2007-10-11
Iconographie de la SFCF (20)
Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; (17) le théâtre moderne de SFCF; (18) la télé et la SFCF écrite; et (19) l'anniversaire de Spoutnik.
Depuis les premiers récits de guerres futures, la guerre industrielle a été une source d'images inépuisable pour la science-fiction. On fait généralement remonter le genre à La bataille de Dorking, un texte (.PDF) de Sir George Tomkyns Chesney publié en 1871, après la défaite de la France par la Prusse impériale. Dans ce récit, c'est au tour de la Grande-Bretagne d'être vaincue par le IIe Reich... L'histoire ne fait pas appel en général à des techniques futuristes, à l'exception de la liaison par câble télégraphique sous-marin avec la flotte britannique qui part au combat, de sorte que la bataille navale initiale peut être suivie plus ou moins en temps réel. En 1903, plus inspiré, H. G. Wells avait décrit un ancêtre du char blindé moderne dans sa nouvelle « The Land Ironclads », un texte (.PDF) publié dans le Strand Magazine. Mais c'est la Première Guerre mondiale, avec son avalanche d'innovations techniques et ses affrontements décisifs pour trancher le sort du monde, qui va stimuler l'anticipation de nouvelles guerres déployant des inventions encore plus dévastatrices.
J'avais déjà parlé de la Grande Guerre vue par les auteurs canadiens-français. Ceux-ci ne sont pas nombreux à s'exprimer, puisque l'expression d'un point de vue critique ne serait pas encouragé, la presse étant soumise à une censure d'État (.PDF) de plus en plus stricte de 1914 à 1918, tandis que les partisans de la guerre au Québec étaient nettement minoritaires, à en juger par les résultats de l'élection de 1917. Mais longtemps avant le débat sur la conscription lancé pour de bon en mai 1917 après les pertes canadiennes essuyées à la bataille de Vimy, il était encore possible pour un Canadien-français de bonne foi d'opter pour la cause des Alliés. La transformation d'un appui théorique en appui pratique, quand l'armée canadienne était plus ou moins hostile aux francophones et aux Catholiques, était un tout autre problème.J'ai déjà critiqué la tendance, chez certains critiques, à nier l'existence d'une tradition science-fictive au Canada. Si, par tradition, on entend la conscience de s'insérer dans une lignée littéraire et dans une production aux conventions plus ou moins reconnues, on constatera qu'au Canada francophone, les auteurs de proto-sf sont conscients très tôt de participer à une entreprise littéraire qui les dépasse. Prenons justement Similia Similibus ou La Guerre au Canada, Essai romantique sur un sujet d'actualité (1916) d'Ulric Barthe. Celui-ci écrit dans sa préface afin de justifier le scénario qu'il présente : « D'érudits raconteurs comme Jules Verne ont devancé de cinquante ans au moins le génie des inventeurs; des romanciers ont décrit le monde en l'an 2000; d'autres ont très sérieusement rendu compte de choses qui n'arriveront jamais. Ici, l'on présente au lecteur le récit de ce qui n'est pas arrivé, mais de ce qui pourrait arriver, mieux que cela, de ce qui arriverait certainement, si... » Outre Verne, l'allusion à Bellamy ou Wells semble évidente et on pourrait même se demander si Barthe songe à Renouvier. L'ouvrage inclut plusieurs illustrations, mais celle qui sert deux fois, y compris en page liminaire, représente l'entrée dans la ville de Québec d'un contingent de soldats allemands. L'artiste ici est Charles Huot, qui est au faîte de sa carrière, entre autres comme peintre quasi officiel du gouvernement qui décore le Palais législatif. Mais le défilé martial qu'il dépeint demeure relativement pacifique et ne correspond pas à une bataille rangée, puisque le texte décrit une prise de Québec qui se déroule sans heurts initiaux. Tout comme sur la couverture, des drapeaux occupent une place marquante.
