2007-04-30

 

Le congrès dans la brume

Comme l'illustre bien Hugo M., le congrès Boréal s'est déroulé à Montréal sous les nuages qui enveloppaient de brume les tours du centre-ville. Pour le coordinateur et logisticien (et conférencier, et panéliste, et porte-parole...), c'est assez caractéristique de ce que je retiens du congrès. La combinaison d'un horaire chargé, du manque de sommeil et de mes autres tâches ne me laisse qu'un souvenir assez brumeux de la chose...

D'ailleurs, le congrès n'est pas terminé pour moi. Il reste encore des dépenses, des comptes à établir, des invités qui ne sont pas encore de retour chez eux...

Du point de vue de l'organisation pure, ce ne fut pas le mieux organisé des congrès Boréal. Heureusement, un budget conséquent permet de pallier bien des lacunes... Néanmoins, les commentaires semblent favorables et j'ai constaté avec satisfaction que la plus grande des salles du congrès était convenablement remplie pour les événements de prestige (allocution de Geoff Ryman, contes d'Éric Gauthier et remise des prix). Comme on peut le voir dans cette photo, qui correspond sans doute au rassemblement pour la démolition en règle de la sf par Ryman...

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2007-04-27

 

Noria

Je n'étais jamais allé aussi souvent à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau dans la même journée. S'il m'est déjà arrivé d'avoir du mal à trouver en voiure le chemin de l'aérogare, je peux espérer que l'itinéraire exact restera gravé dans ma mémoire pour un moment... Afin de véhiculer les invités et participants du congrès Boréal, nous avions loué une mini-fourgonnette qui a permis à notre vaillante équipe de trois personnes de faire quatre fois l'aller retour entre l'aéroport et le centre-ville. J'étais au volant pour toute la noria...
Mais j'avais aussi apporté des examens à corriger et mon nouvel appareil photo. J'ai donc profité d'une attente qui se prolongeait pour croquer la photo ci-dessus d'un édifice en construction près de la sortie de la 20 qui était la proie des flammes. L'incendie a été vite maîtrisé, mais les flammes ont laissé des traces de suie sur presque toute la hauteur de la
façade visible de la 20...

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2007-04-25

 

Le sonnet du technoserf

Le forçat du verbe ne se repose pas:
il sommeille entre les gouttes de lumière
répandues trop vite par mille lampadaires
égrenés tout le long de la voie du trépas

que nous empruntons tous, courant après l'appât
de la célébrité, pour faire le fier
avant de devenir la vedette d'hier
à qui par pitié on paiera un repas

Passager emporté sur la route de nuit,
le poète ne compte pas ses jours de vie:
c'est l'étincellement de la création

qui lui fait oublier les victoires du noir
et ses portes ouvertes sur l'extinction
comme l'après-midi fait oublier le soir

(Pour Jo, mais un peu en retard)

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2007-04-23

 

Avant l'aube

L'ancienneté de l'histoire de l'humanité dépend de la définition de cette dernière. C'est ce que rappelle Nicholas Wade dans son panorama de l'histoire humaine, un panorama qui pourrait être en quelque sorte l'ouvrage à lire avant Guns, Germs, and Steel de Jared Diamond... N'empêche que je ressens à l'arrivée une légère déception. La publicité de l'ouvrage promettait des révélations sur les apports de la génétique à la compréhension de l'histoire humaine. Toutefois, il y a bien peu d'éléments nouveaux pour qui lit, plus ou moins assidûment, les grandes revues de vulgarisation. Et je me rappelle certains articles de vulgarisation dans Pour la Science, par exemple, qui approfondissait drôlement mieux des sujets comme l'histoire des groupements humains en Europe depuis (et même avant) la dernière glaciation. (Je songe ici aux articles parus en 2002 sur les origines controversées des Basques, « Le vascon, première langue d'Europe » ou « L'épopée du génome basque » .) Un défaut de ces livres pour le grand public, c'est de ne pas avoir les moyens techniques de reproduire les cartes ou les diagrammes en couleurs sur papier glacé comme on les retrouve dans les revues à grande diffusion, de sorte que la richesse et le détail de ces documents ne sont qu'imparfaitement reproduits par les figures en noir et blanc sur le mauvais papier de tels livres. Néanmoins, à défaut d'apporter du nouveau (ou du très nouveau), Wade a le mérite de signer une synthèse extrêmement efficace — et annotée, pour ceux qui voudraient consulter les sources originales.

Wade complète Jared Diamond, dans la mesure où ce dernier se concentre sur l'histoire relativement récente de l'humanité alors que Wade remonte aux origines de notre lignée, lorsqu'elle se distingue de celles des gorilles et des chimpanzés. Mais Wade est aussi l'anti-Diamond, dans la mesure où il tend à privilégier des facteurs génétiques pour expliquer les grandes transitions, et surtout la différenciation socio-technique des différents rameaux de l'humanité.

En particulier, l'ouvrage attribue une composante génétique à l'agressivité humaine, en comparant les humains et les bonobos aux chimpanzés dont les rapports interpersonnels sont d’une grande férocité.

Plus nous sommes sociaux, plus nous pouvons former de grandes sociétés. Contre ces sociétés populeuses et prospères, les sociétés tribales sont impuissantes, surtout si elles pratiquent toujours une agriculture primitive, plus ou moins de subsistance, voire la chasse et la cueillette. Malgré l'agressivité de leurs hommes, ce qui se traduit par des traditions dites « guerrières », ces sociétés tribales n'ont jamais réussi à combattre les grandes sociétés organisées (les nations) sur leur propre terrain. Tout au plus sont-elles en mesure de résister sur le terrain qui leur est propre, surtout si elles peuvent acquérir les moyens techniques de le faire. (L'Afghanistan n'est pas un contre-exemple. Malgré toute la pugnacité des tribus afghanes, ce sont des nations étrangères qui forcent les Afghans à lutter sur leurs propres territoires, et non le contraire. Que les Britanniques, les Soviétiques ou les Américains soient venus de si loin pour combattre en Afghanistan, c'est la preuve la plus évidente de leur supériorité matérielle et technique. Il a fallu des circonstances exceptionnelles pour que les attentats du 11 septembre soient guidés depuis l'Afghanistan, et ce n'était pas par des représentants des sociétés tribales du pays.)

Mais si les humains ont dû apprendre à vivre en groupe sans se massacrer les uns et les autres, les distinctions plus récentes entre les groupements humains sont-elles attribuables pour autant à des bagages génétiques différents? Wade suggère entre les lignes qu’il pourrait y avoir un gène de la coopération, voire de la tolérance ou de la docilité, qui ferait la différence entre les grandes civilisations de l’Antiquité et la sauvagerie xénophobes des sociétés tribales qui se retrouvent dans des coins perdus du monde d’hier à aujourd’hui, dont l'Afghanistan.

