2005-12-31

 

Porco Rosso

Je n'ai pas encore fait le tour des films de Miyazaki, mais je commence à compter ceux qui me restent. Et à vouloir repousser le moment où il ne m'en restera plus à découvrir. Malgré les tics de l'animation nipponne, on peut retrouver dans Porco Rosso plusieurs des forces caractéristiques des créations de Miyazaki. Il y a le pacifisme, dans la mesure où Marco Rossinelli, pilote déchu, a quitté l'armée italienne et ne cherche pas même à tuer les pirates aériens qu'il combat. Il y a le souci de la (re)création d'une époque; de tous les films que j'ai vus de lui, c'est sans doute celui qui est le plus fidèle à un moment historique. Il y a l'importance donnée aux femmes; l'atelier de Piccolo fait appel à des travailleuses, comme les forges montrées dans Princess Mononoke. Comme dans tous ses films, il y a aussi des moments de pure beauté graphique, en particulier lorsque l'hydravion de Porco Rosso survole l'Adriatique. Et malgré les touches d'humour, on retrouve aussi le sérieux de Miyazaki, ainsi que son sens du tragique.

Il paraît que ce n'est pas le plus apprécié des films du maître. Il se peut que la situation et le contexte soient trop étrangers pour un public nord-américain. Mais je ne pouvais pas rester insensible à un film qui commençait par jouer le Temps des cerises (en français, qui plus est) et qui s'attache à l'ère héroïque de l'aviation. Comme Saint-Exupéry est le premier auteur que j'ai lu et recherché, et qui m'a inspiré à écrire, il y avait déjà quelque chose de magique dans la simple reconstitution de cette époque.

Le film passe aussi par Milan — et par ses canaux. J'ai eu l'occasion de visiter un peu la ville en 2004 — et de voir ses canaux, comme le célèbre Naviglio Grande qu'on aperçoit ici (à droite). Il attire encore les touristes, des siècles après le début de son creusement. Mais Milan, ce n'est pas aussi la ville industrielle dont l'essor économique doit beaucoup à son utilisation de canaux pour le déplacement des matières premières et des produits finis. C'est aussi la ville où le futurisme a vraiment vu le jour (même si Marinetti a publié son manifeste dans Le Figaro à Paris). Or, s'il y a eu un futurisme littéraire et aussi un futurisme architectural (tous les deux invoqués par Olivier Paquet dans son roman Structura Maxima), il y aussi eu un futurisme pictural. Et tout comme le futurisme voulait rendre hommage à la modernité tout en s'en inspirant, les peintres de toute l'avant-garde européenne, les futuristes compris, se sont tournés vers les nouvelles technologies, de l'avion à la bicyclette. Miyazaki n'est donc pas loin de verser dans la nostalgie du steampunk en mettant en scène des paquebots et des hydravions d'époque dans Porco Rosso.

Pour un féru d'aviation, retrouver les fragiles appareils de cette époque suscite un frisson. Dans la bibliothèque familiale, j'ai exhumé un livre relativement rare datant de la Grande Guerre, Dans le ciel de la patrie (1918), consacré par La Spad SA à l'aviation. Le cartonnage de la couverture porte le tracé de ce qui ressemble à une carte d'état-major et le fac-similé de la signature de Louis Blériot. Le texte est de Jean Cocteau, qui fournit les légendes d'une série d'illustrations par l'artiste Eduardo García Benito (né à Valladolid, Espagne, probablement en 1891; mort en 1981). Des gravures en prime représentent plusieurs modèles d'avion fabriqués par La Spad, dont l'hydravion de chasse ici (à droite) qui ressemble à certains des appareils illustrés par Miyazaki. Cocteau décrit avec poésie les étapes de l'envol d'un avion et sa préface évoque une génération de nouveaux guerriers : «Des enfants sortent du collège. Ils sont à l'âge où on lisait Jules Verne, Wells, l'Iliade, la vie des inventeurs et des héros. Ils lâchent les livres comme un lest et ils s'envolent.»

C'est un peu cette admiration qu'on retrouve dans Porco Rosso. Mais à chaque époque son idiome pictural propre. En 1918, Benito révèle clairement l'influence du cubisme, et peut-être du futurisme. À gauche, on peut voir ici son interprétation d'un vol à basse altitude au-dessus des champs et des pistes — les hangars d'un aérodrome apparaissant au bas de l'image.

Ce que je trouve frappant, c'est qu'un ouvrage ouvertement présenté comme un hommage patriotique et corporatif a l'audace d'intégrer ce qui est encore de l'art de l'avant-garde. Certes, la préface de Cocteau ne présente pas Benito comme un cubiste ou un futuriste, mais plutôt comme une «sorte d'impressionniste», un observateur souple et sensible. Mais les œuvres de Benito sont éloignées de tout académisme.

L'exemplaire familial de ce livre a sans doute été rapporté de France par mon grand-père à l'issue de la Grande Guerre, mais il n'y a aucune indication me permettant d'en dire plus. Je dois donc me contenter des illustrations. À gauche, Benito représente l'envol et Cocteau se contente d'un paragraphe qui est presque un poème : «Stabilité conquise. Le Pilote n'écoute pas les sirènes du vide. Une rafale d'immobilité océanique. L'avion embarque des paquets de ciel. Il s'éloigne.»

En effet, on croit distinguer des gens au sol, doublés d'une ombre projetée. Est-ce le mouvement de l'aile qui est suggéré par la succession de bandes diagonales? Les bandes blanches sont-elles des nuages stylisés? Ce n'est pas si simple de se prononcer. Un mystère demeure...

C'est la guerre qui est le sujet de l'illustration suivante (non que j'inclue toutes les illustrations de Benito dans ce livre). Les biplans bombardent une ville, affrontant les explosions de shrapnel autour d'eux et ils larguent des bombes sur une usine ou un aérodrome. Ensuite, les pilotes seront libres de rentrer au bercail en suivant le miroitement lumineux du fleuve. Si la tentative de rendre le mouvement de l'avion dans l'illustration ci-dessus s'inspirait des expériences futuristes, le décor fragmenté de cette illustration rappelle plutôt les compositions les plus chaotiques du cubisme.

Il est intéressant de constater, en tout cas, qu'en 1918, on ne fait apparemment pas secret de l'utilisation des avions de la Patrie pour bombarder des villes ennemies. Néanmoins, l'illustration est insérée plus ou moins au milieu de la série. Il n'est sans doute pas question de laisser le lecteur sur cette image...

Une autre illustration dans le même style, à droite, se soucie surtout de montrer en quoi les perceptions d'un pilote sont altérées. Pour traduire la série d'aperçus et de points de vue différents sur la ville, les immeubles semblent tituber et chanceler, voire reculer en apercevant l'ombre d'un avion. L'illustration finale de la série commandée à Benito (exception faite d'un portrait plus classique, à la mémoire du capitaine Georges Guynemer) prend pour sujet les duels aériens que les pilotes se livrent de plus en plus souvent. Les «balles traversent l'hélice comme le regard un ventilateur», note Cocteau. La colombe (blanche) qui survole la scène suit la Victoire ailée de Samothrace, ce qui suggère clairement que la paix ne sera assurée que par la victoire sur l'ennemi. Et que cette victoire dépend plus qu'un peu de la vaillance des guerriers envoyés au front, à bord d'avions qui font d'eux des chevaliers du ciel ou des «anges furieux» (voire l'illustration ci-dessous).


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2005-12-30

 

L'histoire d'hier passe par demain

Dans l'article de Simon Schama publié aujourd'hui par The Guardian, l'historien se transforme nécessairement en futurologue pour parler du présent, c'est-à-dire pour faire le bilan de la décennie des années zéro — les noughties, comme dit Schama en anglais, avec un humour très pince-sans-rire. Car il a tendance à trouver que l'humanité a été très naughty durant ces mêmes années si on la regarde avec les yeux de l'historienne numérique Sibylle, qui vivrait au tournant du vingt-deuxième siècle...

Après tout, pour que l'historien identifie les points tournants d'une époque, il doit bénéficier d'un certain recul. Quand il écrit sur l'Antiquité, le Moyen-Âge ou le vingtième siècle, il a l'avantage de vivre à des siècles de distance, ou à quelques décennies tout au moins. Mais s'il veut traiter du présent, il n'a d'autre choix que l'anticipation d'un futur dont les transformations donneront tout leur sens aux événements des cinq ou six dernières années.

Schama rappelle les catastrophes évitées ou repoussées : le bogue de l'an 2000, la prochaine épidémie de grippe (aviaire?), l'usage de la variole par des terroristes... mais Sibylle a les yeux fixés sur la catastrophe qui est en cours et qu'on ne remarque qu'à l'occasion. Les déprédations de l'environnement et les changements climatiques altèrent notre planète et sa biosphère de manière irréversible. Mais Schama cède au travers des vertueux en mettant toute la faute sur un seul bouc émissaire, l'administration de George W. Bush, qui incarne l'insouciance d'un pays que le Hummer symbolise à la perfection.

Ce qui montre le bout de l'oreille dans ce passage, c'est l'intégrisme des puristes écologiques qui réclament non seulement que l'environnement soit sauvé mais qu'il soit sauvé de la façon exigée par eux. Si l'énergie nucléaire et la séquestration du bioxyde de carbone sous terre ou sous les mers permettaient d'atteindre les objectifs de la conférence de Montréal, ils semblent que de nombreux puristes préféreraient à ces solutions imparfaites mais efficaces un monde plus pollué si seulement les Hummers en étaient bannis et la famille Bush reléguée au complet dans un quartier pauvre de la Nouvelle-Orléans. Tant pis pour le pragmatisme...

