2008-03-31

 

Une autre solution au paradoxe de Fermi

Dans le New York Times de samedi, Dennis Overbye relatait dans cet article (inscription requise) les tentatives de stopper par des voies légales le démarrage du grand collisionneur de hadrons au CERN. Il expliquait comment deux hurluberlus, Walter L. Wagner et Luis Sancho, cherchaient à obtenir une injonction d'une cour de Hawaii afin d'empêcher le collisionneur d'engendrer soit des minitrous noirs soit des étrangelets, les uns comme les autres étant jugés susceptibles de détruire la Terre... sous certaines conditions. Pour en savoir plus sur les étrangelets, on peut lire cette analyse bien documentée des risques.

Il y a deux semaines, le journal suisse Le Matin rappelait d'ailleurs les craintes des critiques, en ajoutant une nouvelle variante, l'ouverture d'un tunnel spatiotemporel permettant à des visiteurs extraterrestres ou venus du futur de faire irruption dans notre monde... Tous ces risques semblent fort improbables dans l'état actuel des connaissances et les scientifiques ne sont guère inquiets.

L'analyse se sert d'ailleurs du taux observé de supernovae dans l'univers pour poser une limite à la dangerosité des étrangelets. La conversion de la Terre en matière étrange dégagerait une quantité d'énergie comparable à celle d'une supernova, quoique plus ou moins étalée dans le temps. Mais on pourrait s'appuyer sur une autre observation cosmique : le silence des sphères, c'est-à-dire l'absence manifeste d'extraterrestres. Si ceux-ci ne refusent pas de communiquer, c'est qu'ils sont carrément absents. Pourquoi?

Eh bien, si on suppose que chaque civilisation se développe jusqu'au moment où elle commence à monter des expériences de physique, en particulier de physique des particules, et engendre un minitrou noir ou un étrangelet par inadvertance, peut-être que la plupart des civilisations extraterrestres disparaissent avant d'essaimer... et qu'il serait plus risqué que prévu de brancher le collisionneur cette année.

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2008-03-29

 

Les plus vieilles paroles

Le français est maintenant la langue dont on peut entendre le plus ancien échantillon. En 1860, Édouard-Léon Scott de Martinville avait réussi à transcrire sur papier les vibrations de la voix humaine. L'association First Sounds donne ici d'autres échantillons de sons anciens, mais l'enregistrement de 1860 est à mon avis le plus intelligible des quatre enregistrements fournis, qui s'échelonnent de 1857 à 1878. La première fois que j'avais écouté l'enregistrement donné par le New York Times, je n'avais pas distingué les mots. Il faut savoir qu'il s'agit d'un extrait de la très vieille chanson « Au clair de la Lune » pour entendre alors cette voix chevrotante chanter « Au clair de la lune, mon ami Pierrot »... sauf que la voix prononce en réalité « Au clair de la lune, Pierrot répondit ». L'ouïe est abusée par les attentes du cerveau — et je serais curieux de savoir ce que ferait de cet extrait un logiciel de reconnaissance de la voix. Je soupçonne qu'il faut toute la puissance de discrimination du cerveau pour tirer du bruit des paroles reconnaissables...

Néanmoins, la performance technico-scientifique est impressionnante. Que l'on y songe un peu : si Scott de Martinville avait poursuivi ses enregistrements, il aurait pu capter le son de la voix de nombreuses personnes mortes avant l'invention du phonographe mais encore vivantes en 1860, dont Abraham Lincoln, Elisha Otis (inventeur d'ascenseurs), le philosophe Arthur Schopenhauer, la poète Elizabeth Barrett Browning, l'homme d'État italien Camillo Benso di Cavour, Lola Montez la maîtresse de Louis de Bavière, Alfred de Vigny, Eugène Delacroix, Louis-Hippolyte Lafontaine... Ou s'il les avait perfectionnés un peu plus tôt, il aurait pu enregistrer Alexandre von Humboldt, Alexis de Tocqueville, Isambard Brunel, Washington Irving ou Jean-Marie Vianney, le curé d'Ars...

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2008-03-28

 

Emmanuel Jouanne (1960-2008)

Ici-bas, le monde est un peu plus terne, un peu plus ennuyeux. Jouanne est mort et il ne pleuvra plus dans les astronefs... Je n'aime pas parler de série noire quand les auteurs de science-fiction s'éteignent. Statistiquement parlant, étant donné le nombre sans cesse croissant d'auteurs de science-fiction dans le monde, il est quand même inévitable que des auteurs connus et moins connus disparaissent — la preuve, le grand auteur chilien Hugo Correa (1926-2008) est mort dimanche (il avait le même âge que Phyllis Bloom Gotlieb). Mais que Clarke et Jouanne meurent le même mois, à quelques jours d'intervalle, cela fait beaucoup. Beaucoup de cruauté.Et pourtant, c'étaient deux auteurs aux antipodes, à l'exception peut-être de leur choix d'un certain isolement, Clarke sur son île et Jouanne dans sa campagne. Et peut-être de leur choix d'écrire de la science-fiction sans avoir (trop) honte du terme. Et peut-être de leur génie. Mais le génie avait pris des formes différentes chez chacun d'eux. Jouanne était l'écrivain, et aussi le rêveur de chats. Il avait le courage de ses obsessions, de ses folies. S'il poursuivait une idée, c'était sans la moindre référence à autrui ou à autre chose. Cet irrespect fondamental des conventions était essentiel à son art (mais on ne tranchera pas aujourd'hui entre l'art qui est grand parce qu'il est libre et l'art qui est grand parce qu'il choisit de limiter sa propre liberté). Il faut relire Jouanne pour les phrases que cette liberté lui permettait d'écrire, et d'aligner, et de recommencer. Seulement, la liberté, dans ses infinies errances, ne renvoie parfois qu'à elle-même. L'aller ne peut se libérer du retour.Je reste sur le souvenir de ma seule rencontre avec Jouanne, à la Convention mondiale de La Haye en 1990. Dans une salle du centre des congrès, la délégation française s'était rassemblée et Jouanne trônait parmi eux, cigarette à la main, pieds nus...Il me semble qu'il portait quelque chose de noir et de brodé, peut-être un bijou ou deux aussi, mais rien qui ne l'empêchât de paraître, lui le plus auteur de tous, complètement déplacé au sein des auteurs et lecteurs réunis à La Haye, fans et professionnels qui vivaient leur passion sans se départir des habillements les plus conventionnels. Il avait trente ans, ressemblait à un elfe vieillissant banni de Féerie et s'était montré encourageant (dans le genre dictatorial) pour son jeune interlocuteur canadien. Je me promets de le relire, pour le plaisir des mots et la douleur de l'absence.

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2008-03-27

 

L'Empereur et le fonctionnaire

Dans son nouveau roman Birthstones (Robert J. Sawyer Books, 2007), Phyllis Gotlieb continue à explorer l'univers de GalFed, la fédération galactique qui s'étend sur de nombreuses planètes et inclut plusieurs espèces intelligentes. Comme cela fait quelques années que je n'ai pas lu un de ses livres, j'ai du mal à rattacher celui-ci aux ouvrages précédents. Je crois bien qu'on a déjà visité Barrazan V, mais Shar, c'est moins clair... En revanche, on croise des représentants d'espèces connues, dont Rengha, qui est une Ungrukh, c'est-à-dire un grand félin intelligent originaire d'un monde auquel Gotlieb avait déjà consacré une trilogie. Mais les principaux protagonistes de ce livre sont soit des humains, comme l'Observateur Delius qui travaille pour GalFed, et des Shar ou Meshar, membres d'une espèce extraterrestre native de la planète Shar. Cette espèce se distingue par son pelage et son pouvoir de téléportation qui se déclenche sous l'empire d'émotions fortes. Sur Shar, une mutation presque universelle a fait de la plupart des femmes des êtres anencéphales, si j'ai bien compris, et qui ne sont guère plus que des corps capables d'enfanter. Mais, sur Barrazan V, les Meshar venus de Shar ont encore des femmes qui sont les égales des hommes et GalFed entreprend, avec le soutien de l'Empereur élu Aesh, de rendre aux peuples de Shar des femmes autonomes et physiquement pareilles aux hommes.

Mais le projet est victime d'un attentat à la bombe qui tue la plupart des femmes Meshar venues de Barrazan V à l'exception de Ruah, qui a tout juste le temps de se téléporter à l'extérieur du complexe bio-médical. Dégoûtée, Ruah rejette le projet de GalFed et fuit les tentatives de la retrouver. Mais elle est finalement capturée par les mercenaires de l'ancien propriétaire de Xanthrotek, qui a d'étranges vues sur elle... Pendant ce temps, la situation politique d'Aesh sur Shar est compliquée par l'échec du projet et il doit aussi faire face à des attentats dont il ignore l'origine... Enfin, l'Observateur Delius dont la femme a été blessée dans l'attentat tente de comprendre ce qui lui arrive et il finit par se faire renvoyer sur Shar afin de témoigner du soutien de GalFed au projet...

