2017-07-05

 

Chroniques post-apo du Plateau

Il y a des livres destinés aux enfants qui ne sont pas que pour les enfants.  En fait, dans un monde de l'édition qui segmente sa clientèle à tout va, certains titres se retrouvent assis un peu malaisément entre la table des petits et celle des grands.  Leur richesse, c'est de parler à tous, pas toujours pareillement, mais avec autant de vérité, comme dans le cas du Petit Prince de Saint-Exupéry.  L'an dernier, Annie Bacon a signé un livre (en principe pour les douze ans et plus) intitulé Chroniques post-apocalyptiques d'une enfant sage (Bayard), qui s'inscrit dans cette catégorie et qui est un des textes les plus réussis de la science-fiction québécoise sur l'existence après l'apocalypse.
Il n'est pas assez long pour être un roman, et sans doute pas non plus pour être une novella, même si je n'ai pas compté les mots.  Son charme se compte plutôt en coups de cœur.  On retrouve presque la sensibilité d'une Esther Rochon, qui avait écrit « La nappe de velours rose » (1986) dans un registre pas si éloigné de celui que Bacon adopte.  Toutefois, l'héroïne est ici une petite fille, Astride, que ses parents ont sauvée d'une catastrophe presque universelle (et essentiellement inexpliquée).  Enfant sage, Astride se réfugie dans un bibliothèque et fait l'apprentissage de la survie, jusqu'à ce qu'une rencontre fortuite avec un aîné ranime aussi chez elle l'espoir de revivre un jour.

L'écriture lapidaire rapproche la narration du conte, mais l'écriture ramassée n'exclut pas l'émotion.  Le sacrifice des parents d'Astride concrétise tout le tragique d'une catastrophe qui balaie des milliards d'affections sincères, de dévouements tranquilles et de labeurs investis en vain pour construire un monde meilleur.  C'est le prix à payer pour avoir refusé de voir venir les catastrophes annoncées.

La tonalité du texte balance entre l'humour discret distillé par des situations incongrues et la tension sous-jacente d'une existence désormais sans garde-fou.  Les jeunes lecteurs apprécieront-ils un texte plus poétique, sans victoire éclatante ou fin heureuse, même si le personnage principal leur ressemble ?  Quoi qu'il en soit, l'histoire d'Astride, empreinte d'une fantaisie ourlée de désespoir, est à la fois prenante et mémorable.

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2017-07-04

 

S'enrichir en dormant dans la science-fiction

On attribue parfois à H. G. Wells la paternité d'un concept devenu classique dans la science-fiction du vingtième siècle, soit celui du voyageur temporel qui en sautant dans l'avenir s'enrichit immensément parce qu'il a eu la prévoyance de placer une petite somme dans un instrument d'épargne qui porte intérêt.  Grâce aux intérêts composés, la petite somme se transforme en fortune.  Par exemple, James Gunn le décrit ainsi, dans The Science of Science Fiction Writing (2000) :

« When the Sleeper Wakes [Quand le dormeur s'éveillera] owes so much to the tradition described in the title that the mechanism becomes unimportant; it was a hoary convention even then.  What Wells added was the concept that the Sleeper's fortune had grown over the centuries until he owned half the world; trustees act in his name to oppress the workers into the Labour Company.  Harry Stephen Keeler used a similar notion in a 1927 story, "John Jones' Dollar," in which a single dollar grows by compound interest over the centuries to exceed the value of the solar system. »

Dans la production wellsienne, on peut retracer la genèse de When the Sleeper Wakes jusqu'aux années 1897-1898 quand, à la publication de la nouvelle « A Story of the Days to Come », succède le début de la parution du roman en feuilleton dans The Graphic.  Toutefois, l'idée de l'enrichissement obtenu par un personnage arrivé dans son propre futur remonte plus loin.

Dans la proto-science-fiction francophone, elle est clairement exposée dans le roman L'Homme à l'oreille cassée (1862) d'Edmond About.  Le colonel Fougas, ressuscité d'une dessication salvatrice, apprend qu'il est millionnaire :

« Vous ne savez pas encore tout ce que vous lui devez.  Il vous a légué, en 1824, une fortune de trois cent soixante-quinze mille francs, dont vous êtes le légitime propriétaire.  Or comme un capital placé à cinq pour cent se double en quatorze ans, grâce aux intérêts composés, vous possédiez, en 1838, une bagatelle de sept cent cinquante mille francs, en 1852, un million et demi.  Enfin, s'il vous plaît de laisser vos fonds entre les mains de M. Nicolas Meiser, de Dantzig, cet honnête homme vous devrz trois millions au commencement de 1866, ou dans sept ans. »

Je n'affirmerai pas que c'est l'origine de l'idée, mais elle est claire et a son importance dans l'intrigue. 

En guise de conclusion, il convient de noter que H. G. Wells (1866-1946) aurait pu la découvrir dans le roman d'About, car celui-ci a été traduit et publié en anglais aux États-Unis en 1872-1873.  Pas par n'importe qui, d'ailleurs, mais par Henry Holt, le co-fondateur d'un empire de l'édition qui existe encore, Henry Holt and Company.  Et The Man With the Broken Ear incorpore bel et bien le passage que je cite ci-dessus...

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