2011-04-28

 

Un prix littéraire majeur du Québec pour un auteur de science-fiction

Ce n'est pas fréquent. Un prix littéraire majeur du Québec vient d'être remis à un auteur de science-fiction. Ailleurs au Canada, certes, Margaret Atwood a été honorée plusieurs fois et elle a notamment reçu le Prix du Gouverneur-Général en 1985 pour The Handmaid's Tale, mais ce n'est pas si facile d'identifier un auteur québécois ayant reçu un prix littéraire majeur (je ne compte pas, bien entendu, les Prix Aurora, les Prix Boréal ou le Grand Prix de la SFFQ devenu Prix Jacques-Brossard) au Québec. Dans le temps, Jean-Charles Harvey a obtenu un Prix David (l'ancêtre des Prix du Québec) en 1929 pour L'Homme qui va, un recueil qui inclut plusieurs nouvelles de science-fiction, mais c'est remonter un peu loin.

Quel est donc l'auteur primé? Il s'agit d'Amitav Ghosh qui reçoit le Grand Prix littéraire international Metropolis bleu 2011 pour son roman Un Océan de pavots, le premier volume d'une trilogie. Même s'il s'agit apparemment d'un roman d'aventures teinté d'un fantastique plus ou moins discret, n'oublions pas que Ghosh a aussi signé le roman de science-fiction The Calcutta Chromosome, qui avait obtenu le prix Arthur C. Clarke en 1997. Ce qui permet de relever qu'une autre gagnante du prix Arthur C. Clarke a obtenu le Grand Prix littéraire international Metropolis bleu : Margaret Atwood...

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2011-04-27

 

Les fictions du chaos

Dans le court roman L'Humain de trop (Coups de tête, 2011) de Dominique Nantel, l'action ne manque pas. Une jeune fille quitte le village familial en emportant les économies du ménage. Très rapidement, la jolie Fasciola se retrouve dans une ville flottante en plein océan, Cité-sur-Mer, où cohabitent les riches de ce monde et une faune interlope bigarrée ou pittoresque (selon l'adjectif conventionnel que vous préférez). Après avoir été en butte aux tentatives d'exploitation usuelles dans ce contexte, Fasciola fait la rencontre de Mitri, un jeune itinérant qui est en fait un squatter audacieux (le meilleur dans son genre, bien entendu). Chaque nuit, il s'installe dans une nouvelle demeure dont il a violé l'intimité. Les deux jeunes gens bénéficient de la protection de Sweet, un colosse qui recherche sa mère dans les vidéos pornos qu'il visionne, mais leur rencontre attise aussi la jalousie d'une soupirante transie de Mitri, qui le dénonce aux traqueurs professionnels de squatters. Mais comme Fasciola tombe dans le piège tendu à Mitri, c'est la mère de Fasciola qui entre alors en scène en déclenchant un mouvement populaire mondial (afin de forcer les employeurs des traqueurs de squatters à libérer sa fille) qui va provoquer la révolution dans Cité-sur-Mer.

L'unique idée à relever de la science-fiction surgit dans les toutes dernières pages. L'autrice, qui est une scientifique, exploite une forme de parasitisme bien connue, mais pas chez l'humain, afin d'expliquer le comportement parfois mystérieux de Fasciola. (Dans le cadre de l'histoire, la transposition chez l'humain ne tient pas, car si l'infection était fréquente, Mitri aurait été au courant des symptômes de cette contamination chez Fasciola.) Sinon, le reste du récit verse sans aucun doute dans l'anticipation, mais le futur indéterminé assez caricatural, la ville sans grande raison d'être et les personnages colorés (mais sans grande profondeur) rappellent surtout un univers de BD, plus axé sur les ambiances et les surfaces. Il manque à l'ensemble la cohérence d'un véritable univers de science-fiction, qui tient par un faisceau de correspondances, alors que Nantel procède en chargeant le tableau de traits singuliers ou frappants sans s'inquiéter du portrait d'ensemble. La révélation de liens familiaux unissant plusieurs personnages achève de subordonner le cadre à l'intrigue, comme dans une pièce de théâtre où les mariages à venir comptent plus que tout le reste.

