2007-09-02

 

Productivité et innovation

Les rôles divers de la productivité, de l'innovation et du changement technologique dans l'économie me fournissent un inépuisable sujet, sur lequel je reviens souvent, naturellement. Par exemple, Statistique Canada vient de publier une nouvelle étude (.PDF) de Jean-Pierre Maynard. Celle-ci s'intéresse à l'évolution de deux mesures de la productivité canadienne relativement aux chiffres pour les États-Unis, afin d'expliquer les fluctuations du rapport du produit intérieur brut canadien relativement à celui de notre voisin.

Le produit intérieur brut par habitant (PIB/hab.) est la mesure de base de la performance d'une économie, à condition que l'étalon de mesure soit le même. La productivité du travail (appelée productivité dans le diagramme ci-dessous) est donnée par le rapport du PIB au nombre d'heures travaillées. L'intensité du travail est donnée par le rapport du nombre d'heures travaillées au nombre d'habitants. Dans la figure ci-dessous, Maynard compare la performance de ces trois indices au Canada en tant que pourcentage des mêmes indices aux États-Unis. Ce que l'on peut noter, c'est d'abord que le PIB/hab. du Canada a nettement augmenté par rapport au PIB/hab. des États-Unis durant la période qui va de 1994 à 2005. L'amélioration de l'emploi, et donc du nombre brut d'heures travaillées, y est pour beaucoup. En revanche, la productivité de l'emploi a beaucoup fluctué et elle est clairement à la baisse depuis le krach informatique de 2001 (ou les attaques de septembre 2001).

Ce que l'on peut aussi noter, c'est que les Canadiens ne sont pas tellement plus feignants que les Étatsuniens : sur le plan de la quantité de travail fournie par les Canadiens, la différence est devenue mineure, quoique non négligeable. En revanche, la qualité du travail laisse plus à désirer et elle pèse désormais de plus en plus lourd dans l'écart entre les deux économies.

Pour éclairer le sens de ces résultats, on peut se tourner vers ce survol (.PDF) de l'évolution de la productivité du travail au Canada de 1961 à 2005. Cette étude s'intéresse beaucoup plus aux moteurs de la croissance de l'économie durant cette période. Durant cette période, la productivité du travail dans le secteur privé a augmenté en moyenne de 2,1% annuellement, une augmentation que l'on peut décomposer en une augmentation annuelle de 1,1% des investissements en capitaux, une augmentation annuelle de 0,4% attribuable à l'amélioration de la main-d'œuvre et une augmentation annuelle de 0,5% du résidu (ou productivité multifactorielle).

Toutefois, si on examine des périodes plus courtes, le rôle de chaque composante change. De 1973 à 1979, l'essentiel de la croissance a été assuré par l'investissement en capital; jamais l'amélioration de la qualité de la main-d'œuvre n'aura été moins grande — faut-il l'imputer à la génération des baby-boomers qui avait subi diverses réformes de l'éducation, en particulier au Québec? Depuis 1979, toutefois, la croissance des investissements en capitaux et de l'amélioration de la main-d'œuvre aura été plutôt stable. La principale variable aura été les variations de la croissance du résidu : pratiquement nulle de 1979 à 1988, assez forte de 1988 à 2000, puis enregistrant un recul marqué depuis 2000.

Une note de recherche (.PDF) de Statistique Canada, « Long-term Productivity Growth in Canada and the United States, 1961 to 2006 », permet d'y voir plus clair en comparant directement les chiffres canadiens et les chiffres étatsuniens. Il convient d'abord de rappeler que, de 1961 à 2006, la croissance annuelle moyenne du PIB au Canada a été supérieure à la croissance du PIB aux États-Unis... d'un dixième de point de pourcentage (3,8% et 3,7% respectivement). Et l'augmentation des heures travaillées durant cette période a été encore plus grande en faveur du Canada... C'est bel et bien la productivité du travail qui pose problème, car sa croissance a été moins grande au Canada de 0,2%.

Pour affiner l'analyse, on peut analyser les composantes de l'amélioration de la productivité. Dans la figure ci-dessous, l'indice capital tient compte des services rendus par les biens meubles et immeubles au sein des compagnies, des industries et du secteur privé. L'indice travail tient compte des heures travaillées mais aussi de l'éducation des travailleurs, de leur expérience et des catégories d'emploi. En examinant la part du capital, de l'amélioration du niveau d'éducation de la main-d'œuvre et du résidu multifactoriel dans la croissance depuis 1961 dans chaque pays, on peut dessiner le diagramme suivant. En dépit de quelques fluctuations, les performances obtenues au Canada et aux États-Unis dans les catégories du capital investi et de la qualité de la main-d'œuvre sont généralement comparables. C'est dans la catégorie du résidu que les États-Unis se démarquent systématiquement tout au long de ce demi-siècle. Les résultats étatsuniens surplombent toujours les résultats canadiens. Il est permis de croire qu'ils expliquent en grande partie le déficit permanent de croissance intrinsèque de l'économie canadienne.

Selon cette étude, ce ne sont pas les investissements des compagnies canadiennes qui seraient déficients, contrairement à ce qui se dit et que je répétais, sauf durant la période postérieure à 1996, mais bien l'amélioration du cadre technique ou de tout autre facteur inclus dans le résidu de Solow. Sur l'ensemble de la période considérée, les différences sont petites en matière de croissance de la productivité du travail, mais la divergence s'aggrave depuis 2000-2001. Et cette divergence a un coût, car, pour arriver à égaler la performance étatsunienne, le Canada est obligé de mobiliser au maximum sa main-d'œuvre.

Les raisons de cette divergence restent mystérieuses pour les économistes : « One explanation that has been offered is that profits in Canada have been at record highs while profits in the United States have been at near-record lows since 2000. With the record high profits, it is argued that businesses in Canada may become complacent regarding investments, workplace re-organizations and the introduction of new technologies. In contrast, the near-record low profits in the United States may have prompted employers to downsize employment levels to reduce costs. But both these explanations rely on some model that assumes effort is inversely proportional to organizational slack—and these models do not have widespread support. Second, it is sometimes argued that the boom in commodity prices that has occurred over the past several years may be a factor behind the poor productivity performance in Canada. The high commodity prices have stimulated the exploration and development of more costly deposits. In effect, lower grade deposits are mined as prices go up and the change in the composition of output thus detrimentally affects productivity. While no doubt partly true, it is difficult to ascribe the large fall in MFP to this factor alone. The third explanation has to do with exchange rate appreciation and a loss of export markets for manufacturers. The loss of scale economies may have forced plants back up the cost curve and reduced productivity. More work needs to be done at the industry level to examine the relative importance of these different arguments. »

Bref, faut-il s'inquiéter de l'évolution de la production canadienne? J'y reviendrai.

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