2006-04-15

 

Iconographie de la SFCF (7)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; et (6) les parutions SF en 1974.

Le roman Erres boréales (1944) de Florent Laurin (pseudonyme d'Armand Grenier) est sûrement un des ouvrages les plus obscurs des lettres québécoises et pourtant un des produits les plus caractéristiques de la pensée nationaliste de la première moitié du vingtième siècle. Il est sans doute aussi le premier ouvrage de SFCF à inclure un travail sur sa langue dans son anticipation. L'ouvrage inclut d'ailleurs un glossaire des mots rares et des néologismes, ainsi qu'une illustration par chapitre et une carte.

Enfin, la menace d'un réchauffement global provoqué par les gaz à effet de serre rend une certaine pertinence aux descriptions de Laurin de contrées nordiques transformées par un réchauffement anthropogénique. Dans le roman, ce réchauffement est causé sciemment par de gigantesques radiateurs posés sous la mer du Labrador, au large de l'Ungava. C'est le fait d'un groupuscule nationaliste de dix-huit personnes, la « Jeune-Laurentie », qui en a eu l'idée dans le courant de 1940 à Montréal. Un tel groupuscule est à rapprocher de la mouvance incarnée, par exemple, par l'Association des Jeunes Laurentiens fondée en 1936 qui publie en 1940 un manifeste où elle se réclame de Lionel Groulx et prône l'affirmation canadienne-française par « l'embrigadement poussé à fond dans les sociétés patriotiques et par l'élimination progressive des sociétés suspectes qui anglicisent les Canadiens français en ne leur apprenant que le neutralisme national», appelant « la jeunesse féminine à seconder » la jeunesse masculine et souhaitant l'avènement « à Québec d'un gouvernement du bien commun, libre de toutes les servitudes partisantes et de tous les despotismes financiers». Il faudrait sans doute le rapprocher aussi du groupe séparatiste animé un temps, semble-t-il, par Pierre Elliott Trudeau.

Le roman est avant tout un récit de voyage au pays d'une « utopie », celle de ces nouvelles contrées colonisées par les Québécois francophones. La carte est là pour plaquer de nouveaux noms et de nouvelles identités sur la géographie arctique. Mais le point de départ est emblématique, la ville de Québec, et les voyageurs tournent vite le dos à l'ouest, c'est-à-dire à Montréal, métropole dédaignée et trop anglophone sans doute, ainsi qu'au reste du Canada, pour monter vers le nord. On quitte donc très vite les paysages familiers de la vallée du Saint-Laurent pour remonter le fleuve jusqu'à la Côte Nord. Le voyage se fait en voiture et traverse les petits villages du Charlevoix : « les paisibles Eboulements aux antiques maisons de pierre, La Malbaie avec son manoir et son domaine seigneurial, St-Fidèle, St-Siméon, l'escale maritime, et Ste-Catherine. Enfin, le Saguenay qui déroule dans sa titanesque faille des ondes d'ébène aux mats reflets d'abîme. Un pont de huit mille pieds nous tend les bras, et l'on cède, suffoqué, à sa téméraire invitation en emboîtant les stoïques bonds de ses huit enjambées de fer. »

Leur destination, c'est la nouvelle ville de Carillon sur l'île du même nom. En 1968, date du récit, le deux centième anniversaire de la bataille de Carillon sera fêté avec dix ans de retard mais non sans solennités et un monument sera élevé aux dix-huit membres de la Jeune-Laurentie. Mais ce qui miroite aussi pour les voyageurs, c'est l'Arctique, en particulier parce que l'un d'eux, le vénérable Louis Gamache, a connu ces régions avant le grand réchauffement. Il va pouvoir comparer la transformation de ces étendues désertes et glacées, désormais industrialisées ou cultivées ou les deux.

Cet intérêt pour le nord est quelque chose d'assez neuf dans la culture québécoise. Certes, l'auteur invoque au passage le souvenir de Pierre Le Moyne d'Iberville allant guerroyer dans la baie d'Hudson au dix-septième siècle, mais il faut se rappeler que la province de Québec ne s'étendait jusqu'à la baie d'Ungava que depuis trois décennies à peine au moment de l'écriture de ce roman. Pendant longtemps, le Nord ou les pays d'en-haut, c'étaient l'Abitibi, le Saguenay et le lac Saint-Jean, la Côte Nord... On n'a commencé à faire l'histoire de cet imaginaire du nord au Québec que depuis peu. Mais le roman de Laurin avait été précédé par L'impératrice de l'Ungava d'Alexandre Huot en 1927, réédité (.PDF) en 2004 aux PUQ, un roman qui relève également de l'utopie, voire de la science-fiction.

Grâce au réchauffement du climat, Louis Gamache et ses compagnons trouvent une forêt neuve sur la Côte Nord, là où il n'existait que des arbres rabougris typiques de la taïga, voire de la toundra. D'ailleurs, l'ensemble du roman témoigne d'un intérêt très marqué pour les noms précis de la végétation et des minerais. Il faut sans doute y voir l'influence du naturaliste Marie-Victorin, dont la Flore laurentienne avait fait date lors de sa parution en 1935. À tel point que le nom même de Florent Laurin est sans doute un anagramme partiel du titre de ce livre.