A priori, il s’agit surtout d’une extrapolation qui s’appuie sur l’apparition, il y a quelques millénaires à peine, de gènes (ou d’allèles) susceptibles de favoriser l’intelligence. Du coup, on frise l’explication de l’Histoire par la génétique et la réification des différences ethnoculturelles. Ce retour par la petite porte des thèses qui ont inspiré l'eugénisme a quelque chose d'inquiétant. L'explication génétique, qui invoque une sorte de boîte noire magique, ne devrait être adoptée qu'en dernier recours, quand toutes les autres ont été écartées.

En définitive, le principal atout de ce livre, c'est non pas d'offrir une thèse maîtresse ou un grand récit, mais plutôt une anthologie synthétique à peine déguisée des meilleurs articles sur le même sujet.

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2007-04-22

 

Armes imaginaires

Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’aussi jouissif que l’histoire du culte du hafnium, racontée par Sharon Weinberger dans Imaginary Weapons. De quoi s’agit-il? Sur la foi d’éléments scientifiques fondamentaux (la teneur énergétique de l’isomère nucléaire du hafnium-178, un état nucléaire excité métastable qui en fait un matériau extrêmement radioactif) et d’expériences marginales menées par un prof de physique du Texas, les agences du gouvernement des États-Unis ont investi des millions de dollars dans l’espoir d’obtenir une super-bombe. La désintégration du hafnium-178 métastable, si elle pouvait être provoquée à volonté, libérerait une telle quantité d’énergie qu’elle pourrait alimenter un laser opérant dans la plage des fréquences gamma ou qu’elle aurait tout simplement l’effet d’une bombe. Deux ou trois kilos aurait la même puissance que deux mille tonnes de TNT...

Le personnage de Carl Collins, prof de physique à l’Université du Texas à Dallas, est celui par qui le scandale arrive, car il soutient avoir provoqué la désintégration du hafnium en le bombardant avec des rayons X (produits par une ancienne machine de dentiste). Du coup, comme Weinberger l’écrit, une série d’organismes officiels (dont DARPA, la USAF, le Pentagone, etc.) s’intéressent aux possibilités du hafnium, soit dans l’espoir d’en faire une arme, en particulier dans le cadre des guerres en Afghanistan et en Irak, soit par peur que d’autres en fassent une arme.

Pourtant, du point de vue de la physique, le résultat obtenu par Collins était inexplicable. De plus, pas une des tentatives de reproduire ce résultat dans des laboratoires parfois mieux équipés n’a réussi, sauf si elles étaient conduites par de proches collaborateurs de Collins. Et les publications accréditant ce résultat sortent essentiellement dans des pays et des revues loin des États-Unis. De l’avis de la plupart des scientifiques, la crédibilité de l’expérience est donc nulle.
Pourtant, comme Weinberger le décrit dans le détail, les objections des scientifiques n’empêchent pas les décideurs d’adhérer au culte de Collins. Une véritable question se pose donc. Il est sans doute justifié pour certaines agences comme DARPA de subventionner des projets risqués, dont les fondements restent à établir mais qui pourraient accoucher de résultats surprenants. Qu’en est-il toutefois des projets qui contredisent carrément le consensus scientifique?

Malheureusement, ce n’est pas toujours facile d’identifier les équivalents modernes du mouvement perpétuel. Le langage de la physique de haut vol est souvent abscons et les théories de pointe traitent de phénomènes abstraits, dont le profane n’aura aucune appréhension intuitive.

Non sans l’exagérer peut-être à dessein, Weinberger fait preuve d’une ignorance abyssale de la physique. Ceci a pu désarmer certains de ses interlocuteurs, en particulier les sectateurs du hafnium qui se sont livrés ou qui lui ont ouvert les portes de leurs laboratoires, non sans une certaine candeur...

Le fait qu’elle soit une femme a sans doute joué aussi; la plupart de ses interlocuteurs sont des hommes. Or, depuis au moins l’explication de l’astronomie à une jolie marquise par Fontenelle, les physiciens ont rarement refusé de parler à une belle ignorante, surtout s’il s’agit d’expliquer ce qu’ils font.

Le texte n’est pas exempt de défauts. Il y a des coquilles, des répétitions et des explications scientifiques qui n’en sont pas. Sharon Weinberger n’essaie pas de faire de la vulgarisation scientifique; elle s’en tient à son rôle de témoin et de journaliste. Elle ne tente pas de faire rentrer l’ensemble dans un cadre théorique comme le ferait une sociologue des sciences et l’intention politique n’apparaît que dans l’épilogue, qui dresse un parallèle explicite entre le rejet par l’administration Bush du savoir des experts (dans le cas des armes de destruction massive, par exemple) et l’adhésion des officiels à une idée essentiellement rejetée par les meilleurs physiciens du pays.

Weinberger finit par se rendre compte que son sujet s'est transformé sous ses yeux. En fin de compte, il n'est plus seulement question d'une arme imaginaire dont un physicien enthousiaste a fait l'appât qui lui ouvre les coffres de l'État aux dépens d'administrateurs crédules. Le débat repose en dernière analyse sur une controverse scientifique, presque à l'état pur. Ni Thomas Kuhn ni Karl Popper ne sont invoqués, même si les défenseurs de Collins s'appuient implicitement sur l'incommensurabilité des paradigmes scientifiques qui se succèdent dans le temps tandis que les critiques de Collins s'en prennent à l'impossibilité de réfuter des affirmations qui ne cessent de changer. En revanche, les critiques de Collins ressortent un aphorisme qui a déjà servi : « Extraordinary claims demand extraordinary proof » (p. 71). Et Weinburger n'omet pas de présenter le concept de science pathologique d'Irving Langmuir.

Les scientifiques ont leur propre épistémologie. Sous une forme ramassée, trois critiques de Collins la résument ainsi, selon Weinberger : « Neither we nor anyone else can predict in advance how nature will judge our efforts [...] Instead, we must rely on the usual trusted (but imperfect) criteria employed by the scientific community to judge emerging results: peer review and reproducibility across diverse research groups. Both of these are inherently retrospective, rather than prospective, activities. » (p. 225) Les sociologues des sciences reprochent souvent aux scientifiques leur scientisme, mais ils négligent tout aussi souvent de rappeler que les scientifiques professionnels sont parfaitement conscients de se reposer sur la méthode scientifique *faute de mieux*. Le cas de la secte du hafnium rappelle à quel point cette exigence imparfaite est contraignante.

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2007-04-21

 

Un pari sur le futur

J'ai voté. Au vu des ultimes sondages, je ne m'attends pas à voir mon choix confirmé par beaucoup de Français, mais je dormirai avec la conscience tranquille. Le vote utile ou stratégique a ses limites; il équivaut à rejeter au lieu de choisir un avenir. Ou la possibilité de faire bouger les choses.