La description d'une société mondiale en pleine déliquescence peut rappeler, comme je l'indiquais dans le cas de Gélinas, l'existence sans repère ni balise des personnages de Sernine dans le monde de « Stardust Boulevard ». Mais si certains personnages de Sernine souffraient de cette absence de tout but, ceux de Nantel (voire de Gélinas) ignorent les séductions de finalités qui transcenderaient leur quotidien individuel.

S'il y a révolution, c'est la mère de Fasciola qui la déclenche et quasi par inadvertance. Les jeunes protagonistes n'auront été qu'un élément déclencheur, tout comme ils étaient aussi les victimes d'un ordre des choses les dépassant. Ce serait tentant d'en tirer des conclusions sur l'atmosphère sociale et politique du Québec actuel, mais ce ne serait pas facile de départager ici ce qui relève de l'esprit des temps et ce qui relève d'une tradition littéraire (établie depuis au moins Blade Runner et le cyberpunk) qui a permis au roman noir de fournir à la science-fiction un ensemble de représentations codifiées de la déglingue urbaine.

Cela dit, il convient de signaler l'efficacité de l'écriture qui résume de manière aussi saisissante qu'alerte la trajectoire de plusieurs personnages. Nantel inclut, de façon fort habile, un élément prémonitoire incarné par le personnage de Pacifique O'Bomsawin — l'Indien — dont les vaticinations fournissent à la fois le titre, la fonction du personnage principal et le mot de la fin.

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2011-04-22

 

Les voix brillantes

Ce sont les voix qui se glissent sous les pages
les voix belles ou non, les voix qui nous tiennent,
par leur talent ou leurs plaies, toujours en haleine
en attendant d'elles un soudain passage,

de l'aide pour trouver la clé de la cage,
un souvenir d'amour ou un éclair de haine,
quand ces voix d'encre nous entrouvrent leur domaine
et assurent que nous aussi sommes sages

Ce sont des voix qui se taisent pour ressurgir,
comme le vent se fait calme avant de mugir,
qui nous font espérer la prochaine lecture

et redouter qu'un jour les mots ne brillent plus
qu'il n'y aura plus de nouveauté en pâture
rien qu'une page tournée avant d'être lue

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2011-04-21

 

Une Terre et son rédempteur

Premier Québécois publié par Denoël depuis Élisabeth Vonarburg, Martin Lessard signe un premier roman intitulé Terre sans mal, qui vient d'arriver au Canada. C'est l'histoire d'un premier contact qui a lieu d'abord en 1337, puis en 2088. Des extraterrestres rencontrent d'abord U'tal, un Guarani de l'Amazonie qui a quitté son village pour trouver la Terre sans mal, le lieu béni de sa divinité qui échapperait à l'emprise de l'avidité, de la brutalité et de la cruauté qui caractérisent trop souvent les humains. Si le héros de Stanley Péan faisait penser (d'une manière méta-narrative) au Hero with a Thousand Faces de Joseph Campbell, la première partie de Terre sans mal de Martin Lessard fait carrément penser à un décalque du schéma campbellien. Le personnage d'U'tal quitte son visage natal, affronte de nombreux périls, se jette un défi suprême au risque de sa vie et reviendra chez lui, en un certain sens, pour offrir à ses semblables ce qu'il a gagné au péril de sa vie.

Dans la deuxième partie du roman, on saute en 2088. La Terre réchauffée a les pieds dans l'eau, mais elle a aussi des bases sur la Lune et Mars. Quand les extraterrestres reviennent en 2088, U'tal leur sert d'émissaire afin de représenter la collectivité extraterrestre qui l'a ravi à son espace-temps d'origine. Désormais, il est un peu plus qu'un pantin commandé par l'esprit collectif des voyageurs extraterrestres, et un peu moins que l'adolescent brûlant de trouver l'Abaagui.

