2006-01-18
Iconographie de la SFCF (2)
Comme dans le cas de la science-fiction pour jeunes au Québec, c'est aussi le fantastique pour jeunes qui fournit les couvertures anciennes les plus intéressantes. J'ai souvent soutenu que, contrairement à la science-fiction, le fantastique a non seulement droit de cité au Québec, mais aussi une longue tradition. On peut remonter aux contes oraux qui circulaient sans doute dans les campagnes, lors des veillées, dès le dix-septième siècle. En littérature, ces contes relevant soit d'un très ancien folklore soit de la fiction moraliste (pour ne pas dire édifiante) sont édités au dix-neuvième siècle et ils inspirent à leur tour de nouveaux conteurs, comme Honoré Beaugrand.
Le grand Louis Fréchette est parmi les plus connus de cette génération. Ses histoires de Jos Violon sont particulièrement intéressantes dans la mesure où le fantastique y repose sur des méprises. Sous le ton badin, on trouve donc une critique de la crédulité populaire et un plaidoyer en faveur du progrès qui — il faut l'espérer, c'est sous-entendu — mettra à mal la superstition et la naïveté du peuple. Mais la plume de Louis Fréchette s'impose aussi par son art du portrait et du dialogue; c'est ce qui vaut à une histoire de chantier de Jos Violon, «Les Lutins», de donner son titre à un recueil beaucoup plus varié en 1919. On y retrouve aussi des légende et des essais à saveur historique, entre autres sur un homme fort (Grenon) et sur les coutumes électorales (pittoresques) du Canada français au dix-neuvième siècle. Même si le fantastique de Fréchette n'est parfois qu'illusoire, les illustrations d'Henri Julien contribuent à imposer le corpus du fantastique traditionnel québécois d'expression française qui, dès le tournant du vingtième siècle, fait bel et bien partie des meubles. Il s'agit clairement d'une acclimatation en terre canadienne des contes de fée et légendes du terroir français, mais le transfert a réussi.
Au vingtième siècle, les adaptations et croisements se poursuivent. Emma Adèle Lacerte (1870-1935), née Bourgeois, fait partie des pionnières de la littérature jeunesse et, malgré ses affinités pour la science-fiction de Jules Verne (aisément constatées dans son roman Némoville en 1917), elle opte d'emblée pour le fantastique dans son recueil Aux Douze Coups de Minuit. Même le mythe de l'Atlantide, qui s'apprête à bien des sauces, devient sous sa plume un autre cénacle de lutins, de fées et de génies... Comme elle s'adresse aux jeunes, elle amorce aussi de cette manière la tendance à réserver le fantastique pour les jeunes.
Le titre ramène d'abord les jeunes lecteurs au passé, puisque Lacerte commence par leur exposer la tradition de la bénédiction paternelle, donnée aux douze coups de minuit le jour de l'an. Mais les textes suivants versent plutôt dans le conte édifiant (une variante sur le thème du fils prodigue, une histoire de malédiction d'un avare) ou dans la fable qui fait parler les animaux.
En ce qui concerne l'iconographie, elle intéresse si peu la maison d'édition qu'il est assez difficile de trouver le nom de l'illustrateur qui signe cette couverture ou les illustrations intérieures. En fait, je le cherche encore...
À la rigueur, on assiste à une régression à cette époque. Louis Fréchette avait montré la voie d'un fantastique plus moderne, plus sceptique des ficelles traditionnelles, mais les auteurs de la première moitié du vingtième siècle sont des néo-trads avant la lettre. Dans plus d'un texte, Lacerte fait le lien entre une coutume de l'ancien temps ou un mythe connu (l'Atlantide) et l'histoire qu'elle va raconter. La démarche de l'adaptation est avouée, certes, tout comme les hommages des chansonniers néo-trads actuels au Québec, mais le résultat en bout de ligne n'est pas si novateur. Ce qu'il y a encore de plus nouveau chez ces auteurs du vingtième siècle, c'est la diversité de leurs inspirations. Alors que les conteurs d'avant 1900 s'en tenaient au folklore du terroir et à l'Histoire sainte, les auteurs du vingtième siècle vont chercher leur inspiration plus loin. Lacerte se sert donc de l'Atlantide. Quant à Marie-Claire Daveluy, qui fait aussi partie des pionnières de la littérature jeunesse au Canada français, elle retourne au dix-septième siècle pour retrouver le conte de «L'oiseau bleu» de Marie Catherine d'Aulnoy (1650-1705). Dans la revue L'Oiseau bleu de la Société Saint-Jean-Baptiste, elle publie en 1929 une première version d'une histoire qui utilise l'oiseau bleu pour faire visiter à des jeunes le «pays des belles histoires». Dans l'édition de 1935 (réimprimée en 1946, comme on le voit à droite), cela inclut des visites au royaume de Madame d'Aulnoy, au royaume de Madame de Ségur, au royaume du Chanoine Schmid et au royaume des Mille et Une Nuits. Chemin faisant, les jeunes personnages croisent les héros de ces contes et légendes tout en connaissant diverses aventures. (On n'est franchement pas très loin de la démarche de Bryan Perro dans certains volumes de la saga d'Amos Daragon.)