En tout cas, le vote avancé d'un jour dans notre hémisphère a eu l'effet voulu. Selon les médias, le taux de participation est en hausse. C'est ce qu'on peut constater aussi sur cette photo de la file qui s'allongeait sur le trottoir à l'extérieur du collège Stanislas d'Outremont en fin d'après-midi.

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2007-04-20

 

L'heure des choix, avant l'heure

Demain, on vote. Comme Français de l'étranger habitant au Canada, il me reste encore moins de temps qu'aux autres pour faire un choix. Le vote a été avancé au samedi pour éviter la situation de la dernière élection présidentielle, quand les Français du Canada avaient pu voter au premier tour après avoir appris que Le Pen supplantait Jospin pour le second tour.

J'ai reçu une liasse de prospectus des candidats à la présidentielle; j'en ai gardé quatre pour les lire avant le vote (en faisant la queue?). L'indécision se comprend facilement. Les trois candidats qui cavalent en tête peuvent faire rêver ou cauchemarder, ou simplement nous éviter de penser.

En principe, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal sont des candidats de la rupture. Toutefois, du point de vue socio-économique, la rupture promise par Sarkozy relève du durcissement dans le sens des tendances traditionnelles de la vie française, avec une exception possible du côté de son ouverture à la discrimination positive et à l'immigration. Mais son programme économique semble bien timide si on le compare aux intentions avouées des partis du Québec, au centre ou à droite. Bref, il propose la rénovation de la France par le paternalisme autoritaire : est-ce bien ce dont la France a besoin?

De par son sexe, Ségolène Royal incarne aussi la rupture, mais, dans son cas, on se demande si son parti la suivra sur la voie qu'elle propose. Son programme comporte de nombreux volets louables, mais il entérine aussi dans une bonne mesure le statu quo économique et réglementaire. Si Sarkozy s'est remis à pêcher à sa droite, Royal drague les eaux sur sa gauche. En essayant d'occuper un spectre aussi large, de la restauration de l'autorité au protectionnisme de gauche, elle a donc fait assez de dépités pour créer une troisième candidature entre elle et Sarkozy...

François Bayrou aussi propose une rupture, celle d'un gouvernement centriste qui mettrait fin au clivage droite-gauche. Alors qu'on se demande si le Parti socialiste suivra Royal, la question qui se pose dans le cas de Bayrou, c'est s'il aura un parti pour l'appuyer. Lui voit son rôle présidentiel autrement, et il n'a peut-être pas tort. Les cohabitations passées ont démontré qu'il est possible pour un président français de peser sur la vie politique même sans un relais en chambre. N'empêche qu'on se dit qu'il tire une partie de son soutien des électeurs qui refusent de faire l'effort de réflexion requis pour trancher entre Royal et Sarkozy.

Et puis, il y a les petits candidats, admirables de conviction et d'idéalisme. Alors, vote utile ou vote de conviction? Vote contre quelqu'un ou vote pour quelqu'un? Vote de rejet ou vote d'adhésion?

Si seulement on savait qui porte vraiment les couleurs de l'espérance pour la France...

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2007-04-19

 

Le gouvernement et l'édition

Au fédéral, le Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition (PADIÉ) vient de publier son Portrait du livre 2005-2006. Dans la catégorie de l'Aide aux éditeurs, la répartition régionale des fonds ressemble à ceci, sous forme graphique.
La courbe en rouge donne les montants en millions de dollars pour l'aide versée dans chaque région du pays. Les barres verticales donnent soit la part (en pourcentage) de l'aide totale du programme soit la part (en pourcentage) de la population du pays. On observera sans peine que toutes les régions du pays reçoivent une part des aides plus petite que leur part de la population, sauf pour le Québec. La disproportion est particulièrement frappante dans le cas des provinces de l'Atlantique, qui obtiennent beaucoup moins que la moitié de ce qui serait leur part démographique. Quant au Québec, on observe sans peine qu'au nom de la répartition égalitaire des fonds entre les éditeurs anglophones (122) et francophones (100) du Canada, il reçoit beaucoup plus que sa part démographique.

Sinon, pour ceux que cela intéresse, les Éditions Alire ont reçu 106 641$ et 7 500$ du programme d'Aide aux éditeurs et du Projet de la chaîne d'approvisionnement (PCA) respectivement en 2005-2006. Les Intouchables ont touché 173 474$ et 10 000$ respectivement, tandis que les Éditions de Mortagne empochaient 163 497$ et 10 000 $. Par contre, Edge Publications, du côté anglophone, n'apparaît pas dans la liste. Pour les autres chiffres, dans les autres catégories de subventions, voir le rapport...

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2007-04-18

 

Contagion mémétique et sécurité

La contagion mémétique dont je parlais est sans doute en marche, même si on ne sait pas qui seront les prochaines victimes. Cela semble d'autant plus certain que les documents préparés par Cho Seung-Hui et transmis par lui aux médias (par l'entremise de NBC) invoquent nommément les tueurs de Columbine et incluent des photos qui rappellent certaines des poses prises par le tueur du collège Dawson sur son site. Un article sur le site de la BBC a tout de suite repéré les ressemblances. Ces ressemblances pourraient être voulues : les photos montrent Cho avec un véritable arsenal, incluant un couteau, un marteau et des fusils, ces derniers ne lui appartenant pas si on peut se fier aux reportages. Ce qui suggère que ces photos ont été mises en scène avec un certain soin et une certaine préméditation, et sans doute pas le matin même du massacre. Par conséquent, il est tentant de croire que le tueur de Blacksburg avait bel et bien vu les photos du tueur de Dawson.

Il y aura donc une prochaine fois. Le battage médiatique autour de l'affaire ne fait qu'en augmenter les chances. Que doit-on faire alors? Les universités canadiennes affirment haut et fort qu'elles ont à cœur la sécurité de leurs étudiants, mais ni à l'Université d'Ottawa ni à l'UQÀM n'ai-je été témoin de la moindre tentative de préparer les profs à une telle éventualité, comme je le signalais déjà en septembre dernier. Pendant ce temps, les grandes gueules de la télévision parlent d'armer les profs, à défaut d'armer les élèves. Je ne dirais pas non; cela pourrait redonner de l'autorité aux profs — mais si je me fais confiance pour bien utiliser une arme, est-ce que je fais confiance aux autres profs?

Trêve de plaisanterie : on ne va pas armer des milliers de profs, trois ou quatre jours par semaine, trente semaines par an, pendant des années, en attendant le prochain incident, qui peut survenir aussi bien à Vancouver qu'à Halifax avant que le Québec soit de nouveau concerné... Mais on peut sans doute améliorer les communications, voire la surveillance : si tous les profs avaient accès à internet dans leurs salles de classe, ils pourraient recevoir instantanément des avis par l'intranet universitaire. Et on peut imaginer qu'ils finiraient par avoir accès aux images des caméras internes de l'université en cas d'urgence. À l'UQÀM, les portes de certaines salles de cours (toutes?) se ferment de l'intérieur, ce qui est intelligent. Mais comme ce sont des portes parfois en partie vitrées, ce ne serait pas si difficile pour un assaillant déterminé d'entrer...

