourrait échantillonner en temps réel les conversations téléphoniques, les conversations captées dans la rue ou les conversations archivées sur internet de manière à fournir des réponses apparemment sensées. Ce serait la « stratégie Google » pour réussir le test de Turing. Des logiciels de traduction exploitent déjà cette possibilité entrevue depuis un moment, grâce à l'analyse statistique de textes, la constitution de bases d'exemples et à l'exploration de ressources comme internet, justement.

Mais à quoi bon réussir le test de Turing en trichant ?

Ce qui est authentiquement exigeant, du moins potentiellement, dans le test du Turing, c'est qu'il s'agit d'un test en miniature de la connaissance du monde. Nous représentons le monde par le verbe. Par conséquent, une conversation met à l'épreuve la maîtrise du monde par un locuteur. Non qu'on s'attende à ce que les gens intelligents connaissent tout du monde qui les entoure. Mais on s'attend à ce qu'ils aient des opinions sur un nombre monumental d'aspects du monde, opinions construites sur la base d'expériences personnelles ou fournies par d'autres (parents, amis, médias). C'est le fondement de ce qu'on appelle le sens commun et les informaticiens tentent justement de doter certains systèmes informatiques de cette faculté.

Sauter cette étape ne rapprocherait guère les ordinateurs de l'intelligence artificielle.

Mais cela permettrait de tester le test lui-même.

Le test sépare, d'un côté de l'écran, un joueur qui essaie d'abuser un juge et, de l'autre, un juge qui essaie de voir clair dans le jeu de son interlocuteur invisible. Nul ne met en doute l'intelligence requise pour tromper quelqu'un; on dit toujours que mentir est plus exigeant que dire la vérité, après tout...

Mais un doute persiste quant à la valeur du test en raison de la personne de l'autre côté de l'écran : le ou la juge.

Si c'était si facile de percer à jour les mensonges, il n'y aurait pas besoin de serments sur l'honneur, de polygraphes et autres détecteurs de mensonges, de sérums de vérité, etc.

Turing s'était inspiré d'un jeu d'imitation (imitation game) de son époque qui semblait prouver qu'un juge intelligent était capable de distinguer deux formes d'intelligence humaine, associées soit aux hommes soit aux femmes. A fortiori, un tel juge n'aurait aucun mal à distinguer une entité intelligente d'une autre qui le serait incomplètement ou pas du tout.

Mais la différenciation des rôles sexuels (ou sexuaux, comme dirait Guy Bouchard) était beaucoup plus marquée dans l'Angleterre d'il y a soixante ans. En 1985, Dennett trouvait encore évidente l'existence de différences facilement identifiées : « A little reflection will convince you, I am sure, that, aside from lucky breaks, it would take a clever man to convince the judge that he was a woman — assuming the judge is clever too, of course.» De nos jours, je ne crois pas que l'on puisse être si catégorique. Depuis l'avènement d'internet, des forums et du clavardage, etc., on a prouvé maintes fois qu'un homme peut se faire passer pour une femme, ou vice-versa, d'où l'observation bien connue : « On the Internet, nobody knows you're a dog. » Sans parler des prédateurs sexuels qui se font passer pour des fillettes ou des adolescentes — tout comme les policiers qui les traquent.

J'ai l'impression que, de nos jours, les deux moitiés de l'humanité se connaissent un peu mieux et ont de moins en moins de secrets (ou de domaines réservés), du moins dans certains cercles de certaines sociétés. Et comme la transgression des frontières d'antan suscite (légèrement?) moins de suspicion qu'avant, il est bien possible que le jeu d'imitation serait plus ardu maintenant.
(En passant, je me demande si Turing, qui était homosexuel, avait fréquenté des travestis, homosexuels ou non, qui auraient été en mesure de jouer l'imitation game avec plus de succès que d'autres. Turing en aurait-il conclu nécessairement qu'ils manifestaient une forme de super-intelligence ?)

Mais si ce n'est plus si simple de distinguer les hommes des femmes, faut-il conclure qu'il ne serait pas si facile de distinguer l'intelligence de sa contrefaçon?

Dans le test de Turing, il semble qu'il faille conclure que c'est le rôle du juge qui est le plus intéressant. Je ne crois pas qu'on ait proposé souvent d'en faire un critère d'intelligence : pourtant, ce serait le test ultime de l'intelligence d'une machine que de distinguer de manière fiable un humain d'une machine. (Le reverse Turing test désigne parfois les cas où un ordinateur est chargé de distinguer un humain d'une machine, grâce à l'utilisation de tests rapides dans le genre des CAPTCHA. Mais ces tests sont beaucoup plus limités que le test de Turing originel.)