Gotlieb approfondit une thématique qu'elle maîtrise de plus en plus, car, depuis Sunburst (1964), elle a souvent écrit sur des personnages estropiés, infirmes ou marginalisés en raison de leurs singularités physiques. Le sens de ce choix de thématique n'est pas toujours clair, mais il peut sembler fondamentalement canadien. La seule survie est parfois un triomphe. Et les personnages de Gotlieb en font plus. En dépit des obstacles matériels à leur accomplissement en tant qu'individus (je songe ici à un personnage de robot dans une nouvelle de Gotlieb), ils parviennent à leurs fins. Dans Birthstones, c'est tout un peuple — représenté par Aesh — qui hésite entre le statu quo et un futur incertain. Ce n'est pas entièrement neuf chez Gotlieb : cela me rappelle une de ses nouvelles que j'ai lue dans une anthologie en espagnol, il y a longtemps, car la nouvelle avait été publiée dans les années soixante. Néanmoins, ce choix a quelque chose de fort dérangeant, car il pose aux lecteurs des questions existentielles. Et c'est le courage exigé par le traitement de ces thèmes qui fait toute la grandeur de la science-fiction de Gotlieb.

Gotlieb a toujours écrit comme une poète. Chaque mot compte double, et on peut lire entre les lignes des dissertations complètes. Certaines parties de l'histoire ne s'en portent que mieux. Les vertus de l'économie narrative sont souvent sous-estimées... mais les vertus de l'explicitation le sont aussi. Ainsi, j'ai été ému et touché par l'histoire d'Aesh, qui tient lieu de cœur du roman. Mais il m'a parfois manqué quelques paragraphes supplémentaires d'explication, qui auraient conféré à l'univers des profondeurs supplémentaires, même factices, et qui auraient clarifié certains des enjeux. Je garde toutefois de ma lecture le souvenir de scènes comme seules un auteur de science-fiction peut en imaginer, poignantes et exotiques, ordinaires et incroyables, cruelles et beaucoup trop familières.

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2008-03-26

 

Récolter ou conserver

Dans la science-fiction actuelle, les nouvelles voix sont rares et ont souvent du mal à percer. Danita Maslan (de son vrai nom Maslankowski) est une zoologue de Calgary qui signe ici son premier roman. Rogue Harvest (Robert J. Sawyer Books, 2005) est un roman engagé, mais non militant. C'est-à-dire que Maslan imagine un futur où l'humanité se consacre à la reconstitution d'un environnement ravagé par les crises écologiques du vingt-et-unième siècle. Le contexte politique propre à une entreprise aussi gigantesque est particulier : un gouvernement unique dirige la planète et il est contrôlé par une coalition écologiste qui a confié à une entreprise privée le soin de recréer la nature d'antan. EcoTech défend farouchement l'accès aux forêts et jungles dont elle reconstruit l'environnement. Le traumatisme écologique, aggravé par de grandes épidémies, a été tel qu'il a permis des mesures d'urgence telles que l'évacuation de villes entières et l'expulsion de fermiers et de petits paysans. Des terroristes sont aussi apparus pour s'en prendre aux personnes ou aux institutions trop enclines à traîner la patte ou à résister aux politiques vertes... Mais le temps a passé et une nouvelle génération se cherche de nouvelles causes.

L'assassinat d'un intellectuel canadien, Owen Lamberin, a laissé ses enfants désemparés. Adrien, chercheur médical, s'absorbe dans la quête d'un médicament capable d'enrayer une des nouvelles maladies nées de l'effondrement de l'environnement mondial. Quand il découvre qu'une drogue illégale, tirée de plantes que l'on ne retrouve que dans les espaces verts d'EcoTech, pourrait guérir cette maladie, il va fournir malgré lui une raison de vivre à sa sœur, Jasmine.

De fil en aiguille, l'ancienne musicienne reconvertie en revendeuse de drogues illégales est amenée à se transformer en exploitante directe des ressources des nouvelles jungles sud-américaines. Avec l'aide d'un ami fidèle dont elle refuse l'amour, Mane, elle recrute des compagnons qui vont l'aider à cueillir les plantes dont elle a besoin sans affecter l'environnement. Du coup, elle ouvre un débat politique sur l'avenir du monde. L'humanité peut-elle coexister avec la nature sauvage? La reconstitution d'une nature sauvage est-elle même possible? Ou l'humanité doit-elle s'isoler à jamais de l'environnement naturel?

L'aventure personnelle de Jasmine se transforme alors en thriller politique qui va l'amener à mettre au jour les échecs et les crimes d'EcoTech. Et la destinée du monde en sera changée. Maslan signe donc un roman de science-fiction qui aborde des questions d'importance et le fait sans négliger la psychologie des personnages.

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2008-03-25

 

La SFCF à l'écran... en 1982

En 1982, une bande de joyeux copains réalisait au Québec un film d'amateurs en super-8 baptisé La Terreur crampante. Son réalisateur, Mario Giguère, le présente sur son site. Et on peut en obtenir une copie sur DVD comme bonus d'une production de Sylvain Bellemare, The Night They Returned. (En revanche, un autre film de cette lointaine époque, Aliéné, ne semble pas se trouver en-ligne, pour l'instant.)

La réalisation avait été inspirée par un visionnement d'un autre classique du genre désopilant, The Creeping Terror (1964). Ou devrais-je dire : un classique d'un autre genre? S'il en existait une version en français, elle aurait sans doute été baptisée La Terreur rampante, mais l'équipe québécoise réunie en 1982 savait fort bien qu'elle participait à une pochade.

Je soupçonne toutefois que la basse résolution de Google Vidéo m'empêche d'apprécier pleinement les gags du film — mais je ne crois pas que j'irai jusqu'à acheter le DVD...

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2008-03-24

 

Puisque tout le monde en parle...

J'ai vu.

Je n'avais jamais regardé auparavant Tout le monde en parle, cette grand-messe de la télévision dominicale. Hier soir, ce fut donc ma première fois.

Mes impressions?

— l'émission idéale pour être regardée du fin fond de l'agréable torpeur qui succède à un repas pascal... rien de trop exigeant... on ne craint pas de manquer quelque chose si on s'assoupit quelques instants... zzz...

— bref, on nous sert en guise de digestif une série d'entrevues gentillettes agrémentées de jokes plates pour épicer le tout

— au centre de cette grand-messe, Guy A. Lepage fait nettement figure de grand-prêtre qui énonce les verdicts au nom de toute une société

— d'ailleurs, ce qui frappe par rapport à d'autres émissions semblables, c'est l'importance de l'auditoire qui apparaît en arrière-plan ou qui se lève pour applaudir l'entrée des participants; j'ignore si c'était déjà le cas dans l'émission française à l'origine du concept, mais cela tranche sur les émissions que je regarde de temps à autre où l'auditoire est entendu, mais n'a pas l'occasion de se manifester en faisant masse. Une spécificité québécoise que cette mise en valeur de la collectivité?

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2008-03-23

 

Teatro Universale (12)

Retour en Orient dans ce numéro, quoique au prix d'un détour par Londres puisque l'article en une est emprunté au Penny Magazine. Une cascade pétrifiée en Asie Mineure fournit le sujet de l'illustration (reproduite ci-contre) tirée d'une relation de voyage de Léon de Laborde (1807-1869), intitulée Voyage en Orient et livrée en plusieurs volumes dont la parution s'échelonnerait de 1837 à 1862 ou 1864. Les illustrations étaient de Léon de Laborde, mais le texte qu'il signe s'appuierait-il sur les textes de son propre père, Alexandre de Laborde (1773-1842), et des autres voyageurs, Becker et Hall? En tout cas, je crois que c'est Léon de Laborde qui témoigne dans la préface de sa part modeste à l'ouvrage : « Pour moi, artiste par vocation, artiste nomade, plantant ma tente ici et là, au milieu des ruines, sans loisir pour étudier des nécropoles béantes, je n'ai pas élevé mes prétentions, et porté ma vue au delà des beautés de la nature associées aux beautés de l'art, j'ai dessiné partout ce qui m'a paru pittoresque, unissant volentiers la lierre à la ruine, mais disposé ou obligé, avec notre ami d'enfance, à faire plus de cas du goujat debout que de l'empereur enterré. D'ailleurs, sans préférence pour telle époque, telle race, telle style, je me suis attaché aux moments que les hommes n'ont pu détruire, que le temps ruine, mais qu'il embellit, semblable à ces bourreaux qui couronnaient aussi leurs victimes avec des fleurs ». Cette illustration est sans doute extraite du second volume, le Voyage de l'Asie mineure paru en 1838. Elle représente le site appelé actuellement Pamukkale en Turquie, qui inclut les restes d'une ville romaine, Hierapolis, au cœur de l'antique Phrygie. Quant aux illustrations de Léon de Laborde, on pourra voir les planches de son voyage en Syrie au château d'Azay-le-Ferron (à peu près à mi-chemin entre Tours, Poitiers et Châteauroux) du 1er juillet au 30 septembre 2008.

Le reste du numéro comprend une longue dissertation sur le drame pastoral, en particulier l'Aminta du Tasse — qui a peut-être inspiré (.PDF) Shakespeare — qui est analysé tellement en détail que l'article aura une suite... Comme Torquato Tasso est aussi appelé « il Tasso » en italien, il n'était peut-être pas surprenant que les rédacteurs de la revue enchaînent avec un article sur le blaireau, et la chasse aux blaireaux... puisque blaireau se dit « tasso » en italien! Plusieurs sources sont citées, dont le traité de chasse de Bonaventura Crippa (dans sa seconde édition de 1834?) et l'édition italienne de 1826 d'un ouvrage anglais du révérend Thomas Smith, The Naturalist's Cabinet: Containing Interesting Sketches of Animal History; Illustrative of the Natures, Dispositions, Manners, and Habits of All the Most Remarkable Quadrupeds, Birds, Fishes, Amphibia, Reptiles, &c. in the Known World en six volumes (Londres, 1806-07). Enfin, une notice sur la vie de Beethoven (mort le 28 mars 1827) clôt le numéro, en rappelant que Haydn avait été incapable de prévoir le génie de Beethoven, tandis que celui-ci avait été incapable de pressentir le génie de Rossini ou Weber...

