2007-09-30

 

Sonnets albriens (1)

Son front est l'escarpement blanc du glacier
qui avance en fondant, dénude sa tranche
et hisse au grand jour ses couleurs les plus franches,
la couronnant d'une muraille d'acier

Beauté à mériter, sans rien de grossier,
tel l'astre matinal perdu dans les branches
qui surgit quand on repousse de la manche
la frange pudibonde à l'éclat princier

J'apprends alors son regard, son ardeur solaire
qui écarta les rideaux de la nuit sévère,
ses cheveux d'ébène m'ayant caché ses larmes

rosée du tourment dont je veux savoir la cause
qu'un rival pour son cœur ami m'appelle aux armes
ou que sa joie de moi irrigue ses joues roses

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2007-09-29

 

La disparition annoncée des phoques

L'autre jour, le premier ministre Stephen Harper se faisait interroger à New York au sujet de la chasse au phoque. Il avait été obligé de répondre que la chasse aux blanchons était depuis longtemps interdite (près de vingt ans) et que les phoques du Saint-Laurent n'étaient pas une espèce menacée. Décidément, il y a des journalistes qui font toujours aussi bien leurs devoirs...

Ce n'est pas d'hier qu'on s'inquiète pour les phoques et que nos voisins du sud déplorent la chasse annuelle. Dans le numéro de janvier 1875 de la revue The Popular Science Monthly, on pouvait retrouver cet entrefilet :

« The barbarous cruelties and needless wastefulness attending the seal-fishery, as now carried on, have received a check from the Newfoundland Legislature, which has passed a law preventing sealing-vessels from leaving port before a certain date, so as to give the seals at least another month after the breeding-season, in which the young may increase in size and value. The present practice is to kill the old seals indiscriminately, leaving the helpless young to perish by thousands. It is hoped that the governments of other countries will follow the example of Newfoundland. »

Mais cette mesure n'avait pas désarmé les critiques. Dans le numéro de décembre 1877, The Popular Science Monthly revenait sur la question :

« The Scandal of the Seal-Fishery. — Unless the governments of the countries which send out ships to the seal-fishery grounds speedily put some restrictions on the method now pursued, there will before long be no seals. In 1868 Dr. Robert Brown expressed his belief that, "supposing the sealing prosecuted with the same vigor as at present, before thirty years shall have passed away the seal-fishery, as a source of commercial revenue, will have come to a close." The Greenland seal-fishery is already "practically used up" and the sealers are now turning their attention to the coast of Newfoundland. A writer in Nature cites the London Daily News, to show what slaughter is made of the Newfoundland seals, and we learn that in one season four vessels secured 89,000 seals. To this add a like number of young ones left to die of starvation, and twenty per cent as many mortally wounded and lost, and the aggregate amounts to over 200,000 seals! The writer in Nature suggests this subject of the destruction of the seal as a fitting one to occupy the minds of the advocates of the anti-vivisection laws, and the Society for the Prevention of Cruelty to Animals. »

Ces avertissements ont-ils conduit à une réglementation de la chasse de manière à la préserver jusqu'à aujourd'hui? Ou ces citations prouvent-elles au contraire qu'il a toujours été rentable d'annoncer la disparition des phoques alors que ces derniers prolifèrent avec l'enthousiasme et la ténacité d'authentiques rats aquatiques?

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2007-09-28

 

Les dettes de la France

La politique de la rupture fera-t-elle disparaître le déficit de l'État français? À moins d'une surprise, cela n'en prend pas l'allure à en juger par le projet de budget pour 2008. C'est un budget qui s'inscrit dans une tendance lourde. Les finances de la France n'ont jamais vraiment dérapé depuis 1988, mais elles n'ont jamais généré d'excédent non plus. L'évolution des surplus ou déficits des finances gouvernementales de quelques pays peut être suivie avec les chiffres de l'OECD (.XLS), qui sont traités sur une base cohérente qui ne correspond pas nécessairement aux normes de la France ou de l'Union européenne. (Ceci pour expliquer que les chiffres diffèrent de ceux publiés par d'autres.)

Si je retiens la Belgique, le Canada, la France, la Suisse et les États-Unis, les soldes fiscaux généraux de leurs gouvernements ont ressemblé à ce qui suit depuis 1988 :
Les déficits ou surplus sont donnés en pourcentage du PIB. On remarquera que tous les soldes ont connu des améliorations notables à la fin du siècle dernier — en fait, seule la France n'a pas atteint ou dépassé l'équilibre des comptes. Les fluctuations les plus dramatiques sont enregistrées par le Canada, qui passe d'un trou béant en 1992 à une série de surplus depuis la fin du siècle dernier. Néanmoins, la Belgique et la Suisse n'ont jamais été très loin de l'équilibre ces dernières années. Seule la performance des États-Unis est plus lamentable que celle de la France, mais elle s'explique en partie par le financement de guerres coûteuses. L'explication de l'incapacité française à boucler des budgets équilibrés est moins évidente...

Et qu'en est-il de ce que j'aime appeler le second déficit, celui qui correspond aux intérêts sur la dette qui grèvent également le budget de l'État? La dette a-t-elle tant augmenté qu'il serait désormais exact de dire que la France est en faillite? L'OECD dispose aussi de chiffres pour la dette des administrations centrales en pourcentage du PIB. Le portrait est inquiétant pour la France, mais non catastrophique :Le record appartient à la Belgique, mais il faudrait préciser que l'exclusion des dettes assumées par les gouvernements des provinces au Canada embellit un peu le portrait pour le Canada. Néanmoins, l'évolution de la dette du gouvernement fédéral canadien est encourageante, le Canada rejoignant le niveau de la Suisse grâce à la croissance de l'économie et à une succession de budgets équilibrés (ou excédentaires). Ce qu'on peut noter, c'est que la France enregistre l'augmentation la plus marquée de sa dette, même si les États-Unis de Bush ont aussi vu gonfler la dette de l'administration centrale.

Si ces dettes sont comptabilisées en dollars US pour le Canada et la France, le portrait de la situation change quelque peu, comme on le voit ci-dessous.
L'augmentation de la dette française est nettement plus dramatique et la réduction de la dette canadienne disparaît carrément, en raison de la hausse des cours de l'euro et du dollar canadien relativement au dollar US depuis quelques années. Néanmoins, ce diagramme permet de voir que la France, à force d'accumuler les déficits, a laissé filer une dette qui, au début des années quatre-vingt-dix, se comparait avantageusement à celle du Canada. Du coup, la dette par habitant est maintenant nettement plus élevée en France, atteignant presque le double du niveau canadien.

Conclusion? À première vue, la France est encore loin d'avoir à composer avec les niveaux d'endettement de la Belgique, de l'Italie ou du Japon. Toutefois, l'endettement français atteint actuellement des niveaux qui ont provoqué des branle-bas de combat ailleurs, comme aux États-Unis sous Clinton ou au Canada sous Chrétien. Je n'ai pas l'impression d'observer la même prise de conscience en France...

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2007-09-27

 

Frais universitaires, ici et ailleurs

En 2006-2007, les étudiants qui désiraient s'inscrire à l'Université Harvard, institution privée sans but lucratif, devaient verser des frais de 33 709$. En moyenne, au Québec, les étudiants devaient verser en 2006-2007 des frais de 2540$ (total des frais de scolarité et frais afférents, incluant les frais payés par les étudiants de l'extérieur de la province).

De fait, selon Statistique Canada, la moyenne pondérée des frais de scolarité payés par les étudiants canadiens en 2006-2007 était de 4347$; la moyenne pondérée des autres frais obligatoires était de 619$. (La moyenne arithmétique des frais moyens de chaque province était de 4472$ pour la scolarité et de 536$ pour le reste.) Bref, la moyenne pondérée de l'ensemble des frais exigés par les universités était donc de 4966$.

Maintenant que le dollar canadien et le dollar étatsunien font la paire, on peut comparer ces frais directement aux frais versés par les étudiants des universités et autres institutions postsecondaires aux États-Unis. En utilisant les chiffres du Chronicle of Higher Education, on peut recenser 579 universités et institutions apparentées qui relèvent du secteur public et qui offrent des formations de quatre ans et plus. A priori, ce sont les plus directement comparables aux universités canadiennes. En 2006-2007, ces institutions exigeaient (des étudiants locaux) des frais totaux moyens de 5547$ (moyenne arithmétique, non pondérée).

Quant aux 142 universités et institutions privées à but lucratif offrant des programmes de quatre ans et plus, elles exigeaient en 2006-2007 des frais totaux moyens de 13 922$ (moyenne arithmétique, non pondérée).

Il est toujours question d'une grève des étudiants dans les universités québécoises cet automne. Pourtant, au vu de ces chiffres, j'ai du mal à prendre au sérieux leurs doléances en ce qui concerne le niveau des frais universitaires. (Le sous-financement gouvernemental est un autre sujet, que j'ai déjà abordé dans ce message et les autres auquel il mène.)

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2007-09-26

 

Polarisation

Au fédéral, les Libéraux de Stéphane Dion sont en pleine crise, comme le fait remarquer Chantal Hébert. De plus en plus impopulaires au Québec, où ils sont même coiffés par le NDP dans certains sondages, leur chef me semble avoir acquis une sympathie distante au Canada anglophone sans réussir à percer au Québec. Si j'avais été au congrès d'investiture en février 2006, je n'aurais sans doute pas parié sur lui (et j'ai toujours du mal à croire qu'il ait gagné). Un an et demi plus tard, son anglais ne s'est pas amélioré et il n'a pas réussi à convertir les francophones à sa cause.

Du coup, il se dessine un scénario inédit avec la victoire de Mulcair. Advenant le déclenchement prochain d'une élection, il se pourrait que le NDP devienne la solution fédéraliste de rechange au Québec. Si les sondages convainquaient les autres ennemis des Conservateurs qu'il valait mieux voter pour le NDP afin de priver Stephen Harper d'un second mandat, on peut imaginer que de nombreux Canadiens accepteraient de voter stratégiquement pour Jack Layton. Dans la plupart des autres provinces du pays, le NDP a gouverné sans provoquer d'esclandre et je crois que, même en Ontario, les années Harris ont fait oublier les erreurs de Bob Rae.