Et ceci permettrait d'induire une hiérarchie des intelligences. Une intelligence artificielle de premier niveau serait capable de distinguer, en tant que juge d'un test de Turing, un humain d'une machine contrefaisant l'intelligence. Mais une IA de deuxième niveau serait capable de différencier un humain d'une IA de premier niveau. Et ainsi de suite...

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2007-01-05

 

Le conservatisme en marche

Reçu aujourd'hui : un exemplaire gratuit de la revue Maclean's.

Une promotion quelconque, sans doute. Il ne me faut pas longtemps pour décider que je ne m'y abonnerai pas. Cela fait longtemps que j'ai cessé de la lire, ou même de la feuilleter dans les magasins de journaux. Internet me fournit une ration suffisante de nouvelles et de commentaires. De plus, ce qu'il y avait de rafraîchissant (si si!) dans l'iconoclasme des commentateurs de droite qui sévissaient déjà dans les pages de la revue au cours des années 80 ne l'était plus après la chute du mur de Berlin et a été carrément discrédité par la seconde ère Bush aux États-Unis. Mais sans doute la revue continue-t-elle à miser sur les mêmes lecteurs, maintenant vieillissants, qui n'ont pas encore le réflexe de se tourner vers internet pour obtenir leur dose.

De fait, dans le numéro fourni en guise d'échantillon, la tendance est au conservatisme tous azimuts. Mark Steyn recense un nouveau roman de Crichton en félicitant l'auteur pour sa critique des environnementalistes dans State of Fear. Le dossier de couverture porte sur l'habillement trop sexy des fillettes et jeunes filles, ce qui sert de prétexte à des jérémiades sur les temps et les mœurs. Barbara Amiel vilipende la délation trop en vogue, ce qui ne doit pas surprendre de la part de quelqu'un que l'on dénonce pour avoir profité (avec son mari ou grâce à lui) de nombreux passe-droits et autres avantages plus ou moins défendables.

De fait, l'initiative de Black de lancer le National Post pour dynamiser le conservatisme canadien continue à rapporter. Les anciens du journal n'ont pas été purgés du système politique canadien, au contraire, et ils colportent toujours leur évangile d'extrême-droite, même lorsque l'expérience n'a en rien démontré la justesse de leurs idées. (Dernière démonstration en date de l'inanité de la vénération du secteur privé : l'élection de Larry O'Brien comme maire d'Ottawa. Népotisme, incompétence et gaspillage des fonds publics en augmentations de salaires sont déjà au rendez-vous.) Le gouvernement de Stephen Harper, qui représente une minorité du spectre politique, s'appuie sur les discours de cette cinquième colonne pour se faire passer pour réaliste et raisonnable.

C'est ce conservatisme idéologique basé dans l'Ouest canadien qui repousse un nombre grandissant de Québécois de gauches qui ne sont pas nécessairement séparatistes, mais qui n'ont pas envie de loger à la même enseigne qu'une telle bande de réactionnaires. (Mais il faudrait alors renoncer aux sous du pétrole, ce qui est moins évident.)

De plus en plus, je me pose des questions sur la géopolitique canadienne. Dans des circonstances plus extrêmes, des observateurs comme Ricardo Hausmann (JSTOR, « Prisoners of Geography », Foreign Policy, janvier-février 2001) ou Manus I. Midlarsky (JSTOR, « Environmental Influences on Democracy », The Journal of Conflict Resolution, juin 1995) ont fait des rapprochements entre le degré de développement et de démocratisation des pays et l'éloignement de la mer. Les mécanismes postulés font intervenir la pluviosité plus grande des contrées littorales et la sécurité plus grande des entités insulaires ou péninsulaires, deux facteurs qui favoriseraient le développement de sociétés moins autoritaires et moins militarisées. Moins concrètement, l'accès à la mer a favorisé dans le passé la circulation des idées, et donc la tolérance de la diversité, et ainsi de suite. Est-ce un hasard si l'Alberta, bastion du conservatisme canadien, est une des deux provinces les plus éloignées de la mer?

