2020-06-28

 

Sonnet pour Sonia

Quand l'amour se heurte à une porte fermée
qui, forcée, ouvrira seulement sur un monde
où les larmes coulent et le silence abonde,
périra-t-il avec le départ de l'aimé ?

Quand d'amers regrets nous assaillent, triste armée
qui, de souvenirs sans prix, aussi nous inonde,
tuant l'espoir que sa voix à nos pleurs réponde,
l'amour survivra-t-il au départ de l'aimé ?

Tout est fini quand l'existence se fracture,
mais rien n'est aboli tant que l'amour dure

(sauf le rire qui éclairait nos lendemains,
les joies attendues pour racheter les jours noirs
et les plaisirs tranquilles au bout du chemin)

Car l'amour vit — tant qu'on raconte son histoire

Libellés :


2020-06-04

 

Épidémies et pandémies en science-fiction

Dans mon rôle d'écrivain en résidence à l'Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique de l'Université d'Ottawa, j'ai signé ces derniers jours deux billets sur la pandémie de Covid-19 et la science-fiction.

Dans un premier temps, j'ai offert un survol rapide de quelques ouvrages et thèmes.  Dans la science-fiction, l'épidémie n'est que rarement une simple épidémie dans le genre de celle qui surgissait dans Un hussard sur le toit de Giono (et même dans ce dernier roman, le potentiel de bouleversement social d'un mal infectieux apparaissait assez clairement, il me semble).  Dès Le Dernier Homme (1826) de Mary Shelley, la maladie peut devenir un fléau exterminateur qui menace l'avenir de l'humanité.  Des variantes apparaissent après, comme dans « A Legend » (1881) de Lafcadio Hearn où une pandémie mondiale élimine tous les hommes sauf un.

La guerre bactériologique est une réalité de longue date.  On se rappellera ces tentatives médiévales de décimer une cité assiégée en catapultant à l'intérieur des carcasses contaminées, ou ce général britannique qui, au XVIIIe siècle, voulait distribuer aux autochtones des couvertures porteuses de la variole.  Mais les travaux de Pasteur et de plusieurs autres à la fin du XIXe siècle mettent en lumière les causes de certaines maladies infectieuses.  Dès lors, de nombreux auteurs envisagent l'utilisation des maladies contre des ennemis : extraterrestres déployant des maladies contre l'humanité, terroristes instrumentalisant le choléra contre un gouvernement tyrannique, microbes terriens à la rescousse contre les envahisseurs martiens de Wells...  La peur d'une guerre microbiologique est demeurée, même si elle a connu des recrudescences au moment des guerres mondiales, puis à partir des années 1970 quand les progrès de la génétique permettent d'envisager des maladies faites sur mesure pour déjouer toutes les parades, comme dans The White Plague (1982) de Frank Herbert.  Cette crainte surnage encore aujourd'hui, sous la forme des théories du complot qui attribuaient le nouveau coronavirus à de sombres plans ourdis par les Chinois ou les États-Unis, selon le cas.

Quelques ouvrages, comme La Peste (1947) de Camus, ont moins cherché à anticiper qu'à décrire les réactions humaines face à un pic épidémique : la sidération, l'égoïsme et même l'opportunisme.  Le fléau devenait une allégorie des autres catastrophes (in)humaines du milieu du siècle dernier.

Le retour des pandémies s'est accéléré après la Seconde Guerre mondiale : grippe asiatique des années 1950, grippe de Hong Kong des années 1960 et SIDA des années 1980.  Puis, depuis l'aube du nouveau siècle, le SRAS, le MERS, les grippes aviaire et porcine, l'Ebola et le Zika, entre autres pandémies réelles ou appréhendées.  Du coup, le thème de la pandémie s'est imposé dans la science-fiction.  Dans une certaine mesure, la pandémie a remplacé l'invasion extraterrestre et la guerre atomique d'antan : il s'agit d'une apocalypse qui permet de faire table rase et d'imaginer un monde différent (et rarement meilleur).  L'action est souvent au rendez-vous et les infectés de la pandémie remplacent les mutants ou les extraterrestres des récits antérieurs.  La popularité du thème pandémique, bien visible dans les chiffres que j'ai recueillis, est aussi dopée par la popularité des zombies.  Ce ne sont pas tous les zombies qui sont des personnes infectées : les auteurs ont imaginé d'autres scénarios pour justifier l'apparition de zombies, mais la plupart ont lié leur existence à la propagation de virus ou d'autres agents pathogènes.

