2008-02-08

 

La province de Kandahar

Quand je relis ce que j'ai écrit sur l'Afghanistan en mars 2006, en mai 2006, en juin 2006, en septembre 2006, en décembre 2006 et en octobre 2007, je constate qu'il ne me reste plus grand-chose à dire. La situation n'est pas inchangée : les chocs frontaux sont sans doute moins nombreux, les Talibans ayant appris à ne pas braver inutilement le feu de l'artillerie lourde et de l'aviation, et la situation semble plus stable à Kandahar même, mais la violence s'est aggravée ailleurs dans la région, la culture du pavot n'a pas cessé et l'infiltration de groupes armés en provenance du Pakistan continue. L'équipement des Canadiens en véhicules blindés a peut-être sauvé quelques vies, mais la pacification de la province de Kandahar semble fragile. Si une intervention ponctuelle élimine des insoumis, d'autres reviennent plus ou moins vite dès qu'on a le dos tourné. De sorte que la province « canadienne » de Kandahar se rétrécit jusqu'à se confondre avec la ville du même nom.

Là-dessus, l'heure des choix arrive. D'une part, le rapport Manley a prôné une prolongation de la mission canadienne à certaines conditions, dont un renfort de l'OTAN constitué d'une formation combattante d'un millier d'hommes. Le gouvernement conservateur a adopté cette position et, soudain, les médias laissent entendre que les États-Unis, la France et la Pologne pourraient remplir les conditions posées par le Canada.

Deux des partis d'opposition défendent un retrait pur et simple, tandis que les Libéraux ont longtemps réclamé (vidéo) une rotation pour remplacer les soldats canadiens dans leur rôle de combattant par d'autres troupes de l'OTAN mais en conservant des soldats canadiens en Afghanistan pour collaborer aux efforts de reconstruction ou de formation des forces afghanes. Cette position est réitérée dans la soumission (.PDF) des Libéraux au groupe de travail de John Manley. Néanmoins, en laissant entendre que les soldats canadiens pourraient rester à Kandahar dans un rôle purement passif ou défensif, Stéphane Dion brouille la clarté de sa position et il s'est exposé aux critiques simplistes de nos foudres de guerre en chambre qui ridiculisent le rôle dévolu à des soldats qui n'auraient pas le droit d'intervenir si la situation l'exigeait. Passons sur le fait que cela décrit assez bien le mandat adopté par d'autres pays de l'OTAN... Ces critiques sont le prix à payer pour qui n'a pas le courage de ses convictions.

Les Libéraux tenaient le bon filon en soutenant que le Canada ne s'était engagé que pour deux ans et qu'il était naturel pour un autre pays de prendre le relais. Après tout, les Canadiens se sont battus pour la liberté de nations de l'OTAN actuel comme la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas ou l'Italie, sinon de l'Allemagne ou de la Pologne, et plus d'une fois. Le Canada a stationné ses troupes en Europe pendant le gros de la Guerre froide et il a de nouveau envoyé ses troupes au front dans l'ex-Yougoslavie quand l'Europe était de nouveau dans le pétrin.

Si les Libéraux osaient dire franchement qu'une échéance ferme obtiendrait sans doute la rotation voulue et le remplacement de nos deux milliers de soldats aussi facilement que la menace implicite de Harper a obtenu des promesses d'aide à hauteur d'un millier de soldats en quelques jours, ils pourraient avoir gain de cause dans au moins une partie de l'opinion publique.

Et cette tactique pourrait aussi avoir gain de cause dans l'arène politique. Le Canada est singulièrement bien placé pour taper du poing sur la table... Outre ses engagements transatlantiques et son passé enviable au sein de l'ONU (même si la dernière décennie et demie est moins reluisante), il a aussi payé le prix fort en Afghanistan, soit plus de 80 soldats, ce qui est trois fois plus que le nombre de citoyens canadiens morts dans les attentats du 11 septembre. Dans la figure ci-contre, on observera en particulier que, par rapport aux troupes engagées, le Canada est l'un des deux pays à avoir subi les pertes les plus lourdes. (Il faut sans doute prendre les chiffres avec des pincettes, car les déploiements ont pu varier au fil des ans depuis 2001.) Le Canada a fait sa part, et plus que sa part. Si l'Allemagne, qui compte plus du double de la population canadienne, ne peut pas se résoudre à seconder un allié dans le besoin, l'alliance serait effectivement en danger.

Cela dit, les autres partis d'opposition n'ont pas tort de suggérer que le Canada n'a pas d'intérêts vitaux en Afghanistan, du moins pas au point de risquer autant de vies humaines. Les États-Unis ont peut-être des intérêts stratégiques, voire pétroliers, dans cette région du monde, mais ce n'est pas dans l'intérêt (étroit) du Canada d'aider les États-Unis à faire baisser le prix du baril de pétrole...

Quant au rôle de l'Afghanistan comme base arrière d'Al-Qaida permettant à Oussama Ben Laden d'organiser des attentats comme ceux du 11 septembre, il n'est pas à ce point singulier qu'un autre pays ne pourrait pas jouer le même rôle. Ben Laden semble s'accommoder assez bien de son séjour au Pakistan, auquel ni les États-Unis ni le Canada ne cherchent noise, et il convient de rappeler qu'une bonne part des préparatifs des attentats du 11 septembre aurait eu lieu en Allemagne et... aux États-Unis.

Le Canada a au moins deux bonnes raisons d'être en Afghanistan. Pour de nombreux Canadiens, il s'agit de faire preuve de la même solidarité qui a poussé le Canada à épauler ses alliés européens précédemment. Les besoins sont criants et c'est le constat de la plupart des Canadiens qui ont visité le pays. Cet idéalisme peut sembler naïf (on ne changera pas le destin de l'Afghanistan en deux ans) ou borné (d'autres pays sont aussi dans la misère), mais la détresse des Afghans est réelle. Ensuite, le Canada se bat aussi en Afghanistan pour son alliance avec les États-Unis, ou du moins pour garder de bonnes relations avec son principal voisin.

Mais cela suffit-il pour ouvrir un crédit illimité sur nos troupes au nom de nos meilleurs amis?

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