Il faut tourner quelques pages pour trouver une illustration plus animée, mais celle-ci est le fait de Louis Brouilly, un artiste sans doute plus jeune qui allait faire carrière dans l'illustration de livres au Québec. Ce qu'il représente, c'est un coup de main par des villageois dans la région de la ville de Québec qui se rebiffent, les fusils à la main, quand l'occupant allemand prétend réquisitionner leurs armes. Tandis que Huot avait opté pour une esquisse aux contours estompés, toute en grisaille comme il convenait à une scène noctune, Brouilly s'essaie à dessiner un affrontement en plein jour, mais ses personnages offrent des mines aux traits grossis sans qu'on puisse vraiment dire s'il s'agit d'un choix stylistique ou d'une naïveté proche de la maladresse. Néanmoins, tous les détails du texte se retrouvent dans le dessin, jusqu'au personnage de l'officier allemand (à droite) qui est enveloppé et retenu par les notables du village tandis que le reste du détachement prend la fuite, effaré.
La patte de Huot se reconnaît dans une autre scène haute en couleurs, vers la fin du roman, quand un Canadien-français infiltré dans les rangs allemands (un Boileau qui se fait appeler Bulow) se révèle pour venir en aide aux insurgés de Québec. La pénombre d'une cave éclairée par quelques mauvaises chandelles enfoncées dans les goulots de bouteilles justifie le même flou que dans la peinture de la prise de Québec par les Allemands. Mais le flou artistique ne cache pas l'excellence de la composition qui, sans entrer dans les détails, représente avec une grande clarté les grands mouvements de la scène. La foule des conspirateurs se détourne de l'orateur qui les harangue pour se tourner d'un seul bloc hérissé d'armes vers le nouveau venu qui porte l'uniforme d'un ennemi, mais qui les salue du bras... Huot, qui excellait dans la peinture historique, ne s'était sans doute pas senti dépaysé en imaginant cette scène qu'on aurait aussi bien pu imaginer à l'époque des Rébellions de 1837-1838...
Paradoxalement, la guerre moderne fait plutôt surface au dos du roman. Une illustration qui ne porte aucune signature, mais qui ne rappelle ni le style de Brouilly ni celui de Huot, vante les mérites de la carabine Ross. Il s'agit sans doute d'une ultime réclame par la compagnie Ross plutôt que d'une tentative de propagande gouvernementale puisque le gouvernement canadien était sur le point d'abandonner l'utilisation du fusil Ross par l'armée canadienne en raison de ses déficiences flagrantes dans le contexte de la guerre de tranchées. D'ailleurs, il est sans doute révélateur que la gravure nous montre des soldats en train de tirer, couchés sur le sol, et non en train de charger avec une arme jugée lourde et peu fiable.
Le roman d'Ulric Barthe intervient dans le calme avant la tempête politique. La crise de la conscription éclatera l'année suivante et aboutira à des émeutes à Québec, de sorte que la vision d'une armée pénétrant dans Québec sera matérialisée par l'entrée de régiments de l'armée canadienne. Des réfractaires prendront le maquis et d'autres feront exploser des bombes. Mais si la crise de la conscription a marqué les mémoires et trouvé une place dans la mythologie nationaliste du Québec, elle ne devrait pas faire oublier qu'en fait, les années 1917-1918 seront des années critiques dans la plupart des pays belligérents. La Russie impériale s'écroule. En France et en Autriche-Hongrie, les gouvernements changent. Les États-Unis décident d'entrer en guerre. Néanmoins, les événements de Pâques à Québec en 1918 enflammeront l'indignation de deux jeunes hommes, Édouard Garand et Albert Fournier, qui rédigeront et illustreront respectivement un ouvrage racontant en 1918 la vengeance canadienne-française, Le Réveil d'un peuple; l'ouvrage ne sera jamais édité, demeurant à l'état de tapuscrit aujourd'hui passé dans des mains privées, je crois. Garand deviendra éditeur, toutefois, et publiera en 1926 le roman d'Ubald Paquin, La Cité dans les fers, qui décrit une guerre future au Canada.