La combinaison de ces facteurs entraîne de fait une explosion dans le nombre d'ouvrages à traiter de maladies épidémiques durant la dernière décennie.  Autant que les épidémiologistes, les médecins ou Bill Gates, la science-fiction a vu venir une pandémie.  Avec l'aide de quelques encyclopédies, j'ai fait quelques coups de sonde successifs pour explorer le corpus et chaque tentative n'a fait que confirmer la tendance.  Par conséquent, même si mon échantillon est partiel et dominé par les ouvrages de langue anglaise (comme on le voit dans ce diagramme), je crois qu'il correspond à une réalité.

Je ne me suis pas cantonné d'ailleurs aux seuls livres : des nouvelles, des films, des séries télévisées et des jeux sont aussi recensés.  Néanmoins, les livres dominent, en partie parce que les encyclopédies du genre les privilégient.  Les nouvelles (sous la forme d'anthologies, de recueils et de nouvelles individuelles) représentent néanmoins la seconde catégorie en importance.

L'évolution est claire dans le diagramme ci-après.  L'augmentation des titres par décennie ne cesse d'augmenter et même le chiffre pour les quelques mois de l'année en cours est déjà respectable.  Il y avait une tendance à la hausse avant 2010, mais la dernière décennie écrase toutes les autres.

En incluant les productions par catégorie, on obtient le diagramme suivant qui démontre la présence grandissante du thème sur les écrans (cinéma, télévision, jeux vidéo) depuis les années 1970.  Néanmoins, l'accroissement du nombre de textes demeure énorme (plus qu'un doublement par rapport à la décennie précédente) et il est difficile de ne pas reconnaître un caractère prophétique à cette production.  S'il est possible d'expliquer cette augmentation comme je le fais ci-dessus, il reste nécessaire de se demander pourquoi des auteurs en tous genres ont été sensibles à cette possibilité alors que plusieurs gouvernements sont restés sourds et aveugles.
Dans mon second billet, j'ai proposé quelques pistes pour comprendre l'utilité de la science-fiction au temps de la pandémie.  D'abord, on a proposé parfois (et même récemment) que le dépaysement propre à la science-fiction renforçait les capacités d'adaptation des jeunes lecteurs.  On peut même se demander si les adultes aussi ont recours à la fiction pour s'adapter à des situations nouvelles.  Au début de la pandémie, les ventes et les téléchargements d'ouvrages décrivant des épidémies et des pandémies ont connu une hausse soudaine.  Le diagramme ci-dessous reproduit les données de Google Trends pour trois cas qui me semblent potentiellement typiques.  À première vue, il ne s'agit pas d'une demande soutenue, qui se perpétuerait sur la durée de la pandémie ou du confinement.  La demande initiale est apparue au moment où la population était confrontée à quelque chose de neuf et d'inattendu, se cherchant des repères et se procurant des livres ou des films susceptibles d'en offrir.

Au-delà de ce rôle d'apprivoisement de l'inattendu au service de la résilience individuelle, la science-fiction devrait interpeller nos décideurs.  La résilience institutionnelle pourrait-elle profiter d'une plus grande attention aux productions de la science-fiction ?  Aux éventualités que la science-fiction aborde ?  Depuis quelques années, plusieurs gouvernements (en Chine, au Canada, en France, par exemple) font appel aux auteurs de science-fiction pour envisager des possibilités et des scénarios que la prospective classique écarterait peut-être.  Mais il s'agit souvent d'exercices limités dans le temps ou marginalisés par les structures en place.  Au fond, mon second billet pose la question d'une priorisation possible d'une intégration à la fois de la mémoire historique et de l'imagination disciplinée dans les prises de décision de nos gouvernements.

La suite dans quelques mois...

Libellés : ,


This page is powered by Blogger. Isn't yours?