Comme il manque la page titre de mon exemplaire, je ne sais pas si l'illustrateur de Sur les ailes de l'Oiseau bleu est cité, mais sa signature est lisible : J. McIsaac. Son travail, quoique conventionnel, fournit le livre en illustrations abondantes et de niveau professionnel. (À en juger par l'habillement des personnages modernes, les illustrations pourraient avoir été réalisées dèes 1935. Ce serait à vérifier dans un exemplaire de cette édition.) La durabilité de cette tradition littéraire est confirmée par de nombreux autres livres pour jeunes publiés au Québec après la Seconde Guerre mondiale. On a ainsi Une histoire fantastique de Marie-Antoinette Grégoire-Coupal (1905-1984) qui nous offre les aventures d'un Petit Jean tout ce qu'il y a de plus classique. L'histoire se déroule dans un pays merveilleux, lui aussi droit sorti de la tradition des contes de fées (château, princesse, dragon, etc.). Mais le conte est présenté comme un conte, car l'écrivaine commence par nous présenter la maison familiale de son enfance à Napierville, où des enfants réclament de l'oncle Séraphin l'histoire du dragon à sept têtes. Bien entendu, l'oncle cèdera...
L'illustrateur, Georges Lauda, est cité en page titre, même si, outre la couverture, il ne semble avoir exécuté qu'une seul illustration reproduite dans les pages intérieures. Il convient de noter que la couverture illustre non pas un épisode des aventures de Petit Jean, mais le moment du conte, quand l'oncle s'apprête à livrer la marchandise. Ainsi, des quatre couvertures reproduites ici, la seule à représenter franchement des créatures fantastiques est celle de 1919, pas nécessairement destinée aux enfants. (L'oiseau bleu de McIsaac n'est pas ouvertement surnaturel, même s'il peut sembler un peu inusité.)
Ce qui se retrouve souvent dans ce fantastique traditionnel, pour enfants ou non, c'est justement la présence d'un cadre ou d'une voix extérieure faisant du conte un conte et rien de plus. Il est donc inutile de prendre le fantastique au pied de la lettre ou de croire qu'il pourrait évoquer une autre réalité, susceptible d'être visitée autrement qu'en imagination. Il s'agit de quelque chose de raconté, ce qui repousse d'un cran toute la question de la vraisemblance.
La fantasy n'émerge au Québec qu'en s'affranchissant de cette contrainte. On entre de plain-pied dans la fantasy, sans se poser de questions. Il s'agit d'un monde, inaccessible peut-être, mais d'un monde à part entière. Outre Ludovic (1983) de Daniel Sernine, un des premiers textes à s'inspirer des classiques anglo-américains (The Lord of the Rings, etc.), c'est Kadel (1986) de Luc Ainsley. La couverture d'Yves Labonté n'est pas particulièrement attirante, mais elle reflète peut-être l'incertitude quant aux sujets à illustrer. Les personnages évoquent surtout les héros classiques du conte : un roi, un chevalier en armure, un beau jeune homme, une demoiselle blonde, un guerrier cuirassé... Il reste le conseiller félon, en bas à gauche, qui doit peut-être son aspect à l'empereur illégitime de Star Wars, à la même époque.
Kadel signalait l'arrivée d'une nouvelle génération. L'ouvrage avait remporté le prix Paul-Aimé Martin en 1985, à l'issue d'un concours pour jeunes auteurs commandité par les Éditions Fides et le Salon international du Livre de Québec, dans la catégorie Littérature de jeunesse. Luc Ainsley, né en 1965 et étudiant en lettres à l'Université du Québec à Chicoutimi, avait donc vingt ans ou moins lorsqu'il a rédigé ce roman. (Quelques années plus tard, je l'ai croisé à l'Université d'Ottawa, où il poursuivait ses études.) D'autres auteurs québécois l'ont suivi dans la voie de la fantasy, dont Philippe Gauthier, Joël Champetier, Yves Meynard, Laurent McAllister...
