2007-02-11

 

Faut-il sauver la Révolution tranquille?

Dans Le Devoir de la fin de semaine, le sujet des placards de la Révolution tranquille est revenu sur le tapis, si je puis dire.

D'une part, Jean-François Nadeau signe une demi-page sur Gilles Rhéaume, candidat actuel à la présidence de la Société Saint-Jean-Baptiste. A priori, on ne peut rien reprocher à Rhéaume, sinon son ancienne admiration des bérets blancs et du Crédit social. Rien du tout, donc, hormis son biographe.

En effet, Jean Côté vient de faire paraître Gilles Rhéaume baroudeur de l'indépendance chez Quebecor. (Il semble bien, selon la Bibliothèque nationale du Canada, que ce soit le même Jean Côté qui avait signé en 1974 un roman de science-fiction inénarrablement mauvais, Échec au président.) Si cette biographie a obtenu de bons échos sur la Toile, les accusations de Rhéaume au sujet de néo-nazis infiltrant la SSJB suscitent la controverse ailleurs chez les indépendantistes.

Le problème, c'est que Côté a côtoyé tout ce que la mouvance nationaliste compte de plus à droite et qu'il a signé des livres qui rendaient hommage à Paul Bouchard en 1998 et à Adrien Arcand en 1994. Paul Bouchard avait produit une petite revue de l'entre-deux-guerres, La Nation (1936-1939), qui reproduisit de nombreux textes de la revue française Je suis partout, qui avait pris une très nette coloration fasciste après 1936. (En 1943, le seul député communiste de l'histoire canadienne allait dénoncer vertement le nationalisme représenté par Paul Bouchard.) Et que dire d'Adrien Arcand, principal animateur de l'extrême-droite francophone au Canada à la même époque? Que du bien, selon Côté...

Nadeau semble suggérer que, dans sa biographie de Rhéaume, Côté citerait avec approbation la pensée de Raymond Barbeau, catholique fervent qui fonda l'Alliance laurentienne en 1957, dans le sillage des Jeunes Laurentiens d'avant-guerre. Ce mouvement séparatiste aurait voulu doter la future République de Laurentie de la devise « Dieu Famille Patrie » — qui évitait par la seule grâce de Dieu de se confondre avec celle de la France de Vichy, « Travail Famille Patrie »...

En anglais, la démarche de Nadeau serait taxée de pratiquer l'incrimination par association, mais c'est quand même gênant pour une figure de proue du mouvement indépendantiste de se faire encenser par un auteur qui montre aussi peu de discrimination (en politique comme en littérature). Et qui rappelle que le nationalisme québécois a frayé, comme je l'indiquais en septembre dernier, avec des courants proches de différentes formes du fascisme de l'entre-deux-guerres, dont les descendants idéologiques n'ont pas toujours l'obligeance de rester dans les placards.

D'autre part, Le Devoir publie une chronique de Louis Cornellier qui présente un ouvrage collectif consacré à Guy Rocher, que j'avais vu à l'œuvre la semaine dernière. Cornellier relève que Gérard Bouchard identifie Rocher, dans cet ouvrage, comme un de ceux qui ont édifié « l'imaginaire de la Grande Noirceur », le mythe de l'âge des ténèbres ayant précédé la Révolution tranquille. Selon Cornellier, Rocher ne s'en disculpe pas mais précise « qu'avant de devenir un mythe, cette vision a d'abord été ressentie et vécue chez moi comme une réalité ».

Cornellier se lance alors dans une apologie de cette attitude en affirmant que le parti pris de Rocher pour des réformes sociales conduites dans le respect de la démocratie illustre toute « la grandeur de la Révolution tranquille et de ses fruits, que d'aucuns nous incitent aujourd'hui à renier ». Évidemment, si on le compare aux illuminés totalitaires (maoïstes et autres) de la même époque, cela semble effectivement fort sage, mais c'est placer la barre assez bas. Cornellier en profite pour fustiger Trudeau, accusé de pourfendre « le traditionnalisme des siens » tandis que Rocher ouvre une fenêtre sur l'avenir : « Critique du conservatisme canadien-français, Rocher n'a jamais méprisé le monde dans lequel il a grandi. »

La présence encore active d'un Jean Côté dans le paysage québécois suggère que cet... accommodement raisonnable des nationalistes de la famille de Rocher avec le conservatisme canadien-français n'était pas nécessairement la meilleure option.

Néanmoins, l'optimisme de Guy Rocher, là où d'autres (à Zéroville, disons) regrettent ouvertement le Québec ancien, est tout à son honneur. Selon Cornellier, Rocher « nous incite plutôt à nous méfier du désenchantement, et à y penser à deux fois avant de renier une expérience historique de laquelle le Québec est finalement sorti renforcé ». Je salue ce refus de la nostalgie, mais le très bas taux de natalité des Québécois et le dynamisme économique toujours affaibli du Québec permettent de douter que la Révolution tranquille ait renforcé le Québec sur la longue durée.

Toutefois, je serais plutôt porté à incriminer une stratégie dénataliste rendue logique par l'économie productiviste des pays occidentaux, et qui ne s'est pas limitée au Québec. Seulement, au Québec, on partait d'une base économique plus faible, et il fallait sacrifier plus d'enfants pour rejoindre le niveau de vie moderne... Mais ce sera le sujet d'un autre billet.

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