Table des matières : Teatro Universale 235, 236, 237, 238 (janvier); 239, 240, 241, 242 (février); 243, 244, 245 (mars).

2008-03-22

 

La guerre contre les Talibans

Dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, on nous offre le premier article d'une série qui exposera les résultats d'une enquête menée en Afghanistan méridional auprès des combattants talibans. Ce premier article ne donne qu'un avant-goût de la chose, mais il est déjà percutant. D'emblée, on apprend qu'au moins un membre de la famille d'un tiers des Talibans rencontrés dans le cadre de l'enquête avait péri dans des bombardements aériens. De nombreux autres Talibans sont associés à la culture du pavot (la majorité). La moitié des combattants seraient en fait d'anciens fermiers dont les champs de pavot ont été déracinés. D'autres Talibans citent les bombardements aériens parmi les mobiles de leur engagement.

Quand je relis mes billets précédents, dont je donnais la liste en février, je constate que j'avais déjà abordé l'effet mobilisateur des bombardements aériens (et de leurs effets collatéraux) et des tentatives d'extirpation de la culture du pavot. Je n'ai pas grand mérite. Ces problématiques tombent sous le sens, et je ne suis pas plus surpris que je l'avais été quand on avait appris que des agents secrets français avaient coulé le Rainbow Warrior. Souvent, les coupables les plus évidents selon le principe « Cui bono? » sont bel et bien coupables.

Si je me limite pour cette fois aux questions de tactique, cette enquête soulève la question de la possibilité d'un changement de cap. Serait-il possible de réduire le nombre ou l'impact des bombardements? Par exemple, en n'admettant ces bombardements que si des troupes alliées sont directement menacées? Car tout indique que les États-Unis se réservent depuis 2001 le droit de frapper à l'improviste, sur la seule base de renseignements fournis par des agents, des informateurs ou des techniques d'espionnage... Et serait-il possible de gérer autrement la culture du pavot? On a déjà suggéré qu'il serait possible de faire des Talibans des fournisseurs de l'industrie pharmaceutique mondiale; cette transformation des défenseurs de l'opium du peuple en marchands d'opiacés ne manquerait pas de sel, mais les États-Unis restent si fortement opposés à tout ce qui légitimerait la production de drogues que cette conversion est improbable. Tout comme l'armée étatsunienne rechignerait sans doute à cesser les frappes aériennes soi-disant ciblées...

Bref, si deux manières de procéder qui font beaucoup pour le recrutement des Talibans sont condamnées à rester dans le décor, on finit par se demander pourquoi les soldats canadiens devraient rester, eux aussi...
(Photo de nomades afghans de la Bain News Service, 9 mai 1919 — Library of Congress, LC-B2-816-2)

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2008-03-21

 

Vendredi profane

Party chez Grimmwire pour célébrer son anniversaire, avec deux semaines de retard. Le Grand Chloré était là, ainsi que la Kifophile et son mari. On a parlé de tout et de rien. De la nouvelle direction chez Penguin Canada, qui aurait pu échoir au Grand Chloré. Mais surtout des métros montréalais, dont le réseau paraît bien incomplet aux cosmopolites que nous sommes. Et aussi de l'accès déficient à l'aéroport Pierre Trudeau, que j'ai maintes fois lamenté sur ce blogue. La soirée s'est terminée sur le visionnement du doublage par des copains de Grimmwire d'un film qui est sans doute The Flying Guillotine (1974) — dont on peut voir une bande-annonce sur YouTube. Il s'agissait évidemment d'un doublage à la What's Up, Tiger Lily? de Woody Allen, mais en plus potache. Les films de guillotines volantes représentent apparemment un sous-genre des films d'arts martiaux chinois, sous-genre qui inclurait aussi The Fatal Flying Guillotines (1977) et ce film-ci. Sous-genre dont j'ignorais l'existence, honte à moi...

La Vouivre n'était pas venue. Dommage, car j'avais complété un chapitre de plus pour la lui remettre. J'en avais écrit une bonne partie au bistrot chez Olivieri, moins achalandé en ce jour de congé que le Second Cup en face, bourré à craquer d'étudiants avec leurs livres et leurs ordinateurs portables. À la table d'à côté chez Olivieri, il y avait Jacques Côté qui parlait avec un personnage que j'ai eu envie d'identifier à Claude Robinson, sauf que ce n'était sans doute pas lui. Mais je n'écoutais pas, non, puisque je terminais un chapitre sous le signe du Taureau!

Histoire d'étoffer le quotient asiatique de la journée, j'ai mis trois touristes coréens et une touriste japonaise sur le chemin du parc du Mont-Royal après les avoir croisés devant l'Oratoire. La preuve que je suis raciste, sans doute, car quand je me fais interpeller par des Caucasiens sur les trottoirs devant l'Oratoire, j'ai tendance à passer outre, puisque l'expérience m'a enseigné qu'il s'agit en général de mendiants...

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2008-03-20

 

La tombée de la nuit

La mort d'Arthur C. Clarke (1917-2008) a un retentissement immense. Si la plupart de ceux qui se souviennent de lui ont déjà vu le film 2001: A Space Odyssey, je parierais que la grande majorité n'ont pratiquement rien lu de lui. Ce n'est pas mon cas, même si je n'ai jamais été un fan fini de Clarke. J'ai lu ses nouvelles (mais pas toutes), j'ai lu ses grands classiques (Against the Fall of Night, Childhood's End), j'ai aussi lu la plupart des livres sortis durant ma jeunesse, comme Imperial Earth ou The Fountains of Paradise. Je garde même un souvenir ravi mais coupable d'ouvrages mineurs comme A Fall of Moondust, que j'avais emprunté plusieurs fois à la bibliothèque municipale pour le lire et le relire (sans doute dans l'édition française intitulée Les Naufragés de la Lune, mais je n'en jurerais pas). Plus tard, quand j'ai commencé à me constituer ma propre bibliothèque, j'ai acheté sans hésiter des romans de Clarke. Mes exemplaires des éditions de poche d'Imperial Earth ou The Fountains of Paradise chez Del Rey sont toujours dans ma bibliothèque, quoique un peu abîmés par les années et les relectures successives. Aujourd'hui, j'aurais du mal à expliquer l'attrait de Clarke. Pour le rédacteur d'un éditorial paru aujourd'hui dans The Ottawa Citizen, Clarke incarnait l'imagination visionnaire qui permet aux autres de se projeter dans le futur. On se souviendrait de lui non pour la justesse de ses prédictions ou l'originalité de ses idées, mais pour l'audace et la détermination lucide avec lesquelles il était prêt à se projeter dans des mondes possibles, mais jugés improbables par le commun des mortels.

Mais sa fiction a un charme particulier qui ne se limite pas à l'anticipation ou à l'extrapolation. Dans presque tous ses livres, Clarke combine l'émerveillement face aux idées nouvelles et un humanisme indulgent. Dans ses ouvrages tardifs, signés au Sri Lanka, la narration est de plus en plus teintée d'une sérénité telle qu'on se demande à quel point le bouddhisme local a déteint sur lui... Ce qui est clair, c'est que son roman The Fountains of Paradise (Ballantine/Del Rey, 1980) doit beaucoup à son déménagement au Sri Lanka. Bien entendu, pour les besoins de la cause, Clarke a transformé l'île, la déplaçant vers le sud pour la rapprocher de l'équateur et la rebaptisant Taprobane. C'est ce qui lui permet d'en faire la base d'une tour orbitale, et Clarke fournissait en appendice (quelque part entre Jules Verne et Peter Watts) un résumé fascinant de l'historique du concept, en citant ses sources. Ce roman est d'ailleurs une des sources de la planète Serendib qui apparaît dans plusieurs de mes livres pour jeunes. Comme Taprobane est un ancien nom donné au Sri Lanka, j'en ai cherché un autre pour la planète que j'imaginais avoir été colonisée par des pionniers originaires de cette île. Et je suis naturellement tombé sur Serendib. Mais le roman de Clarke n'est pas la seule origine de mon intérêt pour la culture du Sri Lanka. Quelques années après la parution du roman, j'ai eu l'occasion de potasser les dossiers descriptifs de plusieurs sites du Patrimoine mondial de l'UNESCO, dont ceux du Sri Lanka.

Pourquoi? Le 20 juillet 1985, dans le cadre d'une activité de promotion du Patrimoine mondial de l'UNESCO, je participais à Toronto à un jeu-questionnaire international qui opposait, grâce à des liaisons satellites gérées par ordinateur, des équipes dans plusieurs pays et sur plusieurs continents. Je faisais partie de l'équipe recrutée dans l'est de l'Ontario, sans doute en raison de mes succès à Génies en herbe, Reach for the Top et Schoolreach. (En effet, je crois avoir tâté de trois versions de ces jeux-questionnaires par équipe : deux ans en français et un an en anglais avec les émissions télévisées par CBC/Radio-Canada, puis un an en anglais à la télé communautaire après l'annulation du programme par la CBC.) À Toronto, les questions portaient naturellement sur les sites du Patrimoine mondial et nous nous étions préparés en étudiant des dossiers sur un grand nombre de sites. Je ne sais plus si nous avons brillé (probablement pas), mais j'ai été fasciné par les dossiers sur Sigiriya et les autres sites historiques. J'avais déjà commencé à écrire Les Rescapés de Serendib, mais ces dossiers ont relancé mon intérêt pour le Sri Lanka et m'ont aidé à étoffer mes descriptions de Serendib — du moins, dans les textes pour l'instant inédits...