Le monde de 2088 n'est guère différent du nôtre. Dominé par la Chine et les États-Unis, il fait une place à l'Europe et à un Québec apparemment indépendant. L'évolution technologique a rendu les voyages spatiaux plus faciles, mais la Terre continue de se réchauffer et les réfugiés climatiques de se multiplier.

Le président des États-Unis, Devon Porter, a tout du clone de George Bush. Quand les extraterrestres offrent à l'humanité un marché sans précédent, Porter saisit l'occasion de s'accaparer le pouvoir suprême pour longtemps. Les moments de crise ont toujours du bon pour quelqu'un...

L'opposition à Porter est incarnée par la jeune Nat Bérubé, la fille d'un magnat québécois de la presse mondiale. Alors que la situation s'enflamme sur le sol des États-Unis, elle va animer une mobilisation mondiale qui prendra la forme d'une conférence internationale chargée d'adopter une déclaration encadrant tout contact présent ou à venir entre l'humanité et des créatures extraterrestres.

L'ouvrage mise sur l'émotion et la morale, et non sur les rebondissements de l'intrigue ou l'originalité des idées. Dans une certaine mesure, il tient du conte philosophique. Les principaux personnages de Lessard doivent trancher, face au marché proposé par des extraterrestres qui recherchent la transcendance collective en récoltant les espèces intelligentes. Les conditions du marché les forcent à choisir leur camp, celui de l'abjection ou celui du renoncement.

Toutefois, les dés sont pipés. Les seuls partisans de la transaction proposée sont de véritables ordures, ce qui évacue le dilemme bien réel qui se serait posé s'il avait fallu débattre de l'opportunité de rejeter des techniques susceptibles de mettre fin aux maladies et de prolonger la vie humaine. Du coup, le débat n'est guère possible et le dénouement du roman ne fait aucun doute. Mais comme les protagonistes sont sympathiques, leur triomphe obtient la pleine adhésion des lecteurs.

L'intérêt de Terre sans mal est ailleurs. La déclaration d'indépendance des bases lunaires et martiennes émeut, si ce n'est que parce qu'elle emprunte à des textes fondateurs qui ont toujours aussi fière allure (Heinlein avait déjà fait le coup dans The Moon Is A Harsh Mistress) et qui, depuis quelques années, ont retrouvé toute leur actualité. Dans le contexte décrit par Lessard, les accents les plus revendicateurs de la déclaration gênent un peu aux entournures, car ils s'ajustent mal à la situation, mais il est permis de soupçonner que l'auteur laisse percer une certaine satisfaction identitaire en consacrant autant de pages à cette déclaration. Cela dit, dans la fiction comme dans la réalité, on notera que le prix sera payé par un personnage autochtone, sacrifié pour les autres — ce qui rapproche l'histoire de Lessard du premier roman de Gélinas, qui s'intéresse aussi à la place des premiers habitants dans un monde renouvelé et refondé. La Terre sans mal rêvée par le héros campbellien sera aussi une Terre livrée à autrui.

Lessard choisit en définitive d'imaginer une humanité qui réagit à retardement, mais qui réagit de manière positive et même encourageante. Ce n'est pas de l'angélisme, certes, car l'histoire démontre que c'est une réaction possible. Toutefois, l'histoire démontre aussi que la meilleure volonté du monde reste parfois l'otage d'un système. Il aurait parfois été plus convaincant de se faire dire pourquoi d'autres pays que les États-Unis n'auraient pas été tentés par le même marché...

L'écriture de Lessard oscille entre un style narratif utilitaire, un vocabulaire parfois excessivement châtié et une langue parlée qui se fait québécoise et familière quand ce sont les personnages québécois qui prennent la parole. Je suis toutefois resté perplexe face à l'utilisation de l'exclamation « calife » là où on attendrait «calice » : simple coquille systématique ou gag dont la subtilité m'échappe ?