Les universités : champs de bataille du futur, ou bunkers?

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2007-04-17

 

L'université, champ de bataille

L'année universitaire se termine comme elle a commencé, dans le sang et la tristesse. (Le bilan rappelle celui d'une journée ordinaire à Bagdad — pour les Irakiens.) Aux dernières nouvelles, le décompte atroce est de trente-deux morts et une trentaine de blessés, sans compter le tueur. Mais le cercle des victimes s'élargit facilement quand on songe aux amis, aux parents et même aux simples témoins qui resteront marqués. (Parmi eux, il y a un auteur de science-fiction, Michael Bishop, dont le fils était un professeur d'allemand qui a péri en même temps que de nombreux étudiants de sa classe.)

Si les événements du cégep Dawson s'étaient passés dans un quartier que je connais, la tuerie de Virginia Tech s'est déroulée dans une université que j'ai visitée. D'où cette curieuse impression que la violence universitaire me poursuit, encadrant l'année régulière du début à la fin... Tout en supervisant les examens de fin de session de mes étudiants à Montréal et à Ottawa aujourd'hui, je songeais un peu aussi à la contagion mémétique qui accompagne souvent ces tueries et je révisais les mesures à prendre au cas où (même si ce cas demeure statistiquement improbable). Mais je me rappelais aussi le passé...

J'ai visité le campus de Virginia Tech à Blacksburg en 2002 à l'occasion d'un congrès (Mephistos) par et pour les étudiants en histoire des sciences et des techniques (et de la médecine). Une bonne journée de voiture en partant de Montréal... J'avais été frappé par la beauté du campus dans les montagnes de la Virginie, le confort des installations, le luxe des salles de classe et... la vétusté de la ville. Beaucoup de maisons modestes, de petits commerces sans prétention, de rues sans trottoir. On se sentait à la campagne dès qu'on s'éloignait de la rue principale ou du campus. Et, pourtant, malgré toutes les ressources de cette université, elle n'a pas échappé non plus au déchaînement de haine ou de rage ou de folie d'un étudiant, dont on ne saisit pas encore les motivations.

Il s'appelait Cho Seung Hui, né en Corée du Sud, mais arrivé aux États-Unis dans l'enfance. Cela peut rappeler Kimveer Gill, né au Canada deux ans après l'arrivée de ses parents, ou Marc Lépine, non seulement fils d'un immigrant algérien, mais presque immigrant lui-même dans la mesure où il aurait passé une partie de son enfance au Costa Rica et au Porto Rico. Cho Seung Hui étudiait en littérature anglaise et il a signé pour un cours deux pièces en un acte qui ont inquiété à juste titre ses professeurs. Malgré ce que disent certains reportages, c'est moins la mise en scène de la violence qui bouleverse que l'irruption de motifs scatologiques, les références à la sodomie et les accusations de pédophilie. Échos de traumatismes réels ou transpositions choquantes d'une souffrance et d'une aliénation incapables de dire leur nom?

Se sentait-il particulièrement isolé dans cette petite ville à l'écart des grands axes, relativement loin des siens et sans grand espoir de trouver des personnes avec qui sympathiser? Il y avait des étudiants coréens à Virginia Tech, mais Cho se sentait-il trop américain parmi les étudiants venus de Corée, et trop coréen parmi les étudiants du lieu? Même s'il semble évident désormais qu'il avait d'autres raisons d'en vouloir au monde entier, on se dit qu'un tel isolement n'a pas dû aider.

Le moment est peut-être venu de réhabiliter Jan Wong et sa thèse... Cho Seung Hui n'est pas le premier étudiant d'origine asiatique à s'ajouter au nombre des tueurs dans de tels cas. Avant lui, il y avait eu Gang Lu en 1991, un étudiant chinois en physique. Et si on se met à faire le tour des biographies des tueurs connus, plusieurs avaient des raisons de se sentir isolés ou étrangers. Tout comme Marc Lépine, Eric David Harris (Columbine) et Charles Andrew Williams avaient connu une enfance errante, voire déracinée... Tout jeune, Kip Kinkel avait séjourné en Espagne. Et Jeff Weise appartenait à la Première Nation chippewa. L'aliénation qui, pour certains auteurs à la trajectoire similaire, trouve à s'exprimer dans la science-fiction devient carrément meurtrière dans d'autres circonstances.

Que ce soit parce que les meurtriers ne se sentent pas seulement étrangers, mais isolés, marginalisés et persécutés, que ce soit parce qu'une certaine culture populaire continue à faire de la violence assassine un modèle de défouloir, que ce soit parce qu'une défaillance neurologique fait perdre toute perspective au tueur, le point commun dans plusieurs cas demeure cette combinaison toxique du sentiment de rejet et du ressentiment. Et si Montréal continue à figurer en si bonne place dans les listes de tels incidents, ne serait-ce pas parce qu'une certaine culture québécoise entretient à plaisir ces deux valeurs, rejetant l'Autre (au risque de se rendre ridicule) et se complaisant souvent dans l'humiliation? À tout le moins, la victoire des valeurs de Zéroville ne risquerait pas de changer la situation...

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2007-04-16

 

Les partis québécois

Après l'élection provinciale, on a pu entendre çà et là que le PLQ représentait les riches, l'ADQ la classe moyenne et le PQ les pauvres. Mais est-ce bien vrai? La vérité est un peu plus complexe, comme le suggère le diagramme ci-dessous.

On y trouve, en bleu, orange et rouge, les circonscriptions remportées respectivement par le PQ, l'ADQ et le PLQ, avec le revenu moyen dans chacune en l'an 2000, selon le recensement en 2001. La moyenne des revenus moyens dans chaque circonscription donne 28 448$ pour la délégation libérale, 26 139$ pour la délégation adéquiste et 25 490$ pour la délégation péquiste.

Il y a donc une réalité socio-économique du vote qu'on ne peut nier, car il est certes vrai que les circonscriptions les plus aisées votent pour les Libéraux, mais ceux-ci ont aussi remporté certaines des moins aisées. En fait, on pourrait résumer la répartition des sièges par trois énoncés :

— Les riches ne votent pas pour le PQ

— Les pauvres ne votent pas pour l'ADQ

— La classe moyenne ne vote pas pour les Libéraux

Effectivement, dans le cas des Libéraux, il y a une distribution à deux lobes, et une absence relative de circonscriptions se situant dans la moyenne des revenus en 2000 (27 125$). Par contre, on ne découvre pas dans ce diagramme la distribution en escalier qui justifierait les raccourcis simplificateurs qu'on a pu entendre.