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2008-03-19

 

Condamné au déguisement

Quand tu gravis en bondissant un escalier
sans trop perdre haleine, tu te crois jeune encor
Quand le miroir cruel t'impose un ignoble corps,
tu te sais encore enfant aux membres déliés

Plus que la chair sexuée, plus que l'habit relié,
l'âge masque l'âme sans, c'est sûr, ton accord
et, sournois, sans même un peu changer le décor:
la vie achève et tu crois qu'il reste un palier

Pourtant, de l'enfant, il ne reste qu'un fragment
et de ta jeunesse que d'aimables romans
Tu sens peser surtout la cuirasse de l'âge

Toujours plus épaisse, car le doute la ronge
Elle enferme et défend tes joies, pertes et rages
Ton âme nue d'enfant ne la fuit plus qu'en songe

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2008-03-18

 

L'exception québécoise ?

Une certaine intelligentsia québécoise aime rappeler parfois (en bien ou en mal) la singularité de la désaffection québécoise pour l'Église catholique. Mais cet abandon des églises a-t-il été aussi spontané et inexplicable qu'on le laisse parfois entendre? En fait, on a observé une baisse pratiquement comparable chez les Catholiques aux États-Unis dans la foulée de l'encyclique Humana vitae.

Selon Malcolm Potts (Endeavour, 27, 2003), la fréquentation de la messe dominicale aux États-Unis est passée de 71% à 50% chez les Catholiques après Humana vitae, tandis que les femmes catholiques ont adopté l'emploi des contraceptifs dans les mêmes proportions que celles des autres confessions. De 1965 à 1970, selon un article de Westoff et Jones en 1977, la proportion des femmes mariées blanches et catholiques de moins de 45 ans utilisant des moyens contraceptifs passe de 58,5% à 63,2% (et à 76,2% en 1975). Aux mêmes dates, la proportion des mêmes qui n'étaient pas catholiques était de 70%, 69,2% et 79,9%, de sorte qu'en dix ans, le rattrapage est presque complet.

Au Québec, selon Reginald W. Bibby (Sociologie et Sociétés, 22, 1990), la fréquentation de la messe par les Catholiques passe de 85% en 1965 à 40% environ en 1975. Le changement est certes de plus grande amplitude qu'aux États-Unis, mais il est pareillement marqué. En même temps, 90% environ des Catholiques québécois se disaient, en 1975, en faveur de l'avortement si la vie de la femme était en danger et de fournir aux adolescents le désirant de l'information sur le contrôle des naissances. En 1975, 25% environ se prononçaient même en faveur de l'avortement pour les femmes ne voulant pas d'autres enfants. Et, dans la pratique, l'indice synthétique de fécondité pour le Québec accuse une chute de moitié de 1960 à 1970.

À bien y penser, la singularité des Québécois, ce serait peut-être le monolithisme, qui accentua l'unanimité en faveur de la religion avant 1960 tout comme il en exagéra la désaffection après 1970...

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2008-03-16

 

Teatro Universale (11)

Le 16 mars 1839, alors que l'année est presque entièrement entamée au quart, la modernité technologique a enfin droit aux honneurs de la première page. Comme de raison, l'illustration d'un nouveau tunnel ferroviaire arrive de la Grande-Bretagne, via le Penny Magazine et le Penny Cyclopaedia, à première vue. Il s'agit du tunnel de Primrose Hill au nord de Londres, construit par William Budden sous la supervision de Robert Stephenson, à qui on doit aussi la conception du pont Victoria de Montréal. Le tunnel faisait partie de la ligne ferroviaire reliant Londres à Birmingham, complétée en 1837. Sa construction achevait d'unir pour la première fois par le rail les quatre villes les plus importantes de l'Angleterre, Londres, Birmingham, Manchester et Liverpool. La première phrase de l'article révèle en un sens pourquoi le Teatro Universale ne sentait pas l'urgence de s'intéresser prioritairement à la Révolution industrielle : « L'arte di fare le strade di ferro, cioè con le guide delle ruote o i rotedotti (rails) di ferro, benchè nata appena l'altr'jeri, è già cresciuta gigante. » Sans compter les tentatives avortées ou les expériences privées, les trains à vapeur circulaient pourtant depuis déjà quatorze ans sur des lignes commerciales. Pourtant, pour la rédaction du Teatro Universale, c'était à peine hier. Évidemment, Davide Bertolotti avait cinquante-cinq ans environ en 1839. Il avait vu neiger et il avait passé l'âge des enthousiasmes. C'est ce qui pourrait expliquer sa réserve...

Néanmoins, il n'ignore pas que les voies ferrées font maintenant partie d'un débat international sur l'avenir des transports et l'article se termine sur un tableau des performances obtenues pour le transport des marchandises par canal, par voie ferrée et par la route. L'auteur indique : « noi riporteremo il paragone fatto in Inghilterra tra l'utilità delle strade di ferro e quella de' canali navigabili, argomento ormai divenuto assai grave anche per l'Italia. » Les ouvrages d'art monumentaux associés aux voies ferrées retiennent néanmoins l'intérêt de par leurs qualités propres et ce numéro du Teatro Universale inclut aussi une gravure d'un viaduc ferroviaire sur la rivière Avon, sans doute celui-ci tel que représenté dans Rides on Railways de Samuel Sidney vers 1851.N'était-ce de cette mention de l'Italie, il serait tentant de penser que l'inclusion occasionnelle de nouvelles industrielles en provenance de la Grande-Bretagne ne prêterait pas à conséquence. Il s'agirait en quelque sorte de l'équivalent ethnologique pour la Grande-Bretagne des descriptions des mœurs et des cadres de vie d'autres pays exotiques. Si les Circassiens avaient des coutumes étranges, les Britanniques aussi...

Dans le reste du numéro, on trouve un poème du poète Cesare Arici (1782-1836) tiré de La Pastorizia (Brescia, 1814) sur les bergers qui se réfugient à l'ombre durant les heures chaudes.

Le premier article d'une série sur la mythologie des Alpes promet de se nourrir des textes de Tullio Dandolo et d'Alexandre Dumas. (Mary Shelley aussi avait, en son temps, recueilli quelques légendes des Alpes.) Toutefois, le rédacteur emprunte surtout à Dandolo — sans doute de son Viaggio nella Svizzera Orientale (1836) — dans cette première livraison. Le texte porte d'abord sur les nains du folklore alpin : de petits êtres serviables, mais qui détestent être épiés ou ridiculisés. Visibles de l'Annonciation à la Toussaint, ils se terrent pendant le reste de l'année dans leurs palais souterrains. Mais il est aussi question de quelques autres légendes : malédiction qui font dévaler un glacier, source miraculeuse qui coule uniquement pour les bergers et les troupeaux quand ils séjournent sur l'alpage, tarissant autrement... L'auteur cité offre une explication prosaïque de ce prodige, lié au dégel printanier des névés et aux premiers gels de l'automne qui forcent le départ des troupeaux...

La suite de la notice sur la niellure voisine avec une livraison des Effemeridi istoriche universali consacrée à Carlo Boucheron (1773-1838), qui venait tout juste de mourir un an auparavant. Deux anecdotes complètent le numéro, l'une sur Napoléon qui fit don de vingt canons pris à Austerlitz à Martin-Michel-Charles Gaudin (1756-1841), duc de Gaëte, pour fabriquer un balancier en bronze pour la frappe de la monnaie et l'autre sur Dante, dont le sel m'échappe.

Table des matières : Teatro Universale 235, 236, 237, 238 (janvier); 239, 240, 241, 242 (février); 243, 244 (mars).

2008-03-15

 

Le culte des réductions d'impôt

Existe-t-il une charge fiscale optimale sur les revenus? Aux extrêmes, il est clair que non. La confiscation de 100% des revenus de tous les contribuables permettrait peut-être de construire l'État-providence parfait, mais il faudrait aussi construire un État totalitaire parfait pour arriver à un tel résultat. Et l'absence d'imposition des revenus est certes possible, car plus d'un État a réussi à s'en passer, soit en taxant l'import-export soit en taxant la consommation soit en prélevant une part des revenus engendrés par l'exploitation de richesses naturelles (bois, charbon, pétrole). Néanmoins, on peut légitimement se poser des questions sur la nature démocratique d'un gouvernement qui ne dépend plus des deniers des contribuables.

Le débat sur les risques de l'État rentier est d'ailleurs animé, comme le démontrent les contributions de Herb (.PDF) ou Ross (.PDF) et, dans l'arène journalistique, de Friedman.

Sans remonter à l'Antiquité, quand le gouvernement démocratique d'Athènes avait financé son virage impérial grâce à l'argent des mines du Laurion, on notera que les États pétroliers sont rarement des modèles de démocratie (Alberta, Arabie saoudite, Brunéi, etc.). Inversement, ce sont les monarchies qui ont été obligées de faire appel aux revenus de leurs citoyens, directement ou indirectement, qui ont souvent dû lâcher du lest démocratique. La Magna Carta britannique a été accordée après que le roi Jean ait encouru l'ire de ses barons en essayant de prélever le premier impôt sur le revenu... Bref, le principe de « No taxation without representation » a pour pendant fréquent « No representation without taxation ». Si cette dernière maxime sert parfois à argumenter que les bénéficiaires d'exemptions fiscales n'ont pas le droit à la parole dans les débats publics, il est également possible d'en tirer la conclusion qu'une démocratie représentative ne doit pas chercher à exempter qui que ce soit d'une contribution quelconque aux revenus de l'État. D'ailleurs, les pays où la contribution personnelle est à peu près nulle incluent des pays livrés au féodalisme ou à l'anarchie, comme la Somalie...