Sibylle voit dans cette décennie incomplète l'extinction des Lumières allumées au dix-huitième siècle et la fin du progressisme. Elle est aussi frappée par la montée du religieux, même si elle ne date son triomphe — son apogée? — que des années zéro. Là où je voyais il y a quelques jours un phénomène déjà vieux de deux ou trois décennies, elle en fait quelque chose de beaucoup plus récent. Sans doute a-t-il fallu que le fanatisme religieux emprunte les jouets produits par les nouvelles technologies pour que Simon Schama se rende compte de la présence de si nombreux croyants auparavant invisibles...

Le ronchonnement est une vieille tradition britannique et Simon Schama profite de l'année qui s'achève (dans des conditions soi-disant polaires en Angleterre) pour s'en donner à cœur joie. Je soupçonne que la fin des Lumières, du progrès ou du libéralisme a été déjà proclamée plus d'une fois. Lors du Congrès de Vienne. Après la réaction européenne à 1848. Lors de la montée des fascismes après la Grande Guerre...

Mais si je crois volontiers que l'humanité est engagée dans une course au progrès qui lui permettra soit d'atteindre un développement durable soit de périr dans un monde épuisé, les meilleures études que je connaisse indique que nous marchons encore sur le fil du rasoir. Globalement, il reste des riches et des pauvres. Les riches sont plus riches, en partie parce que l'aisance n'a pas de plafond fixe, mais les pauvres sont toujours aussi pauvres, en partie parce qu'il est impossible de connaître moins que l'indigence ou le dénuement sans disparaître. Entre les deux, le sort matériel d'une partie du monde s'est amélioré, mais, comme la population a augmenté, cela ne change pas grand-chose à l'état du monde il y a quelques décennies. Ce qui est manifestement faux, toutefois, c'est d'affirmer que les choses empirent. Mais il est sans doute plus facile d'être pessimiste et de ronchonner dans un pays aussi riche que le Royaume-Uni, où il est plus simple de voir ce qu'on n'a pas que ce qu'on a.

La course continue.

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L'héritage des années Harris

En quittant Toronto pour Montréal vers 1996, je n'étais guère enthousiasmé par les partis au pouvoir au Québec et en Ontario. À mes yeux, j'avais le choix entre deux réactionnaires : le fou furieux et le doux dingue. D'une part, en Ontario, le premier ministre était Michael Harris, conservateur issu du nord de la province (la région du lac Nipissing) qui avait commencé ses études dans une petite ville du coin (Sudbury). D'autre part, au Québec, le premier ministre était Lucien Bouchard, ex-conservateur issu du nord de la province (la région du lac Saint-Jean) qui avait commencé ses études dans une petite ville du coin (Jonquière).

Ces parallèles sont sans doute exagérés (la carrière de Lucien Bouchard a été nettement plus éclatante que celle de Harris et nul ne lui a nié une solide culture), mais les deux ont conquis le pouvoir en promettant des changements révolutionnaires... qui ramèneraient leurs commettants au dix-neuvième siècle.

Au Québec, il s'agissait de réaliser les conditions du triomphe d'un nationalisme ethnique — au nom de ce principe des nationalités qui a endeuillé l'Europe depuis la montée de la Prusse aux dépens de l'Empire Austro-Hongrois jusqu'au redécoupage de la carte du continent en 1945 qui donnait, in fine, raison aux nationalistes ethniques de l'Europe. Si la stratégie industrielle québécoise de cette époque a rappelé le duplessisme (subventionner les investisseurs étrangers pour qu'ils s'installent au Québec et profitent d'une main-d'œuvre à bon marché), les décisions du gouvernement Bouchard de sabrer dans le budget des universités peuvent aussi rappeler les réticences du gouvernement Duplessis à améliorer le financement des universités québécoises s'il fallait pour cela accepter l'argent du gouvernement fédéral... Il est franchement difficile d'identifier un héritage positif de cette période. Les infrastructures sont parties à vau-l'eau (la crise du verglas était révélatrice de ces infrastructures québécoises construites au rabais — en rémunérant grassement les contractants), la démographie filait sur les rails d'une catastrophe annoncée et rien n'a été fait pour préparer un renouvellement de la fonction publique qui aurait fait une meilleure place aux nouveaux Québécois. Au mieux, on peut se féliciter que le pays n'ait pas eu à connaître les affres d'une énième campagne référendaire et que le délitement des finances publiques ait été plus ou moins arrêté, le boom des années internet aidant quelque peu...

En Ontario, il n'est guère plus facile d'identifier un héritage positif de la Common Sense Revolution des sectateurs de Harris. Même incurie (et plus chaotique encore) en matière d'infrastructures (la grande panne de 2003 est sans doute moins symptomatique que l'escalade des frais d'électricité et la menace de délestages), même incurie fiscale (les déficits ayant été tolérés au nom des supply-side economics) et coupures sauvages dans tout ce qui prépare l'avenir, de l'éducatif (les augmentations des frais versés par les étudiants compensant un peu pour les réductions au niveau universitaire) au social. Tout cela afin de réduire les impôts des nantis dans ce qui reste une des provinces les plus riches du pays!

Quand je vivais à Toronto au début des années 1990, quand le nombre annuel de meurtres était plus élevé encore que cette année, il était déjà évident qu'une partie de la communauté noire avait du mal à s'intégrer à la vie sociale et économique de la ville, ce qui se traduisait par l'existence de bandes et le déchaînement de violences bien réelles. Ces derniers jours, alors que les commentateurs des grands médias sont horrifiés par la mort aussi tragique qu'absurde de Jane Glenn Creba, quinze ans, sur la rue Yonge à deux pas de l'intersection avec la rue Gould, tout le monde semble avoir oublié l'émeute qui avait fait rage en 1992 au centre-ville de Toronto, sur cette même rue Yonge. En 1992, la colère avait éclaté en rapport avec l'affaire Rodney King à Los Angeles — et avec la mort de jeunes Noirs abattus par des policiers torontois. Il suffisait d'observer un peu la culture de l'heure, d'écouter ce qui se disait et de lire les comptes rendus d'enquêtes ou de sondages pour sentir qu'une partie de la communauté noire de Toronto était victime de discrimination et qu'une partie réagissait tout comme aux États-Unis — en se coupant de la majorité, au besoin en se positionnant comme foncièrement hostile à toutes les valeurs de la majorité.

Ma nouvelle «The Paradigm Machine» (1995) portait un peu sur le racisme ontarien à l'égard des Noirs, mais je n'avais pas insisté — et je n'avais pas vraiment abordé les conséquences possibles. L'auteur de science-fiction n'est pas un devin, même s'il est parfois plus attentif que les autres aux prémices des grands événements... L'accession au pouvoir du gouvernement Harris et le retour de la prospérité ont d'ailleurs fait oublier l'urgence de la situation dans certaines communautés noires de la région torontoise. Il a fallu la mort de Jane Glenn Creba pour réveiller les esprits, au terme d'une année marquée par d'autres morts tragiques. La disparition de cette jolie blonde, le jour après Noël, n'a rien de comparable avec les centaines de milliers de morts causées par le grand tsunami de 2004, un an plus tôt, mais son décès pourrait avoir un effet presque aussi grand sur les esprits au Canada.

Tout comme moi, de nombreux Canadiens ont eu l'occasion de passer par l'intersection de Yonge et de Dundas, que ce soit comme résidants de Toronto ou comme visiteurs de passage pour quelques heures ou quelques jours. Le choc est plus grand parce que l'endroit est familier. Les incidents précédents n'avaient pas eu le même retentissement parce qu'ils semblaient confinés aux endroits habituels, loin des beaux quartiers. Mais la fusillade du 26 décembre est un de ces événements transgressifs qui bafouent les lignes de démarcation les mieux établies. Elle est vécue comme une violation et les conséquences politiques pourraient être plus grandes que le possible coulage au sujet des fiducies. Jack Layton ne s'y est pas trompé en n'hésitant aucunement à réclamer que les crimes commis avec des armes à feu soient punis plus sévèrement.

Il est tentant de faire le rapprochement avec la mort également absurde et tragique du jeune Daniel Desrochers, onze ans, tué à Montréal par une bombe dans le cadre de la guerre des motards. S'il avait fallu la tentative d'assassinat de Michel Auger en 2000 pour forcer la main de nos dirigeants, il était clair depuis la mort de Daniel Desrochers en 1995 que des innocents étaient en danger. Et la sympathie ambiguë que suscitaient les Hell's Angels avait commencé à se dissiper... Mais s'il était facile de démanteler des bandes organisées bien identifiées, le problème d'une criminalité née de l'exclusion risque d'être plus difficile à résoudre sans des mesures véritablement à la hauteur.

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2005-12-27

 

Ghost in the Shell 2

J'éprouve immanquablement un certain plaisir nostalgique à me replonger dans le cyberpunk manière Shirow Masamune/Mamoru Oshii. Je ne connaissais pas le manga (publié en 1991) et encore moins l'adaptation filmique de 1995 quand j'ai écrit «The Falafel is Better in Ottawa» (nouvelle parue en 1992, mais écrite en septembre ou octobre 1990, je crois bien), par exemple. Les résonnances avec des choses que j'ai écrites, qui sont parues ou non, ou auxquelles j'ai réfléchi, seul ou avec Yves Meynard pour le space-op sur lequel nous travaillons depuis 1991, sont assez nombreuses. Cela s'explique bien entendu par des inspirations communes, à retracer loin en amont, avant même William Gibson dans certains cas.