Cette fois, la fiction imagine une guerre qui fait appel à toutes les ressources de la technique contemporaine. Des dirigeables et aéroplanes emplissent le ciel (un peu comme dans cette affiche de Boréal 2007) et les édifices n'échappent pas à la violence des combats. Le soulèvement national des Canadiens-français est maté par la puissance britannique, qui prend la forme d'une expédition navale. Fournier, qui demeure l'illustrateur attitré de Garand, dessine un cuirassé britannique qui fait partie des vaisseaux traversant l'Atlantique. En fait, malgré la performance technique et l'investissement financier symbolisés par de tels navires, ils n'avaient joué qu'un rôle mineur durant la Première Guerre mondiale. Pourtant, la diplomatie internationale des années vingt continuait à s'inquiéter des rapports de force entre forces navales et à tenter de réglementer des limitations navales. On n'entrevoyait pas encore que le facteur décisif durant la prochaine guerre serait la force aéronavale des belligérents. Mais on sent que Fournier est captivé par son sujet; ce serait sans doute intéressant de comparer les illustrations du Réveil d'un peuple et de ce livre, histoire de voir si certaines ont servi deux fois.
Néanmoins, l'effet produit par les zeppelins allemands durant la Grande Guerre n'avait pas été oublié et l'illustration la plus impressionnante de La Cité dans les fers montre la guerre aérienne au-dessus de la ville de Québec. Aéroplanes, dirigeables, projecteurs lumineux, tirs de DCA et bombardements apparaissent plus ou moins clairement sous la plume de Fournier. De fait, dans tous les pays occidentaux, on réfléchit à cette époque à la nature d'une guerre future. La Première Guerre mondiale avait révélé le potentiel de l'aviation et des gaz; durant l'entre-deux-guerres, les auteurs les plus alarmistes envisageront des bombardements aériens massifs utilisant des bombes classiques ou des gaz toxiques. La Grande-Bretagne avait sérieusement envisagé l'emploi de gaz en Irak pour mater l'insurrection des Arabes et des Kurdes. Les Soviétiques auraient utilisé des armes chimiques contre la rébellion Tambov en 1921. Entre 1921 et 1927, les Espagnols auraient recouru au gaz dans la guerre du Rif, se servant d'avions en 1924. Dans quelle mesure connaissait-on ces cas au Canada? Ce n'est pas clair, mais La Cité dans les fers illustrait de manière presque visionnaire ce que serait la Seconde Guerre mondiale au-dessus des villes bombardées comme Londres, Paris, Berlin, Tokyo...
Depuis les premiers récits de guerres futures, la guerre industrielle a été une source d'images inépuisable pour la science-fiction. On fait généralement remonter le genre à La bataille de Dorking, un texte (.PDF) de Sir George Tomkyns Chesney publié en 1871, après la défaite de la France par la Prusse impériale. Dans ce récit, c'est au tour de la Grande-Bretagne d'être vaincue par le IIe Reich... L'histoire ne fait pas appel en général à des techniques futuristes, à l'exception de la liaison par câble télégraphique sous-marin avec la flotte britannique qui part au combat, de sorte que la bataille navale initiale peut être suivie plus ou moins en temps réel. En 1903, plus inspiré, H. G. Wells avait décrit un ancêtre du char blindé moderne dans sa nouvelle « The Land Ironclads », un texte (.PDF) publié dans le Strand Magazine. Mais c'est la Première Guerre mondiale, avec son avalanche d'innovations techniques et ses affrontements décisifs pour trancher le sort du monde, qui va stimuler l'anticipation de nouvelles guerres déployant des inventions encore plus dévastatrices.