Les Libéraux seraient laminés, un peu comme les Libéraux britanniques étaient devenus un tiers parti après les élections de 1922, 1923 et 1924. Ils l'auraient mérité, car les Libéraux de Paul Martin auront épuisé la patience de leurs partisans de gauche au point de les pousser dans les bras d'un NDP rénové, ou dans ceux des Verts. Certains espéraient peut-être encourager les Libéraux à opter pour des politiques plus à gauche en votant pour le NDP, mais Stéphane Dion les aura déçus en se contentant de stigmatiser Harper pour ses accointances avec le régime de Bush, mais sans jamais clarifier ses positions ou proposer une nouvelle vision du pays.

Harper espère sans doute se débarrasser des Libéraux pour enfin constituer une majorité, mais il pourrait s'en mordre les doigts, car un regroupement des votes à gauche autour du NDP pourrait accoucher d'une majorité. Dans les sondages, les Libéraux, le NDP et les Verts obtiennent la faveur de 60% des Canadiens environ...

Serait-ce une bonne chose pour le pays? Je n'en suis pas si sûr. Une polarisation droite-gauche, comme on la retrouve en France ou en Grande-Bretagne, voire aux États-Unis, pourrait aiguiser l'acrimonie des débats et entraîner des embardées politiques d'une élection à l'autre. Si les élections ne se gagnaient plus au centre, il y a fort à parier que le Canada ne se gouvernerait plus au centre...

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2007-09-25

 

Iconographie de la SFCF (18)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; et (17) le théâtre moderne de SFCF.

Dans certaines de ses réminiscences, Daniel Sernine avoue l'influence sur lui du visionnement de la première série de Star Trek, mais je ne sais plus s'il faisait référence à la série diffusée en 1966-1969 quand il aurait eu moins de quatorze ans ou à la diffusion de La Patrouille du cosmos après 1971. D'ailleurs, l'histoire même des séries de sf diffusées en français reste à écrire. Dans son article (.PDF, accès restreint) sur La Patrouille du cosmos, Caroline-Isabelle Caron date de 1971-1972 le doublage de la série et se montre assez vague sur les dates de diffusion. Selon certaines sources en-ligne, le doublage remonterait même à 1969 et le début de la diffusion en français au Canada est daté de 1971 ou 1973. En Europe, la télévision française n'aurait pas diffusé la série (en conservant le doublage québécois) avant 1982, mais d'autres soutiennent que la série aurait été diffusée vers 1974 soit par Télé Luxembourg soit par Télé Monte-Carlo soit par les deux...

Il se peut qu'il y ait dans certaines mémoires une confusion entre la série d'origine de 1966-1969 et le dessin animé de 1973-1974. La série d'origine aurait été doublée et diffusée au Canada en 1971-1972, puis le dessin animé aurait été doublé et diffusé en français pratiquement en temps réel en 1973. Cette interprétation permet en tout cas de comprendre la parution en 1973 dans la collection Jeunesse-Pop d'un roman clairement inspiré par Star Trek : Les Insurgés de Véga 3 par Jean-Pierre Charland. Certes, les illustrations de Gabriel de Beney ne trahissent pas toujours une telle influence, car la couverture se démarque nettement de l'iconographie de Star Trek. Toutefois, si on se tourne vers le texte et les illustrations intérieures, les indices sont beaucoup plus parlants. Né en 1954, un an avant Daniel Sernine, Jean-Pierre Charland a donc dix-neuf ans en 1973. A-t-il vu la série d'origine en anglais? Le seul indice quant à son passé de téléspectateur vient du nom du capitaine du Prométhée, Thierry L'Arc, qui même s'il pourrait renvoyer à une héroïne bien catholique d'avant la Révolution tranquille rend beaucoup plus clairement hommage à Thierry la Fronde, grand succès télévisé des années 1963-1967 en France... On remplace une arme dépassée par une autre, et hop! La série a également été diffusée au Canada, mais je n'ai pas pu retrouver de dates précises...

Le Prométhée est un vaisseau spatial qui ressemble assez à l'Enterprise : « Ce transtellaire épousait la forme d'un grand disque d'environ trois cents mètre de diamètre, et la hauteur, en son centre, était d'environ trente mètres. Il brillait d'un éclat argenté. Sur le dessus, au centre, se plaçait le poste de commande, tandis qu'au-dessous régnait le principal canon laser. Il se propulsait grâce à l'antimatière et atteignait ainsi une vitesse égalant près de mille fois celle de la lumière. » (p. 10) Il n'est malheureusement pas représenté par Gabriel de Beney, alors que celui-ci dessine plusieurs fois les chasseurs embarqués à bord du Prométhée (en arrière-plan sur la couverture). Par contre, les vaisseaux sphériques des ennemis zvorakiens peuvent rappeler les astronefs de la série Perry Rhodan, publiée en français depuis 1966. Certes, des astronefs sphériques existaient ailleurs en sf : des romans de Robert A. Heinlein, d'Andre Norton et H. Beam Piper mettent en scène des astronefs sphériques près de vingt ans plus tôt. Gabriel de Beney traduit assez fidèlement la description de Charland : « Devant eux, à moins de cinq cents mètres, s'alignaient les sept vaisseaux. C'étaient d'énormes sphères d'environ deux cents mètres de diamètre. Leurs coques étaient faites d'un métal extrêmement brillant, comme de l'argent poli. Chacune était posée sur quatre pieds énormes, s'enfonçant profondément dans la neige. Sous les coques se voyait la surface bleutée de leurs réacteurs photoniques. » (p. 34)

Ce sont d'autres éléments du roman qui révèlent sans risque d'erreur l'influence de Star Trek. À l'intérieur du Prométhée, qui dispose d'un « gigantesque cerveau électronique [de] bord », le poste de commande a quelques traits en commun avec la passerelle de l'Enterprise, même si le capitaine Thierry L'Arc bénéficie d'un écran individuel pour ses communications, comme on le voit dans cette illustration. Plus révélateur encore, le Prométhée dispose d'une salle de téléportation. (Selon Caron, l'expression n'apparaît en tant que telle que dans la seconde moitié de la série traduite en français au Canada.) Dans une scène, le capitaine et son second s'y rendent : « Après avoir tourné à droite, ils se trouvèrent devant une porte métallique. Thierry appuya sur un bouton. La porte coulissa alors, laissant apparaître une grande pièce carrée. Deux hommes étaient là, assis devant une table de contrôle. Ils mettaient les appareils au point. » Le capitaine distribue alors des radiants : il s'agit d'une arme de poing qui « pouvait soit simplement étourdir, soit encore tuer. » (Selon Caron, la traduction de l'anglais phaser par Michel Collet varie et La Patrouille du cosmos substitue au mot phaser plusieurs termes, dont laser, faisceau et fuseur.) La scène se termine sur le moment de la téléportation : « Ayant équipé ses compagnons, Thierry L'Arc alla se placer sur un des cercles d'un blanc laiteux dessinés sur le plancher. Ses compagnons firent de même. Un flot de lumière blanchâtre les enveloppa lentement. Leurs silhouettes s'estompèrent doucement, puis disparurent. » (p. 22)

Enfin, c'est aussi le personnage le plus frappant de la série étatsunienne qui refait surface dans le roman de Charland. Le Vulcain Spock devient Idak, le second du vaisseau, qui a droit à l'introduction suivante : « Un extra-terrestre entra tout à coup dans le poste de commande. Ses yeux bridés, ses cheveux noirs et raides rappelaient un peu les habitants du secteur terrestre 3, autrefois appelé Asie, avant l'union universelle. Le personnage mesurait près de deux mètres et était très mince. Sa force physique était proportionnelle à sa taille, et son ossature extrêmement solide. Sur sa planète d'origine, l'attraction était le double de celle de la terre. Il était né sur Gnork, une des douze planètes gravitant autour de Proxima Centauri. » Il est représenté plus loin dans le livre par un croquis de Gabriel de Beney. Au premier plan, Idak, surpris par deux officiers zvorakiens, n'est pas sans rappeler le personnage de Leonard Nimoy, en particulier par la coiffure et l'arc des sourcils, voire la forme de l'oreille... La description des rapports entre les humains et les Gnorkiens est encore plus proche de la situation dans Star Trek : « Tout de suite, des relations amicales se nouèrent entre la Terre et Gnork. Les habitants de Gnork avaient une technique beaucoup plus poussée que la nôtre, ce qui modifia la face de la terre. Notre planète offrait un visage encore ravagé par la dernière guerre intestine terrestre, qui eut lieu vers la fin du XXe siècle. La culture gnorkienne permit de remodeler la planète de manière à ce que l'inégalité sociale, cause de cette guerre, n'existe plus. Les terriens n'avaient jamais pu s'acquitter de cette dette. C'est pourquoi les relations amicales entre les deux planètes ne cessèrent jamais. Peu d'humains, toutefois, gardaient pour les gnorkiens une réelle affection, car ces derniers, avec leur froide logique, les effrayaient un peu. » (p. 12)

Il ne s'agit pas exactement d'une fiction fanique au même titre que Némoville de Lacerte, mais c'était peut-être la première fois qu'une série télévisée étrangère influençait à ce point un roman de SFCF. Par la suite, on retrouvera les produits des entreprises de Henri Desclez, Belge né en 1942 qui s'établit au Québec à temps partiel vers 1976. Il fonde les Éditions P.A.F. à Westmount (sans doute au 4920 boulevard de Maisonneuve Ouest) et, sous cette raison sociale ou sous son propre nom, il publie une demi-douzaine de livres dérivés de séries japonaises populaires en leur temps, comme Albator (2), Candy (3), le Capitaine Flam (1) et Goldorak (2). Ces livres sont soit à visée pédagogique (Candy soigne ses dents) soit de simples aventures. Seul un connaisseur saurait dire si les deux aventures de Goldorak signées par Claude Leclerc et Monique Lepage (qui est inconnue de ce fan) reprennent des intrigues utilisées au Japon, mais il semble bien que l'enlèvement de Vénusia dans Le grand duel interplanétaire ne s'inscrit pas dans la série télévisée en français. Il ne s'agit pas non plus d'une retranscription de cette BD. Comme les publications de Desclez semblent reconnaître le copyright de Toei Animation, il s'agirait de produits dérivés légitimes, mais de conception et de production locale. Outre Leclerc et Lepage, le dessinateur Jean-Paul Hennion, qui a travaillé plus tard pour Radio-Canada et donné un coup de main à Thierry Labrosse, a beaucoup collaboré à ces ouvrages. On peut retrouver de véritables fictions faniques de Star Trek parues au Québec en français, comme Row, row, row your boat (1993) de Brigitte Labrecque. (Malgré ce titre, le roman est en français.) Mais, de nos jours, la plupart de ces fictions se trouvent sans doute plus souvent en-ligne que sous la couverture de romans publiés. Et je ne sais pas si, autrement que par inadvertance (voir le cas de Michel Brûlé et de Highlander), on trouverait beaucoup d'éditeurs québécois désireux d'exploiter de nos jours la veine des produits dérivés... Laissons donc Actarus et Venusia à leur bonheur, car ils étaient peut-être les derniers de leur espèce acclimatée en terre canadienne pour un bon moment.