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2011-04-20

 

L'empire et ses mercenaires mécaniques

Je me suis replongé récemment dans l'histoire des trois grands empires mondiaux de l'Histoire récente : l'espagnol, le britannique et l'étatsunien. L'épuisement financier a été un des points tournants dans l'histoire des deux premiers.

Tout au long du XVIe s., l'empire espagnol de Philippe II et des Habsbourg se bat sur plusieurs fronts, des Pays-Bas et de la Méditerranéee jusqu'aux côtes du Chili et aux Philippines en passant par les Andes et même le Brésil durant l'union des couronnes espagnole et portugaise. Même si l'empire espagnol n'est pas nécessairement l'entité politique la plus populeuse au monde, c'est la première à avoir une telle ampleur mondiale. Mais les multiples combats menés par les tercios espagnols sont trop nombreux pour que les simples soldats castillans suffisent à la tâche, de sorte que la couronne espagnole va devoir compter sur des mercenaires qui seront payés non seulement avec l'or des Amériques (en faisant d'ailleurs fructifier et augmenter la valeur des exportations en or et en argent des colonies américaines) mais aussi avec le produit d'impôts extraordinaires — et aussi d'emprunts contractés auprès des banquiers de Gênes, Augsbourg, etc. Car les mercenaires coûtent extraordinairement cher... L'empire espagnol, serré à la gorge, sera même obligé de déclarer faillite plus d'une fois afin de renégocier le remboursement de ces emprunts. L'effort sera trop grand pour l'Espagne, en particulier après l'échec de l'Invincible Armada en 1588 : malgré de beaux sursauts, l'empire doit renoncer à ses espoirs hégémoniques entre 1640 (révolte portugaise) et 1659 (Traité des Pyrénées).

L'empire britannique se sera mis un peu dans le même cas que l'empire espagnol au moment de la Première Guerre mondiale. Afin de contrer la coalition animée par l'Allemagne, les Britanniques vont dépenser sans compter, soutenant de leurs deniers les effort de guerre français et italien en épuisant leurs avoirs propres avant de se tourner vers les États-Unis et de contracter des emprunts. Même si les Britanniques sont au nombre des vainqueurs en 1919, ils ne pourront jamais s'en remettre financièrement et la Seconde Guerre mondiale portera le coup de grâce aux équilibres financiers de l'empire, qui sera liquidé entre 1947 et 1960, grosso modo.

De nos jours, l'empire étatsunien demeure la seule super-puissance, mais ses bases financières vacillent. Là où l'empire espagnol devait acheter des mercenaires et l'empire britannique des alliés comme la France, l'empire américain mise plutôt sur la machinerie (drones, hélicoptères de combat, porte-avions, sous-marins) pour maintenir sa suprématie militaire. Or, la machinerie, cela coûte cher. Extraordinairement cher. On l'a bien vu dans le cas de la Libye: en quelques jours, les États-Unis ont dépensé près de trois cents millions de dollars en missiles de croisière et autres missions exécutées par des machines de pointe. Depuis que les États-Unis se sont retirés des combats, le reste de l'OTAN peine à remplacer leurs machines de guerre. Or, comme les États-Unis peine à équilibrer ses budgets, on pressent un épuisement financier grandissant...

Les États-Unis s'étaient redressés après la ponction de la guerre du Viêt-nam et la crise pétrolière des années soixante-dix. Aujourd'hui encore, ils dispensent d'une marge fiscale exceptionnelle puisque les dépenses gouvernementales (et donc impériales) représentent une portion exceptionnellement basse du PIB (environ 10 à 20 points de pourcentage de moins que la plupart des autres pays riches). Certes, une partie de cette marge correspond à des dépenses privées aux États-Unis (pour la santé, par exemple) qui sont des dépenses publiques ailleurs. Mais l'exploitation de cette marge permettrait un redressement des comptes sans grande difficulté. Le problème est avant tout politique et pose la question de savoir si les États-Unis désirent demeurer une puissance impériale, dont le bras armé est constitué de missiles et de robots.