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2007-01-04

 

L'attrait de l'uchronie

Le décès de Gerald Ford a remis en mémoire l'expression qu'il avait employée en devenant président des États-Unis.

A posteriori, on peut également appliquer ces mots à sa décision d'absoudre Nixon, dans la mesure où il sentait le besoin de mettre fin à un long cauchemar national (long national nightmare). Aujourd'hui, j'ai l'impression que de nombreux citoyens des États-Unis ont encore l'impression d'avoir plongé dans un cauchemar ou de vivre dans un monde bizarre et parallèle depuis le 11 septembre 2001. De temps en temps, il surgit des tentatives uchroniques d'imaginer un déroulement différent, d'atténuer l'horreur du 11 septembre, de revenir en arrière...

Un élan semblable est à l'œuvre dans le film Deja Vu de Tony Scott. Il s'agit après tout d'un attentat terroriste meurtrier qui a lieu en février 2006 à la Nouvelle-Orléans, ville dévastée par l'ouragan Katrina. Ce sont deux éléments du cauchemar de l'Amérique de Bush qui sont réunis dans un scénario et le thriller de science-fiction fait miroiter l'espoir de revenir en arrière pour sauver des victimes du terrorisme, à défaut de sauver les victimes de Katrina. Doug Carlin, un agent appelé sur les lieux d'un attentat meurtrier, fait des découvertes importantes avant d'être recruté pour faire partie d'un exercice de surveillance du passé permis par l'utilisation d'une connexion directe.

Les boucles temporelles ne sont pas toujours traitées avec rigueur par les scénaristes d'Hollywood, mais Deja Vu relève le défi avec maîtrise, en faisant appel (sans la nommer) à la théorie des univers multiples d'Everett. Les personnages parlent même d'un pont d'Einstein-Rosen...

Je ne révèle rien en disant que Carlin finit par remonter dans le temps. Et c'est ce voyage qui m'a conquis, car le film nous présente la chose comme un saut dans l'inconnu, un geste insensé de Carlin qui est poussé par un amour fou pour une jolie jeune femme qu'il ne connaissait pas deux jours plus tôt, Claire (dont le prénom est presque un anagramme de Carlin). Tout indique que Carlin parie sur un miracle pour s'en tirer puisque les physiciens aux commandes de la machine sont convaincus que le voyage dans le temps dégrade toute l'activité électrique des corps vivants. J'étais en train de me dire que les chances de Carlin seraient nettement meilleures s'il apparaissait dans un hôpital quand il émerge bel et bien sur une civière des urgences d'un hôpital !

C'est si rare qu'un film hollywoodien surprenne par son intelligence que je lui ai pardonné les quelques accrocs du scénario. (Le film semble suggérer que la première tentative d'intervenir dans le cours des événements oblige le terroriste à obtenir le VUS de Claire alors qu'il l'a déjà contactée... Et on comprend mal comment Carlin reste piégé dans le véhicule à la fin quand Claire réussit à s'en sortir, si ce n'est que pour la commodité du scénario.)

Néanmoins, le film démontre une fois de plus que la sf s'est vulgarisée. Les recettes et concepts de la sf ne sont plus inconnus du tout-venant des créateurs et du grand public, au point où on a reproché au film de recycler des ficelles éculées.

En fait, j'ai trouvé que le choix du film de laisser entendre qu'il était possible de changer le cours des événements, mais avec difficulté, introduisait un suspense délicat. Quand Carlin remonte dans le temps, il ne peut pas savoir s'il va réussir à modifier le dénouement meurtrier voulu par le terroriste. Malgré ses tentatives de modifier le cours des choses, il retombe dans un sentier déjà tracé. Paradoxalement, le film entretient le suspense parce que la fin est connue depuis les premiers instants du film et qu'on ne sait pas si elle va changer. C'est tout l'attrait de l'uchronie, vécu en direct, mais, comme je l'ai déjà dit, les uchronies qui présentent une version améliorée du présent sont délicates.

Je trouve intéressant que le film ne tente pas de changer le cours des événements un certain 11 septembre 2001 à New York. (Un héros seul dans le moule hollywoodien habituel aurait eu du mal puisqu'il y avait quatre avions...) Doug Carlin tente de prévenir un attentat complètement imaginaire qui a lieu dans une ville dévastée par une catastrophe tout ce qu'il y a de plus réel. Cela semble confirmer qu'il aurait été trop délicat d'imaginer un monde où les morts du 11 septembre 2001 n'auraient pas eu lieu...