Entre les deux extrêmes de l'imposition totale ou de l'imposition nulle, on peut débattre du meilleur taux. Aux États-Unis, la droite héberge les plus ardents partisans des réductions d'impôt comme panacée. Si l'économie va bien, il faut des réductions. Si l'économie va mal, il en faut aussi.

Prenons cet article de Jeffrey Bell paru dans le Weekly Standard, qui loue les réductions d'impôts de George W. Bush en ces termes :

« In the first half of 2001 he fought hard for a much larger tax-cut package than was expected of a president who had recently lost the popular vote, and got much of it—though at the price of an overly long "phasing in" of the rate reductions, the sort of delay that supply-siders believe postpones a good deal of the economic advance the tax cuts are designed to achieve. When the issue was reopened in 2003, following unexpected GOP gains in the 2002 congressional elections, Bush demanded and won immediate effective dates for the income tax reductions and passage of a reform provision that reduced the personal side of the double taxation of dividends by nearly two-thirds, from 39.6 percent under Bill Clinton to 15 percent today. The stock market went into a bull move, and the economy began to accelerate from the sluggish 2001-03 recovery. »

Il s'agissait donc de réductions majeures, auxquelles l'auteur impute la bonne santé des marchés boursiers et la reprise économique (très modérée aux États-Unis, en fait, du point de vue de l'emploi ou de la rémunération des salariés). Pourtant, moins de deux ans plus tard, l'économie s'abîme dans le gouffre des hypothèques véreuses, et il faudrait maintenant que ces réductions deviennent permanentes d'ici quelques années :

« From a supply-side perspective, it is no surprise that the dollar is weak and equity markets both volatile and bearish. The top tax rate on estates, under current law, is scheduled to go from zero to 55 percent on January 1, 2011. The personal tax rate on dividends, now 15 percent, is slated to shoot back up to 39.6 percent, capital gains from 15 percent back to 20 percent, the top rate on personal income from 35 percent today back up to 39.6 percent. »

Bref, l'auteur attribue la reprise relative de 2004 à 2006 à l'effet immédiat des réductions, mais la déprime de 2007-2008 à la perspective d'une augmentation... en 2011, alors que les réductions restent en place. Il faut donc conclure que des réductions permanentes élimineraient à tout jamais les risques de ralentissement économique... C'est un raisonnement digne d'un culte (vaudou disait George Bush père). Ou il est également possible de conclure que si l'impossibilité de croire à la permanence sur cinq ans d'une réduction fiscale la rend incapable de stimuler l'économie, aucune réduction ne remplira jamais ce but aux États-Unis puisque cet horizon se situe au-delà de tout mandat présidentiel unique, ce qui rend automatiquement toute réduction sujette à un changement de cap par un futur gouvernement...

On finit par se dire que Raël devrait recruter parmi les sectateurs des réductions d'impôt.

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2008-03-14

 

Du space-op signé Reynolds

Revelation Space (2000) d'Alastair Reynolds est du space-op comme on l'aime. Reynolds s'appuie sur un bon bagage astronomique et technique pour donner un minimum de vraisemblance aux rebondissements de l'action. Tout ce qu'on peut lui reprocher, c'est d'allonger un peu la sauce, car si le point culminant du roman, c'est la découverte de la véritable nature du couple de Hades et Cerberus, voisins de l'étoile Delta Pavonis, il a enchaîné pour y arriver une abondance de péripéties qui apparaissent dès lors un peu accessoires... Le roman est presque un catalogue des recours favoris du space-op moderne : vaisseaux spatiaux gigantesques bourrés de gadgets, civilisations disparues, planètes plus ou moins terraformées, intelligences artificielles, nanotechnologie, une ancienne guerre galactiques, des extraterrestres mystérieux, des armes capables de détruire des mondes... Les personnages ne sont peut-être pas non plus éminemment sympathiques : ils n'ont pas le panache d'un Nicholas van Rijn, l'humour sardonique d'un Dominic Flandry ou les sentiments disponibles des héros de Catherine Asaro ou Julie Czerneda. (Pas même l'héroïsme conventionnel d'un David Falkayn, pour faire le tour des protagonistes de Poul Anderson!) Pour la plupart, ce sont des aventuriers assez froids et calculateurs, dont le trait le plus attachant, c'est de ne pas être des mégalomanes déments et meurtriers, contrairement à leurs compagnons ou adversaires. Et encore...

Ces réserves mises à part, Reynolds soigne ses coups de théâtre et dose bien ses révélations. C'est du space-op à idées, mais les idées en question ne relèvent pas de la sf dure comme dans le cas de Peter Watts, mais plutôt de l'arpentage de territoires déjà traversés afin d'en ramener des variantes et des intuitions brillantes. Il propose lui aussi une solution au paradoxe de Fermi et signe une prose aux images parfois saisissantes, mais ce sont les détails et les péripéties qui fascinent, et non l'œuvre prise dans son ensemble.

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2008-03-13

 

Sonnets albriens (3)

L'amour né dans l'ombre rien n'expose au jour
ni ses plus chers rêves, ni sa frêle tendresse
de peur qu'ils ne crèvent, de peur qu'elle se blesse
Son cœur il élève tout en haut d'une tour

Il veut fixer en coin le corps et ses atours
dont il aurait si soin, la noire et lourde tresse
ah, qui ne l'émeut point, qui de glace le laisse,
mais qu'il aime de loin et de son âme entoure

Ce que, seul, il étreint l'amène au bord du vide
Où, pour aimer sans frein, va choir son cœur timide
par une loi d'airain condamné sans recours

Car tout espoir est vain pour le cœur qui soupire
sans demander la main et prier le secours
de celle dont le seing comblera ses désirs

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2008-03-12

 

Le Nouveau Planète

En France, Grégory Gutierez a signé en 1998 pour sa maîtrise de lettres modernes spécialisées une dissertation intitulée « Le discours du réalisme fantastique : la revue Planète ». Sa dissertation (.PDF) est disponible sur une page personnelle, avec quelques indications supplémentaires. Même s'il trahit parfois une indulgence que je trouve excessive pour les errements de Pauwels, Bergier et Planète, je dois avouer que la revue occupe une place incontournable dans l'histoire de la culture des futurs. Au Québec, Esther Rochon a déjà témoigné de l'influence de la revue sur elle, tandis qu'Élisabeth Vonarburg a souvent fait état de l'importance qu'a eu pour elle Le Matin des magiciens (1960) de Pauwels et Bergier, les fondateurs de Planète.

Je suis évidemment trop jeune pour l'avoir lue en son temps. Plus tard, quelques numéros me sont tombés sous la main, mais ils ne m'ont pas captivé. En les feuilletant chez tel ou tel bouquiniste, j'ai pu trouver quelques articles intéressants, mais jamais au point de les acheter. En revanche, je viens de remarquer sur une tablette à demi-oubliée un numéro quelque peu magané du Nouveau Planète, qui avait succédé à Planète en faisant paraître 25 numéros de 1968 à 1971. Le look était assez semblable, comme le démontre la couverture du numéro 17 (juillet 1970) du Nouveau Planète. Néanmoins, l'ingrédient clé de toute fascination actuelle pour le phénomène Planète (enfin, pour ceux qui ne croient pas à la parapsychologie et aux astronautes anciens), c'est sans doute la nostalgie des futurs d'hier. Voire l'enthousiasme patent pour la science-fiction qui perce dans plus d'une page de ce numéro qui comporte une longue présentation de Stanislas Lem... Dans le numéro 17, la transcription d'une table ronde sur l'audio-visuel est le premier texte offert aux lecteurs. Je reproduis ci-dessous la première photo choisie pour illustrer cet échange.N'est-elle pas merveilleuse? Imagine-t-on montrer des enfants d'aujourd'hui en extase devant une imprimante? Devant un téléscripteur, oui, peut-être, mais pour d'autres raisons. Et ces rubans de papier perforé? Mieux encore, une autre photo nous révèle, quelques pages plus loin, à quoi ressemblera le cartable d'un écolier de l'an 2000.Ah, que c'était loin, l'an 2000! Et que cela semble déjà loin, avant le 11 septembre 2001 et tout le reste... Il est assez amusant de recenser, dans cette photo, ce qui se trouvait et ce qui ne se trouvait pas dans les cartables d'écoliers en 2000. Des crayons? Sûrement, mais peut-être mécaniques. Un aiguisoir? Si le crayon n'était pas mécanique... Des billes? Peut-être. Une petite voiture? Peut-être. Des écouteurs avec un microphone? Les écouteurs, oui, sans le microphone, mais pas pour la classe! Un manuel pour une règle à calcul? Certainement pas — mais c'est au moins une erreur de prévision que Robert A. Heinlein aussi a commise. Une bobine de ruban magnétique? Je ne sais pas si beaucoup d'enfants de l'an 2000 l'auraient même reconnue...

En 1970, les futuristes avaient parfois le regard un peu trop rivé au présent. L'audio-visuel? Le premier microprocesseur commercial serait lancé un an plus tard à peine, permettant à l'écolier de l'an 2000 d'avoir dans son cartable ou sac à dos une calculatrice plus puissante que beaucoup d'ordinateurs de 1970. La loi de Moore rend effectivement le futur difficile à prévoir.