Innocence, la suite de Ghost in the Shell, est un régal pour les yeux, un festin de citations et... une intrigue qui n'est guère plus qu'un prétexte. La réflexion philosophique est au cœur de l'histoire. Les références sont nombreuses, du Golem à l'Hadaly de L'Ève future, en passant par René Descartes, La Mettrie, Milton et Donna Haraway. La question de la frontière entre l'humain et la machine est quelque peu déplacée en intégrant une nouvelle problématique, celle de la reproduction. Si j'ai bien compris (et si le passage était bien traduit), la machine serait à l'être humain ce que la poupée est à l'enfant — une imitation d'enfant, mais aussi un peu plus. Ce qui rend le face-à-face de Batou et de Togusa aussi intéressant, puisque Batou le cyborg a un chien tandis que l'inspecteur Togusa (pratiquement dépourvu d'implants) a une femme et une fille, que l'on voit accepter avec joie une poupée dans la dernière séquence du film. Le chien du cyborg est-il alors la preuve et la démonstration de sa nature trop machinique, qui le rend impropre à devenir parent, ou bien un signe de sagesse dans la mesure où il refuse de s'engager dans le jeu piégé de la reproduction (symbolisé par la présence d'une poupée aux yeux morts)? Le film rappelle en passant la légende de l'automate Francine de René Descartes, substitut de sa fille défunte — et affublé du nom de sa famille qui est aussi le nom de la famille d'ingénieurs italiens (Francini) qui avaient construit les célèbres automates de Saint-Germain-en-Laye et de Fontainebleau à cette époque, si je me souviens bien.

À ce stade, je ne peux m'empêcher de penser au texte d'un auteur romantique, l'Allemand Jean Paul (Johann Paul Friedrich Richter, né en 1763, mort en 1825). Le conte «Les hommes sont les machines des anges», inclus en français dans Mon enterrement vivant, interrogeait déjà la nature de la distinction entre les humains et leurs machines, et s'inscrivait explicitement dans la foulée du joueur d'échecs de von Kempelen... J'ai toujours soutenu que la supercherie de von Kempelen n'était possible qu'après La Mettrie et l'émergence du fantasme de la création d'un esprit mécanique. Avant Descartes, les automates étaient animés; ils reproduisaient le mouvement qui était vu comme le propre des animaux et le signe même de la présence d'une âme, bref, d'une anima. Mais les qualités proprement humaines qui distinguaient l'homme et la femme des autres animaux, c'est-à-dire la parole, la raison, le jugement, la conscience de soi et des autres, etc. ne sont apparues comme potentiellement reproductibles sous forme mécanique et matérielle qu'avec les matérialistes des Lumières, comme La Mettrie. Avant que cette possibilité soit formulée, l'automate de von Kempelen n'aurait été compréhensible pour la plupart que comme truquage ou comme manifestation diabolique. Mais au dix-huitième siècle, la possibilité de l'intelligence artificielle s'insinue dans les esprits cultivés. Von Kempelen va travailler sur la production mécanique de la parole, tandis que les Droz vont produire un automate qui écrit...

Ghost in the Shell relance le débat dans le contexte du cyberpunk. Il est particulièrement fascinant d'y retrouver une telle densité de références à des sources occidentales; tandis que les pays occidentaux se replongent, avec Narnia, Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, etc., dans les mondes disparus du Moyen-Âge, cette série complète (et définit même) une culture différente, propre à la civilisation industrielle et à ses futuribles. L'éternel retour du roi cède la place à des problématiques plus fondamentales, voire plus immédiates.

Dans Innocence, les protagonistes croisent un défilé traditionnel, avec des kamis qui ne semblent pas si différents des gynoïdes et autres machines autonomes de la nouvelle société mécanique. Ces kamis recréés sous la forme d'hologrammes ou d'illusions cybernétiques sont fantomatiques, et muets. Leur disparition inéluctable sert sans doute à signaler l'urgence de donner une voix à nos machines...

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2005-12-24

 

Représentation proportionnelle et influence proportionnelle

Le Canada est plongé dans la seconde élection gouvernée par la réforme électorale de Jean Chrétien, une réforme nettement plus radicale que tout ce que le gouvernement Martin a proposé en guise de réaction aux révélations de la commission Gomery. En modifiant les règles du financement des partis, Jean Chrétien a redonné une valeur (au moins monétaire) à tous les votes au fédéral et il a introduit dans le système canadien une dose de proportionnelle.

Le plus intéressant, c'est la combinaison de deux principes dans le même système. La représentation parlementaire demeure soumise au vote pluralitaire dans les circonscriptions dont j'ai déjà signalé l'hétérogénéité. Mais le financement des partis dépend maintenant, pour une part non-négligeable, de chaque vote exprimé. À l'origine, dans le système canadien, le Sénat était censé être la chambre des régions et la Chambre des Communes celle du peuple. Mais comme la population a augmenté tandis que les règles du suffrage ont été libéralisées, chaque député représente un nombre grandissant d'électeurs. La taille de chaque base électorale est devenue si grande (je ne serais pas surpris que certaines circonscriptions approchent de la population totale d'une province comme l'Île du Prince-Édouard au moment de la confédération) que le nombre d'intérêts en cause est multiplié au point de rendre chaque circonscription trop variée pour être véritablement représentée par le gagnant d'une course au plus grand nombre de votes. Surtout que l'offre politique (l'éventail d'options) a augmenté depuis l'époque de la confédération. À trois, quatre ou même cinq partis crédibles, il devient difficile de créer des plates-formes rassembleuses.

On a souvent proposé le passage à la proportionnelle pour pallier ces faiblesses du système actuel, mais la représentation proportionnelle au vote populaire dans une assemblée législative soulève aussi des difficultés. Si on continue à exiger une majorité pour imposer une décision, les petits partis acquièrent un poids exagéré dans les délibérations parce qu'ils peuvent faire l'appoint requis. C'est ce qu'on a vu lors de la dernière session parlementaire : le plus petit parti, le NPD, a contraint le plus grand parti à modifier des éléments importants de son plan de dépenses et à allouer des milliards de dollars à des causes choisies pour obtenir l'adhésion du NPD.

Jean Chrétien a-t-il, sans concevoir son initiative autrement que comme un moyen de libérer les partis de l'influence des gros donateurs, offert une solution intermédiaire? On peut supposer que le financement amélioré d'un parti comme le Parti Vert ne changera pas grand-chose à son destin électoral, mais le financement a d'autres vertus dans le système canadien, où la chose publique n'est plus, depuis longtemps, uniquement l'affaire du Parlement. Les affaires de la polis se discutent également dans les médias, dans les universités, voire dans la blogosphère. Souvent, pour avoir droit au chapitre lors des débats politiques, il faut être représenté au Parlement.

Mais un financement suffisant peut créer l'illusion d'existence d'un parti sans représentants élus. L'affichage électoral, les réclames à la télé ou à la radio, l'existence même d'une coordination centrale capable d'émettre des communiqués ou de fournir des porte-parole, tout cela compte pour beaucoup dans la place qu'on donne à un parti. L'argent, ainsi traduit en outils concrets, matérialise le vote trop dispersé d'un parti d'idées et favorise une reconnaissance accrue.

Nous n'en sommes qu'à la deuxième élection gouvernée par ce nouveau système. Le Parti Vert, par exemple, a tout juste eu le temps de recevoir et de s'organiser pour administrer correctement la manne produite par l'élection précédente. Ce sera intéressant d'en suivre les effets sur quelques années; le financement proportionnel des partis pourrait donner aux partis une influence et une présence sur la place publique plus ou moins proportionnelles à leur vote. Conclurons-nous un jour qu'il faut passer au vote entièrement proportionnel? Ou conclurons-nous que le nouveau système est un compromis typiquement canadien, digne de durer une génération?

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2005-12-23

 

King Kong

Je ne suis pas sûr qu'on associe souvent King Kong à la science-fiction. Certes, il y a d'une part tous les éléments de la science-fiction de son époque, dans la veine du Lost World de Conan Doyle et du Pellucidar de Burroughs (sans parler de La Plutonie ou de La Terre de Sannikov par le Russe Vladimir Obroutchev): créatures préhistoriques, tribus perdues, monstre extraordinaire... D'autre part, Kong apparaît dans le film comme un être surnaturel. Il est sans famille et apparemment doté d'une longévité exceptionnelle (puisque les primitifs de l'île semblent lui vouer un culte de longue date). Par sa morphologie, il contredit la loi des proportions physiques (la masse augmentant en gros comme le cube de la taille, alors que les surfaces n'augmentent que comme le carré, tout ce qui dépend d'une adéquation de la masse et de la surface devrait normalement être repensé...). Bref, il est loin d'avoir le réalisme minimal des bêtes préhistoriques de l'île, qui sont justifiées par les découvertes de la paléontologie.

C'est que Kong n'est pas vraiment un anthropoïde de sept ou huit mètres de haut, bien sûr. Kong est plutôt un «bon sauvage» rousseauiste magnifié, un enfant de la Nature comme Tarzan, mais qui n'a pas le côté Greystoke qui permet à Tarzan de visiter la civilisation en faisant comme si. Kong est la brute primordiale, l'instinct et la force, mais aussi le sentiment et la spontanéité. L'authenticité de son ouverture le rachète, même s'il ne peut exprimer que par des gestes, des mimiques et des grondements ce qu'il ressent. Dans le film de Peter Jackson, l'auteur Jack Driscoll finit par se rendre compte qu'il a eu tort de croire que l'actrice Anne Darrow pourra saisir le sens profond de ses actes — les actes de la pièce qu'il a écrit pour elle en croyant qu'elle comprendrait qu'il l'aime. Mais en assistant à sa propre pièce, Driscoll découvre qu'il y a mis des choses sans comprendre sur le coup comment elles s'appliquaient à son propre cas. Bref, il a négligé la parole, cet atout qui distingue les humains des animaux, alors que Kong, la brute muette, réussit à se faire aimer mais demeure du mauvais côté de la clôture.