Une interrogation qui tombe à point puisque, demain, selon la mythologie de l'univers de Terminator, ce sera le jour de la déclaration de guerre à l'humanité par les robots militaires des États-Unis...

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2011-04-19

 

Si vous êtes jeune, votez!

En fait, c'est un peu simpliste, comme slogan. Mais la baisse de la participation aux scrutins fédéraux a concentré l'attention de beaucoup de personnes sur la faible participation des jeunes au Canada. Du coup, des jeunes universitaires se sont pris en main. À l'Université d'Ottawa, inspirés par les étudiants de Guelph et par une soudaine fièvre pan-canadienne, la jeunesse du lieu a produit la vidéo disponible ici (et sans doute sur YouTube, mais je n'ai pas vérifié).

Statistiquement parlant, on peut douter de l'efficacité de la chose. D'une part, les étudiants universitaires ont souvent plus de mal à voter que les autres parce que la circonscription dans laquelle ils sont inscrits ne correspond pas toujours à celle où ils séjournent pour leurs études. D'autre part, ils sont censés appartenir à la frange la mieux informée de leur cohorte d'âge : ceux et celles qui seront mobilisés par des textos auraient sans doute voté de toute manière. Selon un article du Globe and Mail, les étudiants universitaires votent dans les mêmes proportions que la moyenne canadienne ; ce sont les jeunes du même âge qui ne sont pas à l'université qui votent beaucoup moins... Néanmoins, on peut espérer que, par la magie des réseaux sociaux, l'effet d'entraînement déborde le cadre des universités...

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2011-04-18

 

Ponts-boulot-dodo

À Montréal, la routine du quotidien est désormais en danger. La boîte noire des techniques est ouverte. Le pont Champlain n'est plus cette étape des trajets quotidiens que l'on complète sans jamais penser (ou presque) au fleuve qui se trouve sous le tablier...

Et l'association Champlain en Chantier a d'ores et déjà lancé une pétition...

À Montréal, la routine du quotidien est désormais en danger. La boîte noire des techniques est rouverte. L'échangeur Turcot n'est plus (s'il l'était encore, ces dernières années) cette étape des trajets quotidiens que l'on complète sans jamais penser (ou presque) au vide qui se trouve sous le tablier, ou au béton qui s'effrite au-dessus des voitures...

Eh oui, on a l'impression que l'actualité bégaie... Il y a quelques années déjà, j'écrivais sur sur ces infrastructures québécoises pas si durables (il y a presque cinq ans, dans ce billet) et, il y a quelques jours à peine, je notais l'attention portée aux infrastructures à reconstruire dans le manifeste de Legault et Sirois.

Mais qu'a-t-on fait pendant quatre ou cinq ans au Québec? On a réélu Gérald Tremblay, on a réélu le Bloc québécois et on a réélu Jean Charest. Des trois, j'oserais dire que c'est encore Charest qui a fait le plus pour les infrastructures routières (et pour ceux qui les construisent) — mais le mode de scrutin québécois, comme je l'ai également répété, fait que Montréal est le cadet des soucis du gouvernement à Québec.

Voilà pourquoi l'échangeur Turcot tombe en ruines et que le Québec est grand.

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2011-04-17

 

L'enfant sans visage

Non, n'ajustez pas votre appareil et ne tournez pas votre iPad, je trouve effectivement plus intéressant d'afficher la couverture du nouveau livre d'Ariane Gélinas dans ce sens, puisque cette orientation me permet de souligner le format particulier (plus large que haut) adopté par la collection Kompak de XYZ. Heureux accident... En fait, comme d'autres maisons d'édition (que l'on pense à Coups de tête ou aux éditions du Rocher en France), XYZ a décidé d'offrir des ouvrages plus courts. Dans le cas de XYZ, cela peut sembler un tantinet superfétatoire puisqu'on n'a pas vu souvent de tomes particulièrement lourds ou volumineux sortir de leurs presses, mais c'est tendance, et cela ouvre la porte à la publication de novellas qui trouveraient difficile preneur autrement. Ainsi, L'Enfant sans visage (XYZ, 2011) compte 150 pages environ et rappelle en un certain sens les romans de science-fiction d'il y a quarante ans quand En hommage aux araignées d'Esther Rochon (L'Actuelle, 1974) atteignait à peine les 130 pages. Et certains romans classiques de la science-fiction étatsunienne n'étaient guère plus longs.

