2007-02-03

 

Utopies d'aujourd'hui et demain

De retour au pavillon Sherbrooke pour les ateliers du rendez-vous sur la culture de l'Institut du Nouveau Monde, j'atterris dans les ateliers animés par François Robert (sans doute celui-ci). Parmi les participants, on retrouve aussi Ariane Émond, Gilles Garand et une conseillère de Gilles Duceppe.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas participé à un atelier de ce genre. Les thèmes imposés et les contraintes de l'horaire tendent à neutraliser les idées les plus prononcées. En fin de journée, on en ressort avec une poignée de propositions parfois réduites au plus bas dénominateur commun. L'exercice s'enrichit de témoignages sentis quoique fragmentaires. L'ombre du débat sur les « accommodements raisonnables » plane sur les discussions, mais presque personne n'y fait allusion avant la fin de la journée.

En fin de compte, il a été surtout question de la culture au sens anthropologique du terme. La langue et l'histoire ont été invoquées avec beaucoup plus d'intensité que tout ce qu'on entend par culture dans les milieux de l'enseignement et de la création artistique. « Peut-on aller vers l'autre si on ne sait pas qui on est? » C'est un peu la question qui préside au désir d'un approfondissement de la culture québécoise, ou de la culture du Québec, mais ce n'est pas toujours clair si ce sera une forme de repli sur une histoire purement généalogique des Canadiens francophones, une histoire hégélienne axée sur la marche vers l'indépendance du Québec ou une histoire ouverte sur les parentés transversales du passé canadien avec l'histoire mondiale des autres collectivités. Comme la démarche de l'atelier et des synthèses subséquentes tend à gommer les nuances, on retiendra sans doute un appel à redécouvrir l'histoire canadienne, sans autre forme de précision.

La veille au soir, on avait entendu cette énormité pourtant déjà controuvée par Marcel Trudel il y a longtemps : le Québec n'aurait pas été esclavagiste. Certes, la réalité de l'esclavage au Canada continue à faire l'objet de recherches (accès restreint), mais elle suffit à exiger une nouvelle vision de l'histoire canadienne. Si on veut définir une nouvelle identité intégratrice, il faudra apprendre à dire : « Nous avons été des esclaves et des esclavagistes, colonisés et colonisateurs, républicains et royalistes, industrialistes et paysans... » Ou peut-être faudrait-il créer un prix pour la vulgarisation historique au Québec!

En quelque sorte, la journée peut s'interpréter comme une tentative de revenir sur certains des péchés originels de la Révolution tranquille. Le rejet de la tradition canadienne-française pour construire un Québec indépendant devient plus douloureux quand l'identité québécoise ne peut plus être exclusivement définie par les francophones du Québec, au risque de construire des communautés exclues de plus en plus importantes ou de faire du projet souverainiste la lubie d'une ethnie parmi d'autres. Le choix de conserver des écoles privées en partie financées par l'État instaure une ségrégation de fait entre les anciens et nouveaux Québécois, fondant l'incompréhension à force d'ignorance mutuelle. Et l'enseignement trop timide, voire déficient, de l'anglais dans le système scolaire pour tous de la loi 101 augmente sans doute l'attirance des collèges anglais pour des minorités qui tiennent à maîtriser cette langue. (On n'a jamais envisagé, semble-t-il, la possibilité de créer des collèges bilingues...)

Maintenant, pour éviter l'isolement de la majorité, il faut autre chose. En fin d'après-midi, la plénière voit l'annonce des propositions distinctes issues des ateliers, que l'on peut regrouper dans les catégories suivantes :

— la promotion du français
— la définition du contenu et des valeurs centrales (l'éducation, la citoyenneté, la famille?!) d'une base commune présente dans l'enseignement scolaire
— la création et la multiplication des lieux de débat et de dialogue
— la réconciliation avec le passé, la redécouverte de l'histoire, l'enseignement de celle-ci dans un contexte plus large permettant aussi l'initiation au territoire et à la société
— l'élimination des barrières structurelles et culturelles qui freinent les communautés immigrées et autochtones (par la mise sur pied de programmes de gestion interculturelle pour les employeurs)
— une meilleure formation des transmetteurs de culture
— des jumelages interculturels des écoles, des entreprises et des villages
— la reconnaissance et la valorisation des héritages québécois (patrimoine architectural, etc.)
— l'organisation d'états-généraux sur les valeurs communes

Le constat est, bien entendu, celui d'un désir de vivre ensemble en harmonie, de définir une identité commune et de répondre à la diversité culturelle. La question, c'est donc de savoir ce que les plus de huit cents participants à cette rencontre dans tout le Québec comprenaient par « commune ». Dans quelle mesure une culture commune permettra-t-elle des identités propres?

La réponse viendra peut-être du prochain rendez-vous, en mars. Ce serait l'occasion de revoir des visages désormais connus. Non qu'ils étaient tous des inconnus. Inévitablement, sans doute, j'ai croisé une ancienne étudiante et une Boréalienne de la cuvée 2006, May Chiu.

J'ai fini ma journée au cinéma, pour voir (enfin!) Volver d'Almodóvar. C'est un film qui change des films d'action. La simplicité du récit n'exclut pas l'expression d'une moralité aussi acérée qu'intelligente. On peut difficilement raconter le film sans le déflorer, mais je retiens son éloge de la femme, éloge qui laisse vraiment peu de place aux hommes. (On ne les voit guère, d'ailleurs.)

Si le rendez-vous de l'Institut du Nouveau Monde tentait d'échafauder une nouvelle utopie pour le XXIe siècle, Almodóvar reste fidèle à la femme. Je ne crois pas exagérer en disant que, pour lui, la femme est la dernière utopie du XXe siècle.

Il me semble que Miyazaki a expliqué quelque part qu'il s'était tourné vers des personnages féminins parce que les hommes ne s'étaient pas exactement illustrés au cours du XXe siècle. Si Miyazaki met en scène des jeunes filles et des fillettes braves et généreuses, Almodóvar préfère nous faire entrer dans le monde des femmes espagnoles, qui est nettement plus tendre et attrayant que le monde d'hommes dépeint dans La mala educación. Il cache pourtant des secrets terribles, mais ce sont des secrets de courage, d'entraide, de survie et d'amour. La réconciliation apparaît possible, mais elle ne triomphe pas de la solitude irréductible des personnages, selon Almodóvar.

Il n'y a donc pas de hasard. La sœur de Raimunda s'appelle Soledad. Et toute l'histoire est placée sous le signe des rues empierrées du village d'Almagro, rues balayées par le vent (qu'on voit à l'œuvre dès la première scène dans le cimetière) et si désertées qu'on peut croire à la principale révélation du film. Mais les moulins de la Manche de Don Quichotte ont été remplacés par des éoliennes et les femmes ne sont, en aucune façon, des Dulcinées attendant un chevalier. Elles sont seules, mais elles ont la force de le rester.

Volver est un film sur le retour, retour au pays et retour sur le passé, mais on ne sait jamais ce qu'on trouvera en revenant. Ce qui s'applique aussi aux morts s'ils essaient de revenir. Le scénario, qui fait une bonne place à la comédie, met en scène deux retours. Celui du père est raté, car l'histoire ne se répétera pas. Une jeune fille refuse d'être victime... Celui de la mère est plus réussi. Une fille est prête à pardonner.

Quel retour pour le Québec, alors? Est-il prêt à revenir sur son passé? À revenir sur ses choix? Ou verrons-nous des fantômes politiques revenir d'entre les morts pour hanter les vivants? La suite au prochain épisode.

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