Ce qui fait la force du film, c'est la transfiguration particulière (et particulièrement hénaurme) de ce qui est un motif classique de la littérature. La femme qui opte pour un personnage dangereux, incapable de s'exprimer, marginal et parfois activement rejeté est presque un cliché. Et cela se termine souvent par le sacrifice de l'homme qu'elle ne doit pas aimer, au profit ultime de l'homme qu'elle peut épouser... Mais Kong transforme tout ce qu'il touche; au lieu d'être abattu dans une fusillade avec des policiers, il mobilise l'armée et l'aviation de la capitale du monde. C'est plus grandiose (tout en restant quelque peu incroyable au sens propre). Et son personnage pose quelques questions sur les rapports entre les humains et la Nature, entre la civilisation et l'état de nature...

La seconde version de King Kong avait d'ailleurs fait du grand singe une sorte de symbole écologique. Celle de Peter Jackson se contente de mieux creuser le portrait au premier degré, sans chercher à introduire des lectures supplémentaires ou des sur-interprétations. La performance technique est impeccable. Seulement, je suis quelque peu déçu qu'un créateur de l'envergure de Jackson n'ait jamais cherché à nous proposer une allégorie plus moderne.

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2005-12-21

 

Le retour du religieux, une chance pour le futur?

Malraux n'aurait jamais dit que le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas, mais s'il l'a bien dit en 1968, il aurait parfaitement saisi le changement de sens du vent. Jusqu'à cette date, les grandes religions du monde subissaient le vent du changement soufflé par la modernité et elles pliaient. Le pape Jean XXIII avait convoqué le concile Vatican II (1962-1965) et mis en branle de vastes transformations liturgiques. Dans le monde arabe, le marxisme était plus à la mode que l'islamisme. Il existait encore un vaste ensemble de nations se réclamant officiellement du communisme. Au Québec de la Révolution tranquille, les églises se vidaient...

Mais tout allait changer avec la décennie suivante. En 1968, le pape Paul VI signait l'encyclique Humanæ vitæ qui fixait une borne inamovible à la modernisation de l'Église catholique. Les sectes néo-religieuses montaient en force (culminant, en un sens, avec le massacre de Jonestown en 1978). En 1978, le pape Jean-Paul II, nouvellement élu, annonçait un retour à un respect plus strict du dogme catholique; les Soviétiques n'oseraient pas l'empêcher de visiter la Pologne à un moment critique du déclin du communisme, tandis que les Chinois n'oseraient jamais le laisser mettre le pied en Chine... En Iran, la prise du pouvoir par Khomeini en 1979 aboutit à l'instauration du premier État islamiste, une théocratie chiite. Aux États-Unis, enfin, l'élection de Jimmy Carter en 1976 avait déjà signalé la recherche d'un retour aux valeurs chrétiennes de la part d'un électorat déboussolé par le cynisme de l'administration Nixon qui avait succédé à la Realpolitik des Démocrates. (Je rappelle que Carter, un Baptiste du Sud, professait le dimanche le catéchisme de sa confession depuis sa jeunesse, comme son propre père.) Le début de l'ascension des conservateurs chrétiens aux États-Unis sera confirmé par l'élection de Ronald Reagan et l'extension de leur influence ne sera interrompue que par la division du vote qui a permis l'élection de Bill Clinton; pendant ce temps, leurs missionnaires resteront actifs sur le terrain en Amérique du Sud et en Afrique.

Dans la mesure où les attentats du 11 septembre ont été religieux, le vingt-et-unième siècle a bel et bien commencé sous des auspices religieux. À l'islamisme de Ben Laden a répondu la foi affichée de George W. Bush et de Tony Blair. À Jean-Paul II a succédé Benoît XVI. En Iran, la pouvoir est maintenant aux mains d'une secte millénariste au sein même du chiisme.

Si c'est un retour du religieux, c'est parce qu'il était parti, ou avait fait mine de partir. Mais quand? Il faut remonter aux Lumières, bien entendu, puis au dix-neuvième siècle, qui fait la démonstration pratique des avantages du matérialisme. De manière assez intéressante, c'est à cette époque qu'on commence vraiment à imaginer le futur. En France, Mercier imagine la France dans quelques siècles. En Angleterre, Mary Shelley verse aussi dans l'anticipation et elle fait parler de futurity aux personnages de Valperga. Tout au long du dix-neuvième siècle, les progressistes fixeront à l'avenir la tâche de réaliser les espérances d'un monde meilleur et la culmination de cette tendance se verra bien sûr dans le marxisme.

L'avenir entre donc dans les esprits quand la religion en sort. Est-ce donc un substitut? Le futur est-il nécessairement une eschatologie laïque? Dans un essai célèbre, Vernor Vinge a diagnostiqué une hésitation à se projeter dans l'avenir chez les auteurs de science-fiction et il l'a attribué à la Singularité. Mais se pourrait-il que la Zeitgeist soit hostile à l'avenir parce que l'air du temps est aux passions religieuses?

Peut-être. Quand le futur est annoncé comme différent, il peut fixer les espérances et orienter les existences. Mais quand le futur est annoncé comme pareil au présent, on est rejeté vers soi-même et son existence présente, souvent jugée déficiente. La religion peut alors fournir des réponses — et un sens. Or, les anticipations les plus grandioses du vingtième siècke n'ont pas été réalisées. L'an 2000 n'a pas rempli ses promesses et le futur est tellement balisé par la planification qu'il apparaît maintenant comme une simple annexe du présent; il sera sans doute différent, mais pas au point de permettre tous les fantasmes.

Je suis conscient que cette analyse est un peu courte. Les croyants les plus militants n'ont sans doute jamais été des sceptiques ou des progressistes, et de nombreux citoyens, en particulier dans les pays industrialisés, vivent suspendus entre le mode de la croyance religieuses et le mode du scepticisme sans nécessairement prendre parti.

Sauf que le monde n'appartient pas à ceux qui s'abstiennent et il suffit d'un Osama Ben Laden, d'un George W. Bush, d'un Mahmoud Ahmadinejad pour changer le destin des nations. Leurs mots et leurs gestes peuvent faire froid dans le dos, mais je crois au retour du balancier. Pour se méfier du religieux, il faut faire de temps en temps l'expérience d'un monde gouverné par des croyants. L'humanisme et le progressisme ayant été discrédité par les excès du communisme ou par les hypocrisies des pays occidentaux, il faut maintenant donner au «religionnisme» le chance de se couler pour changer l'évaluation des autres options. En espérant que le monde ne sera pas détruit d'ici le retour inéluctable du balancier...

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2005-12-20

 

Souvenirs de Nantes

Saviez-vous qu'on peut marcher de l'Agence spatiale canadienne au Terminus Longueuil du métro de Montréal en deux heures et quart environ? Moi non plus. Mais disons que les températures négatives et les trottoirs encore encombrés par les vestiges de la bordée de vendredi corsaient un peu le niveau de difficulté.

Plus ou moins à droite, vous avez deux personnages incontournables de la SF internationale, soit l'auteur français Jean-Claude Dunyach (à gauche) et l'auteur brésilien Roberto Causo (à droite). Cette photo a été prise lors des Utopiales 2002 à Nantes. Je me suis dit que, pour ceux et celles qui regretteraient de n'être pas allés à Nantes cette année, je pouvais ressortir mes photos de l'époque.

J'avais été traité royalement à Nantes, cette année-là, et j'en garde un excellent souvenir. À en juger par les quelques commentaires des invités canadiens de 2005, l'expérience reste relativement semblable. J'y avais croisé de nombreux auteurs de partout au monde, dont l'Italien Valerio Evangelisti qu'on voit dans la photo ci-dessous, accoudé à une machine à écrire mutante qui pourrait sortir de Naked Lunch mais qui pourrait aussi être le travail de Giger ou d'un émule.

En 2002, les Utopiales avaient pris fin lors d'un authentique banquet digne des fastes de Lucullus dans l'ancienne biscuiterie LU, devenue un haut lieu de l'animation culturelle à Nantes sous le nom de Lieu Unique... Les biscuits LU existent toujours, et la pérennité de leur popularité saute aux yeux quand on découvre le décor particulièrement orné de l'ancienne biscuiterie nantaise. En sus d'une librairie et d'une scène, le Lieu Unique dispose d'un espace pour la restauration qui avait accueilli les heureux élus des Utopiales en 2002 sous des voûtes de pierre, si je me souviens bien, à deux pas de ces bras fluviaux qui sont tout ce qu'il reste en apparence des anciens cours d'eau (comme l'Erdre) qui traversaient la ville de Nantes. Au temps de Jules Verne, par exemple...

(À gauche, ma photo illustre l'ornementation poussée d'un angle de la biscuiterie LU.)

Même si j'ai passé certains étés de mon enfance en France, je ne conserve pas un souvenir particulier des biscuits LU (lancés par Louis Lefèvre-Utile vers 1846). Les biscuits véritablement caractéristiques pour moi de ces séjours français, c'étaient plutôt les "Choco BN" de la Biscuiterie Nantaise. Infects, dans une certaine mesure, car trop secs et insuffisamment chocolatés malgré leur nom, mais tout à fait singuliers. Dans mon souvenir, ils sont associés à des moments privilégiés avec des membres de la famille — mère, grand-mère, etc. — même si je n'avais jamais compris à cette époque que BN signifiait Biscuiterie Nantaise et que, sans doute, ces biscuits étaient aussi pour elles un lien avec Nantes, que l'on peut considérer comme un lieu d'origine de cette branche de la famille... Ces "Choco BN" évoquent maintenant des haltes et des pauses impromptues dans tel ou tel endroit sur les itinéraires touristiques. Dans un parc, aux portes d'un monument romain, à deux pas d'une cathédrale... ou encore sur le bord de la route, sous le soleil de plomb de la mi-juillet. Mon équivalent de la madeleine de Proust.