2007-09-24

 

Démonologie étatsunienne

Le monstre a parlé! À New York! Dans un amphi de l'auguste Université Columbia!

L'hystérie était à son comble durant la visite du président iranien. La diabolisation de Mahmoud Ahmadinejad est telle que le président de l'université a été obligé d'insulter son invité en public (et de déformer la vérité) en le traitant de dictateur mesquin et cruel. S'il est exact à la rigueur qu'Ahmadinejad soit mesquin et cruel (ayant toléré et couvert de nombreuses exactions dans les prisons iraniennes), il est inexact de dire qu'il soit un dictateur. Il est aussi bien élu que George Bush, sinon mieux.

Quant à ses prises de position relativement à Israël, elles sont encore aujourd'hui déformées par les médias. J'entendais tout à l'heure Lloyd Robertson affirmer sur CTV Newsnet qu'Ahmadinejad avait souhaité qu'Israël soit effacé de la carte (sous-entendu : par le pays qu'il gouverne), ce que l'on retrouve dans ce reportage de CTV, alors que cela fait longtemps qu'on devrait savoir qu'une traduction approximative a fait disparaître les nuances de la déclaration originelle. La question du nucléaire iranien a favorisé les interprétations les plus alarmistes, alors qu'il faut adopter les interprétations les plus alarmistes du programme nucléaire iranien pour croire que l'Iran cherche à tout prix à se doter de l'arme nucléaire. Quand l'alarmisme alimente l'alarmisme, il est clair qu'on ne peut plus s'en sortir...

Évidemment, on ne peut pas s'attendre à ce que les journalistes fassent plus que le minimum syndical (et si ce minimum diffère de zéro, je n'en ai pas encore vu la preuve). Dans un reportage entendu à la radio aujourd'hui sur le dénouement de l'affaire du plagiat par Marie-Pier Côté, la journaliste culturelle affirmait que le roman de Frédéric Jeorge s'inspirait du film Highlander alors qu'il devait tout autant à la série télé. Soupir....

Bref, en traitant comme des crimes les déclarations controversées d'Ahmadinejad, on finit par perdre de vue la réalité. De l'Iran ou des États-Unis, ou de l'Iran et Israël, ce n'est pas l'Iran qui a attaqué, au cours des cinq dernières années, un pays étranger en faisant des centaines ou des milliers de victimes. Pour inquiétants que soient les discours d'Ahmadinejad, il faudrait peut-être se rappeler qu'il existe des réalités bien plus tragiques.

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2007-09-23

 

Croisière en eaux saumâtres

Le retour à la terre ferme dura longtemps. La marée montante bataillait ferme contre le vent et toute la force du Saint-Laurent. Des vagues se creusaient sous la proue du bateau et des filets d'or se glissaient dans les rides des remous, emplissant les balafres du fleuve torturé, dessinant des failles contournées semblables aux sinuosités d'une empreinte digitale. Sauf que le feu liquide coulant dans le labyrinthe de rigoles rappelait plutôt l'ardeur de la lave qui charrie une croûte noire et craquelée, roche en fusion qui brille dans l'entrebâillement de ces blessures mouvantes. Les reflets du soleil illuminaient les vagues les plus proches, puis s'enfuyaient jusqu'à l'horizon en traçant un sentier pointilliste et hachuré. Le gonflement des vagues, dont les plus grosses moutonnaient brièvement avant de s'aplatir sous la coque impitoyable du bateau, hypnotisait. Accroché des deux mains au bastingage, je suivais le mouvement des yeux, avalant le vent debout comme si je pouvais loger son immensité dans mes poumons et je pouvais, au ras de l'eau, imaginer que la ville de Québec était un port lointain et les îles en plein fleuve des littoraux inaccessibles. Les vagues hérissaient la surface de l'eau sur des kilomètres, inlassables, dures et violentes. Quand le bateau retombait, l'eau rejaillissait parfois sur le côté et un arc-en-ciel fugace traversait la brume. Puis, le bateau vira pour regagner Berthier-sur-Mer et son étrave coupa les lames de travers. Cette fois, les paquets d'eau retombèrent sur les passagers debout à l'avant du pont (nostalgiques de Leonardo di Caprio incarnant la figure de proue du Titanic?) et ce fut vite la débandade. J'avais tenu une première fois, sentant mes pieds décoller quand le bateau avait piqué du nez plus raidement que les autres fois, puis j'avais esquivé une rafale écumeuse qui s'abattit sur la verrière du bar derrière nous comme pour la laver. La ruade suivante ne se fit pas attendre et je regardai en observateur détaché mes semelles déraper sur le métal ruisselant du pont. Mes voisins avaient déjà battu en retraite. Quand la crête amputée d'une nouvelle vague rejaillit, je fis le gros dos tandis que l'eau s'affalait sur mon crâne, mes épaules, mon corps tout entier. L'imper collé au corps, les lunettes ruisselantes, j'émergeais d'un bain... Repli. Deux marches plus bas, la rambarde fixée à la paroi de l'habitacle offrait un moyen de rejoindre la porte donnant sur l'intérieur du navire, mais j'étais le dernier à quitter et d'autres se cramponnaient déjà à la main courante, mitraillés par de nouvelles giclées d'eau du fleuve, y compris une toute petite fille aux cheveux fins plaqués sur son crâne et qui se plaignait en souriant désespérément : « J'ai de l'eau dans mes chaussures ! » Le moyen de ne pas en avoir quand un pouce d'eau s'écoulait en retrouvant le chemin du fleuve! Précédée par sa mère, suivie par moi, la petite regagna l'entrée de la cabine bien close et bien sèche, et je fis de même, en m'installant au bar pour m'inquiéter de mes livres et de mes appareils photo... J'ai constaté avec soulagement que les fermetures-éclair sont étonnamment étanches si elles sont bien fermées. Mais si la journée n'aurait pas été complète sans le plaisir de se faire doucher par le fleuve et le vent, elle aurait été plus pauvre sans la visite de Grosse-Île, notre Ellis Island à nous. Et aussi le Fort Detrick du Canada, voire la version locale de l'île Gruinard — encore que les laboratoires de Grosse-Île se contentèrent de produire (difficilement) les stocks de bacille du charbon qui auraient été utilisés lors des tests en pleine nature à Suffield, en Alberta. Entre 1832 et 1937, Grosse-Île servit de poste d'inspection des navires arrivant au Canada, les installations de l'île permettant de soigner les malades, de garder les autres en quarantaine et de nettoyer ou désinfecter. Plus tard, de 1937 à 1957, l'île fut militarisée pour servir à des expériences relevant de la guerre bactériologique : développement d'un vaccin contre la peste bovine, tentatives de produire une souche virulente du charbon pour dévaster les troupeaux allemands durant la Seconde Guerre mondiale... Étable qui abritait le bétail destiné à servir de cobayes pour des expériences biologiques
En plein milieu du Saint-Laurent, l'île n'accueille plus que les touristes venus voir la station autrefois chargée de filtrer les arrivées au Canada, imposant une quarantaine de quatorze jours ou une désinfection complète en cas de maladie. Mais c'est aussi le lieu d'une grande catastrophe humaine : l'hécatombe des immigrants arrivés durant l'été fatal de 1847. Près de cent mille nouveaux arrivants, dont 76 000 Irlandais, la plupart fuyant la famine en Irlande, et près de cinq mille morts succombant sur Grosse-Île aux rigueurs du voyage ou aux maladies contagieuses comme le typhus ou le choléra. (Sans parler des milliers de victimes en route, tout bonnement inhumés en mer.) Portion restaurée du principal cimetière dévolu aux victimes de 1847

Et pourtant, si le sort tragique de ces milliers d'hommes, de femmes et d'enfants émeut, on retient aussi que le Canada de 1847 allait recevoir des dizaines de milliers de réfugiés alors que le Canada de 2007 trouverait insupportable d'en accueillir le tiers. Après avoir accepté plus de quarante mille demandes d'asile avant 2004, le gouvernement canadien tente de ramener les demandes d'asile aux alentours de la vingtaine de milliers par an, tout en prévoyant admettre une quarantaine de milliers de réfugiés en 2006.

La rapidité de la réaction canadienne en 1847 est également impressionnante. Alors que les immigrants malades ou en quarantaine sont logés sous des tentes au début de l'été, ils pourront emménager dans une douzaine de bâtiments en bois à la fin de l'été, construits par des charpentiers de Québec au nom de la solidarité entre catholiques. Quand on pense à la lenteur des réactions dans des circonstances plus récentes (après l'ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans), avec des moyens démultipliés depuis le XIXe s., la performance canadienne de l'époque apparaît d'autant plus méritoire. Dernier hôpital préfabriqué à Québec en 1847 et reconstruit sur l'île avant la fin de l'été

Après la révolution microbiologique, la désinfection prend des dimensions plus scientifiques, et plus industrielles, à Grosse-Île. Le contenu des malles est transvasé dans des coffres faits d'une résille d'acier qui passent à l'étuve tandis que les passagers découvrent le Canada en passant par les douches pour lesquelles ils doivent se déshabiller entièrement. Édifice consacré après 1892 à la désinfection des voyageurs débarqués (agrandi plusieurs fois)

En 1914, ce furent plus de deux cent mille immigrants qui passèrent par le Saint-Laurent en l'espace d'une année, soit presque autant qu'aujourd'hui, mais dans un pays quatre fois moins peuplé (et c'est sans compter les immigrants arrivant dans les autres grands ports canadiens).