J'avais déjà parlé de la Grande Guerre vue par les auteurs canadiens-français. Ceux-ci ne sont pas nombreux à s'exprimer, puisque l'expression d'un point de vue critique ne serait pas encouragé, la presse étant soumise à une censure d'État (.PDF) de plus en plus stricte de 1914 à 1918, tandis que les partisans de la guerre au Québec étaient nettement minoritaires, à en juger par les résultats de l'élection de 1917. Mais longtemps avant le débat sur la conscription lancé pour de bon en mai 1917 après les pertes canadiennes essuyées à la bataille de Vimy, il était encore possible pour un Canadien-français de bonne foi d'opter pour la cause des Alliés. La transformation d'un appui théorique en appui pratique, quand l'armée canadienne était plus ou moins hostile aux francophones et aux Catholiques, était un tout autre problème.J'ai déjà critiqué la tendance, chez certains critiques, à nier l'existence d'une tradition science-fictive au Canada. Si, par tradition, on entend la conscience de s'insérer dans une lignée littéraire et dans une production aux conventions plus ou moins reconnues, on constatera qu'au Canada francophone, les auteurs de proto-sf sont conscients très tôt de participer à une entreprise littéraire qui les dépasse. Prenons justement Similia Similibus ou La Guerre au Canada, Essai romantique sur un sujet d'actualité (1916) d'Ulric Barthe. Celui-ci écrit dans sa préface afin de justifier le scénario qu'il présente : « D'érudits raconteurs comme Jules Verne ont devancé de cinquante ans au moins le génie des inventeurs; des romanciers ont décrit le monde en l'an 2000; d'autres ont très sérieusement rendu compte de choses qui n'arriveront jamais. Ici, l'on présente au lecteur le récit de ce qui n'est pas arrivé, mais de ce qui pourrait arriver, mieux que cela, de ce qui arriverait certainement, si... » Outre Verne, l'allusion à Bellamy ou Wells semble évidente et on pourrait même se demander si Barthe songe à Renouvier. L'ouvrage inclut plusieurs illustrations, mais celle qui sert deux fois, y compris en page liminaire, représente l'entrée dans la ville de Québec d'un contingent de soldats allemands. L'artiste ici est Charles Huot, qui est au faîte de sa carrière, entre autres comme peintre quasi officiel du gouvernement qui décore le Palais législatif. Mais le défilé martial qu'il dépeint demeure relativement pacifique et ne correspond pas à une bataille rangée, puisque le texte décrit une prise de Québec qui se déroule sans heurts initiaux. Tout comme sur la couverture, des drapeaux occupent une place marquante.
Il faut tourner quelques pages pour trouver une illustration plus animée, mais celle-ci est le fait de Louis Brouilly, un artiste sans doute plus jeune qui allait faire carrière dans l'illustration de livres au Québec. Ce qu'il représente, c'est un coup de main par des villageois dans la région de la ville de Québec qui se rebiffent, les fusils à la main, quand l'occupant allemand prétend réquisitionner leurs armes. Tandis que Huot avait opté pour une esquisse aux contours estompés, toute en grisaille comme il convenait à une scène noctune, Brouilly s'essaie à dessiner un affrontement en plein jour, mais ses personnages offrent des mines aux traits grossis sans qu'on puisse vraiment dire s'il s'agit d'un choix stylistique ou d'une naïveté proche de la maladresse. Néanmoins, tous les détails du texte se retrouvent dans le dessin, jusqu'au personnage de l'officier allemand (à droite) qui est enveloppé et retenu par les notables du village tandis que le reste du détachement prend la fuite, effaré.
La patte de Huot se reconnaît dans une autre scène haute en couleurs, vers la fin du roman, quand un Canadien-français infiltré dans les rangs allemands (un Boileau qui se fait appeler Bulow) se révèle pour venir en aide aux insurgés de Québec. La pénombre d'une cave éclairée par quelques mauvaises chandelles enfoncées dans les goulots de bouteilles justifie le même flou que dans la peinture de la prise de Québec par les Allemands. Mais le flou artistique ne cache pas l'excellence de la composition qui, sans entrer dans les détails, représente avec une grande clarté les grands mouvements de la scène. La foule des conspirateurs se détourne de l'orateur qui les harangue pour se tourner d'un seul bloc hérissé d'armes vers le nouveau venu qui porte l'uniforme d'un ennemi, mais qui les salue du bras... Huot, qui excellait dans la peinture historique, ne s'était sans doute pas senti dépaysé en imaginant cette scène qu'on aurait aussi bien pu imaginer à l'époque des Rébellions de 1837-1838...
Paradoxalement, la guerre moderne fait plutôt surface au dos du roman. Une illustration qui ne porte aucune signature, mais qui ne rappelle ni le style de Brouilly ni celui de Huot, vante les mérites de la carabine Ross. Il s'agit sans doute d'une ultime réclame par la compagnie Ross plutôt que d'une tentative de propagande gouvernementale puisque le gouvernement canadien était sur le point d'abandonner l'utilisation du fusil Ross par l'armée canadienne en raison de ses déficiences flagrantes dans le contexte de la guerre de tranchées. D'ailleurs, il est sans doute révélateur que la gravure nous montre des soldats en train de tirer, couchés sur le sol, et non en train de charger avec une arme jugée lourde et peu fiable.