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2005-12-19

 

Le futur revient

Je me demande s'il faut remercier le président George W. Bush... Eh oui, sans lui, il n'y aurait peut-être pas ce regain d'intérêt pour le futur qui se manifeste depuis quelques temps. Après tout, il est l'utopiste le plus puissant de la planète, et, depuis septembre 2001, il ne s'est pas privé d'exposer sa vision de l'avenir, qui se résume à une croisade en faveur de la liberté et de la démocratie pour accoucher d'un monde entièrement composé de nations libres, démocratiques et pacifiques.

Son insistance génère-t-elle enfin des contre-discours? Il serait temps. Cette semaine, Radio-Canada (La Première Chaîne) nous promet une émission sur les utopies. Depuis deux ou trois semaines, Le Monde inclut des opinions sur le sujet des futurs possibles, et de l'avenir en général. (Il y a eu un article du philosophe Yves Michaud qui citait des auteurs de science-fiction.) En Italie s'est tenu en septembre dernier un grand colloque sur l'avenir façonné par le développement des sciences et des techniques.

Cette rencontre vénitienne était placée d'emblée sous le signe d'un souci pour le devenir de nos sociétés marquées par l'évolution des sciences et des techniques : «The idea of this conference springs from an awareness that the problems and dilemmas generated by unrelenting scientific and technological progress are not being adequately discussed in society as a whole. As science exerts an ever more pervasive influence on our lives, society seems ill-informed about the short and long term implications of scientific advance, little interested in strategic decisions regarding investment in research, and unaware of the social, economic and cultural consequences of the continuing technological revolution.»

Si la programmation de cette première rencontre semble avoir été un peu hétéroclite (et dominée par des débats médicaux justifiés par la subvention de fondations luttant contre le cancer), celle de l'an prochain semble déjà mieux structurée, à en juger par l'annonce (.PDF) qui en est faite sur le site.

Tout cela ne fait pas encore un mouvement cohérent, voire une contre-vision de l'avenir, mais ne nous privons pas de raisons d'espérer. Au minimum, les résultats des réunions de Montréal (sur le réchauffement climatique) et de Hong Kong (sur les échanges commerciaux) laissent entrevoir une détermination de ne pas dédaigner les futuribles... Même si les déclarations ne seront pas toutes suivies d'effet, elles posent des jalons — et dans la bonne direction, je crois.

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2005-12-18

 

La fin de Valperga

J'ai fini par le finir. Le roman de Mary Shelley est long, mais Valperga était plus long, semble-t-il, avant les coupes opérées par son père pour en faciliter la publication à Londres. Malgré certaines naïvetés, et beaucoup d'outrance juvénile (ou romantique?) dans la description des situations sentimentales, c'est un ouvrage admirable quand on se rappelle qu'il a été écrit par une jeune femme qui ne comptait pas même vingt-cinq années de vie. Mais comme je le disais il y a quelques jours, quelle vie que sa vie! Voyages, aventures, naissances, deuils, et le tout en compagnie de génies comme Percy Bysshe Shelley, Lord Byron, à l'ombre de son propre père William Godwin et du souvenir de sa mère féministe Mary Wollstonecraft...

Et puis, il y a la fréquentation des classiques de la littérature. Il est de bon ton, de nos jours, de ne parler ni de génies ni de chefs-d'œuvre, mais quel autre nom donner à l'ouvrage d'un esprit sagace, avisé, généreux, imaginatif? Il en reste sûrement quelque chose quand on a l'habitude de fréquenter les grandes plumes, et ce n'est pas notre époque portée à diriger les yeux des enfants vers la lucarne télévisuelle et ses inanités qui pourrait s'aviser de critiquer... Les maîtres du passé avaient leurs limites, mais il ne faudrait pas oublier leurs forces. Et je soupçonne que c'est à la fois la lecture des grands auteurs et une vie tumultueuse — et donc riche d'enseignements — qui permirent à Mary Shelley de signaler avec perspicacité, au détour d'un passage : « No one can act conscientiously up to his sense of duty, or perhaps go even beyond that sense, in the exercise of benevolence and self-sacrifice, without being repaid by the sweetest and most secure happiness that man can enjoy, self-approbation. » (p. 341)

Il y a deux semaines, John Park me demandait si, par Valperga, il fallait entendre Walpurga, c'est-à-dire sainte Walburge, dont la fête est le premier mai et la nuit précédente est restée vouée aux démons, la Walpurgisnacht qui se fête avec tous les êtres acquis aux puissances des ténèbres — et qui est sans doute apparentée à la nuit sur un mont chauve décrite par Gogol, mise en musique par Moussorgski et mise en images par Walt Disney... Je n'y avais pas pensé, même si sainte Walburge apparaît dans les «Saisons de Nigelle». Et j'avais oublié que Rossington y fait allusion dans sa préface, suggérant que la consécration à Walburge fait du château d'Euthanasia un lieu à part, une enclave hors du monde, tout comme la Walpurgisnacht échappait à l'ordre des choses en laissant les démons s'en donner à cœur joie.

Mais Walburge était aussi une sainte anglaise, sœur de saint Boniface et avec lui à l'œuvre sur le continent européen lors du renouveau de l'évangélisation chrétienne du Haut Moyen-Âge. Elle éloignait les chiens furieux ou rabiques (dans le roman, Euthanasia sauve Beatrice des Dominicains, les chiens de Dieu comme on disait en blaguant à l'époque) et elle apaisait les tempêtes. Quand Castruccio prend et rase la forteresse de Valperga, puis envoie Euthanasia sur la mer, la protection de Valperga n'opère plus et Euthanasia disparaît dans une terrible tempête...

Valperga pouvait donc évoquer aussi pour Mary Shelley le souvenir d'une moniale active à l'égale de ses compagnons masculins, mais plus ou moins identifiée à la constitution de ces mondes entièrement féminins qu'étaient les couvents et béguinages. Et Valperga apparaît plus ou moins comme un refuge assiégé par les démons du temporel, et par les maux du monde ici-bas qu'évoque Beatrice, tout comme les démons faisaient la fête aux portes mêmes de la journée de sainte Walburge le premier mai.

Si j'ai exprimé précédemment des réserves sur le travail du compilateur Michael Rossington, elles sont confirmées par son silence presque complet sur le dénouement du roman, soit la mort d'Euthanasia en mer. Il se borne à insérer une note qui rapproche la description de la disparition de l'héroïne dans la tempête des écrits de Mary sur la disparition de son mari dans une tempête sur la même mer, dont la description publiée par Mary dans sa préface aux Posthumous Poems de Percy, en 1824... Rappelons les dates. Le roman, nous le savons d'après la correspondance des Shelley, a été composé en 1819 et 1820, mais il n'est paru qu'en 1823, un an environ après la mort de Percy Shelley en mer en juillet 1822. Évidemment, Rossington est dans l'embarras parce que, une poignée de feuillets à part, il ne reste aucun état manuscrit du roman, seulement la première édition imprimée. La mort d'Euthanasia dans une tempête en mer, entre la Toscane et la Sicile, est-elle le résultat d'une révision postérieure à la mort de Percy Shelley ou n'est-elle qu'une coïncidence lugubre? Le nom même d'Euthanasia prend alors de nouvelles connotations et il faudrait savoir quand le nom a été donné. Mais, bien trop soumis aux décrets de la critique moderne qui interdit de rapprocher la fiction et le vécu de l'auteur, Rossington n'aborde pas ces questions. Dommage, car ce serait alors la vraie fin (c-à-d la finalité) de Valperga qui en serait éclairée.

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2005-12-16

 

Pour les amateurs de Jules Verne

L'année 2005, même si elle était d'abord l'année de la physique et d'Einstein, aura aussi été l'année de Jules Verne, de Nantes à... Montréal. En effet, à Montréal, le musée Pointe-à-Callière présente l'exposition Jules Verne, le roman de la mer, d'abord inaugurée au Musée de la Marine de Paris. Personnellement, j'ai pris un peu d'avance en participant en mai 2004 à la réunion de la North American Jules Verne Society à Washington. On me voit ici lors d'une réunion préliminaire des participants dans un bistrot français — eh oui, cela se trouve même de nos jours à Washington, au cœur de l'empire! (Je crois que la photo a été prise quelques heures avant la présentation que j'ai faite à l'Alliance française dans le cadre d'une soirée vernienne.) Lors de la réunion proprement dite de la NAJVS, j'ai parlé de la réception de Jules Verne au Canada francophone et de son influence sur la science-fiction. Cette communication était bien entendu une version préliminaire de mon article paru depuis dans Solaris. Cela m'a permis de rencontrer plusieurs personnes fort sympathiques, dont le Canadien Andrew Nash, qui a son propre site sur Verne. Pour les commémorations officielles de Jules Verne en France cette année, auxquelles Nash assistait, je lui ai fourni quelques idées sur Verne et le Canada, ce qui l'a incité à me créditer fort généreusement pour une part dans sa communication sur le sujet le 22 mars 2005.

Les derniers résultats de mes recherches sur la réception de Jules Verne au Canada francophone feront partie de ma prochaine présentation sur le sujet, dans le cadre des Belles Soirées de l'Université de Montréal, en février prochain... Au plaisir de vous y voir, qui sait?

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2005-12-15

 

Retour à Valperga

Je n'ai pas tout à fait fini de lire le Valperga de Mary Shelley, mais je commence à saisir certaines choses — enfin, je crois. Depuis que je lis Shelley, je suis toujours enclin à la rapprocher de ses personnages. Grâce à ses écrits et à sa correspondance, et aux gens célèbres qu'elle a côtoyés (ou dont elle était la fille), nous en savons beaucoup sur Mary Shelley.