Pour visiter Grosse-Île, il faut passer par une compagnie de navigation sur le Saint-Laurent. Les Croisières Lachance sont opérées par une famille de la région — cinq des îles de l'archipel local appartiennent à des Lachance, mais l'île Madame toute proche de l'île d'Orléans est la propriété privée de Laurent Beaudoin. Le voyage est rapide et les deux moteurs de 500 chevaux du Vent des Îles permettent à ce bateau d'avancer malgré le vent. Grosse-Île chevauche l'ultime extrémité de l'océan (pour l'instant) et le vrai début du fleuve. Immédiatement en aval, l'eau du fleuve devient de plus en plus salée. Saumâtre, donc.

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2007-09-22

 

Un touriste à Québec

Le tourisme n'a pas baissé cet été au Québec? Selon cet article, il aurait même augmenté de 0,1%.

La belle affaire! C'est qu'il part de loin. L'attrait du Québec pour les touristes étrangers n'est pas ce qu'on pourrait croire : en 2005, selon Tourisme Québec (.PDF), le Québec se classait troisième au Canada pour le nombre de touristes internationaux, ou leurs dépenses, drainant un maigre 11,3% des visiteurs internationaux et un total plus respectable de 17,1% de leurs dépenses. Faut-il rappeler que c'est bien en deçà de la part démographique québécoise au sein du Canada?

En ce qui concerne les touristes des États-Unis, cela revient sans doute à dire qu'il faut se réjouir que les choses n'empirent pas. De 2002 à 2006, selon un autre document (.PDF) de Tourisme Québec, le nombre de visiteurs étatsuniens était en baisse de 6,5% (si on ne retient que les voyages d'une nuit et plus). Ce qu'il faut sans doute retenir aussi, c'est que la baisse a été plus forte au Québec que dans l'ensemble du Canada (-5,8%).

Pourtant, quand les voyageurs étatsuniens citent les raisons qui les pousseraient à voyager, la découverte d'autres cultures ou l'authenticité de l'expérience du voyage sembleraient favoriser le Québec aux dépens d'autres parties du Canada. Pourquoi ne viennent-ils pas? La publicité est peut-être déficiente.

Mais l'accueil aussi, qui sait... Cette fin de semaine, la rumeur veut que tous les hôtels et lieux d'hébergement de la ville de Québec soient pleins. Il n'y aurait pas moyen d'avoir une chambre. C'est la seconde fois que je constate le phénomène en septembre. Du coup, on peut se demander combien de touristes ne viennent pas à Québec parce qu'ils sont tout bonnement incapables de trouver une chambre quand ils veulent venir...

L'an prochain, on va dépenser pour célébrer dignement les Fêtes du 400e... Mais si on compte attirer encore plus de touristes alors qu'il n'y a pas d'endroits pour les accueillir, ce sera peut-être beaucoup d'argent jeté par les fenêtres.

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2007-09-21

 

Et le choléra...

Dans la tradition, sinon dans la Bible (qui n'en parle pas), les quatre cavaliers de l'Apocalypse sont la Guerre, la Famine, la Pestilence et la Mort. En fait, il s'agit sans doute d'une réinterprétation tardive du texte évangélique dans une Europe éprouvée par les guerres, les pénuries et les pestes. Parce que la guerre affamait d'abord les populations, les maladies s'abattaient sur les victimes affaiblies et la mort passait pour ramasser les siens...

En Irak, un premier cas de choléra vient d'être confirmé à Bagdad.

Le dernier communiqué de l'Organisation mondiale de la Santé, en date du 14 septembre, faisait état d'environ 24 000 cas de « diarrhée liquide aigüe » dans trois provinces du nord. Le vibrion du choléra avait été détecté dans certains des échantillons recueillis, mais on peut supposer que les ressources manquaient pour tester tout le monde.

La maladie en soi n'est pas nouvelle dans le pays. Déjà, elle frappait régulièrement au temps des sanctions. Mais l'échelle de l'épidémie est inquiétante, et je note que deux des provinces concernées (celles d'Erbil et Sulaimanié) sont kurdes, tandis que la troisième (celle de Kirkouk) est revendiquée par les Kurdes. Or, la situation passe pour être relativement tranquille dans cette région. Par conséquent, il est permis de se demander si la dissémination du choléra ne serait pas nettement plus grave dans les autres provinces en proie aux attentats, aux combats et aux déplacements de populations, voire à une guerre civile larvée, puisque celles-ci n'auraient que rarement les moyens de s'intéresser au simple état sanitaire de la population...

Du coup, la tactique des terroristes d'Al-Quaïda qui consistait à faire sauter des camions de chlore apparaît désormais sous un autre jour, puisqu'il s'agissait non seulement d'une arme chimique rappelant la Première Guerre mondiale mais aussi d'une bombe bactériologique à retardement, puisqu'en privant la population de chlore pour rendre l'eau potable, on favorise la propagation du choléra...

Si la maladie a fait des ravages au Canada ou en France au XIXe siècle, les progrès de l'hygiène ont permis de l'oublier. Elle n'a pas disparu de pays plus pauvres. Lors de ma visite au Chili en 1992, le choléra était signalé (ainsi qu'ailleurs en Amérique du Sud) et il fallait se garer des fruits de mer en particulier.

Depuis 2000, les principales flambées de choléra ont été signalées en Afrique. Hormis l'Inde et la Micronésie en 2000, les seules exceptions à la série de cas africains sont venues de l'Afghanistan et de l'Irak, ces deux derniers pays ayant en commun d'avoir été visités par la guerre et la famine depuis quelques années. La guerre et ses fléaux galopent toujours, hier comme aujourd'hui.

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2007-09-20

 

Microbots et nanomédecine

Sylvain Martel de l'École polytechnique de Montréal et ses collaborateurs ont réussi à guider avec un appareil d'IRM un objet microscopique inséré dans une artère animale. L'exploit est signalé dans le nouveau numéro de la revue Découvrir, mais il avait fait l'objet d'une publication en mars dernier dans Applied Physics Letters.

En 1995, dans mon roman pour jeunes Les Voleurs de mémoire, on s'était servi de microbots glissés dans le réseau sanguin d'une jeune fille pour effacer sa mémoire. Lors d'un examen au moyen d'un « endographe qui fonctionnait selon le vieux principe de la résonance magnétique » (illustré en couverture par Jean-Pierre Normand), le champ magnétique déplaçait un tel engin oublié de manière à provoquer une hémorragie sous-cutanée. Le spécialiste chargé de l'examen décrivait ainsi sa trouvaille :

« Un microbot. Il mesure environ trois millièmes de millimètre de la tête à la queue et il peut s'infiltrer dans les veines et vaisseaux capillaires les plus fins. Il devait être bloqué dans un vaisseau capillaire de ton cou et c'est le champ magnétique de l'endographe qui l'a délogé d'un coup. »

Dans l'expérience de Sylvain Martel, il ne s'agit pour l'instant que de déplacer une bille de 1,5 mm de diamètre dans l'artère carotide d'un cochon. La réalité n'a pas encore rattrapé la fiction, mais je n'ai pas non plus tout à fait anticipé la réalité du futur...

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2007-09-19

 

L'Université et le bling bling!

(L'Îlot Voyageur, pomme de la discorde et future ruine moderne en plein centre-ville.)

À l'UQÀM, la rentrée des classes prend la forme de nombreuses festivités, tant au niveau des professeurs qui se rencontrent pour des cocktails ou réceptions que des étudiants qui font la ronde des bars, en y mettant de l'argent de leur propre poche ou en profitant des subsides de leurs associations étudiantes. Difficile, dans un cas comme dans l'autre, de prendre tout à fait au sérieux les récriminations de ceux qui crient famine.

Et pourtant...

L'UQÀM patauge dans les déficits et le sous-financement tandis que toute la communauté cherche à reporter la faute sur autrui. L'administration blâme le sous-financement, la malhonnêteté des anciens dirigeants et la résistance des associations ou des syndicats à y mettre du leur. Les professeurs blâment l'incurie de l'administration et le sous-financement. Les étudiants blâment le sous-financement et l'irresponsabilité de l'administration. La plupart s'entendent aussi pour soutenir que le gouvernement doit donner plus d'argent par étudiant à l'UQÀM parce que sa population estudiantine est plus pauvre, tandis qu'une université comme McGill bénéficie des fonds donnés par ses anciens étudiants...

Mais comme je le soulignais précédemment, le sous-financement inclut aussi bien le résultat des coupes sauvages de Lucien Bouchard que le gel prolongé des frais étudiants. Quant à la mauvaise administration par les dirigeants de l'université, elle devrait surtout inciter toute la communauté à faire son mea culpa : les professeurs et les étudiants sont représentés au sein du conseil d'administration. C'est la communauté qui a choisi de confier les affaires de l'université à Roch Denis et à ses collaborateurs. Elle doit partager le fardeau des erreurs commises. À qui donc la faute de l'abîme financier qui menace d'engloutir l'UQÀM? À tous!

C'est ce qui complique la tâche de trouver des solutions. Personne ne veut payer ou faire le premier pas tellement le problème paraît démesuré. Mais il faudra bien trancher le nœud gordien sans espérer des secours inespérés de la Vieille Capitale. Tant que ce seront les régions et les vieux qui éliront les gouvernements à Québec, les priorités d'une université jeune et urbaine comme l'UQÀM passeront loin derrière.

Surtout que les suggestions sont rarement convaincantes. Introduire un financement différencié des universités en fonction de leurs autres ressources? Cela reviendrait à pénaliser les universités qui attirent des étudiants étrangers, sollicitent les dons des anciens, contribuent au succès financier de leurs étudiants ou fonctionnent depuis si longtemps qu'elles ont eu le temps d'accumuler des fonds privés importants.