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2007-01-03

 

Illusion d'optique

Cette fois, ce n'est pas exactement une illusion d'optique dans la veine de l'énigme que je proposais il y a quelques mois. Il s'agit plutôt d'un exercice de perception dans le genre de ceux qu'affectionnait l'école de la Gestalt de Max Wertheimer en psychologie. Mais l'article fondateur de Wertheimer sur la perception date de 1912, alors que cette carte postale de la firme fondée par Virgilio Alterocca (1853-1910) à Terni en Italie date sans doute de 1910 environ.

Mais le thème était déjà bien présent à l'époque, comme le montre la série d'images (anciennes ou récentes) reproduites par Michael Bach. Plusieurs autres sont connues ou disponibles en-ligne. Et elles n'ont fait que proliférer depuis...

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Une dragonne et son chevalier

C'est la conscience professionnelle qui m'a poussé à aller voir Eragon, et rien d'autre.

J'étais sceptique. Tout d'abord, il s'agit d'un produit dérivé d'un produit dérivé. La trilogie signée par le jeune Christopher Paolini a profité de la vogue de Harry Potter pour bénéficier d'un battage tout particulier. Même si l'univers de Paolini doit beaucoup plus à l'univers d'Anne McCaffrey, voire à la trame fondamentale de Star Wars, il reste qu'il s'agit de fantasy à part entière.

On ne peut être surpris d'ailleurs de constater à quel point l'intrigue du premier Star Wars (le quatrième épisode) s'intègre parfaitement à un univers de fantasy. Les ressemblances sont marquées, en tout cas. Car ce jeune Eragon, paysan qui a grandi sur la ferme de son oncle, n'est-ce pas Luke Skywalker, recueilli par un oncle sur Tattooine? Cet ordre déchu de chevaliers exterminé par l'un des leurs, devenu empereur... pardon, roi, ne s'agit-il pas des Jedis? Et ce vieux conteur tourné en ridicule au village du jeune Eragon, n'est-ce pas Obi-Wan Kenobi sous un autre nom? Comme par hasard, ce vieil excentrique appelé Brom est un ancien chevaucheur de dragons qui va servir de mentor à Eragon, puissamment doué... Il y a même une princesse qu'Eragon va décider d'aller délivrer au cœur de la forteresse noire de Darth Vader, euh, d'une Ombre maléfique, ce qui va coûter la vie à Brom... Sans parler d'un mouvement de résistance à l'usurpateur qui se cache et qui attend un signe.

Mais on ne peut demander à un auteur de moins de vingt ans d'être original, ou du moins d'être conscient de ses influences. Au même âge, j'avais écrit Le Ressuscité de l'Atlantide sans jamais me rendre compte que le médecin qui transplantait des personnalités dans mon roman portait le même nom qu'un chirurgien nazi qui transplantait (supposément) des cerveaux dans une aventure de Ric Hochet que j'avais lue quelques années auparavant...

On peut encore moins demander à un film hollywoodien de l'être. Les films sont des produits dérivés par définition et il est rare qu'ils puissent rivaliser avec les ouvrages dont ils sont tirés. N'ayant pas lu la trilogie de Paolini, je ne peux pas juger de la fidélité de l'adaptation, mais j'ai certainement trouvé le film quelconque. Les dialogues sont d'une grande banalité, les scènes d'action misent sur la frénésie et la confusion pour exciter les spectateurs et il y a fort peu de rebondissements dignes de ce nom.

Les points forts du film sont visuels. La dragonne que monte Eragon est une créature superbement réalisée, presque parfaitement vivante. Les paysages sont également magnifiques, même s'ils contredisent parfois les indications des personnages (ceux-ci semblent se balader dans des régions montagneuses longtemps avant d'avoir atteint les contreforts devant précéder les vraies montagnes). Et quelques scènes de l'affrontement final entre Eragon et le séide du roi sont franchement impressionnantes.

Un des aspects les plus agaçants du film (j'ignore s'il est présent dans le livre), c'est la compression du temps et de l'espace. Des personnages laissés au sol par Eragon qui s'envole sur sa dragonne vont le rejoindre à point nommé, comme s'ils disposaient d'un moyen de transport aussi rapide qu'un dragon... Ou c'est une armée entière qui semble se matérialiser en une journée aux confins du royaume alors qu'il a fallu plusieurs jours à Eragon et Brom pour se rendre aussi loin à cheval...