Trop? En lisant La possibilité d'une île de Michel Houellebecq, je me disais qu'il était dangereux pour un auteur de devenir célèbre, du moins de son vivant. Il devient difficile de dissocier le personnage d'un livre de l'auteur qui lui insuffle une certaine vie. La vie de jetsetter controversé que décrit Houellebecq correspond-elle, oui ou non, à ses propres expériences depuis le succès de ces livres? Est-ce que cela n'affaiblit pas la lecture pour le lecteur trop bien informé? Dans le cas de Mary Shelley, qui est morte depuis longtemps, je dirais que c'est plutôt le contraire, sans doute parce que le personnage est plus sympathique que celui de Houellebecq. Quand l'auteur efface son personnage, il ou elle a intérêt à offrir quelque chose de mieux.

Or, Mary Shelley est un personnage essentiel du Romantisme — en particulier pour ceux d'entre nous qui écrivons de la science-fiction et qui nous soucions de ses racines les plus profondément enterrées. On ne souhaiterait à personne la vie de Shelley (les erreurs conjugales, les décès de ses proches, puis la pauvreté, puis une vieillesse solitaire, vécue aux crochets de son fils...), même s'il y a aussi eu les voyages en Europe dès la fin des guerres napoléoniennes, les séjours en Suisse et en Italie, l'amitié de Lord Byron... et l'écriture, toujours l'écriture. Elle a eu une chienne de vie, mais une telle vie fait regretter des espérances déçues quand on vieillit, et non de n'avoir jamais choisi de tenter le sort.

Autour du personnage central de Castruccio le condottieri triomphant qui a reconquis la ville de son enfance (Lucca), Valperga oppose deux personnages féminins. Il y a, d'une part, la noble Euthanasia, châtelaine du castel de Valperga qui se dresse aux portes mêmes de Lucca. D'autre part, il y a la jeune fille sans père, Beatrice de Ferrara. (Il serait intéressant d'explorer les rapports de cette Beatrice avec la Béatrice de Dante, morte à peine une trentaine d'années avant les événéments décrits dans ce livre. Beatrice de Ferrara apparaît d'abord à Castruccio comme une incarnation de la vertu et de la dévotion, qu'elle pousse au point de se croire inspirée par Dieu. Mais elle s'illusionne elle-même, et les autres. Dans quelle mesure Mary Shelley invitait-elle ses lecteurs à faire le rapprochement avec la Béatrice de Dante, "bénie" et "bénite" au sens propre de son nom, que le poète n'avait connue que de loin?)

Euthanasia a été élevée dans la vénération des grands classiques et en particulier dans l'admiration des vertus romaines. Elle est républicaine dans l'âme (ce qui, à l'époque de Mary Shelley, n'était pas entièrement innocent) et le nom que lui a donné Shelley traduit sans doute ces convictions. Euthanasia, "la bonne mort", n'est donnée qu'à ceux qui ont bien vécu et l'héroïne de Valperga, même quand elle est désespérée, refuse de désespérer de la vie. « Life is all our knowledge, and our highest praise is to have lived well. If we had never lived, we should know nothing of earth, or sky, or God, or man, or delight, or sorrow. » L'existence vaut plus que la souffrance et mourir pour faire cesser la souffrance ne serait pas une bonne mort. Il faut vivre jusqu'à la fin, malgré les peines et les chagrins, sans rechercher de consolation dans l'au-delà. N'est-ce pas là l'expression de la voix de ce que Mary Shelley aurait appelé sa raison?

En revanche, Beatrice croit au mal. Après avoir plus ou moins renoncé à se croire inspirée par Dieu, elle est devenue une prophétesse de la souffrance, une Cassandre désabusée. Dans un passage frappant, elle énumère les plaies qui affligent l'humanité. « Are you blind, that you see it not? Are you deaf, that you hear no groans? Are you insensible, that you feel no misery? Open your eyes, and you will behold all of which I speak, standing in hideous array before you. Look around. Is there not war, violation of treaties, and hard-hearted cruelty? Look at the societies of men; are not our fellow creatures tormented one by the other in an endless circle of pain? » Elle poursuit dans cette veine et sur cette lancée sur près de quatre pages complètes.

Née de père inconnu et d'une hérétique féministe qui voulait féminiser le Catholicisme et la papauté, Beatrice apparaît comme un autre masque de l'écrivaine. Même si elle ignore ses origines, Beatrice nous rappelle bien entendu la bonne âme de l'époque moderne, sensible à tous les malheurs de la Terre et portée à toutes les extrémités lorsqu'elle est trop sensible aux malheurs des autres. Cette compassion, qui cache sans doute une part de culpabilité refoulée, est sans doute singulièrement européenne, et il est fascinant de la voir surgir dans l'œuvre de Shelley au moment même où la Révolution industrielle établit le triomphe absolu de la civilisation européenne sur toutes ses rivales.

Mary Shelley ramenait sans doute ce débat entre une conception stoïque du monde et une conception... catastrophée de l'existence à des dimensions personnelles de sa propre vie. Vivre jusqu'au bout, ce qui sous-entend au moins l'espoir de découvrir des joies humbles dans le fait même d'exister, ou abandonner ogni speranza comme disait Dante, que cite justement Beatrice dans le passage en question? Mary elle-même, héritière d'une pionnière du féminisme et d'un père souvent décrit comme irresponsable, était sensible aux souffrances des autres parce qu'elle était ouverte à toutes les émotions que le Rousseauisme avait permis d'éprouver, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Mais si cette ouverture, si cette sensibilité était aussi la brèche qui laissait entrer le désespoir, l'amertume et le chagrin, le prix n'était-il pas trop élevé?

Je suis curieux de voir comment Mary Shelley va clore le débat dans Valperga...

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2005-12-12

 

Modèles sociaux canadiens

Dans le Globe and Mail de la semaine dernière (le jeudi 8 décembre, en fait), la section portant sur les élections s'intéressait aux circonscriptions les plus riches et les plus pauvres du pays (la richesse étant déterminée selon le niveau du revenu médian, et non du revenu moyen). La répartition provinciale n'était pas sans intérêt.

D'une part, les dix circonscriptions les plus riches — toutes les dix — se trouvaient en Ontario. Sur les trois premières, deux se trouvaient dans la région d'Ottawa, mais toutes les autres se trouvaient dans la région de Toronto. Il est quelque peu surprenant de ne pas trouver de circonscription albertaine dans cette liste; il faut croire que les revenus du pétrole ne bénéficient pas à tout le monde. La répartition géographique des circonscriptions ontariennes est également digne d'attention. Si les deux circonscriptions d'Ottawa englobent une partie du cœur de l'agglomération, aucune des circonscriptions de la région torontoise n'englobe une partie du cœur de l'agglomération. Elles se retrouvent toutes dans les banlieues plus ou moins éloignées.

Qu'en est-il des circonscriptions les plus pauvres? Sur les trois premières, deux se trouvaient au cœur de Montréal (Papineau et Hochelaga) et la plus pauvre de toutes au cœur de Winnipeg. En quatrième lieu, on retrouvait une circonscription au cœur de Vancouver. Mais sur les dix, six sont québécoises, deux sont manitobaines, une est terreneuvienne et l'autre est britanno-colombienne.

Si l'écart entre la première et la dernière circonscription de la liste des plus riches correspondait à plus de 6 000 $, l'écart entre la première et la dernière de la liste des plus pauvres correspond à moins de 4 000 $. Ceci suggère, comme on pourrait s'y attendre, que les circonscriptions aux revenus modestes sont plus nombreuses. Par conséquent, il tenait sans doute à peu de chose que telle ou telle circonscription fasse partie de la liste et on ne peut attacher qu'une importance relative à la représentation très élevée de circonscriptions québécoises.

N'empêche que ce petit rappel que le Québec est décidément la capitale de la pauvreté urbaine au pays devrait susciter quelques interrogations...

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Une personne, un vote

Demain, c'est jour d'élection dans ma circonscription provinciale. La bataille a eu l'avantage de tenir à distance, jusqu'à maintenant, les équipes d'affichage des élections fédérales. Le risque de confusion serait trop grand s'il fallait ajouter une autre série d'affiches aux reproductions plus grandes que nature des visages de Raymond Bachand (PLQ), Farouk Karim (PQ) et Omar Aktouf (UFP), sans compter la rayonnante Raya Mileva (ADQ) et le jeune Christopher Coggan des Verts.

Sans doute que tous les meilleurs poteaux sont déjà squattés, d'ailleurs. Les Libéraux de Raymond Bachand se démènent, en tout cas. J'ai été appelé deux ou trois fois, et j'ai même croisé Raymond Bachand en personne (mais avec son escorte) chez mon fournisseur habituel de photocopies et autres services de bureautique. Il m'a demandé si j'allais voter. J'ai raté l'occasion de lui répondre que je voterais plus volontiers si mon vote avait la même valeur qu'un vote en Gaspésie.

En effet, la circonscription d'Outremont compte 44 000 électeurs, à quelques individus près. La circonscription de Gaspé, pour ne prendre qu'elle dans les régions éloignées, compte 29 000 électeurs selon le site du Directeur général des élections du Québec. Le calcul est vite fait. Comme les 44 000 électeurs d'Outremont sont représentés par un seul député, tout comme les 29 000 électeurs de Gaspé, mon vote vaut les deux tiers d'un vote gaspésien. S'il y a des raisons logistiques et culturelles qui peuvent justifier certains écarts quand il s'agit de constituer des circonscriptions dans le Grand Nord, je suis beaucoup moins réceptif à ce raisonnement quand il s'agit de régions rurales dans le sud du pays. Les raisons culturelles n'interviennent pas et, soyons francs, les déplacements restent nettement plus faciles dans une telle région pourvue de routes (et parfois d'autoroutes) que dans la toundra où il faut se déplacer en avion. Alors, qu'un vote gaspésien pèse moitié plus que le mien me semble excessif.