Certes, une université comme McGill recrute une clientèle plus riche au départ, plus apte à faire son chemin dans la vie et plus susceptible à donner ensuite. Mais peut-on demander aux contribuables anglophones de donner une part disproportionnée de leurs taxes pour soutenir les universités francophones? Et ne déresponsabiliserait-on pas les universités comme l'UQÀM en ne liant pas au moins un peu le soutien financier et l'attrait de l'université pour les étudiants.

En attendant, l'UQÀM continue à vendre ses actifs au plus offrant.
Et il se pourrait, en anticipant sur un avenir possible, que la future gare d'autobus de Montréal (dont on voit ci-dessous une des entrées fraîches et pimpantes) reste longtemps surmontée de cette carcasse d'édifice inachevé dont le quadrillage de béton en façade se reflètera dans les baies vitrées de la Grande Bibliothèque aux tuiles explosives... Décidément, le quartier est maudit!

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2007-09-18

 

Révolution orange?

Les révolutions oranges sont rarement très révolutionnaires.

En Ukraine, on peut douter de l'importance durable de la très médiatique Révolution orange. Et il n'y a que les Britanniques pour faire de l'avènement sans effusion de sang d'une monarchie constitutionnelle approximative sous Guillaume III, prince d'Orange, une Glorieuse Révolution. Quant à la révolution orange d'ING Direct en Amérique du Nord, elle a généré beaucoup d'attention, mais il lui a quand même fallu quatre ans pour générer des profits.

Bref, faut-il qualifier de « révolution orange » l'élection de Thomas Mulcair dans Outremont? Après tout, la presse parle d'une participation de 27% seulement des électeurs inscrits, même si elle aurait été en fait de 37,5%. Et il est clair que Mulcair a bénéficié d'une certaine célébrité personnelle en son nom propre tandis que les autres candidats n'étaient guère plus que les porte-étendard de leurs formations. Ancien ministre libéral soutenu à fond par son nouveau parti, militant connu depuis longtemps dans sa communauté, avantagé par les reports de voix consécutifs aux résultats d'un sondage claironnés par les médias, il jouissait de nombreux atouts qui en font peut-être le Phil Edmonston de notre temps. Le seul autre député NPD du Québec au fédéral, Edmonston bénéficiait aussi d'une célébrité personnelle et, rappelons-le, il avait été également élu à l'occasion d'une élection partielle en 1990. Sans suite...

Néanmoins, la victoire est nette (47,5%), même si elle ne change rien à la dynamique du 39e Parlement. Pourrait-elle inspirer quelque chose comme le début d'un mouvement en faveur du NPD? Dans les autres élections complémentaires, les candidats du NPD n'ont obtenu que 7,9% (dans St-Hyacinthe-Bagot) et 2,3% (à Roberval) des voix. Il faudra que Jack Layton et cie s'empressent de battre le fer pendant qu'il est chaud.

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2007-09-17

 

Mais où sont les glaces d'antan?

Il n'y aura bientôt plus assez de glace polaire pour refroidir un Cuba Libre...

La fonte des glaces de l'Arctique a ouvert le passage du Nord-Ouest et menace d'ouvrir aussi le passage du Nord-Est, en attendant d'ouvrir le passage du pôle Nord tout court... On peut voir les changements de la calotte arctique ici, un site canadien malheureusement unilingue, et la réduction est dramatique. La fonte des glaces au Groenland se poursuit également, en accélérant, et ces cartes animées de Xavier Fettweis illustrent les tendances jusqu'en 2006. Quant à l'Antarctique, les découvertes sont rarement rassurantes.

Du point de vue de la montée des océans dont j'ai déjà parlé en rapport avec Vancouver, Halifax, Québec et Trois-Rivières, c'est surtout la fonte de la calotte du Groenland qui compte, car les banquises flottantes de l'Arctique n'affectent pas vraiment le niveau des océans. Mais si l'essentiel du Groenland et une partie des banquises de l'Antarctique fondaient, le niveau des océans pourrait monter de vingt mètres... d'ici un siècle? deux? quatre? L'impact sur les villes côtières serait dramatique, mais des villes canadiennes loin à l'intérieur des terres seraient également affectés.

Y compris Montréal... La carte ci-dessus illustre la topographie actuelle de la région montréalaise, traversée par le fleuve Saint-Laurent et ses bras. Malgré l'éloignement actuel de la mer, une montée des océans de vingt mètres se traduirait par l'apparition d'un vaste bras de mer à la place du Saint-Laurent, qui noierait Terrebonne, Lachenaie, Boucherville, Longueuil, Montréal-Est... mais pas grand-chose du centre-ville montréalais. Le parc des îles de Boucherville disparaîtrait sous les eaux et les pointes orientales des îles de Montréal et Jésus seraient sérieusement rognées. Néanmoins, il resterait de quoi faire de Montréal un grand port océanique et les navires n'auraient plus besoin de s'inquiéter de suivre ou non le chenal.


À condition, bien sûr, que la montée des eaux s'arrête à cette hauteur...

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2007-09-16

 

Hippocampe

Après la neurofiction (de Greg Egan ou d'autres), du neurothéâtre?

Eh bien, non, pas à Montréal. Et pas au Théâtre Prospero sur la rue Ontario. La pièce « Hippocampe » de Pascal Brullemans se réclame de la biologie de la mémoire (des allusions aux cellules parsèment le texte, un personnage est un chercheur en neurologie, un autre est narcoleptique et amnésique), mais la théorie neurologique de la mémoire ne joue aucun rôle actif dans l'intrigue. Au contraire, la pièce se situe nettement en retrait des possibilités ouvertes par un film comme Memento. Ainsi, l'amnésie de Suzanne est d'un type retrouvé plus souvent dans la fiction populaire que dans la réalité clinique : effacement complet des souvenirs antérieurs à un traumatisme, mais sans nuire à la capacité de former de nouveaux souvenirs. (On est loin d'Henry M.)

En fait, l'intrigue de la pièce est d'une pauvreté affligeante, qui ne fait illusion que parce que le déroulement chronologique des événements est bousculé, haché, saucissonné, livré dans le désordre et maquillé par de nombreux artifices de narration. En gros, l'histoire se partage entre deux époques. En 1966-1969, Adam loue un espace à Romuald, qui veut lancer une boîte de nuit avec l'aide de son amie de cœur Laura et d'une jeune femme, Suzanne, héritière endeuillée qui cherche à se désennuyer.

Trente ans plus tard, Adam (tourmenté par des réminiscences qu'il cherche à exorciser en faisant appel à des prostituées) loue un appartement (le même espace, peut-être) à Carl, un jeune chercheur accompagné de sa mère amnésique et narcoleptique, Suzanne. Mais le séjour de Carl dans l'appartement est troublé non seulement par les visites de Melissa, une des prostituées engagées par Adam, mais aussi par des manifestations étranges qui forcent le jeune homme à s'interroger sur son équilibre mental. Outre les jeux de scène employés pour assurer les transitions entre les scènes ou les retours en arrière, certains de ces phénomènes semblent bien réels pour les personnages et pourraient rattacher la pièce, si on y tenait vraiment, au fantastique. De fait, le crescendo de l'action rapproche l'accident fatidique de la jeune Suzanne en 1969 et une certaine prise de conscience de la vieille Suzanne, en 1999. Toutefois, le spectateur ne peut savoir si Suzanne retrouve véritablement le souvenir des années noyées ou s'il s'agit d'une représentation d'un travail qui s'opère dans les tréfonds de son subconscient... De toute évidence, la révélation du drame est censée primer sur le reste et fournir à l'histoire son point culminant. Pourtant, le déploiement de moyens de la mise en scène cache mal qu'il s'agit d'un fait divers, qui n'incrimine ni une fatalité immanente ni une volonté de destruction ni des intentions contradictoires dont l'interférence provoquerait une tragédie...

Le livret programme de la soirée offre d'autres lectures de la pièce, mais si les manifestations insolites doivent s'expliquer par le désir de la chambre elle-même de conserver le souvenir de Suzanne, puis de réveiller la mémoire assoupie de celle-ci, cela n'introduit qu'un personnage de plus dans la pièce... C'est possible, mais cette lecture fantastique ne fait que déplacer la ligne de démarcation entre le réel et l'imaginaire, sans abolir les événements à l'origine du drame. Quant aux lectures allégorico-politiques que suggère Pascal Brullemans, elles sont plus ou moins convaincantes, mais elles n'entraînent pas de révision de la trame — et c'est cette trame qui déçoit. L'écriture est quelconque et l'intrigue n'atteint pas le niveau d'une bonne prestation du théâtre boulevardier d'antan.

Cela dit, les performances des acteurs (Dominic Anctil, Muriel Dutil, Anne-Sylvie Gosselin, Isabelle Lamontagne, Gaétan Nadeau, Dominique Quesnel et Sacha Samar) sont généralement impeccables — sauf lorsqu'on leur demande de chanter. Même si la célèbre chanson Suzanne de Leonard Cohen fait partie des leitmotiv de la pièce, on ne gagne rien à écouter des amateurs la massacrer. Mais sans doute que les droits exigés par les propriétaires des performances autorisées étaient trop élevés pour le budget de la troupe du Théâtre de Quat'Sous.

Surtout, ce qui sauve la pièce, c'est la mise en scène brillante d'Éric Jean. J'ai compté au moins quatorze ouvertures (portes, fenêtres, trappes, passages dérobés) permettant aux personnages de circuler avec une liberté surprenante. La pièce exploite aussi la transparence d'une cloison et des soupiraux, ainsi qu'une multitude d'autres procédés scénographiques : ombres chinoises, jeux de lumière, musique d'ambiance, effets sonores, personnages sur scène que les autres affectent de ne pas voir, numéros chorégraphiés, utilisation des coulisses...

Bref, la pièce offre une expérience fantastique qui met à contribution toutes les ressources d'une mise en scène pleine d'imagination, mais il lui manque la vision puissante et créatrice qui en ferait quelque chose... d'inoubliable.