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2007-04-15

 

Sous les ponts de Québec

Déjà la fin du Salon du livre de Québec... Même si j'ai eu l'occasion de rencontrer hier les copains, dont Sabine V., Esther, Pat et quelques autres, le séjour aura été bref. Un passage rapide au Salon du livre en matinée ne me permet pas de rencontrer de lecteurs. Mais comme le personnel de Prologue a eu l'obligeance de m'asseoir face au poste d'Anne Robillard, que l'on voit ici entourée de ses fans et presque écrasée par l'affiche à son effigie, j'ai l'occasion de méditer sur les fruits d'une campagne publicitaire bien menée. Tout comme mon voisinage avec Martin Bois et Sébastien Lévesque, les auteurs d'Eloik, combattant des cauchemars. Ceux-ci ne lésinent décidément pas sur les moyens pour retenir l'attention des passants : présentoir aux couleurs de la série, jouets et signets, écran relié à un ordinateur portable... Cette nouvelle série de fantasy compte maintenant deux tomes chez Vents d'Ouest.

Mais Bouquinville ne me retient jamais très longtemps quand il y a une ville auss intéressante que Québec à explorer. Les contrastes de cette capitale apparaissent à tous les coins de rue. Tiens, une Smart garée devant les remparts... On se croirait effectivement en Europe. À Montréal, le modèle à quatre places est au moins aussi courant que le modèle à deux places. En tout cas, si cette version de la Smart se rend utile à Québec, capitale hivernale et pentue, elle devrait pouvoir s'utiliser n'importe où en Amérique du Nord... Pour un historien des techniques, toutefois, l'arrière-plan compte autant que la voiture à l'avant-plan. L'intérêt de Québec, c'est d'être une ville en partie façonnée par des ingénieurs. Les défis politiques et géographiques de la ville en font même un site exceptionnel de ce point de vue. Très tôt, il a fallu fortifier la ville et les remparts de Québec sont un des plus anciens témoignages d'une activité d'ingénieur professionnel au Canada.

Il y a aussi les ponts, encore que leur histoire soit plutôt mouvementée à Québec. L'an dernier, j'étais allé examiner de plus près le vieux pont de Québec. Comme performance technique, il se mériterait déjà une place dans les annales : lors de son inauguration, il était le plus long pont cantilever au monde. Mais il faut s'intéresser aussi aux accidents successifs qui ont interrompu sa réalisation. Non seulement ont-ils fait près d'une centaine de morts au total, mais ils ont changé les façons de faire des Mohawks de Kahnawake suite à la mort de dizaines d'ouvriers de cette localité dans le premier effondrement — plus jamais ne verrait-on autant de Mohawaks sur un seul chantier. Et le premier effondrement est resté symbolique pour les ingénieurs civils. La légende a longtemps couru que les joncs de fer des ingénieurs canadiens étaient fabriqués avec les restes de l'acier du pont, en tant que rappel de la responsabilité professionnelle (et humaine) des ingénieurs. (En fer à ses débuts et en acier inoxydable aujourd'hui, les joncs n'ont jamais été fabriqués en acier de structure. Et les premiers joncs ont été remis en 1930, des années après les deux accidents.) Car si le second effondrement du pont est imputable à une erreur humaine, le premier effondrement est bel et bien le résultat d'un vice de conception, voire d'un excès d'ambition.

Ironiquement, c'est aussi le cas d'un autre monument du génie civil à Québec. Deux bretelles de l'autoroute Dufferin-Montmorency, qui avait dévasté l'ancien quartier chinois de Québec, mènent droit dans un mur bariolé de graffiti. Derrière ces murs, il y a l'amorce d'un tunnel, longue de cent mètres au moins, comme l'explique ce reportage de Radio-Canada, vidéo à l'appui. À Québec, on voit grand : il s'agissait de passer sous tout le cap Diamant. Mais on n'a pas toujours les moyens de ses ambitions; l'entreprise dut être interrompue faute de sous et l'espace souterrain a été condamné. (C'est après l'élection du PQ en 1976 que le projet a été abandonné, tout comme d'autres projets autoroutiers ailleurs dans la province. Les habitants de l'Outaouais connaissent bien les cas des autoroutes 5 et 50, longtemps demeurées en plan...) Comme la démolition est commencée, j'ai profité de mon séjour à Québec pour prendre quelques photos historiques de ces bretelles vouées à disparaître.

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2007-04-14

 

Archéologie urbaine

Descendu à Québec pour le Salon du livre, comme presque chaque année, j'en profite toujours pour faire un peu de tourisme. (J'ai failli y croiser Hugues, tiens.) Comme on le voit dans la photo ci-contre, tout se rencontre sur une superficie parfois étonnamment restreinte : remparts des époques coloniales, gare néo-gothique du quartier Saint-Roch (dite gare du Palais, pour rappeler l'ancien palais de l'Intendant du régime français qui se trouvait à proximité), immeubles modernes bourrés de bureaux, établissements industriels... Même s'il s'agit de la capitale de la province et d'une ville où on travaille fort — à faire travailler les autres, c'est avant tout pour moi une destination associée aux vacances et aux souvenirs. Autrefois, nous y venions en famille pour visiter une parente de mon père qui appartenait à l'ordre des Ursulines et qui avait sa chambre au couvent des Ursulines dans le Vieux-Québec. Si, pour moi, un parloir évoque quelque chose de bien précis quand je lis des ouvrages historiques, c'est bien parce que chaque visite débutait par l'attente dans ce parloir vénérable aux parquets cirés et aux lambris ornés de toiles anciennes.

Aujourd'hui encore, j'aime fréquenter le Vieux-Québec. À tous les coins de rue, il y a des souvenirs de l'ancien temps. Pas meilleur certes, mais étranger, et pourtant fondateur de ce que nous sommes. Si nous aimons tant le passé, parfois, je ne crois pas que ce soit nécessairement par nostalgie. Personne de sensé ne va croire que la vie était plus facile ou confortable au temps des cheminées, des sangsues et des portages. En revanche, les vestiges du passé prouvent que nous ne vivons pas en vain, qu'il est possible de construire pour l'avenir et pour nos descendants, même si ceux-ci ne partageront pas toujours les valeurs de leurs ancêtres. Si on s'arrête pour contempler cette chapelle utilisée depuis le début du XIXe siècle par une congrégation fondée au XVIIe siècle par les Jésuites, on peut se dire sans doute qu'elle témoigne d'une foi quasiment disparue, malgré le retour en force de certaines valeurs traditionnelles, ou du moins d'une foi profondément altérée pour ne plus ressortir que du domaine privé ou familial.