Avant de faire l'essai de la proportionnelle (qui, à en juger par le rapport de 2002, reposerait toujours sur des circonscriptions arbitraires), je serais plutôt enclin à tenter celui de la représentation équitable : une personne, un vote!

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2005-12-06

 

D'une galaxie à l'autre

L'image que j'ai mise en-ligne l'autre jour de la Galaxie telle que les astronomes la conçoivent m'a rappelé une période de ma vie quand j'ai eu la chance de voir notre Galaxie de plus près, et sous un autre angle. De plus près parce que j'étais sur une cime des Andes, à 2 200 mètres d'altitude dans les montagnes du Chili. Et sous un autre angle parce que j'étais dans l'hémisphère sud. Comme Magellan en arrivant sous ces latitudes, j'ai découvert ces voisins de la Galaxie qu'il est facile pour les septentrionaux d'ignorer : les Nuages de Magellan.

Après avoir tenté de compléter des observations pour ma thèse, j'ai aussi voyagé un peu. En visitant les observatoires étatsuniens sur Cerro Tololo, j'ai pu voir de loin le site d'un télescope qui n'était pas encore construit : Gemini South, qui n'a été inauguré sur le pic de Cerro Pachón qu'en 2002. Son partenaire dans l'hémisphère septentrional, Gemini North, se trouve sur la montagne Mauna Kea de Hawaii. C'est de ce dernier observatoire qu'a été prise la photo ci-dessous (Gemini Observatory/GMOS Team) vers 1999 lors des premiers essais du nouveau télescope. Elle représente la galaxie spirale NGC 628 (Messier 74). Avant que les astronomes changent d'avis, elle apparaissait un peu comme le type même de la classe des galaxies à laquelle appartenait notre Voie Lactée.

Un jour, je numériserai les photos prises durant ce court séjour en mars-avril 1992. Mon séjour à l'observatoire canadien sur la montagne de Las Campanas avait coïncidé entre autres avec du très mauvais temps. L'hiver commençait bientôt, après tout. La photo suivante (Courtesy of Gemini Observatory) de l'observatoire Gemini South peut donner une idée des conditions que j'avais observées après la tempête. Au sommet de Las Campanas, il n'y avait pas vraiment eu de neige, même si les températures avaient chuté. En revanche, je pouvais voir de la neige sur les sommets voisins des Andes, plus élevés et donc plus froids.

Gemini South se trouve à 2 723 mètres d'altitude. L'observatoire qu'on voit ci-dessus occupe une éminence qui représente sans doute le point le plus élevé d'une longue crête visible des observatoires voisins de Cerro Tololo sous les traits d'une espèce de muraille qui surplombe des contreforts dénudés. Dans la photo suivante (Copyright 1999, Neelon Crawford — Polar Fine Arts/NSF/Gemini Observatory), on a le point de vue d'un hélicoptère survolant Gemini South et découvrant le paysage andin vers l'ouest, si je ne me trompe pas. Le point blanc sur la droite correspond au dôme de l'observatoire principal de Cerro Tololo, en contrebas. Les tons ocres du paysage sont tout à fait typiques, mais peut-être un peu exagérés.

Et la Galaxie? Par une nuit noire, loin des villes, on peut certes apercevoir la Voie Lactée du Canada, mais un voyage dans l'hémisphère sud permet de voir le centre de la Galaxie. Dans la photo suivante (Courtesy of Roger Smith/CTIO/NSF), prise sur le site de Gemini South, on peut voir la Galaxie comme on la voit du sommet d'une montagne. La première fois, on a le souffle coupé...


Quant aux Nuages de Magellan, ils surprennent autant qu'ils ravissent. Je ne sais plus si c'est Sagan ou Asimov qui avait suggéré que le modèle géocentrique de Ptolémée ne se serait jamais imposé s'il avait existé un satellite en orbite autour de Vénus. (Les observateurs de l'Antiquité auraient compris qu'il était possible d'avoir plusieurs centres de mouvements circulaires.) Les Nuages de Magellan apparaissent comme des satellites de notre Galaxie à une échelle tellement plus vaste que l'espace acquière une profondeur qu'il n'a pas nécessairement quand on doit se contenter des quelques étoiles visibles dans le ciel d'une ville de l'hémisphère nord.

Cette photo (Courtesy of Roger Smith/CTIO/NSF) montre le Grand Nuage de Magellan, prise par l'ouverture du dôme de Gemini South. La structure du télescope est visible à contre-jour, ou plutôt à contre-étoiles... Cela vaut bien les meilleurs effets spéciaux du cinéma, non?

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2005-12-05

 

Du classement des universités...

Tous les ans, l'Université de Toronto se retrouve en tête du classement des universités canadiennes, ou tout près. On entend alors des universités se plaindre de cette hégémonie. Mais les faits sont têtus et, pour les besoins de la recherche, les bibliothèques de l'Université de Toronto sont une des ressources les plus précieuses du pays — et un des principaux atouts de mon alma mater dans les classements. Elles le doivent à l'âge et à l'étendue de leurs collections, enrichies depuis peu par des dons de plus en plus nombreux.

Alors que je peaufine la bibliographie de la version finale de ma thèse, je viens encore de le constater. Un ouvrage savant qu'on m'a recommandé de citer ne se trouve dans aucune des quatre bibliothèques universitaires de Montréal, pas plus qu'à l'Université Laval, l'Université d'Ottawa ou à l'Institut canadien de l'information scientifique et technique. Mais il se trouve à l'Université de Toronto! Je pourrais le faire venir au moyen du Prêt entre bibliothèques, mais je ne peux plus attendre, alors qu'il aurait été envisageable de passer dans une bibliothèque montréalaise afin d'y jeter un coup d'œil par acquit de conscience et de pouvoir le citer honnêtement.

Il y a quelques années, au plus fort des recherches pour ma thèse, j'avais souvent fait le même constat. Le comble, c'était de trouver à l'Université de Toronto, ce qui n'était pas rare, des ouvrages savants français qui ne se trouvaient pas dans les principales bibliothèques universitaires à Montréal.

La culture au Québec, c'est aussi ça.

Ou plutôt, ça ne l'est pas.

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Le futur de la science-fiction (1)

Voici un titre aussi sujet à interprétation que le nom du blog. S'agit-il du futur tel qu'il est décrit dans la science-fiction? S'agit-il de l'avenir de cette catégorie littéraire?

Cette nuit, c'est l'avenir de la science-fiction comme moyen d'expression qui m'intéresse, mais j'ai soin d'ajouter un numéro puisqu'il serait impossible d'épuiser le sujet en un coup.

En ce moment, la fantasy occupe le haut du pavé du point de vue de la popularité ou du succès commercial, voire du retentissement médiatique. La science-fiction est de plus en plus cantonnée à des niches et créneaux spécifiques : les jeux vidéo, le dessin animé, des séries télévisées de plus en plus rares et quelques films qui s'inspirent des uns ou des autres. Et encore, il faut inclure des œuvres qui, dans le sillage de Star Wars, mâtinent la science-fiction d'éléments fantastiques ou carrément fantaisistes.

Pourtant, cette impopularité relative de la science-fiction pourrait être une chance. Je viens de compléter un grand survol de la nouvelle fantasy québécoise et je suis frappé par l'influence marquée des grands modèles — dont fait maintenant partie Guy Gavriel Kay. Le cinéma est aussi au nombre de ces influences qui façonnent jusqu'à l'arsenal narratif des auteurs.

Je me considère comme un auteur visuel, mais la lecture d'un roman dont les descriptions me font d'emblée penser à tel ou tel élément du vocabulaire visuel des cinéastes fantastiques est assez dérangeante. Lorsque de jeunes amateurs de fantasy se mettent à écrire quand ils sont encore jeunes, il leur est difficile de se détacher de leurs modèles. Le résultat commence à ressembler à la photocopie d'une photocopie d'une... Et reconnaissons qu'à cet âge tendre, ils troquent souvent la compréhension de la complexité des choses pour la passion. Sauf lorsque la passion est absente. Il n'y a rien de mal à tout ça, mais cela pourrait fixer un horizon indépassable aux jeunes générations d'écrivains de fantasy qui n'ont jamais eu l'occasion de se pencher sur leur écriture et sur leur création d'univers parce qu'il est tout simplement trop facile de se laisser porter par le courant puissant d'un fleuve déjà majestueux et qui n'ira qu'en se renforçant.

La science-fiction a sans doute déjà atteint les limites de cet enchaînement de calques répétés. Et elle a l'avantage de moins se prêter aux enthousiasmes juvéniles. Une Alexandra Larochelle peut être une jeune vedette de la littérature jeunesse en écrivant ce qu'Yves Meynard appelle le n'importe-quoi. Mais il est plus difficile de faire illusion en signant de la science-fiction. Ou peut-être que ce n'est tout simplement pas un genre qui passionne le tout-venant des lecteurs. On ne s'y met comme lecteur qu'à un certain âge, et on ne peut souvent s'y mettre comme auteur qu'après avoir investi un minimum de temps dans l'apprentissage des codes.

