2008-02-24

 

Les Années métalliques

Retour sur la science-fiction d'hier...

Michel Demuth.
Les Années métalliques.
Paris : J'ai Lu, 1982.
352 pages.
Jadis, en un autre temps, il se publiait des recueils de science-fiction en français dans des collections populaires... C'est plus difficile à trouver maintenant, même si on peut citer Le Monde tous droits réservés de Claude Ecken parmi les publications récentes.

Ce recueil de Demuth réuni en 1977 regroupe des textes parus de 1959 à 1974, plus quelques inédits. La nouvelle éponyme, « Les années métalliques », est justement de 1959 : son auteur avait tout juste vingt ans. Le héros débarque sur une Terre laissée aux robots depuis des siècles; il a pour mission de détruire cette civilisation métallique, machinique et robotisée. Ce qu'il fait après quelques péripéties. Mais c'est la description de son succès qui laisse percer une joie étrange, subversive peut-être dans le cadre de la science-fiction d'alors, face au renversement de cette société mécanisée. On ne retient pas l'absence de questionnements sur ce qui est une forme de génocide, mais bien l'habileté de l'auteur à brosser le portrait de ce futur lointain.

Toutefois, le recueil ouvre avec une longue nouvelle, « La route de Driegho », qui relève du space-opéra traditionnel avec une touche française. On songe aux premières aventures de Valérian et Laureline, et on apprécie la fin douce-amère. Les nouvelles suivantes, parfois signées sous pseudonyme, sont plus ordinaires. Et si des extraterrestres avaient pris la forme de chiens? (« Fin de contact ») Et si une élite future recrutait ses membres parmi les rebelles essayant de l'abattre? (« Nocturne pour démons ») Et s'il était possible de stimuler la vie d'une planète en augmentant l'éclat de son étoile? (« Céphéide »)

Puis, il y a les nouvelles de guerre, qui mettent en scène la violence et la haine, la guerre et ses conséquences. Au nombre des inédits, « Trauma-Blues » se glisse dans la tête d'un vétéran traumatisé. Dans « ... qui revient d'une longue chasse » de 1962, Demuth dépeint la réaction de quelques-uns au futur intergalactique dont rêvait souvent la science-fiction contemporaine, le brassage des espèces et des cultures étrangères suscitant non l'émerveillement mais le rejet. Dans « Trêve en 2090 », il y a place pour une dénonciation de la guerre et de son absurdité, mais la fin demeure ambiguë. On peut se lasser des combats, comme on le voit dans « La bataille d'Ophiuchus », mais ce n'est pas donné à tout le monde.

Les dernières nouvelles du recueil, dont deux inédites, remontent à 1963 et rappellent, dans l'ensemble, le virage pris dans le second tome des Galaxiales de Demuth. Les univers sont plus complexes, voire plus poétiques, et l'action moins assujettie aux logiques de l'affrontement. Les personnages sont souvent plus dépourvus, moins héroïques, égarés dans des situations qui les dépassent.

Dans « L'hymne au défenseur », le héros émerge d'une plongée dans ce qu'on appellerait aujourd'hui un univers virtuel, même si ce n'est pas exactement cela. Mais la description d'une société qui se laisse gouverner par la peur et les phantasmes fournis par une religion avide de domination garde encore aujourd'hui beaucoup d'actualité. Passons sur « Lune de feu », un texte à la chute décevante, même si l'idée de Demuth (qui rappelle lointainement « Inconstant Moon » de Niven, presque dix ans plus tard) nous vaut quelques descriptions saisissantes. De même, « L'Empereur, le Servile et l'Enfer » vaut mieux que sa leçon empreinte d'une pénible moralité, encore une fois grâce à l'évocation d'un monde radicalement étranger. Hésitation encore après la lecture des « Jardins de Ménastrée » : l'évocation est magistrale, mais la clé du mystère et la conclusion ne sont pas à la hauteur. Quant à « La ville entrevue », texte de prime jeunesse aux couleurs primaires, aux personnages naïvement campés et aux péripéties artificielles, on peut y retrouver un écho du jeune Arthur C. Clarke (Against the Fall of Night), mais le contraste des deux mondes évoqués (j'utilise de nouveau ce verbe, puisque Demuth est un maître de la description indirecte) reste frappant.

La nouvelle qui clôt le recueil, « Aux tortues », est née d'une circonstance (Goimard ayant incité Demuth à improviser le début du texte devant un public étudiant en 1975 sur la base du seul titre, enseigne d'un magasin parisien, site inscrit au 55 Haussmann). Mais Demuth en a tiré un texte d'une extrême richesse, qui superpose les niveaux de réalité et leurs explicitations, tout en trouvant le moyen de présenter un personnage au destin mouvementé qui s'inscrit dans un passé également mouvementé. Si on pose que le futur est condamné à échapper en partie à notre compréhension, l'anticipation authentique se doit aussi d'être en partie incompréhensible. Ici, Demuth réussit parfaitement à tenir la balance entre les deux pôles, nous livrant en pâture un texte obscur dont émerge une illusion de compréhension...

Disparu en 2006, Demuth a laissé une oeuvre relativement restreinte, mais qu'on regrette rarement de revisiter.

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