Le grand Louis Fréchette est parmi les plus connus de cette génération. Ses histoires de Jos Violon sont particulièrement intéressantes dans la mesure où le fantastique y repose sur des méprises. Sous le ton badin, on trouve donc une critique de la crédulité populaire et un plaidoyer en faveur du progrès qui — il faut l'espérer, c'est sous-entendu — mettra à mal la superstition et la naïveté du peuple. Mais la plume de Louis Fréchette s'impose aussi par son art du portrait et du dialogue; c'est ce qui vaut à une histoire de chantier de Jos Violon, «Les Lutins», de donner son titre à un recueil beaucoup plus varié en 1919. On y retrouve aussi des légende et des essais à saveur historique, entre autres sur un homme fort (Grenon) et sur les coutumes électorales (pittoresques) du Canada français au dix-neuvième siècle. Même si le fantastique de Fréchette n'est parfois qu'illusoire, les illustrations d'Henri Julien contribuent à imposer le corpus du fantastique traditionnel québécois d'expression française qui, dès le tournant du vingtième siècle, fait bel et bien partie des meubles. Il s'agit clairement d'une acclimatation en terre canadienne des contes de fée et légendes du terroir français, mais le transfert a réussi.
Au vingtième siècle, les adaptations et croisements se poursuivent. Emma Adèle Lacerte (1870-1935), née Bourgeois, fait partie des pionnières de la littérature jeunesse et, malgré ses affinités pour la science-fiction de Jules Verne (aisément constatées dans son roman Némoville en 1917), elle opte d'emblée pour le fantastique dans son recueil Aux Douze Coups de Minuit. Même le mythe de l'Atlantide, qui s'apprête à bien des sauces, devient sous sa plume un autre cénacle de lutins, de fées et de génies... Comme elle s'adresse aux jeunes, elle amorce aussi de cette manière la tendance à réserver le fantastique pour les jeunes.
Le titre ramène d'abord les jeunes lecteurs au passé, puisque Lacerte commence par leur exposer la tradition de la bénédiction paternelle, donnée aux douze coups de minuit le jour de l'an. Mais les textes suivants versent plutôt dans le conte édifiant (une variante sur le thème du fils prodigue, une histoire de malédiction d'un avare) ou dans la fable qui fait parler les animaux.
En ce qui concerne l'iconographie, elle intéresse si peu la maison d'édition qu'il est assez difficile de trouver le nom de l'illustrateur qui signe cette couverture ou les illustrations intérieures. En fait, je le cherche encore...
À la rigueur, on assiste à une régression à cette époque. Louis Fréchette avait montré la voie d'un fantastique plus moderne, plus sceptique des ficelles traditionnelles, mais les auteurs de la première moitié du vingtième siècle sont des néo-trads avant la lettre. Dans plus d'un texte, Lacerte fait le lien entre une coutume de l'ancien temps ou un mythe connu (l'Atlantide) et l'histoire qu'elle va raconter. La démarche de l'adaptation est avouée, certes, tout comme les hommages des chansonniers néo-trads actuels au Québec, mais le résultat en bout de ligne n'est pas si novateur. Ce qu'il y a encore de plus nouveau chez ces auteurs du vingtième siècle, c'est la diversité de leurs inspirations. Alors que les conteurs d'avant 1900 s'en tenaient au folklore du terroir et à l'Histoire sainte, les auteurs du vingtième siècle vont chercher leur inspiration plus loin. Lacerte se sert donc de l'Atlantide. Quant à Marie-Claire Daveluy, qui fait aussi partie des pionnières de la littérature jeunesse au Canada français, elle retourne au dix-septième siècle pour retrouver le conte de «L'oiseau bleu» de Marie Catherine d'Aulnoy (1650-1705). Dans la revue L'Oiseau bleu de la Société Saint-Jean-Baptiste, elle publie en 1929 une première version d'une histoire qui utilise l'oiseau bleu pour faire visiter à des jeunes le «pays des belles histoires». Dans l'édition de 1935 (réimprimée en 1946, comme on le voit à droite), cela inclut des visites au royaume de Madame d'Aulnoy, au royaume de Madame de Ségur, au royaume du Chanoine Schmid et au royaume des Mille et Une Nuits. Chemin faisant, les jeunes personnages croisent les héros de ces contes et légendes tout en connaissant diverses aventures. (On n'est franchement pas très loin de la démarche de Bryan Perro dans certains volumes de la saga d'Amos Daragon.)