Le nord, c'est aussi une promesse de richesses nouvelles pour le Québec qui avait en partie raté la Révolution industrielle faute de gisements de houille ou de fer. En grande partie confiné à l'industrie légère (textiles, transformations du bois), le Québec entrevoyait la possibilité de tirer profit de ce qu'on appelle parfois la seconde Révolution industrielle, celle qui est caractérisée par le passage à l'électricité, grâce à ses gisements de « houille blanche ». L'hydro-électricité permettrait en outre de traiter plus commodément l'aluminium, et aussi le fer du Labrador. (Dans le scénario de Laurin, le Labrador a été acquis de Terre-Neuve après la guerre.) Ainsi, les voyageurs contemplent des barrages monumentaux dressés pour exploiter l'énergie des rivières.

Le fleuve Hamilton, par exemple, a été harnaché par les ingénieurs et provoque la stupeur générale. Si ce nom ne dit plus rien aujourd'hui, il faut savoir qu'en 1965, le fleuve Hamilton a changé de nom et il est devenu le fleuve Churchill, qui alimente le complexe hydroélectrique des chutes Churchill. Néanmoins, ce qui excite également l'admiration, ce sont les fermettes égrenées dans les replis verdoyants de ces nouveaux pays. En fait, la terre est maintenant cultivable jusque sur l'île de Baffin, dorénavant partagée entre les districts d'Avergne, de Riélide (baptisé d'après Louis Riel) et des Éricarts... Plus fort encore, sur les berges du golfe de Verchères, qui correspond soit au fjord de Pangnirtung ou à la baie de Cumberland, se dresse le chef-lieu de l'Avergne, presque exactement à l'endroit où se trouve actuellement la localité de Pangnirtung. Au pied des montagnes, « la romantique Gaétane mire dans les eaux tranquilles du golfe de Verchères ses édifices et ses palais de marbre perdus une somputeuse verdure de sabals, d'épiphytes géantes et de palmiers virginiens.» Des palmiers? Laurin n'a pas hésité à en dessiner!

Le clou du voyage, c'était en principe la visite de Carillon et la participation aux festivités. La famille Gamache ne s'en prive pas. La ville nouvelle de l'île Résolution (rebaptisée Carillon) est pourvue de fortifications complètement anachroniques, agrémentées d'une « ligne de vieux canons et de mortiers.» Pendant cinq jours fériés, on fêtera donc le souvenir de la bataille du Fort Carillon le 8 juillet 1758 : « l'Amérique française avait, comme après une trêve, repris le fil normal de sa grandiose histoire! »

Mais le clou du voyage, ce sera en fait la pointe poussée jusqu'à Lagimodière en Riélide. (Le nom de Lagimodière était tout trouvé pour une localité de la Riélide, puisque Jean-Baptiste Lagimodière et Marie-Anne Gaboury ont eu pour petit-fils Louis Riel lui-même.) En face de la ville de Lagimodière, au fond de la baie de Milne qui donne sur le détroit d'Eclipse, il y a la Kouttaro des Inuit. Même si ces « Esquimaux » ont été évangélisés et convertis, ils bénéficient d'une présentation des plus sympathiques, tout comme les autochtones dans L'impératrice de l'Ungava. D'ailleurs, le jeune Gaston Gamache ne tarde pas à s'éprendre de la jolie Toutillia Kamagniak que l'on peut voir ci-contre. Quant à l'établissement de Kouttaro, il est en soi digne d'intérêt, car Laurin imagine l'évolution d'une architecture autochtone : « Des anciens iglous, elles conservent la forme ronde, qui constitue le premier élément original de leur beauté. Dans leur ensemble, elles rappellent certains temples de l'art grec antique et bysantin.»

Je terminerai sur une autre note environnementale. Les conséquences du réchauffement n'échappent pas à Laurin. Il aperçoit très bien que le détroit de Lancaster, rebaptisé détroit de la Mousson par lui, deviendrait un très réel et très utile passage vers le Pacifique : « boulevard maritime unique au monde et véritable passage du nord-ouest, que la disparition des glaces a rendu au rôle économique qui lui revenait. » En ce qui concerne le Groenland, dont la fonte accélérée de la banquise a été observée, Laurin est encore plus euphorique : « Sous l'haleine tropicale exhalée des courants marins, la mer de glace retraite à vue d'œil vers les plateaux intérieurs et dégage annuellement sur le pourtour de l'île une lisière de terre ferme de trois mille verges de profondeur. Des rivières innombrables dévalent partout des montagnes et des collines, pour aller grossir en des proportions dangereuses le réigme des fleuves impétueux qui giclent à la base de l'inlandsis géant. » C'est cette fonte appréhendée des glaciers qui est aussi illustrée par Laurin — notre premier artiste du réchauffement global...


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