Le roman d'Ulric Barthe intervient dans le calme avant la tempête politique. La crise de la conscription éclatera l'année suivante et aboutira à des émeutes à Québec, de sorte que la vision d'une armée pénétrant dans Québec sera matérialisée par l'entrée de régiments de l'armée canadienne. Des réfractaires prendront le maquis et d'autres feront exploser des bombes. Mais si la crise de la conscription a marqué les mémoires et trouvé une place dans la mythologie nationaliste du Québec, elle ne devrait pas faire oublier qu'en fait, les années 1917-1918 seront des années critiques dans la plupart des pays belligérents. La Russie impériale s'écroule. En France et en Autriche-Hongrie, les gouvernements changent. Les États-Unis décident d'entrer en guerre. Néanmoins, les événements de Pâques à Québec en 1918 enflammeront l'indignation de deux jeunes hommes, Édouard Garand et Albert Fournier, qui rédigeront et illustreront respectivement un ouvrage racontant en 1918 la vengeance canadienne-française, Le Réveil d'un peuple; l'ouvrage ne sera jamais édité, demeurant à l'état de tapuscrit aujourd'hui passé dans des mains privées, je crois. Garand deviendra éditeur, toutefois, et publiera en 1926 le roman d'Ubald Paquin, La Cité dans les fers, qui décrit une guerre future au Canada.
Cette fois, la fiction imagine une guerre qui fait appel à toutes les ressources de la technique contemporaine. Des dirigeables et aéroplanes emplissent le ciel (un peu comme dans cette affiche de Boréal 2007) et les édifices n'échappent pas à la violence des combats. Le soulèvement national des Canadiens-français est maté par la puissance britannique, qui prend la forme d'une expédition navale. Fournier, qui demeure l'illustrateur attitré de Garand, dessine un cuirassé britannique qui fait partie des vaisseaux traversant l'Atlantique. En fait, malgré la performance technique et l'investissement financier symbolisés par de tels navires, ils n'avaient joué qu'un rôle mineur durant la Première Guerre mondiale. Pourtant, la diplomatie internationale des années vingt continuait à s'inquiéter des rapports de force entre forces navales et à tenter de réglementer des limitations navales. On n'entrevoyait pas encore que le facteur décisif durant la prochaine guerre serait la force aéronavale des belligérents. Mais on sent que Fournier est captivé par son sujet; ce serait sans doute intéressant de comparer les illustrations du Réveil d'un peuple et de ce livre, histoire de voir si certaines ont servi deux fois.
Néanmoins, l'effet produit par les zeppelins allemands durant la Grande Guerre n'avait pas été oublié et l'illustration la plus impressionnante de La Cité dans les fers montre la guerre aérienne au-dessus de la ville de Québec. Aéroplanes, dirigeables, projecteurs lumineux, tirs de DCA et bombardements apparaissent plus ou moins clairement sous la plume de Fournier. De fait, dans tous les pays occidentaux, on réfléchit à cette époque à la nature d'une guerre future. La Première Guerre mondiale avait révélé le potentiel de l'aviation et des gaz; durant l'entre-deux-guerres, les auteurs les plus alarmistes envisageront des bombardements aériens massifs utilisant des bombes classiques ou des gaz toxiques. La Grande-Bretagne avait sérieusement envisagé l'emploi de gaz en Irak pour mater l'insurrection des Arabes et des Kurdes. Les Soviétiques auraient utilisé des armes chimiques contre la rébellion Tambov en 1921. Entre 1921 et 1927, les Espagnols auraient recouru au gaz dans la guerre du Rif, se servant d'avions en 1924. Dans quelle mesure connaissait-on ces cas au Canada? Ce n'est pas clair, mais La Cité dans les fers illustrait de manière presque visionnaire ce que serait la Seconde Guerre mondiale au-dessus des villes bombardées comme Londres, Paris, Berlin, Tokyo...