Comme il manque la page titre de mon exemplaire, je ne sais pas si l'illustrateur de Sur les ailes de l'Oiseau bleu est cité, mais sa signature est lisible : J. McIsaac. Son travail, quoique conventionnel, fournit le livre en illustrations abondantes et de niveau professionnel. (À en juger par l'habillement des personnages modernes, les illustrations pourraient avoir été réalisées dèes 1935. Ce serait à vérifier dans un exemplaire de cette édition.) La durabilité de cette tradition littéraire est confirmée par de nombreux autres livres pour jeunes publiés au Québec après la Seconde Guerre mondiale. On a ainsi Une histoire fantastique de Marie-Antoinette Grégoire-Coupal (1905-1984) qui nous offre les aventures d'un Petit Jean tout ce qu'il y a de plus classique. L'histoire se déroule dans un pays merveilleux, lui aussi droit sorti de la tradition des contes de fées (château, princesse, dragon, etc.). Mais le conte est présenté comme un conte, car l'écrivaine commence par nous présenter la maison familiale de son enfance à Napierville, où des enfants réclament de l'oncle Séraphin l'histoire du dragon à sept têtes. Bien entendu, l'oncle cèdera...
L'illustrateur, Georges Lauda, est cité en page titre, même si, outre la couverture, il ne semble avoir exécuté qu'une seul illustration reproduite dans les pages intérieures. Il convient de noter que la couverture illustre non pas un épisode des aventures de Petit Jean, mais le moment du conte, quand l'oncle s'apprête à livrer la marchandise. Ainsi, des quatre couvertures reproduites ici, la seule à représenter franchement des créatures fantastiques est celle de 1919, pas nécessairement destinée aux enfants. (L'oiseau bleu de McIsaac n'est pas ouvertement surnaturel, même s'il peut sembler un peu inusité.)
Ce qui se retrouve souvent dans ce fantastique traditionnel, pour enfants ou non, c'est justement la présence d'un cadre ou d'une voix extérieure faisant du conte un conte et rien de plus. Il est donc inutile de prendre le fantastique au pied de la lettre ou de croire qu'il pourrait évoquer une autre réalité, susceptible d'être visitée autrement qu'en imagination. Il s'agit de quelque chose de raconté, ce qui repousse d'un cran toute la question de la vraisemblance.
La fantasy n'émerge au Québec qu'en s'affranchissant de cette contrainte. On entre de plain-pied dans la fantasy, sans se poser de questions. Il s'agit d'un monde, inaccessible peut-être, mais d'un monde à part entière. Outre Ludovic (1983) de Daniel Sernine, un des premiers textes à s'inspirer des classiques anglo-américains (The Lord of the Rings, etc.), c'est Kadel (1986) de Luc Ainsley. La couverture d'Yves Labonté n'est pas particulièrement attirante, mais elle reflète peut-être l'incertitude quant aux sujets à illustrer. Les personnages évoquent surtout les héros classiques du conte : un roi, un chevalier en armure, un beau jeune homme, une demoiselle blonde, un guerrier cuirassé... Il reste le conseiller félon, en bas à gauche, qui doit peut-être son aspect à l'empereur illégitime de Star Wars, à la même époque.
Kadel signalait l'arrivée d'une nouvelle génération. L'ouvrage avait remporté le prix Paul-Aimé Martin en 1985, à l'issue d'un concours pour jeunes auteurs commandité par les Éditions Fides et le Salon international du Livre de Québec, dans la catégorie Littérature de jeunesse. Luc Ainsley, né en 1965 et étudiant en lettres à l'Université du Québec à Chicoutimi, avait donc vingt ans ou moins lorsqu'il a rédigé ce roman. (Quelques années plus tard, je l'ai croisé à l'Université d'Ottawa, où il poursuivait ses études.) D'autres auteurs québécois l'ont suivi dans la voie de la fantasy, dont Philippe Gauthier, Joël Champetier, Yves Meynard, Laurent McAllister...