En revanche, j'ai l'impression qu'il est plus facile de renouveler la science-fiction. La fantasy n'est qu'un avatar de la littérature épique; elle peut exploiter de nouveaux filons mythologiques, mais les recettes de l'aventure dans un cadre pseudo-médiéval ou grosso modo pré-moderne sont toujours les mêmes depuis l'époque d'Artamène ou le Grand Cyrus. En revanche, la science-fiction peut intégrer le policier, le roman familial, la saga historique, l'histoire militaire ou le récit d'exploration sans trahir sa démarche. Et comme nous vivons dans un monde de progrès scientifiques ou technologiques, l'auteur n'a pas besoin de faire d'efforts immenses pour se renouveler. Des centaines de chercheurs et d'inventeurs lui servent sur un plateau d'argent de nouvelles réalités ou de nouvelles possibilités. Tiens, notre Galaxie est une spirale barrée? Tiens, il existe des galaxies fantômes qui ne contiennent que des gaz? (Qu'arriverait-il si un système solaire errant était capturé par cette galaxie invisible et que la vie prenait naissance sur une planète? Ce n'est pas tout à fait le scénario du roman Against A Dark Background d'Iain Banks, car les conséquences seraient différentes.) Découvertes et inventions nous font vivre dans un monde en constante évolution; rien de plus facile pour la science-fiction que de changer en se nourrissant de ces nouveautés.


Ci-dessus : Conception d'artiste du nouveau plan de notre Galaxie, selon Robert Benjamin de l'Université du Wisconsin à Whitewater. Courtesy NASA/JPL-Caltech/R. Hurt (SSC).

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2005-12-03

 

Routes et autoroutes

Au début du vingtième siècle, la traversée de l'Amérique du Nord en voiture était une odyssée qui pouvait exiger trois mois de voyage. (On le faisait pour le sport ou pour des raisons politiques, afin d'établir la nécessité de meilleures routes, car le train était infiniment plus rapide.) Cette lenteur résultait de deux facteurs : la fragilité des premières voitures motorisées (à combustion interne ou externe) qui avaient tendance à subir un bris quelconque à intervalles rapprochés et le piètre état des routes surtout prévues pour le passage local de véhicules hippomobiles. Après la Première Guerre mondiale, les routes commencent à s'améliorer même s'il n'existe pas encore d'autoroute comparable aux nouvelles autobahns allemandes. (Et, assez longtemps, on ne déneigera pas l'hiver.)

Je crois que c'était Robert A. Heinlein qui évoquait quelque part le rite de passage qu'était devenu la traversée des États-Unis en voiture vers la fin des années 30, malgré l'absence d'autoroutes. La science-fiction qui naît en 1926 doit peut-être quelque chose à cette expérience de la conduite... ou plutôt, du pilotage de véhicules individuels capables de braver les immensités nord-américaines. À cette époque, la voiture est vécue comme l'aboutissement d'une révolution de la mobilité individuelle qui avait commencé avec les bicyclettes, aboutissement temporaire en attendant de voir tout le monde accéder à la propriété d'un avion individuel! Il était sûrement naturel pour les auteurs de science-fiction (le très casanier Isaac Asimov à part) de transposer dans l'espace cette évolution en rêvant de sillonner le système solaire (ou la Galaxie, pour les plus ambitieux) aux commandes d'une fusée individuelle.

Il est facile de retracer la filiation qui mène des fans de la radio du début du siècle, des bricoleurs de l'électroniques et des autres hobbyistes aux fans de science-fiction. Gernsback s'adressait à eux parce qu'il était l'un d'eux. Mais il faudrait sans doute examiner un jour la présence parmi ces auteurs et ces lecteurs de fondus de l'automobile. Évidemment, s'ils considéraient qu'il allait de soi de fourrager dans un moteur, personne n'en a peut-être fait état.

Le lien entre les deux ressurgit à l'occasion. Quand j'étudiais en astronomie à l'Université de Toronto, le département disposait d'une mini-fourgonnette Plymouth Voyager. Tout naturellement, elle était surnommée V'ger par les étudiants diplômés (comme dans le premier film de Star Trek, dois-je préciser...).

En fin de compte, la voiture individuelle est demeurée indépassable. Quelques privilégiés s'offrent des avions, mais la majorité doit se contenter de rouler sur des autoroutes qui reproduisent plus ou moins l'expérience d'un voyage spatial dans une bulle, en traversant des paysages qui sont toujours un peu les mêmes.

On ne construit plus beaucoup d'autoroutes en Amérique du Nord, sauf pour améliorer les déplacements urbains et péri-urbains. Il est pourtant avéré que tout lien de communication rapide désenclave et transforme les rapports entre une région et le reste du monde auquel elle est désormais reliée. Si cela peut accélérer l'exode, cela peut aussi faciliter les aller retour et aussi les nouvelles arrivées. Et il y a l'effet psychologique...

Les habitants des communautés isolées du nord canadien, comme Kashechewan, peuvent se rendre ailleurs, mais personne ne se rendra chez eux, car il serait trop coûteux de le faire sur un coup de tête, et tout visiteur resterait à la merci du moyen de transport qu'il a employé pour venir. Ce sont des destinations, et non des lieux de passage.

Certaines régions dites éloignées le sont souvent parce que, même si elles ne sont pas aussi isolées qu'une bourgade comme Kashechewan, les routes qui les relient au reste du pays imposent une vitesse maximale. Il faut avoir conduit de Sault-Sainte-Marie ou Kapuskasing jusqu'à Thunder Bay, ou de Thunder Bay jusqu'à Kenora ou Winnipeg pour avoir une petite, une toute petite idée des immensités canadiennes.

Ces temps-ci, on déplore l'aliénation des régions. À l'ouest d'Ottawa, faudrait-il recommencer à penser à la construction d'autoroutes — ou de voies ferrées pour trains à haute vitesse? (Encore que ces dernières ne pourraient certainement pas couvrir les distances qui séparent le Moyen-nord ontarien du Manitoba. La densité de la population ne le justifierait pas au regard des contraintes de la technologie.) Oui, il y a l'effet de serre, mais plus il sera avantageux de rouler, plus les gens seront prêts à payer cher pour des voitures non-polluantes.

Et augmenter la vitesse moyenne sur les routes qui relient (et séparent) l'Est et l'Ouest du pays, ne serait-ce que de 10 km/h, rapprocherait les villes de l'Est et de l'Ouest d'au moins une heure...

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2005-12-02

 

Les élections canadiennes

Les médias sont décidément les porte-voix des mécontents. Des mois durant, les partis de l'opposition ont réclamé des élections pour mettre les Libéraux à la porte, et les médias ont suivi attentivement chaque péripétie de leur lutte à la Chambre des Communes. Des mois durant, des citoyens indignés par le scandale des commandites ont réclamé des élections.

Maintenant qu'il y aura des élections en janvier, plusieurs politiciens se plaignent d'être obligés de faire campagne pendant les Fêtes, les uns et les autres s'imputant la responsabilité de la tragédie en question. Quant aux journalistes, ils étaient catastrophés. Ils seraient obligés de quitter leurs bureaux chauffés et leurs fauteuils moelleux pour sillonner le pays en compagnie des politiciens, par des températures hivernales. Sort cruel.

Le public? Il se plaint du coût de l'élection et aussi d'être obligé de retrouver plus ou moins les mêmes le matin du 24 janvier... Du coup, on aura entendu plusieurs voix plaider pour des élections à dates fixes. Une telle règle empêcherait le parti au pouvoir de manipuler le processus électoral pour se faire réélire. L'Assemblée législative de l'Ontario examine en ce moment un projet de loi qui ferait du premier jeudi en octobre la journée désignée pour des élections provinciales, tous les quatre ans.

Mais je ne peux pas m'empêcher de regarder du côté des États-Unis et de penser que le système parlementaire conserve des avantages. En ce moment, le président Bush est en mauvaise posture, sa popularité est au plus bas et les membres de son parti sont mal à l'aise face aux échecs de ses grandes initiatives politiques. Mais il est inamovible. Il occupera la présidence jusqu'à la fin de son mandat constitutionnel, point à la ligne.

Un système parlementaire est un peu plus flexible. Il est certes possible pour un premier ministre impopulaire de s'accrocher (on se souviendra des derniers mois de Brian Mulroney) jusqu'à la fin du mandat de cinq ans, mais comme le premier ministre est aussi le chef du parti (soit du parti tel qu'il existe dans l'enceinte parlementaire, soit d'un parti plus large), le parti s'inquiétera de la possibilité de perdre le pouvoir quand un premier ministre devient par trop impopulaire et celui-ci se fera montrer la sortie. Cela peut se passer brutalement (comme lorsque les Conservateurs en Angleterre ont évincé Thatcher) ou cela peut se passer en douceur (si le chef accepte d'annoncer sa démission et de provoquer une course à la chefferie, comme dans le cas de Chrétien). Cela ne sauvera pas nécessairement le parti (on se souviendra de Kim Campbell... oui?), mais l'option a l'avantage d'exister et d'abréger les dégâts potentiels que peut causer un chef du gouvernement dont l'impopularité est justifiée.

Quand le parti ministériel ne jouit que d'une courte majorité ou est carrément minoritaire, son impopularité encouragera les défections ou même les combinaisons de ses adversaires pour le faire tomber. Dans ce cas, c'est l'existence même du gouvernement qui sera abrégée.

Et si les électeurs reportent au pouvoir les mêmes, ceux-ci en auront peut-être retiré quelque salutaire leçon. Bref, s'il me faut choisir entre le système canadien qui nous offre un premier ministre affaibli à la tête d'un gouvernement minoritaire et le système étatsunien qui maintient au pouvoir (et avec les pleins pouvoirs!) un président impopulaire, à la légitimité contestée, je crois que je sais lequel des deux me semble préférable...

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2005-12-01

 

Transition

Je visais la date d'aujourd'hui pour rendre ce blogue public, voire pour le publiciser, tout en annonçant aussi, qui sait, un site personnel. Il n'y a toujours pas de site pour l'instant, mais j'amorce quand même la transition en attendant de voir si cela changera quoi que ce soit...

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