2008-03-22

 

La guerre contre les Talibans

Dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, on nous offre le premier article d'une série qui exposera les résultats d'une enquête menée en Afghanistan méridional auprès des combattants talibans. Ce premier article ne donne qu'un avant-goût de la chose, mais il est déjà percutant. D'emblée, on apprend qu'au moins un membre de la famille d'un tiers des Talibans rencontrés dans le cadre de l'enquête avait péri dans des bombardements aériens. De nombreux autres Talibans sont associés à la culture du pavot (la majorité). La moitié des combattants seraient en fait d'anciens fermiers dont les champs de pavot ont été déracinés. D'autres Talibans citent les bombardements aériens parmi les mobiles de leur engagement.

Quand je relis mes billets précédents, dont je donnais la liste en février, je constate que j'avais déjà abordé l'effet mobilisateur des bombardements aériens (et de leurs effets collatéraux) et des tentatives d'extirpation de la culture du pavot. Je n'ai pas grand mérite. Ces problématiques tombent sous le sens, et je ne suis pas plus surpris que je l'avais été quand on avait appris que des agents secrets français avaient coulé le Rainbow Warrior. Souvent, les coupables les plus évidents selon le principe « Cui bono? » sont bel et bien coupables.

Si je me limite pour cette fois aux questions de tactique, cette enquête soulève la question de la possibilité d'un changement de cap. Serait-il possible de réduire le nombre ou l'impact des bombardements? Par exemple, en n'admettant ces bombardements que si des troupes alliées sont directement menacées? Car tout indique que les États-Unis se réservent depuis 2001 le droit de frapper à l'improviste, sur la seule base de renseignements fournis par des agents, des informateurs ou des techniques d'espionnage... Et serait-il possible de gérer autrement la culture du pavot? On a déjà suggéré qu'il serait possible de faire des Talibans des fournisseurs de l'industrie pharmaceutique mondiale; cette transformation des défenseurs de l'opium du peuple en marchands d'opiacés ne manquerait pas de sel, mais les États-Unis restent si fortement opposés à tout ce qui légitimerait la production de drogues que cette conversion est improbable. Tout comme l'armée étatsunienne rechignerait sans doute à cesser les frappes aériennes soi-disant ciblées...

Bref, si deux manières de procéder qui font beaucoup pour le recrutement des Talibans sont condamnées à rester dans le décor, on finit par se demander pourquoi les soldats canadiens devraient rester, eux aussi...
(Photo de nomades afghans de la Bain News Service, 9 mai 1919 — Library of Congress, LC-B2-816-2)

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Comments:
Je doute que les Etats-Unis cessent ou diminuent les bombardements.
Il y a presque une religion de l'arme aérienne dans ce pays qui n'aime rien moins qu'exposer ses troupes. Ce qui est louable, certes, mais peut être aussi contre productif.
Plus globalement on peut dire qu'à part les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki qui ont directement entraîné la fin du conflit, aucun bombardement de civils n'a eut d'impact stratégique majeur.
Les anglais, les allemands, les japonais (jusqu'à la bombe A), les vietnamiens ont reçus des grosses quantités de bombes sans que leur volonté de résister soit véritablement ébranlée.
 
Dans le cas afghan, l'arme aérienne n'a clairement aucune visée stratégique. Elle est utilisée de manière purement tactique, pour éliminer (en principe) des ennemis qu'on a cru identifier.

Cela sauve des vies, sans doute, mais je soupçonne qu'un calcul purement comptable révélerait que l'utilisation d'un bombardier furtif de dernière génération pour détruire une maison de pisé et ses habitants tient de l'utilisation d'un marteau-pilon à vapeur, chromé et incrusté d'or, pour casser une noix.

Le problème, c'est que la valeur tactique de l'arme aérienne pourrait être encore plus réduite que sa valeur stratégique, comme tu le soulignes. Si chaque utilisation tactique d'une frappe aérienne élimine deux combattants et un civil, mais en poussant trois survivants à prendre les armes, les bombardements aériens auraient une valeur négative.

(À vrai dire, je crois qu'on pourrait trouver aux bombardements une certaine valeur quand ils visent des individus dans des États autocratiques. En 1919, le roi de l'Afghanistan semble avoir été suffisamment effrayé pour faire la paix. Et, après le bombardement de 1986 qui avait failli le tuer, Kadhafi semble s'être tenu à carreau. Mais ceci ne fonctionnera pas contre une résistance décentralisée.)
 
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