2008-02-20
Le Docteur Lerne, sous-dieu
Retour sur la science-fiction d'hier.
Il y a cent ans, Renard s'inscrivait consciemment dans le prolongement de L'Île du docteur Moreau, d'Herbert George Wells, à qui il dédie son roman. Mais la sexualité relativement franche et débridée des amours du narrateur, Nicolas, avec l'affriolante Emma tranche sur les descriptions plus timides des romans de ses contemporains. On est loin de Jules Verne, en tout cas.
Le mystère initial se laisse assez facilement percer à jour par un lecteur aguerri d'aujourd'hui, mais Renard surprend par l'audacité de son exploitation de la situation. D'ailleurs, tant qu'à subir une préface citant et paraphrasant Renard jusqu'à plus soif, j'aurais préféré qu'on nous dise au moins à quel point Renard s'attendait à ce que ses lecteurs devinent la vérité avant Nicolas.
Celui-ci est pourtant un jeune homme tout ce qu'’il y a plus moderne en 1908. À l'aise financièrement, il a voyagé et il a un appartement à Paris. Il arrive dans le domaine ardennais de son vieil oncle et tuteur au volant d'’une voiture de 80 cv. Mais l'accueil n'est guère chaleureux et son oncle est bien changé. Retranché derrière des bois transformés en dédale, le domaine renferme de nombreux mystères. Pourquoi le docteur Lerne garde-t-il un ancien employé devenu fou? Pourquoi abrite-t-il la jeune Emma, une femme d'humble origine qui est singulièrement douée pour déchaîner la concupiscence du neveu ainsi que de l'oncle, instaurant une rivalité furieuse entre les deux? Quelles expériences pratique-t-on dans la vieille serre et dans les nouveaux laboratoires? Pourquoi le caractère de l'oncle a-t-il tant changé depuis quatre ans? Et pourquoi la chienne du pauvre Doniphan, le fou enfermé, a-t-elle une conduite si singulière?
Tout s'explique par l'application des nouveaux procédés chirurgicaux développés par le docteur Lerne. Nicolas est mis sur la piste par sa visite clandestine de la serre, qui cache des spécimens transformés en chimères par des transplantations et des opérations qui brouillent la frontière entre les animaux et les végétaux. Seulement, Nicolas n'ira pas jusqu'au bout de ses déductions et il faudra des incidents de plus en plus dramatiques pour que tout s'éclaire.
Le docteur Lerne expose à Nicolas des théories de plus en plus hétérodoxes. Certaines demeurent frappantes encore aujourd'hui. Ainsi, quand Lerne évoque la possibilité de changer la matière du cerveau sans interrompre la pensée, on pense aux idées des partisans du transfert des esprits sur support numérique :
Le nom du docteur Lerne est-il une allusion à l'’hydre du même nom, puisqu'il ne suffira pas de trancher la tête malfaisante pour empêcher les anciens collaborateurs du docteur de reprendre ses expériences ailleurs? Ou s'agit-il d'une critique à peine voilée de l'optimisme de Jules Verne, optimisme pourtant bien relatif, en ce qui concerne les utilisations de la science et des techniques? Les deux ensemble, peut-être, surtout que le nom de famille de Nicolas, Vermont, semble fait pour s'ajuster à celui de Lerne et permettre de retrouver l'auteur nantais...
Bref, si on peut faire abstraction du style vieillot et du décalage temporel, Le Docteur Lerne reste un roman qui mérite de figurer dans les annales de la sf ancienne avec les ouvrages de Wells et que les connaisseurs goûteront.
Maurice Renard.L'occasion de lire ce grand classique de la sf française paru en 1908 est aussi l'occasion d'être surpris. Même si la préface d'Hubert Juin vend la mèche, on peut se garder plusieurs surprises en reprenant la lecture après avoir laissé passer quelques semaines, le temps d'avoir oublié les allusions (heureusement assez sibyllines) de Juin. Il convient aussi de sauter la présentation du récit dans des scènes liminaires qui en minent la portée puisqu'elles introduisent une incertitude. L'histoire est censée avoir été dictée par l'intermédiaire d'une table tournante, mais il pourrait s'agir d'un canular du dactylographe...
Le Docteur Lerne, sous-dieu.
Paris: Éditions
Pierre Belfond, 1970.
276 pages.
Il y a cent ans, Renard s'inscrivait consciemment dans le prolongement de L'Île du docteur Moreau, d'Herbert George Wells, à qui il dédie son roman. Mais la sexualité relativement franche et débridée des amours du narrateur, Nicolas, avec l'affriolante Emma tranche sur les descriptions plus timides des romans de ses contemporains. On est loin de Jules Verne, en tout cas.