Les films de fantasy ne sont pas si nombreux que l'on puisse les ignorer, mais Eragon s'approche dangereusement du degré zéro de l'insignifiance.

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2007-01-01

 

Vœux d'hier et aujourd'hui

Comme je le disais au sujet des Noëls d'antan, l'envoi de cartes postales pour les grandes occasions festives ne date pas d'hier. Et le Nouvel An comptait autant, sinon plus, il y a un siècle. C'est ce qu'indique la collection de cartes de Valérie Mailhot, la tante de mon grand-père, dont j'extrais ces quelques cartes de vœux.

Cette première carte lui avait été adressée par Marie Pidoux, qui lui avait aussi envoyé des cartes de Paris que j'ai déjà reproduites. La signature nous apprend toutefois quelque chose de plus : Marie Pidoux est alors institutrice à Montbron (Charente). Comme Pidoux est un nom très rare au Canada (il y en a huit dans l'annuaire, éparpillés du Québec à la Colombie-Britannique), cela ne fait qu'épaissir le mystère. Quel mystère? Celui du lien qui unissait une institutrice établie en France et une mère de famille installée à Selkirk au Manitoba... Étaient-elles de simples correspondantes et amies de plume? S'étaient-elles rencontrées lors d'un voyage? Un membre de la famille Pidoux avait-il fait un court séjour au Manitoba, servant d'intermédiaire? Le nombre de cartes conservées dans les albums permet de croire à une amitié sincère, ce dont témoignerait aussi la qualité des cartes. La technique utilisée dans ce cas semble combiner un cliché légèrement teinté, le coloriage de la robe de la fillette ainsi que du bouquet, et le collage d'éléments additionnels, dont des filets de paillettes. Le mystère plane également sur l'identité du photographe, qui signe uniquement LeNormand. S'agit-il de Louis LeNormand (1887-1943), le réputé photographe et fabricant de cartes postales du faubourg Bannier à Orléans ? Un spécialiste saurait sans doute identifier la marque de fabrique dans le coin droit en bas... Mais c'est sûrement une cartes les plus charmantes de l'assortiment des cartes de vœux.

En parlant des cartes de Noël, j'avais évoqué l'importance du langage des fleurs à cette époque. Cette affirmation n'est nullement contredite par l'iconographie des autres cartes de vœux que je retrouve dans l'album Mailhot. Outre les roses apportées par la mignonne ci-dessus, la carte ci-contre mêle fleurs et verdure pour exprimer toute la vigueur des souhaits de bonheur et de prospérité en 1908. Détail qui n'est pas sans intérêt, la carte fait partie de volumineuse production de la firme Raphael Tuck & Sons. Le fondateur était né en Allemagne en 1821; au tournant du siècle, la compagnie avait des bureaux à Londres, Paris et New York. Mais cette carte signée par le père Bélanger de Somerset, Manitoba (il s'agit sans doute de Louis-de-Gonzague Bélanger, premier prêtre manitobain né au Manitoba, ordonné en 1879 et enterré à Sainte-Anne-des-Chênes) est en français. Je me demande s'il serait aussi facile de trouver une carte de vœux en français aujourd'hui au Manitoba...

À cette carte à dominante rose correspond une seconde carte du même expéditeur. Une carte était adressée à Mme Mailhot et l'autre à Joseph-Émile Mailhot, son mari. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, toutefois, la carte rose était destinée à M. Mailhot. Malgré les ressemblances évidentes, chaque carte est légèrement différente. Le choix des mots, des fleurs et du feuillage n'est pas le même. Le plus intéressant, en un sens, c'est le caractère essentiellement profane de ces cartes (pourtant envoyées par un curé). Après tout, on a fait tout un battage au siècle dernier autour de la tradition de la « bénédiction paternelle » au Canada français, plaçant d'emblée le Nouvel An parmi les fêtes religieuses... Évidemment, le fait qu'il s'agisse ici de cartes provenant de la France ou d'un autre pays étranger pourrait expliquer l'absence de référence à cet aspect.

De nos jours, les choses sont beaucoup plus claires. Le Nouvel An peut être fêté civilement et souhaité à tous (en prévoyant mentalement une marge d'erreur suffisante dans le temps pour tenir compte du nouvel an célébré par les Juifs, les Japonais, les Chinois, d'autres Asiatiques, et ainsi de suite). Bonne et heureuse année !

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