Mais sa conservation, tout comme celle de l'ensemble de l'arrondissement historique, est aussi une marque de reconnaissance des efforts de nos prédécesseurs. Reconnaissance dans le sens de gratitude, mais reconnaissance aussi dans le sens de commémoration. On peut même en voir une preuve dans les tentatives de conservation les plus mal engagées. Depuis des années, par exemple, l'ancienne église Saint-Vincent-de-Paul est en cours de reconversion, comme plusieurs autres églises désaffectées de la province. Il subsiste de celle-ci, qui dominait le quartier Saint-Roch, une façade conservée pour la forme, et consolidée avec des poutres de soutènement visibles dans cette photo. Mais le projet de construction n'aboutit pas, ou plutôt n'a pas encore fini de commencer... C'est ce qui permet toutefois au visiteur de faire un peu d'archéologie urbaine et de découvrir à quoi ressemblait la structure d'origine, la structure cachée par les aménagements extérieurs avant la démolition de tout le reste. La façade de pierre, avec ses petits airs de château médiéval, cache bien son jeu, car la photo de l'envers révèle une superposition de matériaux de construction et de techniques, de l'arche romaine du sous-sol aux cloisons de briques en passant par les charpentes des planchers ou des cadres de porte. Si on pousse encore plus loin l'allégorie, on y verra un symbole de ce passé qui a fière allure vu de loin ou de l'extérieur, mais dont l'édifice a été une succession de luttes et de misères...

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2007-04-13

 

Le climat de mars

Avez-vous eu l'impression que le mois de mars était extraordinairement froid?

Il me semble avoir entendu plus d'une personne pester au sujet des températures du mois de mars, comme si elles étaient exceptionnellement rigoureuses. Pourtant, les données infirment cette impression, du moins pour Montréal. Cette fois, en adoptant un critère moins original que pour janvier, j'ai obtenu de la base de données en-ligne d'Environnement Canada les températures moyennes pour le mois de mars au fil des ans, tout comme je l'avais fait en février. J'ai illustré le résultat un peu différemment, cependant. En ajoutant une droite pour illustrer la tendance, je constate tout de suite qu'il existe une tendance au réchauffement qui est de l'ordre d'un degré en quarante ans. Plus curieusement, on peut aussi remarquer que les fluctuations sont moins grandes depuis quelques années, mais ce n'est peut-être qu'un phénomène passager.

Évidemment, pour savoir si l'impression des gens qui se plaignaient des froids de mars était exacte, il faudrait comparer les moyennes diurnes et nocturnes. En principe, l'effet de serre augmente les températures nocturnes plus que les températures diurnes. Par conséquent, il serait possible que les gens qui ne sortent pas la nuit aient eu l'impression que le mois était plus froid qu'il ne l'a été...

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2007-04-12

 

Richesse et société

Il y a une nouvelle expression qui fait fureur depuis quelques temps : « en silo » ou « en silos ». Elle désigne le travail ou la gestion qui se fait dans l'isolement plus ou moins complet de ce que font les autres. En ce qui me concerne, cela décrit à merveille le travail des journalistes qui sont censés nous éclairer.

Prenons quelques nouvelles apparemment isolées.

● En Ontario, le gouvernement se propose de renforcer la loi contre les adeptes des courses de rue (street racing) en augmentant les amendes jusqu'à 10 000 $ et en retirant immédiatement les permis des conducteurs en cause, parce que les simples amendes existantes ne suffisent pas à décourager les fous de la vitesse; l'idée avait été mise de l'avant il y a plusieurs mois, d'ailleurs; les courses illégales de voitures ne sont pas encore un motif d'inquiétude au Québec, mais, dans le reste du Canada, elles ont une bonne place dans l'ordre du jour du gouvernement Harper qui s'enorgueillissait en décembre dernier d'avoir sévi contre elles

● En Finlande, cela fait longtemps que les amendes pour certaines infractions au code de la route (excès de vitesse) sont proportionnelles aux revenus des fautifs, ce qui avait valu à un jeune millionnaire de payer une amende de 71 400 $ il y a quelques années...

● Aux États-Unis, les économistes Thomas Piketty et Emmanuel Saez viennent de diffuser un tableur (.XLS) — révisé pour inclure 2005 — qui offre leurs données sur le revenu monétaire des individus aux États-Unis avant les taxes et transferts; leur étude de la part des revenus qui va, de 1913 à 2005, aux individus dans la fourchette du 10% des revenus les plus élevés, du 1%, du 0,5%, du 0,1% et du 0,01% montre assez clairement que ceux-ci accaparent maintenant les fruits de la croissance économique d'une manière qui rappelle la situation entre 1920 et 1940; en guise d'illustration, le diagramme suivant illustre l'évolution de la part des revenus qu'obtiennent les individus dans la fourchette du 10% des revenus les plus élevés.
Un reproche fait à l'administration Bush actuelle en matière de politique fiscale, c'est bien que les États-Unis ont jeté les bases durant la Seconde Guerre mondiale d'une redistribution radicale des revenus entre les riches et les autres, au nom de la solidarité en temps de guerre, mais que depuis le 11 septembre, c'est tout le contraire. Et comme je l'ai déjà indiqué, les choses ne semblent pas si différentes au Québec: les riches s'enrichissent plus vite que les autres.

Conclusion? Si nos sociétés commencent à souffrir de la création d'une classe de nantis qui peuvent se moquer des lois quand ils paient les mêmes amendes que tout le monde... à même un compte en banque gonflé, il faudrait peut-être envisager le paiement de certaines amendes ou frais proportionnels aux revenus... ou s'interroger sur la fiscalité des plus riches.

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2007-04-11

 

Prix Jeunesse au Salon de Québec

Si j'interprète correctement la réaction de Sylvain Hotte sur son site, ce serait donc lui le lauréat du Prix Jeunesse 2007 de science-fiction et de fantastique québécois. Comme le site du prix ne livre toujours pas ses secrets et comme le site du Salon n'annonce rien de neuf non plus pour l'instant, c'est encore ce qu'il y a de plus fiable comme source. Cela ferait donc du premier volume de la série Darhan l'ouvrage retenu par deux cents jeunes lecteurs environ, et donc le second ouvrage des Intouchables primé par le Prix Jeunesse. De quoi consoler Michel Brûlé après la débâcle du vrai-faux roman de Marie-Pier Côté... Quant au roman de Sylvain Hotte, il vaut effectivement le détour. La reconstitution de la vie au temps de Genghis Khan est convaincante et elle est aussi courageuse, je trouve, dans un Québec qui rêve parfois des valeurs de Zéroville... Dans une critique ailleurs, j'ai parlé d'une aventure musclée pour les garçons et on peut se demander si les deux autres livres en lice, Le maître des bourrasques de Laurent McAllister et Samuel de la chasse-galerie de Michel J. Lévesque se sont partagés les suffrages féminins tandis que La fée du lac Baïkal réunissait ceux des garçons. Ceux qui étaient présents au Salon seront peut-être en mesure de nous le dire. En tout cas, j'en profite pour rappeler que tous ces auteurs seront sur place au congrès Boréal et qu'il est plus que temps de s'inscrire si vous désirez venir...