Le mystère initial se laisse assez facilement percer à jour par un lecteur aguerri d'aujourd'hui, mais Renard surprend par l'audacité de son exploitation de la situation. D'ailleurs, tant qu'à subir une préface citant et paraphrasant Renard jusqu'à plus soif, j'aurais préféré qu'on nous dise au moins à quel point Renard s'attendait à ce que ses lecteurs devinent la vérité avant Nicolas.
Celui-ci est pourtant un jeune homme tout ce qu'’il y a plus moderne en 1908. À l'aise financièrement, il a voyagé et il a un appartement à Paris. Il arrive dans le domaine ardennais de son vieil oncle et tuteur au volant d'’une voiture de 80 cv. Mais l'accueil n'est guère chaleureux et son oncle est bien changé. Retranché derrière des bois transformés en dédale, le domaine renferme de nombreux mystères. Pourquoi le docteur Lerne garde-t-il un ancien employé devenu fou? Pourquoi abrite-t-il la jeune Emma, une femme d'humble origine qui est singulièrement douée pour déchaîner la concupiscence du neveu ainsi que de l'oncle, instaurant une rivalité furieuse entre les deux? Quelles expériences pratique-t-on dans la vieille serre et dans les nouveaux laboratoires? Pourquoi le caractère de l'oncle a-t-il tant changé depuis quatre ans? Et pourquoi la chienne du pauvre Doniphan, le fou enfermé, a-t-elle une conduite si singulière?
Tout s'explique par l'application des nouveaux procédés chirurgicaux développés par le docteur Lerne. Nicolas est mis sur la piste par sa visite clandestine de la serre, qui cache des spécimens transformés en chimères par des transplantations et des opérations qui brouillent la frontière entre les animaux et les végétaux. Seulement, Nicolas n'ira pas jusqu'au bout de ses déductions et il faudra des incidents de plus en plus dramatiques pour que tout s'éclaire.
Le docteur Lerne expose à Nicolas des théories de plus en plus hétérodoxes. Certaines demeurent frappantes encore aujourd'hui. Ainsi, quand Lerne évoque la possibilité de changer la matière du cerveau sans interrompre la pensée, on pense aux idées des partisans du transfert des esprits sur support numérique :
« Et puis, pourquoi les éléments du cerveau ne se pourraient-ils rénover, molécule à molécule, sans que la pensée en soit interrompue, de même qu'on peut changer, un par un, les éléments d'une pile, sans que l'électricité cesse pour cela d'en être engendrée? » (p. 153)La fin du roman va d'ailleurs si loin qu'elle verse carrément dans le fantastique, tout en préservant un vernis de justifications scientifiques. Contrairement à Verne, pour qui les forces naturelles restaient les plus puissantes et l'ultime source d'effroi, Renard s'effraie carrément de la puissance de la science et son narrateur affolé retire de son expérience un tenace vertige existentiel.
Le nom du docteur Lerne est-il une allusion à l'’hydre du même nom, puisqu'il ne suffira pas de trancher la tête malfaisante pour empêcher les anciens collaborateurs du docteur de reprendre ses expériences ailleurs? Ou s'agit-il d'une critique à peine voilée de l'optimisme de Jules Verne, optimisme pourtant bien relatif, en ce qui concerne les utilisations de la science et des techniques? Les deux ensemble, peut-être, surtout que le nom de famille de Nicolas, Vermont, semble fait pour s'ajuster à celui de Lerne et permettre de retrouver l'auteur nantais...
Bref, si on peut faire abstraction du style vieillot et du décalage temporel, Le Docteur Lerne reste un roman qui mérite de figurer dans les annales de la sf ancienne avec les ouvrages de Wells et que les connaisseurs goûteront.
Libellés : Livres, Science-fiction
Comments:
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C'est un bouquin q j'ai découvert par hasard, et qui m'a ouvert des portes considérables. Car les Renards ou les Spitz sont de moins en moins cités alors qu'ils avaient une approche de la SF particulièrement intéressante. Et le Dr Lerne est un roman puissant, qui se délecte et qui, même dans son style vieillot, se savoure. Il est vrai que les auteurs qui se situent entre 1890 et 1940 avaient une écriture particulièrement mais que j'affectionne tout particulièrement. Merci Jean-Louis de continuer à les lire et à les mettre en avant.
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