2008-02-22

 

Mort au champ d'étoiles

Retour sur la science-fiction d'hier...

Bernard Villaret.
Mort au champ d'étoiles.
Verviers : Gérard & Co., coll. Bibliothèque Marabout # 341, série
Science-Fiction, 1970.
218 pages.
1970, année faste pour les insectes... dans la science-fiction française. Cette année-là, la Bibliothèque Marabout rééditait (moyennant quelques modifs) La Guerre des mouches (1938) de Jacques Spitz (1896-1963) après avoir publié Mort au champ d'étoiles de Bernard Villaret, grand voyageur né à Paris en 1909.

Si Spitz présentait une invasion du monde en bonne et due forme par une multitude bruissante de mouches venus des confins de l'Asie, invasion irrésistible qui ne laissait qu'une poignée de survivants humains et qui pouvait s'interpréter comme une métaphore de la « menace jaune », Villaret met en scène une invasion nettement plus sournoise par des diptères extraterrestres. À certains égards, il anticiperait presque « The Screwfly Solution » (1977) d'Alice Sheldon, dans la mesure où les envahisseurs manipulent les humains pour qu'ils s'occupent eux-mêmes de s'ôter du paysage. Mais la dimension scientifique de la nouvelle de Sheldon est absente des deux romans français; ni l'un ni l'autre ne tentent vraiment de justifier l'intelligence improbable d'êtres minuscules. Les romanciers français privilégient plutôt les ficelles du genre, comme la télépathie ou l'exploration de Mars dans le cas de Villaret.

Outre le traitement science-fictif, la narration est pour beaucoup dans le dépaysement du lecteur moderne face à ce roman. C'est l'histoire d'un hibernaute, Jacques Seurat, qui saute de l'année 1976 à 2058. Tiré de son hibernation, il découvre une Terre dépeuplée par l'exode des humains en direction des étoiles au moyen d'un portail de téléportation. La paix règne, le travail n'exige plus qu'un mois d'efforts par année et la France est gouvernée par une administration technocratique anonyme. Les transports ont été révolutionnés par l'antigravitation, mais l'exploration du système solaire périclite. Quant aux progrès de l'informatique, ils n'ont pas été prévus par Villaret, exception faite des quelques « ordinatrices » et « computateurs » centraux.

L'organisation de la société, qui rappelle le rationnement de certains pays socialistes, effraie tant Seurat qu'il se réfugie, incurablement franchouillard, dans la vieille demeure familiale à la campagne, près de Niort. Une série d'aventures et d'incidents, apparemment sans lien, vont
se succèder et l'amener à deviner la terrible vérité.

C'est cette intrigue à la va-comme-je-te-pousse qui laisse sceptique face aux commentaires dithyrambiques en quatrième de couverture (« Les vertigineux attraits de demain », « Un des romans de Science-Fiction les plus originaux de ces dernières années »). J'ai relu récemment la première partie de Stranger in a Strange Land de Robert A. Heinlein, un roman antérieur autrement plus prenant. Pour un lecteur, les premiers chapitres de Villaret frisent le ridicule. On croit même à la parodie ou au pastiche. Malgré quelques épisodes humoristiques, le récit rechercherait plutôt une légèreté de ton qui se veut spirituelle conformément aux meilleures traditions des lettres françaises.

Mais la légèreté n'est pas un gage de qualité et il reste des scories. Par exemple, la présence de guêpes intelligentes sur Mars est-elle une fausse piste, une manière de préparer le lecteur à l'existence d'insectoïdes intelligents ailleurs dans la Galaxie ou un bête manque d'originalité? Et pourquoi les diptères envahisseurs ignorent-ils Mars?

Néanmoins, Mort au champ d'étoiles conserve un certain intérêt en tant qu'ouvrage charnière. D'une part, c'est un roman qui fait figure d'aboutissement d'une longue série d'invasions extraterrestres ou non-humaines, en passant par les Martiens de H. G. Wells et les mouches de Spitz, dans lesquelles il était loisible de discerner le reflet d'une conscience coloniale coupable ou d'inquiétudes engendrées par les conflits et menaces de la première moitié du siècle. D'autre part, c'est un roman qui prépare un certain nombre de récits paranoïaques postérieurs, mettant en scène une variété de conspirations meurtrières, ourdies non pas par des extraterrestres mais par des élites humaines, reflets des goulags et génocides de l'après-Seconde Guerre mondiale.

Malgré le déroulement un brin erratique de l'intrigue, Villaret sait relancer l'intérêt et laisse percer entre les lignes l'idée que toute une société se faisait du futur à cette lointaine époque.

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