Quant à l'anthologie Land/Space réunie par Candas Jane Dorsey et Judy McCroskey pour Tesseract Books, que j'ai fini par terminer, elle est assez hétéroclite — mais j'en garde une bonne impression. Le thème des Plaines est traité par des auteurs de partout, mais surtout par des Canadiens de l'Ouest, quelques auteurs du nord-ouest des États-Unis et des Australiens. Tous les textes ne sont pas inédits, comme l'excellent « Baruch, the Man-Faced Dog » de Steven Michael Berzensky, et j'avais déjà lu la nouvelle de Holly Phillips, « All the Room in the World », mais quelques nouvelles frappantes se détachent de l'ensemble. On peut citer le désopilant « Mormonism and the Saskatoon Space Programme » de Hugh Spencer, la nouvelle surréaliste de Judy Berlyne McCrosky, « Horsepower », qui signe une version corrigée du mythe du cowboy, la pochade humoristique « Greener Grass » d'Anne Louise Waltz et l'histoire d'amour « A River Garden » d'Ursula Pflug. Si ces textes sont souvent hors-normes, d'autres offrent des intrigues balisées et familières, mais toujours agréables quand elles ont un minimum d'originalité ou d'humanité, comme « Waiting for the Zephyr » de Tobias S. Buckell. Par contre, la nouvelle « Flatlander pro tem » de Geoff Hart est aussi verbeuse que les autres textes de l'auteur. Moutons en Saskatchewan, vers 1910. (Charles E. Saunders (1867-1937) / Bibliothèque et Archives Canada / PA-126801)

Un certain nombre de textes trahissent la terreur primitive que les immenses Plaines ou que l'outback australien peuvent inspirer encore aujourd'hui. Dans le genre absurde, citons en particulier « Fear of Widths » de David D. Levine et, dans le genre horrifique, « Of Bone and Hide and Dust » de Carole Nomarhas. La peur de la sécheresse, l'attente de la pluie ou la recherche de l'eau sont aussi présentes dans plus d'une nouvelle, dont l'excellente « Blue Train » de Derryl Murphy. Outre les poèmes choisis avec soin, cela donne une anthologie où on sent souvent le vent des Prairies, mais peut-être un peu moins souvent son histoire et ses habitants de jadis. Près de Saskatoon, vers 1900. (Département des Mines et des ressources / Bibliothèque et Archives Canada / C-005111)

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2007-09-14

 

Sonnet magique

Qui ne connaît le sort de l'homme au cerveau d'or
qui dépensa ses dons en vaines bagatelles
pour alors les pleurer, jeté à la ruelle,
n'ayant rien gardé pour lui de ses trésors?

Prenons un magicien qui cette fable adore :
refusera-t-il le sortilège annuel
qui troque une année pour ce que son cœur appelle?

Certes, pour la nuit ou pour un an, on s'endort
sans compter le temps qui passe au mitan des rêves :
le prix d'un souhait accompli n'est qu'une trêve.

Si ce mage a dit oui, cédant un an de sa vie
contre un vœu accordé, il en voudra encor,
préférant les plaisirs dont on jouit aujourd'hui,
gardant l'an ultime pour vivre aussi sa mort.

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2007-09-13

 

Sonnet mécanique

Tirée d'une épave et oubliée des savants,
la machine d'Anticythère est sans âge,
trop moderne pour qu'Hipparque y mit des rouages
en bronze où se fondaient le cuivre du Levant
et l'étain celtique des îles du Couchant,
mais trop ancienne aussi, coulée dans le naufrage
d'un navire parti longtemps avant Babbage,
avant l'horlogerie ou la montre à cadran.

Elle n'est que débris, fleurs de corrosion
et fragments d'arcs brunis comptant les lunaisons,
sa science évanouie prouvant notre ignorance

Quels mécanismes donc, fondus pour faire un glaive,
auraient calculé routes, aqueducs et transes
des mages romains sans cette fatale grève?

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2007-09-12

 

Brèche éternelle

En fin de semaine, trois jeunes hommes sont morts noyés dans les eaux peu profondes du lac Philippe en Outaouais. Au nombre de ceux-ci, Mehrdad Khazabi avait été un de mes étudiants l'automne dernier. Je n'oserais dire que je me souviens de lui. Depuis trois ans, j'évalue à près de deux mille le nombre d'étudiants qui sont passés dans les salles de classe où j'ai enseigné, que ce soit à Ottawa ou à Montréal. Était-il venu me voir? J'ai d'abord cru me souvenir que oui, puis j'ai vu la photo dans le journal et je n'en suis plus si sûr.

Pourtant, même si nous n'avons fait que partager une salle de cours, moi en avant et lui dans la salle, sa mort m'attriste. Il était jeune, il terminait ses études en génie à l'université et il avait les moyens de tirer de la vie tout ce qu'elle peut offrir. Sans doute que cela me rappelle un peu ce collègue décédé subitement durant mes études en astronomie.

Je doute que ces jeunes gens auront droit à une statue devant le Parlement comme celle qui commémore la noyade aussi héroïque que tragique d'Albert Harper en 1901, mais c'est une brèche qui s'ouvre dans les rangs de mes étudiants, et, songeant à l'impression laissée par Bert Harper sur son ami Mackenzie King, qui sait quelle influence ces morts subites auront sur les amis et les parents qui survivent aux défunts...

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2007-09-11

 

L'illusion de la simplicité

La simplicité est une valeur fasciste.

Il n'y a rien de plus simple qu'une dictature totalitaire. La Corée du Nord est un pays où on ne se déchire pas autour de débats, qu'ils soient graves ou ridicules. On ne s'embarrasse pas de savoir si les gens peuvent voter voilés ou par la poste, on ne s'embarrasse même pas de savoir s'ils peuvent voter. La démocratie, c'est si compliqué! Mieux vaut une bonne dictature ou un despote éclairé. Un mot d'en haut et tout le monde file droit.

Le rejet des experts au nom du GBS (le gros bon sens) n'est pas récent, et il faut bien dire qu'en Amérique du Nord, anglophone ou francophone, les intellectuels ont rarement eu la cote. D'abord informée par les analyses de plusieurs générations de sceptiques, la contre-culture des années soixante et soixante-dix a ensuite refusé d'entendre les experts stipendiés par les gouvernements et les grandes compagnies, et la pensée de gauche a suivi le mouvement en trouvant des raisons d'invalider toutes les certitudes au nom d'un relativisme affolant, ou d'une subtilité devenue si impénétrable qu'elle avait permis Alan Sokal de lancer l'affaire qui porte son nom avec un canular reposant sur un article soigneusement vidé de tout sens.

Mais la simplicité dont se réclament les Québécois qui accaparent les lignes ouvertes pour dire que c'est simple, les immigrants n'ont qu'à faire comme « nous », est désolante. C'est le simplisme de Zéroville qui refait surface alors que les discussions lors des rendez-vous de l'Institut du Nouveau Monde avaient été autrement plus riches... La Commission Bouchard-Taylor survivra-t-elle à ce simplisme?

L'an dernier, je réfléchissais aux multiples coûts et retombées de l'opération terroriste du 11 septembre. Ce qui me semble clair, c'est que le simplisme de la réaction (Bombardons l'Afghanistan! Abattons Saddam Hussein!) n'a pas fait grand-chose pour désarmer la menace du terrorisme musulman. Suis-je optimiste au point de croire que le fiasco de la guerre irakienne en découragera quelques-uns de faire de leur réaction instinctive une opinion et une position dont ils ne démordront pas?

Non, pas à ce point...

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2007-09-10

 

Le bourbier irakien

Dans le cas de l'Irak et des États-Unis, je crois que j'aurai été plus surpris par la sincérité que par l'hypocrisie et les mensonges. Quand l'armée étatsunienne avait envahi l'Irak, j'avais été interloqué par l'insistance des troupes étatsuniennes à enfiler les combinaisons protectrices contre les gaz. Je trouvais si improbable l'existence de stocks d'armes chimiques que j'étais certain que la hiérarchie militaire devait partager mon évaluation et qu'elle n'allait pas handicaper ses propres troupes en les harnachant de tout l'équipement nécessaire pour se protéger des soi-disant « armes de destruction massive »... Eh bien non! Soit que les généraux s'étaient laissé convaincre soit qu'ils étaient prêts à sacrifier leurs propres troupes et à réduire leur efficacité...

En ce qui concerne l'augmentation des effectifs étatsuniens en Irak en 2007, ce que l'on appelle aussi « the surge », je dois également reconnaître que les généraux semblent y avoir réellement cru. La preuve, c'est bien que leurs troupes ont payé le prix de l'effort fourni pour tenter de réduire la résistance, à en juger par les statistiques sur les morts étatsuniens. (Alors qu'il aurait été plus machiavélique d'annoncer une augmentation des troupes et de ne plus les faire combattre, ce qui aurait automatiquement fait baisser le nombre de morts tant chez les Étatsuniens que chez les Irakiens — mais ce qui aurait été attribué à l'effet de ces troupes...) Comme je l'avais déjà relevé, les chiffres de leurs pertes en 2007, depuis l'augmentation des effectifs, sont en général supérieurs à la moyenne des pertes mensuelles. Maintenant que le mois d'août est terminé, je peux ajouter les résultats du mois aux autres, et j'obtiens le diagramme ci-dessus, qui illustre entre autres les fluctuations du total des décès, de mois en mois. Histoire de comparer plus clairement les chiffres de 2007 et la moyenne des morts enregistrées chaque mois depuis l'invasion en 2003, j'ai légèrement modifié le diagramme ci-dessus en retirant les courbes pour les années 2003 à 2006 inclusivement. Cela donne la figure ci-dessous.Il devient clair qu'il n'y a pas eu de rupture ou de transformation des tendances en 2007. Les résultats des efforts étatsuniens épousent fort fidèlement l'évolution de la moyenne, jusqu'à la modeste remontée qu'on observe toujours en août, tout en se traduisant par des pertes supérieures... En septembre, les données préliminaires indiquent qu'il y a eu une vingtaine de morts en dix jours. Une extrapolation toute simple permet de croire à un total de 60 morts pour le mois au complet, ce qui rejoindrait pour la première fois la moyenne existante. Cette baisse soudaine est-elle programmée? Est-elle le résultat du maintien des troupes d'occupation dans les bases? Est-ce que cela fera partie du débat politique aux États-Unis en septembre? C'est ce que nous verrons...