L'article que Jacques Bergier consacre à Lem est à la fois jubilatoire et délirant. Mais il faut aussi jeter un coup d'œil à l'illustration réalisée par le jeune Siudmak pour cet article...Dans les médaillons qui coiffent la tête du personnage, ce sont différent romans de Lem qui sont évoqués. Le dernier médaillon à droite est consacré à Solaris.

Dans le reste du numéro, on retrouve le salmigondis indigeste malheureusement typique de l'époque. Un article bien documenté sur les effets possibles d'une guerre nucléaire, signé par Jean-Claude Frère, voisine avec la biographie d'un occultiste, Gérard Encausse, alias Papus (1865-1916). Une traduction d'un excellent texte fantastique de Charles Dickens, « Le signaleur », fait regretter un délire von dänikenien de Pauwels et Bergier sur les civilisations anciennes et leurs secrets technico-scientifiques, commodément disparus... Des textes sur les Cathares et les guérisseurs africains ont pour pendant une notice sur le Bhoutan et la description science-fictive d'un « futurible » où la publicité est proscrite des rues et des ondes.

Bref, il y a de tout, du bon et du mauvais. J'y retrouve un écho de la culture des années 70 que j'ai un peu connue, qui souffrait d'un manque de sens critique mais qui bénéficiait d'une ouverture... à l'ouverture qu'on regrette parfois aujourd'hui.

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2008-03-11

 

La vie des œuvres

Un écrivain crée des textes qu'il libère ensuite — s'il le désire et s'il y parvient. Une fois publié, un texte est libre de circuler dans la nature. Il sera lu par des personnes que l'auteur n'a jamais rencontrées et le texte se prêtera à des usages qu'il n'aura jamais prévus.

Un avantage des programmes créés au Canada pour compenser les auteurs pour certains usages des textes, c'est d'informer l'auteur des avatars et aventures d'un texte. Ainsi, je viens de recevoir un chèque de Copibec dont le talon m'annonce que ma nouvelle « Lukas 19 » aurait figuré dans 44 000 copies d'examens ministériels au Québec — en 2007, je présume. Cela laisse toujours un peu songeur de savoir qu'un texte écrit pour le plaisir des lecteurs d'imagine... en 1987 (vingt ans plus tôt!) est maintenant soumis à la réflexion d'écoliers québécois. Est-ce que je voulais vraiment faire suer des jeunes sur mes phrases? Est-elle en voie de devenir un classique du genre?

En un sens, je suis très content pour mon alter ego de vingt ans qui avait écrit cette nouvelle à l'Université d'Ottawa. Je me souviens d'en avoir rédigé quelques pages dans le café étudiant au sous-sol du pavillon Simard. J'avais aussi collaboré avec Robert Babin, qui habitait alors dans le sous-sol de la maison de ses parents à Hull, pour qu'il illustre ma nouvelle. C'était nouveau pour moi que de travailler aussi étroitement avec l'illustrateur d'un texte, et cela ne s'est pas reproduit très souvent dans le cas de mes nouvelles.

Vingt ans plus tard (et des poussières), je serais assez critique face à la prose et à la construction de cette nouvelle. Même si elle a clairement des fans... Si elle circule encore, c'est peut-être parce qu'il s'agissait précisément de science-fiction — et de science-fiction dure (quoique humaniste). En 1987, j'écrivais sur les clones, un sujet qui reste d'actualité encore aujourd'hui. Si j'avais écrit sur quelque chose de plus contemporain, la nouvelle serait peut-être oubliée aujourd'hui...

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2008-03-10

 

Elle était haute comment?

La neige était haute comment? Après l'intervention des pelles et des souffleuses, elle était si haute

— qu'un joueur de basket aurait eu du mal à voir par-dessus

— qu'elle bloquait toute la vue de la fenêtre du salon

— qu'on aurait pu sortir de la maison par une fenêtre... à l'étage (pratique en cas d'urgence!)

— qu'en grimpant sur le banc de neige, on n'aurait eu qu'à sauter pour s'accrocher aux fils électriques

— qu'en creusant l'intérieur, on aurait pu garer trois MINI Cooper ou quatre Smart...

Quelques photos prises avant et après la chute de neige samedi en fin de semaine, quelque part dans la banlieue d'Ottawa...


















Ou encore...

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2008-03-09

 

Teatro Universale (10)

Dans le numéro du 9 mars 1839, la botanique a droit aux honneurs de la une, et non sans une certaine prescience, car le caoutchouc allait devenir un enjeu mondial avant la fin du dix-neuvième siècle, avec l'invention des bicyclettes et de nouveaux véhicules urbains roulant sur des jantes caoutchoutées ou des pneus. En 1839, ce sont surtout les vêtements qui sont caoutchoutés, même si la gomme à effacer est déjà utilisée. L'article se penche à la fois sur le traitement et les usages modernes de la gomme, et sur les plantes qui la produisent. Toutefois, comme l'Afrique équatoriale restait encore largement inconnue à cette époque, la liane à caoutchouc (Landolphia a.), répandue entre autres au Congo, n'est pas mentionnée dans l'article. Il est plutôt question des arbres à latex, comme l'hévéa ou le figuier représenté par la gravure (ci-contre). Même si l'article cite aussi le Penny Cyclopaedia, la principale citation est tirée du Nuovo dizionario universale tecnologico o di arti e mestieri e della economia industriale e commerciante (Venise, 1831-1859); celui-ci est en fait une traduction du Dictionnaire technologique ou Nouveau dictionnaire universel des arts et métiers, et de l'économie industrielle et commerciale (Paris, 1822-1835), de sorte que l'article est en grande partie le fruit de la plume du chimiste français Pierre-Jean Robiquet (1780-1840).

La troisième et dernière partie de l'article sur les Circassiens décrit les pratiques guerrières des Circassiens (à faire frémir!) et le contrôle des grands axes de communication (mais guère plus) par des forteresses russes essayant de légitimer les revendications russes dans la région. Vient ensuite un article qui présente Benjamin West (1738-1820) comme le seul et unique artiste étatsunien à avoir atteint l'excellence dans les arts. Il est connu au Canada pour sa peinture de la mort du général Wolfe aux portes de Québec, sur les plaines d'Abraham, et cette toile est effectivement mentionné dans l'article, une note ne manquant pas de rappeler qu'une gravure de ce tableau a été reproduit dans le numéro 212 du Teatro Universale.

Outre une nouvelle partie de l'étude sur les mollusques, le numéro offre une notice sur les derviches tourneurs, aussi dits Mevlevi dans certains cas, dont l'ordre s'était répandu dans plusieurs parties du monde musulman. Orientalisme toujours? Dans ce cas, pourtant, l'auteur ignore complètement l'aspect spectaculaire des danses pratiquées par ces derviches pour décrire plutôt le rituel d'admission des néophytes au sein d'une confrérie...

Quant aux Effemeridi storiche universali, le sujet retenu est un empereur romain, Héliogabale, dont les frasques et les mœurs ont toujours beaucoup excité les historiens d'antan.

Table des matières : Teatro Universale 235, 236, 237, 238 (janvier); 239, 240, 241, 242 (février); 243 (mars).

2008-03-08

 

De l'Arrow d'Avro à Radarsat-2

On ne peut pas entièrement blâmer les Conservateurs de Harper pour l'enchaînement de circonstances qui risque de faire de l'essentiel de la technologie spatiale canadienne la propriété d'une compagnie privée aux États-Unis. Mais s'ils ne réagissent pas, ils resteront identifiés à cette cession et concession aussi clairement qu'on se souvient dans certains milieux des Conservateurs de Diefenbaker pour avoir liquidé le projet de construction de l'Arrow d'Avro (qui aurait été à certains égards le chasseur à réaction le plus avancé de son époque). (L'Arrow RL-201 d'AVRO — Bibliothèque et Archives Canada, PA-210520)

Certes, les Libéraux ne sont pas innocents dans cette affaire. Du temps de Jean Chrétien, ce sont eux qui, en 1998, cédaient à une compagnie étatsunienne, Orbital Sciences, alors propriétaire de la compagnie d'origine canadienne MacDonald, Detwiler and Associates (MDA), le contrôle de Radarsat-2 dans le cadre de l'entente conclue entre le gouvernement canadien et MDA pour construire ce second satellite radar du Canada. Et ils n'avaient pas non plus protesté, moins de trois ans auparavant, quand Orbital Sciences avait acheté MDA, jusqu'alors canadienne. Si je me souviens bien du contexte, la chose était passée relativement inaperçue et on avait accepté ces décisions des Libéraux comme une mesure de plus dans le cadre de la lutte au déficit. Le partenariat avec le privé était un mal nécessaire pour liquider le déficit et rétablir les comptes.

Les Conservateurs d'aujourd'hui ne peuvent pas (pour l'instant) plaider l'urgence financière.

En 1999, des investisseurs canadiens avaient racheté MDA (au prix fort), de sorte que la compagnie était redevenue canadienne. En 2005, toutefois, les Libéraux étaient encore au pouvoir quand ils avaient refusé de légiférer pour encadrer le contrôle de Radarsat-2, des données recueillies par le satellite ou la propriété canadienne. Maintenant qu'Alliant Systems veut mettre la main sur la division spatiale de MDA, ce sont toutefois les Conservateurs qui seront obligés de choisir. S'ils n'interviennent pas, les fruits d'investissements publics canadiens chiffrés en milliards de dollars appartiendront à une compagnie des États-Unis.