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2007-04-10

 

Le nouveau roman de Robert Gagnon

La session universitaire s'achève tranquillement (ou frénétiquement, c'est selon), tandis que la saison littéraire bat son plein. Le Salon international du livre de Québec ouvre ses portes demain, mais Montréal aussi avait sa part d'activités littéraires aujourd'hui grâce au lancement du nouveau roman de Robert Gagnon, La Mère morte, chez Boréal. Comme de juste, le lancement avait lieu à deux pas de mon bureau au CIRST, dans le foyer du Studio-théâtre Alfred-Laliberté de l'UQÀM. (Le congrès Boréal 1987 avait eu lieu dans les mêmes locaux.) Robert Gagnon avait remporté le Prix Robert-Cliche en 1994 pour un roman historique qui tenait aussi du polar, La Thèse. Il y était question du milieu universitaire des années trente et surtout du Frère Marie-Victorin. Comme il y a relativement peu de romans qui traitent de manière réaliste le milieu des scientifiques, ingénieurs ou techniciens, il convient de le souligner. (Le roman s'en tenait au milieu entourant le Frère Marie-Victorin, toutefois; il reste de nombreuses possibilités de récits sur les ingénieurs ou techniciens du Canada francophone...) Le nouveau roman de Robert Gagnon porte plutôt sur le milieu universitaire d'une université imaginaire de Montréal, l'Université Loyola, nom que j'avais suggéré à l'auteur, il me semble, pour décourager les lecteurs d'y voir un roman à clé... C'est qu'en effet, j'ai lu une version initiale du manuscrit et que j'ai eu l'occasion d'en discuter avec l'auteur il y a plusieurs années, alors que je rédigeais ma thèse de doctorat sous sa direction. Le lancement était donc l'aboutissement d'un long processus et il fut aussi l'occasion de retrouver plusieurs anciens étudiants et étudiantes associés au CIRST, et de faire le point. C'est une étape dans la vie de notre petit milieu : on mesure un peu mieux le chemin parcouru et on se fixe de nouveaux buts, en attendant de nouveaux rendez-vous.

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2007-04-08

 

La quémandeuse à la croisée










Les rues de la ville estivale sont hantées
Le soleil a cédé ses couleurs aux maisons,
or, azur, orange, vert vif, rose saumon...
mais une artiste erre, ombre de noir gantée

fantôme en négatif sur le trottoir planté
comme l'arbre frappé, au tronc de pur charbon
écimé, amputé, croix brisée sur un mont,
inexorable faucheuse au rictus denté

Désormais, les faucheuses sont des vagabondes,
la mort est refusée telle une chose immonde:
le rapace de nuit doit mendier en plein jour

Ah, pauvresse que plus personne ne reçoit!
Attends donc, tu sais bien que viendra ton tour
d'entrer chez quelqu'un pour en sortir avec moi!

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2007-04-06

 

Érudition à Boston

La bibliothèque Houghton de l'Université Harvard abrite la principale collection de livres rares de cette institution séculaire. Comme le montre l'entrée photographiée ci-contre, elle était heureusement ouverte en ce Vendredi Saint et, signe d'une grande civilisation, il était possible de la visiter sans avoir à payer de droits comme à la Bibliothèque François-Mitterrand... J'y suis passé en fin de matinée dans l'espoir de retrouver la source de cette allusion dans les publications cartésiennes à un mystérieux homme de fer qui aurait parcouru les pistes désertiques du Sahara pour venir s'agenouiller devant le souverain du Maroc, Florent Schuyl le citant comme l'exemple ultime des prodigieuses inventions qui ont reproduit de manière mécanique le mouvement de la vie :

« Mais sur tout cette merveilleuse Statuë de fer, dont parle Nicolas Vassenaer au cinquiéme Tome de son Histoire, qui par des chemins détournez alla trouver le Roy du Maroc, & qui aprés avoir fléchy les genoux devant luy, & lui avoir presenté une requeste, demande la liberté pour celuy qui l'avoit fabriquée, & aprés s'en retourna par le mesme chemin qu'elle estoit venuë, peut beaucoup contribuer à ce dessein »

S'agit-il d'une légende semblable à celle des têtes parlantes fabriquées par Roger Bacon? C'est ce que nous verrons, quand j'aurai déchiffré et traduit le passage que je rapporte, mais qui n'est peut-être pas le bon, car j'avais négligé de vérifier la version originale en latin : « Nec non ferrea statua, qua per varios anfractus ad Regem Marocco accessit, flexisque genubus oblato libello supplici libertatem Authori suo imploravit, & eadem via reversa fuit, ut refert Nicolaus à Wassenaer, Hist. Tom. V. ad Annum 1623. ».

Après, j'ai repris le métro pour me rendre aux congrès jumelés de la Popular Culture Association et de l'American Culture Association, puisque la sémillante Mme Tournevis m'avait invité à parler de science-fiction canadienne. (Ce qui avait l'intérêt de me faire passer par la plus ancienne station de métro du continent, qui était à l'origine une station de tramways souterrains.) J'étais sur place à 14h30, même si quelques tâtonnements techniques ont retardé le début de ma présentation.


J'ai enchaîné avec une autre session, animée par Amy J. Ransom (au centre, ci-dessous) du Anna Maria College. Elle a présenté successivement trois étudiants et leurs communications : Michael O'Bryan (à droite), « The Closure of Free Space and the Opening of a New Frontier in Neuromancer »; Don Bourne (à gauche), « ' What You See in Front of You is Not Real': The Relation of Nation-State and Capital in Larissa Lai's Salt Fish Girl »; et Gordon Briggs, « P for Political: Pop Subversion in V for Vendetta ». Ayant déjà trouvé que les communications portant sur des ouvrages connus de moi étaient les plus intéressants, j'ai attendu jusqu'à la fin pour écouter Amy livrer sa propre communication, « Utopia & New World Myth in Québec's Science Fiction Sagas: Brossard, Vonarburg, Rochon ». Et à juste titre, car elle a fait ressortir à merveille le motif de l'ascension en spirale présent dans les trois sagas. Sa communication m'a d'ailleurs poussé à suggérer que la trilogie de Brossard devait peut-être se lire comme la trilogie de la Divine Comédie de Dante, l'Enfer correspondant au séjour d'Adakhan dans la ville de Manokhsor, le Purgatoire à son séjour au Centre et le Paradis à son arrivée dans une version du jardin d'Eden...

En soirée, après le party dans la chambre de Caroline-Isabelle, j'ai profité de ma présence sur place pour assister à des démonstrations de combat selon les techniques d'escrime de la Renaissance et selon une reconstitution libre des techniques d'affrontement des Vikings.

Cela peut toujours servir...

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2007-04-05

 

Ketterer le prophète

Mais comment savait-il?