En attendant, comme en témoigne ce billet de la blogueuse de Bagdad Riverbend, les Irakiens continuent à fuir leur pays en s'exilant en Jordanie ou en Syrie, puisque les États-Unis et la plupart des pays occidentaux (sauf la Suède) leur ferment leurs portes.

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2007-09-09

 

Les rencontres du marcheur

La nuit, le piéton a l'occasion de croiser d'étranges représentants de la faune urbaine. Qu'il s'agisse des résidants permanents de Montréal ou qu'il s'agisse de visiteurs, il est encore plus piquant de les rencontrer au milieu des étendues désertes de Côte-des-Neiges, quand les trottoirs sont vides de gens après minuit. Au fil des ans, il y a eu au moins un cas récurrent : celui du jeune et joli couple en voiture, qui s'arrête pour me demander le chemin du parc du Mont-Royal. Des touristes en goguette, à la recherche d'un belvédère surplombant Montréal la nuit? Quand ils sont anglophones et qu'ils ont l'accent étatsunien, cela semble plausible. Quand ils sont francophones et qu'il est minuit passé, on se dit qu'ils ont un objectif plus romantique en tête.

D'autres rencontres sont plus inusitées. Passons sur le jeune homme esseulé, vivant une grande peine d'amour qu'il tient à confier au marcheur de passage, sur un kilomètre ou trois de marche dans la neige d'un soir d'hiver... Cette nuit, c'était le rappeur beauceron et son ami que l'Hôpital général avait envoyés à la pharmacie ouverte jour et nuit de Côte-des-Neiges. Comme les deux jeunes n'avaient plus de voiture, ayant survécu à un accident qui avait confiné la troisième personne dans la voiture à un lit d'hôpital, ils marchaient. Sortant de leur campagne plus ou moins pour la première fois (est-ce que Montréal est la plus grande ville du Québec? sommes-nous loin des ghettos et des gangs de rue? parce que ce sont des punks et qu'ils n'aiment pas les rappeurs), ils allaient ensuite devoir repartir en taxi pour Saint-Constant où ils avaient leur hébergement, une fois remplie la prescription pour leur ami amoché.

En tout cas, on se demande pourquoi les hôpitaux n'ont pas des pharmacies sur place pour fournir les médicaments commandés par les médecins, en particulier la nuit quand le nombre de pharmacies ouvertes en ville est plutôt réduit.

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2007-09-08

 

La fête du pite

La fête du pite, que l'on pourrait aussi appeler le Farthing Party dans la langue de Shakespeare, a lieu pour la deuxième fois à Montréal. Des visages connus et moins connus se croisent dans la salle de l'hôtel : Grimmwire, le Grand Chloré, le Grand Distrait, le Roquelunien, Jeff Leblanc... D'outre-frontière sont venus des fans et des amis de la Kifophile, dont Pamela Dean et Patrick Nielsen-Hayden.

Au programme, on devait parler de la magie, des nombreux lauréats de prix décernés en 2007, de la popularité des zombies, de l'écriture pour des publics d'âges différents, du réalisme et du partage de la science-fiction actuelle entre Verniens et Wellsiens. Le panel sur la magie m'a inspiré quelques notes pour le prochain roman de Laurent McAllister, qui est intervenu ensuite pour parler de l'écriture pour les jeunes et les adultes avec Debra Doyle, Lis Riba et James D. Macdonald.

Demain, comme le Grand Distrait ne sera pas là, il faudra que je le remplace au sein de la table ronde chargée de se pencher sur le grave sujet : « Kings, Seventh Sons, and the lamentable absence of miller's daughters ». La question, c'est de savoir si la fantasy est intrinsèquement non-démocratique. A priori, je dirais que oui, car elle glorifie des parcours particuliers et l'accession au pouvoir du héros récompensé par le roi, au point parfois d'accéder au rang de prince héritier, ou de devenir roi lui-même. C'est la structure des contes de fée, et il me semble qu'elle dit bien peu sur la nature de la société en question puisque la montée en grade (à prendre au second degré) peut se faire aussi bien dans une société démocratique que dans une société féodale. Ce sont les moyens utilisés, toutefois, qui s'opposent à l'essence de la démocratie, soit le dialogue et le compromis. Les héros sont rarement des boutiquiers, des savants ou des législateurs. Le plus souvent, ils accomplissent des exploits impressionnants, l'arme (ou la baguette magique) à la main, mais ils sont rarement du genre à transiger. (Un peu comme George Bush : « Vous êtes avec nous ou contre nous! »)

Toutefois, cette dimension exagérément individuelle de la trajectoire des personnages signifie sans doute que le principal reproche à adresser à la fantasy, ce n'est pas qu'elle milite pour le fascisme ou la féodalité, mais bien qu'elle ignore le monde réel en se retirant dans des univers fantasmatiques et se prive de presque toute pertinence sociale, si on considère le genre dans son ensemble.

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2007-09-06

 

Art urbain

Parfois, quand je me promène la nuit dans Montréal, je découvre d'étranges créations artistiques au bord de la rue, ou au fond d'un parc. Je me souviens ainsi d'un curieux assemblage de boîtes en carton qui trônait sur le trottoir au coin du chemin de la Reine-Marie et la Côte-des-Neiges. Un espace intérieur était aménagé, mais je ne me suis dit qu'après-coup que l'objet était sans doute sous surveillance vidéo dans le cadre de quelque installation ou performance de guerilla art... Ou encore, je me souviens d'étranges petits fétiches en bois juchés sur une grosse roche dans le parc du Mont-Royal, qui auraient pu être des jouets, des créations artistiques ou de véritables gris-gris...Hier soir, toutefois, c'est en remontant Sainte-Catherine que j'ai repéré des montages hétéroclites mais non dénués d'attrait au bord de la rue, près du coin avec Jeanne-Mance. (À deux pas du Musée d'art contemporain...) On avait délimité avec des parpaings des étendues sablonneuses qui formaient des cadres inusités pour les éléments d'une sorte de sanctuaire sauvage. On aurait dit quelque bivouac exotique monté par des itinérants montréalais à l'ombre d'un arbre squelettique, beaucoup trop dénudé pour faire figure de protecteur. D'autres objets impossibles à identifier prolongeaient l'étrange campement, dont ce grand éventail de plastique (ou cerf-volant) plaqué sur le sol... Il faudrait que j'y retourne demain pour voir ce qu'il reste de tout ça.

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2007-09-04

 

Assiégé!

Il devient de plus en plus difficile de mettre le pied dehors. Le chantier de construction s'étend maintenant des deux côtés du chemin de la Reine-Marie et on travaille de nouveau sous mes fenêtres... À la rigueur, je tire un certain réconfort de l'avancement des travaux dans la rue sur laquelle donne mon appartement : on dirait qu'il est enfin question de reconstruire après avoir démoli. Pendant des semaines, la tranchée ouverte à deux pas de mon salon permettait d'accéder à quelque jonction électrique. Maintenant, on commence à couler le béton requis pour de nouveaux trottoirs. Serait-ce le début de la fin? Sauf qu'on vient d'excaver un nouveau cratère devant l'arrêt d'autobus (que je n'utilise jamais). On n'en sortira donc jamais!

Pour vivre à deux pas d'une grande artère, il faut avoir les nerfs solides et s'habituer au bruit, mais le tambourinement des marteaux-piqueurs, le grondement des camions, le rugissement des bétonneuses, les timbres des avertisseurs sonores et les voix des ouvriers s'entendent parfois dans ma salle à manger comme si tout ce cirque se déroulait sur ma terrasse... Et je ne parle pas des conversations radio que les haut-parleurs de mon vieil ordinateur me permettent de capter à l'occasion. (J'ai songé plus d'une fois que le phénomène aurait dû m'inspirer une idée de roman.) N'empêche que ce n'est pas le plus embêtant, même si je n'ai plus besoin de réveille-matin pour me faire arracher aux bras de Morphée.

Car ce que je trouve le plus douteux, c'est la planification des travaux qui fait que les piétons du quartier n'ont plus un seul trottoir intact à remonter pour se rendre aux commerces entourant le carrefour de la Côte-des-Neiges et du chemin de la Reine-Marie. Nous sommes coupés! Plus moyen de visiter l'Oratoire Saint-Joseph sans faire un détour par des rues peu familières. À moins de profiter de l'étroite lisière de pavé soi-disant protégée des voitures par des balises érigées de loin en loin... En raison de la configuration des pentes, le trou creusé devant l'abribus oblige les piétons à s'aventurer dans la rue pour traverser. Ensuite, que ce soit à gauche ou à droite, les trottoirs sont impraticables, obstrués par les matériaux de construction ou carrément défoncés, sur une bonne centaine de mètres.

Rendez-vous dans quelques semaines, quand nous pourrons tous juger du résultat...

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2007-09-02

 

Productivité et innovation

Les rôles divers de la productivité, de l'innovation et du changement technologique dans l'économie me fournissent un inépuisable sujet, sur lequel je reviens souvent, naturellement. Par exemple, Statistique Canada vient de publier une nouvelle étude (.PDF) de Jean-Pierre Maynard. Celle-ci s'intéresse à l'évolution de deux mesures de la productivité canadienne relativement aux chiffres pour les États-Unis, afin d'expliquer les fluctuations du rapport du produit intérieur brut canadien relativement à celui de notre voisin.

Le produit intérieur brut par habitant (PIB/hab.) est la mesure de base de la performance d'une économie, à condition que l'étalon de mesure soit le même. La productivité du travail (appelée productivité dans le diagramme ci-dessous) est donnée par le rapport du PIB au nombre d'heures travaillées. L'intensité du travail est donnée par le rapport du nombre d'heures travaillées au nombre d'habitants. Dans la figure ci-dessous, Maynard compare la performance de ces trois indices au Canada en tant que pourcentage des mêmes indices aux États-Unis. Ce que l'on peut noter, c'est d'abord que le PIB/hab. du Canada a nettement augmenté par rapport au PIB/hab. des États-Unis durant la période qui va de 1994 à 2005. L'amélioration de l'emploi, et donc du nombre brut d'heures travaillées, y est pour beaucoup. En revanche, la productivité de l'emploi a beaucoup fluctué et elle est clairement à la baisse depuis le krach informatique de 2001 (ou les attaques de septembre 2001).