Et les parallèles sont frappants. Dans le domaine commercial, la technologie de Radarsat-2 est sans équivalente et elle serait même supérieure aux équipements militaires des États-Unis dans le même domaine.

Depuis quelques années, les États-Unis se heurtent à des difficultés dans le développement d'une nouvelle génération de satellites espions capables d'obtenir des imagesradar. Le satellite USA-193 qu'ils ont été obligés d'abattre faisait partie de ces efforts malheureux. Il est naturel de se demander si Alliant Systems achète Radarsat-2 pour que les États-Unis disposent d'une bonne solution de rechange...

L'Arrow d'Avro aurait été plus que compétitif avec les chasseurs développés aux États-Unis à la même époque — si les moteurs qui restaient à construire avaient livré la performance promise. Quoi qu'il en soit, la décision de Diefenbaker avait laissé le champ libre aux constructeurs des États-Unis, de sorte que les forces aériennes du Canada utilisent presque exclusivement des appareils (avions et hélicoptères) conçus et/ou construits à l'étranger. Si Alliant achète la division spatiale de MDA, ce sera maintenant l'essentiel de la technologie spatiale de l'effort canadien qui sera contrôlé à l'étranger. Et si l'Arrow d'Avro devait défendre la sécurité du territoire canadien contre les bombardiers soviétiques, un satellite comme Radarsat-2 est une source de renseignements cruciaux pour la défense actuelle du pays.

De nombreux ingénieurs d'Avro avaient quitté le Canada, certains étant presque immédiatement recrutés par le programme spatial des États-Unis. Il y a fort à parier que, si Alliant complète son acquisition, les dépenses en recherche et en développement pour les successeurs de Radarsat-2 se feront de plus en plus aux États-Unis. Et le Canada perdra une fois de plus le contrôle des fruits de ses investissements.

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2008-03-07

 

L'état des travaux

Les lecteurs de ce blogue auront remarqué quelques changements récents. Par exemple, j'ai commencé à intégrer des libellés qui permettront de retrouver tous les billets dotés d'un même libellé : « Livres », « Films », « Science-Fiction », « Futurisme », « Poème », etc. Toutefois, je n'ai pas encore eu le temps de revenir sur tous les billets du blogue depuis les débuts, de sorte qu'en ce moment, il ne faudrait pas se fier à ces libellés pour retrouver tous les billets dans une catégorie donnée. Il reste toujours la possibilité de chercher des mots-clés, soit avec la fonction de Blogger soit avec Google. (Autrefois, les résultats n'étaient pas toujours identiques, mais je n'ai pas refait la comparaison récemment.)

J'ai aussi ajouté l'option d'abonnement à un fil RSS, comme on peut le voir dans la colonne de gauche en descendant sous la liste des liens.

Enfin, j'ai classé les archives par mois, et non par semaine. Du coup, chaque page archivée sera plus lourde, mais il sera sans doute plus facile de retrouver un message correspondant à une date connue, mais pas au jour près.

Il me reste à faire le ménage dans la liste des liens, car certains ne sont plus nécessairement actifs, mais ce sera pour plus tard.

2008-03-06

 

La longévité canadienne

Selon les données de l'INSEE, le Canada se classe dans le peloton de tête des pays du monde pour ce qui est de l'espérance de vie à la naissance des hommes et des femmes. Cette espérance de vie est de 78 ans pour les hommes, en chiffres ronds, ce qui correspond à un an de moins seulement que la performance des Japonais. Les Canadiennes font mieux, avec 83 ans, mais elles sont plus loin derrière les Japonaises, dont l'espérance de vie culmine à 86 ans.

Quant à l'espérance de vie à la naissance des Français de la métropole, elle est de 77 ans, un peu moins que pour les Canadiens. (Toutes ces cigarettes se paient...) En revanche, les Françaises font mieux que les Canadiennes, puisqu'elles jouissent d'une espérance de vie de 84 ans.

Néanmoins, comme on entend souvent dire que les Canadiens mangent mal — aussi mal qu'aux États-Unis — et que le système de santé canadien est en crise, cette performance canadienne peut surprendre. Mon explication du mystère? Le pelletage. Le pelletage de la neige. Comme on commence à le savoir, il s'agit d'un exercice exigeant. Si quinze minutes représentent une bonne mise en forme, l'heure qu'il faut pour bien déblayer un stationnement ou une allée de garage devant chez soi doit représenter un entraînement de haut niveau. Surtout quand il devient nécessaire de faire ce que les médecins déconseillent : jeter la neige à plus d'un mètre et demi en hauteur, ou même la soulever tout simplement. Et comme les talus de neige sont devenus très escarpés après les chutes de neige continuelles de cette année, les particuliers ne savent plus où la mettre et ils sont bien forcés de l'amonceler toujours plus haut...Et ce sont des millions de Canadiens qui, chaque hiver, s'adonnent à cet exercice. Sinon, impossible de sortir de chez soi, ou d'y rentrer... S'il est vrai qu'un de mes étudiants (un peu enveloppé, il est vrai) s'est fait mal au dos en déneigeant, en janvier, cela demeure une activité sans doute bénéfique pour beaucoup d'autres. Comme l'établiraient les données sur l'espérance de vie!

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2008-03-05

 

Le sonnet de la pelle

Avec une pelle, on érige un sommet
digne d'une stèle, un tertre funéraire
blanc parce qu'il gèle, mais de vert recouvert
quand l'été s'en mêle — que d''espoir il promet !

Sauf qu'à cette pelle, dédions un sonnet,
car l'outil fidèle, en dressant la congère,
la neige amoncelle tout au long de l'hiver
et le tas ne cèle rien qu'on ne connaît

Honneur à la pelle! Honneur aux pelleteurs!
Cet hiver, c'est elle qui aide les jeteurs,
leur donne des ailes pour viser le ciel

Après la tempête, la marée des flocons
roule d'infimes cristaux lestant les semelles,
mais la sainte pelle ouvre la blanche prison

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2008-03-04

 

Février, la neige et le froid

Il règne une véritable psychose de l'hiver depuis quelques semaines. Une autre tempête? Une autre chute de neige? Sans surprise, cet hiver qui semble d'autant plus long et rigoureux que le précédent a été court (quoique intense) engendre maintenant des opinions dans les journaux qui s'appuient sur quelques données ponctuelles pour annoncer que l'effet de serre ne vaut plus et que l'on s'achemine vers une nouvelle ère glaciaire.

Pas à Montréal, en tout cas! À l'aéroport Pierre-Trudeau, les données climatiques indiquent une température moyenne de -7,6 environ en février, ce qui est en fait plus chaud qu'en février 2007. Pour varier un peu, j'ai construit la figure ci-dessous en utilisant la moyenne des températures minimales en février depuis 1967. La tendance est à la hausse, mais c'est subtil. Ce que l'on peut remarquer de plus évident, c'est que la moyenne des minima n'est pas descendue de manière significative sous la barre des -15 depuis 1994... Pourtant, ces moyennes glaciales revenaient tous les sept ou huit ans auparavant. Les grands froids semblent donc plus rares.

Mais tant qu'il fera en-dessous de zéro, on n'échappera pas aux bordées de neige!

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2008-03-03

 

Le vide du nihilisme

Patrick Senécal est-il le Michel Houellebecq du Québec? Et faut-il comprendre que son roman Le Vide (2007) nous invite à cesser de le lire?

Après tout, il y est question d'une émission télévisée dont la bassesse représente un défi au discernement des téléspectateurs du Québec. Or, ceux-ci — contrairement aux espoirs de Maxime Lavoie, le concepteur de l'émission — adhèrent en masse et déçoivent amèrement ce « milliardaire » idéaliste de plus en plus désabusé. Faut-il comprendre que les polars et les romans d'horreur qui pompent beaucoup d'hémoglobine et mise sur le voyeurisme de l'effroyable représentent aussi un défi à notre sens du goût? De sorte que pour nous montrer digne de Senécal, il faudrait abjurer ses œuvres...

Je ne crois pas que le raisonnement doive être poussé aussi loin. Le Vide est un suspense avant d'être une catéchèse. Et un excellent suspense, nourri par les promesses de plusieurs dévoilements pressentis dès les premières pages. Senécal mise sur les rebondissements de l'enquête, les révélations successives des événements qui ont fait de Max Lavoie un monstre et la montée de la violence. Contrairement à certains de ses livres, il ne s'y glisse aucun élément fantastique, même si au moins un personnage de ses romans antérieurs fait une brève apparition. Mais si la maquette de couverture est noire, ce n'est pas du noir. Même si l'action se passe dans notre monde présent et fait souvent écho à l'actualité de ces dernières années, l'intrigue qui structure le roman échappe au réalisme strict. Comme lecteur, on ne croit pas à des personnages motivés par un nihilisme plus philosophique qu'autre chose. Les bandits et les criminels y sont des utilités; le spectacle de la violence sera mis en scène par des croyants. L'artifice de la construction romanesque fait du roman quelque chose qui verse plutôt dans une forme baroque de l'horreur, et qui séduit par son étrangeté même.

Après Houellebecq et Arcand, c'est donc au tour de Senécal, le plus jeune des trois, de mettre en scène la vacuité de l'existence moderne et l'attrait du suicide dans une société prospère, comme dans le film, Tout est parfait (2007). Si jeune et déjà si vieux, Senécal? En fait, c'est le plus optimiste de tous, car il termine sur une note d'espoir et d'affirmation de la beauté du monde.