Si ce n'est que pour illustrer comment Nostradamus a fait pour émettre quelques prédictions qui se sont plus ou moins avérées, je trouve pertinent de relever dans son ouvrage Canadian Science Fiction and Fantasy (1992) la phrase suivante (p. 94) :

« Gouanvic also collaborated with France's Stéphanie Nicot in editing the first in a series of francophone anthologies, Espaces imaginaires I (Montréal), which included five stories from Québec and five from France. »

Or, à l'époque, il n'y avait pas de Stéphanie Nicot. C'était Stéphane Nicot. Mais, depuis peu, c'est le contraire. Il n'y a plus de Stéphane Nicot, mais il y a bel et bien une Stéphanie Nicot. Dira-t-on, par conséquent, que Ketterer était nécessairement au courant avant tout le monde? Ou notera-t-on le nombre de coquilles affligeant les noms et les titres francophones afin de conclure qu'il s'agit nullement de vaticination, mais d'une simple coïncidence?

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2007-04-02

 

Jules Verne, le son et les images

Richard Gombert offre une page de liens, qui inclut des films verniens, de nombreux vidéos en rapport avec Verne et un certain nombre de trouvailles plus ou moins inusitées (la remise du prix Jules Verne à George Lucas par James Cameron à l'occasion d'un festival de films en Californie). Des liens vers des clips audio, musicaux ou non, sont également présents. Une liste est aussi donnée dans le bulletin de la North American Jules Verne Society.

La durabilité de l'intérêt suscité par Verne est quand même fascinante. Ses romans les plus connus auront bientôt entre 125 et 150 ans. Le monde qu'il décrit dans ses livres est de plus en plus lointain, et il nous est de plus en plus étranger. Exception faite de ses romans les plus fantaisistes (Hector Servadac, par exemple), ses anticipations techniques sont pour la plupart dépassées.

Je suis tenté de croire que la popularité actuelle de Verne est maintenant portée en grande partie par sa popularité passée. Mais je crois qu'elle est aussi rendue possible par la masse critique de littérature victorienne (ou du XIXe s.) qui demeure une référence obligée pour de nombreux lecteurs. Les enquêtes de Sherlock Holmes, les aventures de David Copperfield ou Tom Sawyer, etc. L'ensemble nous rend le siècle plus familier et facilite la lecture de Jules Verne, qui s'insère dans un monde aux contours pas entièrement étrangers.

Mais il y a un effritement progressif de notre connaissance de la littérature du XIXe siècle. De moins en moins de romans surnagent. Le jour viendra-t-il quand les romans de Verne seront les derniers à nous faire découvrir ce siècle?

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2007-04-01

 

La bravoure de la bête

Lecture du jour : le roman The Brave Bulls (1949) de Tom Lea, qui est peut-être du sous-Hemingway, mais comme mes souvenirs des pages de Hemingway sur les toreros se sont fortement estompés, je l'ai lu sans idées préconçues...

L'histoire tient autant de l'enquête anthropologique ou sociologique que du roman. Lea décrit le monde de la corrida, qui relie les familles miséreuses de matadors capables de tout risquer et les familles de grands propriétaires qui élèvent les taureaux destinés à périr dans l'arène. Les agents, les imprésarios, les fans, les assistants des toreros... Ils apparaissent tous dans les pages du livre, mais c'est le destin d'un matador exceptionnel, Luis Bello, qui retient l'attention.

Il a déjà fait une longue carrière. Un de ses frères cadets est devenu matador à son tour. Mais il n'a pas fondé de famille, après la mort précoce de la femme qu'il aimait. Tout d'un coup, la mort de plusieurs proches (son agent, un collègue, une femme avec qui il espérait redécouvrir l'amour) lui rappellent sa propre mortalité. Lui qui n'avait jamais eu peur de sa vie dans l'arène commence à craindre les cornes des taureaux. Ses performances deviennent erratiques.

La corrida a retenu l'attention d'auteurs du siècle dernier comme Hemingway pour plusieurs raisons. S'il s'agit d'une forme de performance sportive dans sa version la plus primitive, les aficionados de la corrida l'ont transformée en un art proche de la chorégraphie, mais qui intègre nécessairement une part d'improvisation. En un art profondément particulier, qui fait intervenir l'affrontement archétypal de l'homme et de la bête, qui exige de l'homme du sang-froid et de l'intelligence, seul contre l'animal, et qui fait de la mort d'un être vivant (le taureau ou l'homme) l'ingrédient presque obligé de la création. De nos jours, quelques sports (le patinage artistique) ont incorporé des éléments esthétiques qui les font hésiter entre deux domaines, mais ils ne vont pas aussi loin que la corrida.

En même temps, le combat est inégal : c'est presque toujours le taureau qui meurt. Le matador risque la mort, mais il a presque tous les avantages. Dans The Brave Bulls, Luis Bello ne se bat pas contre la mort, mais contre la peur de la mort. L'affrontement de la corrida est une métaphore, et non la chose en soi, mais il s'agit d'une métaphore extrêmement efficace parce que la distance entre la métaphore et la réalité est singulièrement réduite dans l'arène.

Le titre renvoie explicitement à la bravoure des taureaux, qui sont sélectionnés pour faire preuve d'une agressivité exacerbée, mais il désigne implicitement les hommes qui entrent de leur plein gré dans l'arène. Toutefois, si le courage exigé de ces hommes est grand, le combat du taureau est sans espoir. L'animal ne le sait pas : c'est pourquoi il est difficile de juger où se trouve la plus grande part de bravoure.

Mais seuls les acteurs humains du drame dans l'arène peuvent apprécier la beauté de la mise à mort et aussi le drame du combat désespéré du taureau.

On a fait un film en 1951 du roman de Tom Lea, qui a connu un certain succès. La narration est certainement prenante, mais l'affrontement culminant du matador vieillissant et des taureaux (ou plus exactement du matador et de ses peurs) aboutit à une prise de conscience un peu banale. On doute franchement qu'elle soit la clé de la bravoure des toreros; on reste sur l'impression que le courage du matador n'est pas de ceux qui s'expriment ou s'expliquent avec des mots. C'est peut-être pourquoi toute cette littérature axée sur l'étalage ou la révélation des vertus viriles a fini par péricliter. Le machismo ne s'écrit pas.

Tom Lea n'est pas resté dans les annales de la littérature, sauf régionale, mais je crois que, dans ce cas-ci, un auteur a rencontré son sujet idéal. Il présente de manière absolument convaincante le Mexique de l'après-guerre, qui panse encore les plaies de la Révolution. Il traduit parfois littéralement des expressions espagnoles (¿Qué pasa?, Lo siento mucho, A vuestro servicio), de manière à conférer aux dialogues quelque chose de la saveur du mexicain. Et Lea a la sagesse de ne pas ambitionner; il raconte sobrement, sans forcer le trait, sans céder au sentimentalisme le plus prévisible, ce qui donne d'autant plus de prix au triomphe final des frères Bello.

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