2020-11-04

 

Pernicieuse nostalgie

 En 1948, le Parti national réunifié de Daniel François Malan et ses alliées remportaient les élections en Afrique du Sud et entreprenaient d'ériger en système la suprématie de la communauté blanche aux dépens des autres communautés ethniques.  Ce nouveau régime, affublé du nom apparemment vendeur d'apartheid (« séparation » ou « séparatisme », mettons), allait durer plus de quarante ans.

Il convient de rappeler la courte victoire du Parti national et de ses alliés : 42% du vote contre 51% pour ses principaux adversaires.  Mais le système électoral alambiqué de l'époque allait transformer cette minorité des suffrages en une majorité des sièges (79 contre 71).

Ce matin, il est presque certain que le candidat républicain à la présidence des États-Unis, Donald J. Trump, obtiendra une minorité des voix exprimées.  Il pourrait néanmoins devenir le président des États-Unis au terme du décompte.  Les Républicains conservent leur majorité à la Cour suprême et probablement le contrôle du Sénat.

Les analyses à venir nous diront dans quelle mesure la corruption et les manipulations du système électoral auront acquis pour les Républicains une série de victoires qui, entre autres, compliquent la lutte contre les changements climatiques.  Mutatis mutandis, il demeure possible de rapprocher ces résultats de la victoire de Malan en 1948.

Il y a certes des différences : la pandémie a peut-être incité une partie des électeurs à soutenir le président sortant de la même façon qu'ailleurs, les partis au pouvoir ont été reconduits avec un appui accru.  Néanmoins, si on prend au sérieux ce vote massif pour Trump qui déjoue une partie des sondages, il faut sans doute conclure qu'une majorité de la population blanche tient mordicus au projet trumpiste.  Tant que certaines clientèles bénéficient de l'attention assourdissante et des subsides ciblés de Trump, elles ne s'objecteront pas aux valeurs prônées ou pratiquées par les Républicains : capitalisme sauvage (sauf pour les clientèles les plus choyées), suprémacisme blanc, conservatisme traditionnel (anti-choix, homophobe, transphobe), exclusion des femmes et des minorités, obscurantisme scientifique, exploitation de l'environnement...  La promesse de Trump à ses électeurs, c'est qu'il n'est pas nécessaire de changer.  De protéger l'environnement, d'accepter les talents de tous, de respecter la liberté des personnes différentes et de s'adapter, en général, à un monde qui change.  

Cet acharnement en faveur du statu quo ante rappelle d'autres restaurations d'un ordre traditionnel, de l'Europe post-napoléonienne à l'Afrique du Sud de Malan.  Plus la fierté d'antan était grande, plus il est difficile de la renier.  Depuis Reagan, la croyance à l'exceptionnalisme des États-Unis a été proclamée d'autant plus souvent que les raisons d'un patriotisme aveugle étaient battues en brèche.  Ce qui s'est effrité au fil des ans impliquait des solidarités réciproques : les classes moyennes et laborieuses acceptaient un certain libéralisme en échange de la garantie d'une certaine prospérité.  Tant qu'elles ne se sentaient pas lésées, elles toléraient les avancées d'autrui.  Ou plutôt, tant qu'elles conservaient leur position relative, elles acceptaient les progrès des autres.  Dans une société qui stagne ou qui régresse, on admet moins facilement d'être dépassé, par contre.  Très clairement, Trump promet à ceux qui se sentent négligés de leur rendre leur prospérité de jadis ou de s'assurer que les autres — dans les grandes villes, dans les hauts lieux de la diversité, dans les universités — n'avanceront pas plus vite qu'eux.

Si on ne peut pas avoir l'un, on peut avoir l'autre.  Si bien que la question de fond, c'est sans doute de savoir s'il est possible de rendre à ces classes moyennes et laborieuses (et blanches) ce confort matériel et croissant dont elles croient se souvenir.  La mondialisation de l'économie et les évolutions technologiques ne permettent pas de le faire à grande échelle.  Pas facilement.  Pas avec des guerres commerciales — mais les électeurs de Trump lui savent sans doute gré d'avoir essayé, malgré ses contempteurs néo-libéraux.  L'amélioration du niveau d'éducation et des infrastructures resterait une voie d'avenir pour ces communautés, mais qui ne porterait ses fruits qu'à moyen ou long terme.  Je suis donc amené à conclure que l'électorat de Trump n'est pas encore assez désespéré pour vouloir changer.  

En Afrique du Sud, l'apartheid a duré une quarantaine d'années.  L'Europe du Congrès de Vienne a duré une trentaine d'années.  Comme les choses évoluent plus vite au XXIe siècle, peut-être qu'il ne faudra qu'une vingtaine d'années pour venir à bout des blocages étatsuniens.

Mais dans quel état sera la planète en 2040 ?

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