Ce n'est pas par hasard que je cite le nom d'Esther Rochon. Au fil des pages, on songe à un étrange croisement d'Esther Rochon et de Frédérick Durand, de par l'acceptation sereine de l'insolite et de par l'utilisation de l'érotisme. L'atmosphère qui en résulte est pour beaucoup dans le charme du récit, même s'il prend une tournure plus tragique que dans les textes de Rochon.

Il s'agit d'une novella en deux parties qui prend pour héros un jeune artiste du Groenland dans un futur qui a vu la presque disparition de l'humanité du reste de la planète. Tandis que des épidémies pratiquaient des coupes claires au sein de la population de la Terre, le réchauffement climatique rendait le sud du Groenland non seulement habitable mais presque rieur... Quelques milliers de survivants se sont retrouvés sur l'île-continent. Néanmoins, la vie n'est pas toujours facile au sein de cette collectivité désormais isolée, où se côtoient Inuit, réfugiés et descendants des colons danois. Même si le texte reste discret, on peut deviner que les nouveaux habitants d'un Groenland métamorphosé se sentent seuls et déracinés. Tout l'art du jeune Henrik ne consiste-t-il pas à parsemer d'images et de portraits un paysage désert et hostile? En ville, les habitants de Nuuk fréquentent des bars frénétiques. Hors de la ville, le comte de Møller affectionne les orgies en privé. Entre ville et campagne, les radikalers n'obéissent qu'à la loi de leurs envies.

On reste loin de l'anomie des personnages du « Stardust Boulevard » de Daniel Sernine, mais on sent quand même une perte de repères latente. Henrik et les siens ont quitté le village de Sermitsiaq pour se rendre dans la ville de Nuuk. Ils avaient déjà quitté auparavant la petite ville de Maniitsoq. Ce sont des exilés à répétition...

Si Péan mettait en scène un personnage aux mille visages dans Bizango, Gélinas place au cœur de sa novella un enfant dépourvu de visage. Malgré les différences, une certaine parenté se dégage au fil des pages entre ces deux ouvrages. Cela tient en partie à l'importance de l'identité et du déracinement. Cela tient aussi à l'importance donnée par les deux auteurs à l'art et à la culture dans le vécu de leurs personnages. Dans le roman de Péan, des chansons sont citées à l'occasion et les phrases marquantes d'une écrivaine québécoise qui a fait l'objet d'une thèse parsèment le récit. Dans la novella de Gélinas, le protagoniste dénommé Henrik est un paysageur qui pratique le dessin et la sculpture de la pierre ou du bois afin de peupler les paysages dénudés du Groenland d'images. L'apparence compte pour beaucoup dans la vie de sa sœur Camilla et de la faune qui fréquente les bars de la ville de Nuuk, et un même souci d'esthétisme anime le comte de Møller qui embauche Henrik pour qu'il enrichisse la décoration de la luxueuse demeure du comte. (Le comte de Møller a des airs de comte Zaroff, qui évoquait en son temps le fameux marchand d'armes Basil Zaharoff, ce qui faisait des chasses à l'homme — ou à la femme — de Zaroff une métaphore des véritables massacres de la Grande Guerre. La demeure du comte rappelle aussi, par sa bizarrerie, le château mis en scène par Frédérick Durand dans La Nuit soupire quand elle s'arrête, dont la châtelaine s'appelle Ariane. S'agirait-il d'un retour d'ascenseur?) Même les radikalers, des hors-la-loi qui ont assassiné les parents de Henrik et de Camilla, se distinguent par leurs choix esthétiques, dont la xénogreffe de cornes prises aux « amalgames », ces étranges animaux que la fonte des glaciers du Groenland semble avoir tirés d'une longue torpeur ou hibernation.