Le Vide est plein (!). Plein de personnages désespérés, suicidaires, revenus de tout, conscients de l'inanité de la société et atteints d'un spleen qui fait succomber au vertige du vide. Plein d'intrigues imbriquées qui rapprochent peu à peu le richissime Max Lavoie, le policier de Drummondville, Paul Sauvé, et le psychologue Frédéric Ferland. Plein de chocs — pour la plupart convenus, à l'exception de la visite d'une usine de sous-traitance aux Philippines et du sauvetage d'un gamin offert à des pédophiles contre rémunération. Plein de discours sur le vide de la vie. Plein de pointes sur la culture de l'inculture du Québec contemporain, culture qui se délecte de la célébrité (comme ailleurs, of course) et de la vulgarité érigée en libération des masses.

Pourtant, la lecture du roman suggère qu'il y a quelque chose de plus fondamental que la lassitude des damnés, car les rêves qui animent les meurtriers recrutés par Lavoie sont des rêves de vengeance pour des griefs souvent obscurs. En lisant Le Vide, on en vient à soupçonner que les moralistes en écriture sont des gens qui s'ennuient. Si la vie et ses aventures ne suffisent plus à passionner, même assaisonnées de fantastique, il ne reste plus qu'à écrire sur la condition humaine. Mais le vertige du vide qui amène Lavoie et Ferland à tuer froidement ne suffit pas; il faut aussi ne rien éprouver pour ses semblables. Lavoie est progressivement dégoûté par l'humanité, tant celle qu'il côtoie dans les conseils d'administration que celle qu'il découvre dans les salles de classe ou en région. Sans la haine ou l'indifférence à l'autre, le désespoir resterait personnel et ne s'extérioriserait pas. Le roman a le mérite de montrer très clairement que le franchissement de cette ligne fait passer du suicide au nihilisme et ce discours philosophique, plus ou moins articulé, fait un peu penser aux auteurs russes du XIXe siècle, comme Dostoïevski, un peu avant le surgissement du nihilisme en action...

Senécal cède à certaines facilités de la littérature populaire. Entre autres, il fait intervenir un « milliardaire », comme s'il y en avait des masses au Québec. En fait, les milliardaires québécois comprennent, dans l'ordre de Forbes, Paul Desmarais, Robert Miller (un cryoniste convaincu), Stephen Jarislowlsky, Charles Bronfman, David Azrieli et famille, Guy Laliberté, Emanuele Saputo et Jean Coutu. Et, comme on le voit, la liste des Québécois « de souche » est encore plus courte : Desmarais, Laliberté et Coutu...

Il y a quelque chose de profondément québécois dans le traitement de la richesse par Senécal. Elle est associée à la corruption, la débauche, la décadence. Et le système ne permet aucune échappatoire. Pourtant, quand Max Lavoie découvre que les actionnaires de la compagnie fondée par son père ne le laisseront pas en faire à sa tête, il n'envisage jamais de passer du public au privé, même si on reconnaît de plus en plus, dans certains milieux, que les compagnies privées sont moins exposées aux pressions en faveur de profits juteux annoncés dans les rapports trimestriels. Mais ce serait évidemment un roman différent si Lavoie avait sérieusement cherché un moyen de consacrer ses moyens financiers à la philanthropie, comme Warren Buffett ou Bill Gates, ou Carnegie. Quelque part, on se dit que ce n'est pas un hasard si le Québec a refusé que la première vraie bibliothèque publique de Montréal soit financée par Carnegie, ou que fort peu de bibliothèques Carnegie aient été construites au Québec. Le fond catholique québécois n'est jamais loin.

Et, naturellement, Max Lavoie habite à Outremont, sur le mont Royal, parce qu'il a décidé que cela convenait à son rôle... Dans le roman, le policier Paul Sauvé n'a jamais visité Outremont : Senécal non plus, s'il croit qu'il peut exister « sur le mont Royal » à Outremont une demeure privée dotée d'une allée d'honneur de deux cents mètres! Il décrit dans le même quartier de luxueuses maisons « à cent mètres de distance l'une de l'autre ». D'une porte à l'autre, peut-être, mais Senécal n'a clairement pas le compas dans l'œil s'il croit qu'il peut exister des intervalles de cent mètres entre les demeures du quartier. Une simple consultation de Google Maps suffit à montrer qu'il n'existe pratiquement aucune résidence de cette partie d'Outremont qui jouit d'autant d'espace. (Ayant souvent traversé ce quartier à pied, j'aurais remarqué un tel domaine!) En revanche, ce manoir fantasmatique sur le mont Royal m'a rappelé je ne sais plus quel fascicule québécois des années quarante où un personnage (le détective Albert Brien?) disposait d'un domaine caché dans un repli du mont Royal tout aussi improbable...

Bref, Le Vide est un roman qui se tient curieusement en équilibre entre le polar et le fantastique. (Le fantastique n'est pas todorovien dans la mesure où il n'y a pas d'hésitation réelle dans l'interprétation des faits, mais l'entreprise horrifique y est trop curieusement construite pour qu'on l'accepte platement.) L'horreur y est, un peu comme dans Aliss ou Les Sept Jours du talion, un élément dans une argumentation, voire une démonstration. S'agit-il d'une nouvelle école au Québec, qui inclurait aussi La Chair disparue de Jean-Jacques Pelletier? Il faudra que les spécialistes nous le disent...

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2008-03-02

 

Bolduc le lauréat

Comme je le signalais précédemment, Claude Bolduc était dans la course pour un prix littéraire du journal Le Droit dans la catégorie jeunesse pour son roman fantastique Là-haut sur la colline. Eh bien, ce prix, il l'a remporté mercredi dernier en ouverture du Salon du livre de l'Outaouais! J'ai bien sûr profité de ma propre visite au Salon pour le saluer et le féliciter... et le prendre en photo. On le voit ci-dessus avec le roman primé, déjà orné d'un bandeau doré du plus bel effet.Outre un prix de quelques centaines de dollars, il a aussi reçu une plaque à l'effigie de son roman pour jeunes. Ce qui se place bien (ou mal, c'est selon) sur une table pour les séances de dédicaces, comme on le voit ci-dessus. Mais quand j'ai pris ces photos, je complétais mon tour du Salon, qui fermait ses portes jusqu'à l'an prochain (en supposant qu'il ne déménage pas entre temps). Il ne restait donc plus grand-monde à hanter les allées de Bouquinville. J'avais d'ailleurs salué également le président d'honneur de Bouquinville lui-même, qui signait ses livres dans la seconde salle. Mais les honneurs de ce Salon appartiendraient, pour notre Bouquinville à nous, à Claude Bolduc!

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2008-03-01

 

Teatro Universale (9)

Dans le numéro du 2 mars 1839, les beaux-arts font la une. La gravure reproduit la Poésie telle que peinte par Raphaël au Vatican, mais ce n'était pas la première fois que le Teatro Universale s'intéressait à ce « principe della pittura ». Une note précise les dix numéros antérieurs où il a été question de lui et de ses œuvres. Toutefois, l'article illustré par la gravure verse plutôt dans la prose de guide touristique, sans grande surprise puisque le texte s'inspire en partie de la Nuova Guida metodica di Roma e suoi contorni (1834) du marquis Giuseppe Melchiorri, maintenant disponible en-ligne. De la Rome des Papes, on passe ensuite à la Rome des Empereurs. La rédaction du Teatro Universale rappelle le triste sort fait aux vaincus par les Romains de l'Antiquité. L'emprisonnement de Persée et de ses fils, la capture de Jugurtha, le triomphe qui vit l'empereur Valérien parader la reine Zénobie dans les rues de Rome à bord du char avec lequel Zénobie aurait aimé pénétrer dans Rome en triomphatrice... autant de moments traités avec un mélange d'apitoiement et de complaisance pour la splendeur et la vertu des Romains antiques. L'Antiquité remplit également la dernière page du numéro, qui inclut une gravure reproduisant L'École d'Athènes de Raphaël au Vatican (dont j'ai vu le carton à la Pinacothèque de l'Ambrosiana à Milan) et une réflexion de Platon sur l'hospitalité.

Le numéro comporte trois autres textes. Les Effemeridi istoriche universali profitent de l'anniversaire de la mort du père jésuite Giovanni Granelli (1703-1770) pour rappeler sa carrière de dramaturge. Une courte note présente le Novellino du treizième siècle et reproduit deux textes en vieil italien, dont les traits d'esprit m'échappent un peu. Le troisième texte présente la nouvelle route du col du Simplon, une des meilleures inspirations de Napoléon Bonaparte à la toute fin du dix-huitième siècle. La description emprunte beaucoup à la Descrizione della strada del Sempione da Arona sino al Gabrio o Gabbio (1822) du comte Giovanni Paradisi, mais aussi un peu aux Peregrinazioni di Davide Bertolotti, un récit de voyage en deux volumes également paru en 1822. Et comme Bertolotti était quelque chose comme le rédacteur en chef du Teatro Universale, il était bien placé pour recycler sa propre prose. Néanmoins, la description de la route du Simplon rappelle sa hardiesse pour l'époque : route à flanc de montagne, audace du pont de Crevola, galeries forées en plein roc sur des distances atteignant 182 mètres près de Gondo... En 1839, cette route avait une trentaine d'années et elle devait une partie de sa renommée non aux exploits techniques requis pour la compléter mais aux paysages romantiques qu'elle permettait d'admirer. Néanmoins, c'est rassurant de constater que le Teatro Universale n'est pas entièrement imperméable aux nouveautés techniciennes.

Table des matières : Teatro Universale 235, 236, 237, 238 (janvier); 239, 240, 241, 242 (février).

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