Ce que l'on peut aussi noter, c'est que les Canadiens ne sont pas tellement plus feignants que les Étatsuniens : sur le plan de la quantité de travail fournie par les Canadiens, la différence est devenue mineure, quoique non négligeable. En revanche, la qualité du travail laisse plus à désirer et elle pèse désormais de plus en plus lourd dans l'écart entre les deux économies.

Pour éclairer le sens de ces résultats, on peut se tourner vers ce survol (.PDF) de l'évolution de la productivité du travail au Canada de 1961 à 2005. Cette étude s'intéresse beaucoup plus aux moteurs de la croissance de l'économie durant cette période. Durant cette période, la productivité du travail dans le secteur privé a augmenté en moyenne de 2,1% annuellement, une augmentation que l'on peut décomposer en une augmentation annuelle de 1,1% des investissements en capitaux, une augmentation annuelle de 0,4% attribuable à l'amélioration de la main-d'œuvre et une augmentation annuelle de 0,5% du résidu (ou productivité multifactorielle).

Toutefois, si on examine des périodes plus courtes, le rôle de chaque composante change. De 1973 à 1979, l'essentiel de la croissance a été assuré par l'investissement en capital; jamais l'amélioration de la qualité de la main-d'œuvre n'aura été moins grande — faut-il l'imputer à la génération des baby-boomers qui avait subi diverses réformes de l'éducation, en particulier au Québec? Depuis 1979, toutefois, la croissance des investissements en capitaux et de l'amélioration de la main-d'œuvre aura été plutôt stable. La principale variable aura été les variations de la croissance du résidu : pratiquement nulle de 1979 à 1988, assez forte de 1988 à 2000, puis enregistrant un recul marqué depuis 2000.

Une note de recherche (.PDF) de Statistique Canada, « Long-term Productivity Growth in Canada and the United States, 1961 to 2006 », permet d'y voir plus clair en comparant directement les chiffres canadiens et les chiffres étatsuniens. Il convient d'abord de rappeler que, de 1961 à 2006, la croissance annuelle moyenne du PIB au Canada a été supérieure à la croissance du PIB aux États-Unis... d'un dixième de point de pourcentage (3,8% et 3,7% respectivement). Et l'augmentation des heures travaillées durant cette période a été encore plus grande en faveur du Canada... C'est bel et bien la productivité du travail qui pose problème, car sa croissance a été moins grande au Canada de 0,2%.

Pour affiner l'analyse, on peut analyser les composantes de l'amélioration de la productivité. Dans la figure ci-dessous, l'indice capital tient compte des services rendus par les biens meubles et immeubles au sein des compagnies, des industries et du secteur privé. L'indice travail tient compte des heures travaillées mais aussi de l'éducation des travailleurs, de leur expérience et des catégories d'emploi. En examinant la part du capital, de l'amélioration du niveau d'éducation de la main-d'œuvre et du résidu multifactoriel dans la croissance depuis 1961 dans chaque pays, on peut dessiner le diagramme suivant. En dépit de quelques fluctuations, les performances obtenues au Canada et aux États-Unis dans les catégories du capital investi et de la qualité de la main-d'œuvre sont généralement comparables. C'est dans la catégorie du résidu que les États-Unis se démarquent systématiquement tout au long de ce demi-siècle. Les résultats étatsuniens surplombent toujours les résultats canadiens. Il est permis de croire qu'ils expliquent en grande partie le déficit permanent de croissance intrinsèque de l'économie canadienne.

Selon cette étude, ce ne sont pas les investissements des compagnies canadiennes qui seraient déficients, contrairement à ce qui se dit et que je répétais, sauf durant la période postérieure à 1996, mais bien l'amélioration du cadre technique ou de tout autre facteur inclus dans le résidu de Solow. Sur l'ensemble de la période considérée, les différences sont petites en matière de croissance de la productivité du travail, mais la divergence s'aggrave depuis 2000-2001. Et cette divergence a un coût, car, pour arriver à égaler la performance étatsunienne, le Canada est obligé de mobiliser au maximum sa main-d'œuvre.

Les raisons de cette divergence restent mystérieuses pour les économistes : « One explanation that has been offered is that profits in Canada have been at record highs while profits in the United States have been at near-record lows since 2000. With the record high profits, it is argued that businesses in Canada may become complacent regarding investments, workplace re-organizations and the introduction of new technologies. In contrast, the near-record low profits in the United States may have prompted employers to downsize employment levels to reduce costs. But both these explanations rely on some model that assumes effort is inversely proportional to organizational slack—and these models do not have widespread support. Second, it is sometimes argued that the boom in commodity prices that has occurred over the past several years may be a factor behind the poor productivity performance in Canada. The high commodity prices have stimulated the exploration and development of more costly deposits. In effect, lower grade deposits are mined as prices go up and the change in the composition of output thus detrimentally affects productivity. While no doubt partly true, it is difficult to ascribe the large fall in MFP to this factor alone. The third explanation has to do with exchange rate appreciation and a loss of export markets for manufacturers. The loss of scale economies may have forced plants back up the cost curve and reduced productivity. More work needs to be done at the industry level to examine the relative importance of these different arguments. »

Bref, faut-il s'inquiéter de l'évolution de la production canadienne? J'y reviendrai.

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La durabilité à long terme

L'heure qui précède minuit est la douzième heure, comme on le faisait remarquer dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, et non la onzième heure. Mais cela ne change rien au sentiment d'urgence de qui voit les minutes s'égrener sans que rien ne change. Récemment, la revue Science publiait un article (accès restreint) qui évaluait à 17% la part de la surface planétaire échappe à l'influence directe de l'homme (densité d'une personne par kilomètre carré ou moins, ni agglomération ni agriculture, pas de route à moins de 15 km, pas de source lumineuse visible de l'espace). La nature a été domestiquée, ce n'est plus niable : il faut maintenant s'en occuper le plus sagement possible.

Le film écologique de l'automne sera-t-il donc The 11th Hour? Le film est très différent d'un autre film dans cette veine, An Inconvenient Truth, que j'avais vu l'an dernier. La narration est assurée par une vedette hollywoodienne, Leonardo di Caprio, et non par un ex-politicien, Al Gore. Les faits, les chiffres, les données et les diagrammes de la présentation de Gore sont remplacées par des déclarations de célébrités, de Stephen Hawking à Mikhaïl Gorbatchev, d'universitaires et de militants écologistes. Les explications minutieuses de Gore sont remplacées par des montages de photos, de clips vidéos et de films d'archives, dont le rapport avec la narration est parfois assez vague.

David Guggenheim avait placé au cœur du film An Inconvenient Truth une tentative audacieuse de vulgariser la science des climats futurs. La politique tenait un rôle secondaire, tout comme les mesures à adopter pour sauver la planète.

Le film de di Caprio et des sœurs Conners est beaucoup plus concerné par la dimension spirituelle de la crise environnementale (encore que Gore aussi en faisait une question morale) et par les remèdes. The 11th Hour ne se limite pas au réchauffement de la planète, dressant l'inventaire de la plupart des crises écologiques du moment (déforestation, surpêche, pollution des mers) et condamnant le consumérisme effréné qui profite aux grandes corporations. Je n'ai pas relevé d'erreurs majeures, encore qu'il était assez comique de noter qu'on prédisait deux avenirs catastrophiques à la Terre : pour Hawking, le dérapage de l'effet de serre ferait de la Terre une jumelle de Vénus; plus tard, un autre expert craint de voir la Terre devenir semblable à Mars, un monde fort dissemblable... (L'affirmation que le corps humain est constitué en majorité d'organismes étrangers est à comprendre au niveau du nombre, et non de la masse.)

Bref, The 11th Hour est nettement plus alarmiste. Malgré quelques exagérations implicites, An Inconvenient Truth gagnait en crédibilité en se contentant de présenter les faits et les extrapolations les plus consensuelles.

Par contre, on rejoint An Inconvenient Truth au niveau de la pensée positive. Les solutions existent, affirme-t-on. C'est une question de volonté, individuelle ou collective. (L'absolutisme de certaines déclarations fait d'ailleurs froid dans le dos : on croirait entendre le préalable hystérique à une sorte de fascisme.)

J'en retire deux choses. An Inconvenient Truth était le film d'un homme, Al Gore. The 11th Hour met en scène la diversité et la multitude des femmes et des hommes de bonne volonté, tout autour de la planète. C'est ce qui donne un sens au choix de faire du film une mosaïque, tant au niveau de la succession de visages à l'écran que de la composition visuelle.

Le film rappelle aussi l'épuisement inéluctable des énergies fossiles, dans cinquante ans (selon certains théoriciens du Peak Oil) ou dans un siècle ou deux, si on parvient à faire durer les réserves de houille et de sables bitumineux. Ceci peut paraître long à l'échelle d'une vie humaine, mais cela ne l'est pas du tout à l'échelle de l'histoire des civilisations ou de l'espèce. Du coup, je me dis que les solutions proposées demeurent pour l'instant des solutions à court terme. Elles sont plus vertes, plus écologiques, plus économes en énergie, mais je me demande si ce sera possible d'assembler des panneaux solaires, d'édifier des éoliennes ou de fabriquer les microprocesseurs requis pour la gestion de bâtiments verts (construits avec beaucoup de verre et de métal, voire de béton) sans aucune source d'énergie fossile pour graisser les rouages des économies avancées.

Nous avons pu constater ces derniers mois et jours que nos grands édifices et nos infrastructures lourdes ont une durée de vie limitée. Qu'en sera-t-il de ces beaux bâtiments écologiques qui ressemblent à des serres géantes? S'il faut les reconstruire tous les cinquante ou cent ans, ou les entretenir en les remplaçant plus graduellement, pièce par pièce, est-ce que ce sera encore possible quand il ne restera plus de combustibles fossiles pour le faire à un prix raisonnable? Dans deux cents ans, quand on brûlera les dernières miettes de charbon, la dernière génération optera-t-elle pour un retour au passé?

La vraie durabilité, c'est celle de la pierre. En France, la maison de pierre héritée en 1633 par le père du premier des Trudel du Canada est encore debout et sert de gîte rural. Combien d'édifices « verts » dureront aussi longtemps?

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