Chez Gélinas, toutefois, l'érotisme est beaucoup plus présent que chez Péan, pour qui le sexe est une réalité plus terre-à-terre, parfois douce et parfois douloureuse. Gélinas en fait un signe de la décadence de la population du Groenland, qui a fait de l'île-continent un refuge quand les épidémies ont ravagé les continents plus au sud. Cette ambiance de fin de règne est accentuée par les ultimes révélations quant à la véritable nature des amalgames. Dans quelle mesure ceux-ci ont-ils un plus grand droit que les humains sur le Groenland? Dans quelle mesure espèrent-ils retrouver leur terre?

L'enfant sans visage, baptisé Niels, est-il donc un symbole d'une terre neuve qui n'est pas aussi vierge et inhabitée que ses nouveaux habitants le voudraient? D'une revanche? Ou d'une adaptation en cours, voire d'une rencontre à venir?

Le même balancement s'applique au classement du récit. Fantastique ou science-fiction? L'histoire repose sur un scénario d'anticipation, mais les amalgames sont des créatures dotées de pouvoirs obscurs et de savoirs peut-être ataviques. Si la science-fiction est une manière de parler du présent, L'Enfant sans le visage le fait, mais de façon allusive et elliptique, sans offrir d'aperçu inédit de la nature du monde et sans approfondir notre connaissance de celui-ci. Quel que soit le but de la science-fiction, sa démarche esthétique est indissociable d'un jeu sur la connaissance, d'un lusus cognitionis, et c'est sans doute ce qui favorise une certaine indécision à ce sujet.

L'Enfant sans visage est le premier livre d'Ariane Gélinas. Même s'il est un peu décousu, il conserve une charge de dépaysement qui s'impose au lecteur et qui habite la mémoire.

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2011-04-16

 

Un roman aux mille visages

Non sans rappeler un peu John Campbell et son Hero with a Thousand Faces, Stanley Péan signe un livre qui se rapproche du mythique. Et c'est le frisson né de cette proximité forcée d'une créature presque mythique qui est une des plus grandes forces de son nouveau roman. Dans cette suite de Zombie Blues, Péan signe ce qui est peut-être le premier roman de superhéros au Québec — ce qui n'exclut en rien une dimension mythique, au contraire (que l'on songe aux rapprochements possibles entre les héros et demi-dieux de la mythologie grecque et les protagonistes des comics nord-américains). Le personnage éponyme transcende ses origines particulières, ce qui lui confère une stature surhumaine par endroits. Toutefois, j'ai bien dit peut-être, car, en définitive, Bizango (Les Allusifs, 2011) produit le même effet que le personnage décrit par ce mot : celui qui se retrouve au cœur de l'histoire est une créature sans nom capable de prendre tous les visages, en particulier quand les gens qu'elle croise lui prête si volontiers les traits d'êtres chers, souvent disparus. En effet, le livre se laisse lire de plusieurs manières et, selon l'angle par lequel on l'aborde, il prend tel ou tel visage.

En premier lieu, l'ouvrage prend le visage d'un roman haïtien, émaillé de plusieurs répliques en créole dont la traduction est fournie en bas de page, mais il s'agit aussi d'un roman de la diaspora haïtienne. Après avoir liquidé le souvenir des dictatures duvaliéristes dans Zombie Blues, Péan s'en prend cette fois à d'autres monstres de la réalité haïtienne à Montréal, et plus particulièrement le piège de la criminalité. Un producteur prospère de rap, hip hop, etc., dénommé Chill-O, est aussi un chef de bande redouté, proxénète et trafiquant de drogue. C'est peut-être trop pour un seul homme, mais il concentre en une seule personne tout ce que le romancier nous invite à exécrer, du mépris des femmes à l'exploitation de tous les désespoirs en passant par la brutalité gratuite. De fait, les pages les plus émouvantes du roman mettent en scène l'existence douloureuse de la belle Domino Roussel, née en Haïti, exilée au Canada dès l'enfance, rebelle et fugueuse tombée dans la cocaïnomanie et la prostitution.

En même temps, le roman présente un visage très montréalais, croqué par un observateur de longue date des milieux médiatiques et culturels au Québec. Le portrait est parfois féroce, mais les pistes ont été si bien embrouillées que la tentation de coller des noms sur certains portraits n'ouvre vraiment la porte qu'à des projections du lecteur... ce qui serait un autre tour de « bizango ».

En filigrane, Péan explore aussi le malaise identitaire d'un personnage qui a trop de visages, mais qui refuse de dire quel est le visage qu'il voit dans la glace le matin. Dans le pays du multiculturalisme et de l'interculturalisme, ceci n'est pas innocent. La superposition d'identités qui se chevauchent et s'accumulent parce qu'on refuse de choisir — ou parce qu'on ne sait plus d'où on vient et où on va — est une réalité fondamentale de l'immigration et même les Québécois déchirés entre la France et l'Amérique n'y échappent pas. Il y a sans doute un peu de l'auteur, bleuet d'origine haïtienne, dans le bizango tout comme il y a un peu de nous tous dans un personnage aussi post-moderne — voire post-nationaliste.

En définitive, alors que le personnage éponyme se mêle d'amitié pour la jolie Domino, qui est peut-être sa fille, au point d'essayer de la prendre sous sa protection, l'intrigue verse dans une épopée sanglante.

Le personnage principal, traité de « bizango » par un prêtre vodou, combine plusieurs traits surnaturels. Il est plus ou moins télépathe, sensible aux émotions et aux élans des gens autour de lui, moins souvent à leurs idées ou pensées. Il est capable de passer inaperçu à volonté (on songe ici au Tem de Roland Wagner), encore que Péan ne nous dit jamais s'il peut éviter de se faire voir des caméras, appareils photos ou miroirs... Il prend les visages que les gens lui attribuent et il peut même prêter à autrui les traits désirés.

Est-il un être fantastique, qui ferait du livre un roman fantastique? Certains personnages croient distinguer son vrai visage, celui d'un ange ou d'un démon, ce qui n'est peut-être qu'une projection de leur part. Lorsqu'il offre de montrer à autrui son vrai visage, ne leur dévoile-t-il pas en fait leur propre visage essentiel, sans jamais se livrer lui-même?

Est-il un caméléon extraterrestre, débarqué sur Terre à la faveur de quelque écrasement enflammé? A priori, il est un être de chair et de sang, doté d'une force prodigieuse, mais de particularités physiologiques qui l'apparenteraient aux sauriens... Comme on le sait depuis Superman, un extraterrestre peut aussi faire figure de superhéros et les exploits du « bizango » évoquent sans aucun doute les prouesses d'un superhéros digne des vieux comics d'autrefois.

En fin de compte, c'est le lecteur qui choisira d'y voir un roman de fantastique, de science-fiction ou de superhéros. Mais à moins d'être très difficile, il retirera un plaisir certain de cette lecture.

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2011-04-13

 

Un Salon du livre de Québec à distance de marche

À distance de marche pour moi, s'entend... Paradoxalement, maintenant que j'habite à Québec, il faut que je marche plus longtemps pour me rendre au Salon international du livre de Québec qu'au temps où je couchais à l'Auberge de jeunesse pour assister aux salons antérieurs. Bref, même si je n'ai pas de nouveautés à présenter au Salon de cette année, je serai présent pour dédicacer le mercredi et le samedi.

Mercredi, 13 avril 2011

Stand 313 (Prologue) — 13 h à 14 h (pour les romans jeunesse de Médiaspaul parus sous mon propre nom)

Samedi, 16 avril 2011

Stand 313 (Prologue) — 14 h 30 à 16 h (pour les romans jeunesse de Médiaspaul parus sous le nom de Laurent McAllister)

J'en profite pour signaler aux amateurs que le conteur Éric Gauthier sera à Québec pour un spectacle solo le samedi soir.

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