2007-07-21

 

Le retour du roi

La fin de l'heptalogie de Joanna K. Rowling annonce le début des verdicts. D'ailleurs, les critiques ont déjà commencé à se prononcer. Leurs conclusions ne sont pas toujours très tendres, mais une part de désappointement était sans doute inévitable. Les attentes sont moins faciles à désarmer que les préventions.

Avant d'appeler Harry Potter à la barre, il faudrait pourtant savoir si on juge ou un adulte ou un mineur... Doit-on comparer le cycle de ses aventures au Seigneur des anneaux ou plutôt à la série de Narnia? L'œuvre de Tolkien s'adressait à des adultes, exception faite de Bilbo le Hobbit, tandis que C. S. Lewis écrivait pour des enfants.

Au terme du septième volume, qui se termine à Hogwarts, il me semble évident que Rowling écrit encore et toujours pour un jeune public, n'oubliant pas d'inclure des blagues à sa portée et de faire des enseignants de Hogwarts des combattants héroïques (et des modèles positifs). Elle n'aspire pas à la maturité de Tolkien, et elle ne fait pas toujours dans la nuance. À l'égoïsme absolu de Voldemort répond l'abnégation pareillement absolue de Harry Potter. Dans Le Seigneur des anneaux, Frodo succombe à la tentation et s'il mérite l'admiration qu'on lui voue, c'est pour avoir payé un tribut que la victoire n'efface pas.

Le cas de Harry Potter est moins compliqué. Le jeune héros de Rowling, qui consent au sacrifice suprême et repousse sans difficulté la tentation représentée par une arme toute-puissante, fait preuve d'une noblesse surhumaine. Sa grandeur d'âme n'est atténuée que par le fait de sa certitude de l'existence d'une après-vie, certitude dont Tolkien prive les Hobbits, entre autres. Harry n'est d'ailleurs pas le seul personnage de Rowling à mettre sa vie en jeu pour défendre ses amis. Ce sont ces personnages qui tombent au combat, généreusement mais irrémédiablement, qui classent la série de Rowling parmi les meilleurs ouvrages fantastiques pour jeunes : l'émotion est souvent au rendez-vous, au service de la bonne cause. L'ingéniosité des intrigues et la richesse du monde inventé sont aussi pour beaucoup dans cette évaluation positive.

Cela dit, le septième volume s'inscrit nettement plus dans la tradition du fantastique épique que certains des volumes précédents. Les affrontements sont plus nombreux et l'essentiel du tome est dominé par la quête de Harry et de ses amis. Par moment, les errances du trio de proscrits, pourchassés par tous les sorciers à la solde de Voldemort, rappellent les vagabondages de chevaliers en quête du Graal. Harry, Hermione et Ron sont obligés de camper dans les bois, loin des villes, tout comme Perceval ou Lancelot chevauchaient par monts et par vaux, en pleine nature.

S'il s'agit d'une série pour les jeunes, c'est non seulement parce que Harry Potter l'emporte sur Voldemort, mais bien parce que la victoire rétablit l'ordre des choses. Et le prix payé n'est même pas si élevé, car, en définitive, l'intention de se sacrifier compte plus que le sacrifice lui-même.

La deuxième moitié de la série avait accordé de plus en plus d'importance aux iniquités du monde des sorciers. Au schisme entre les sorciers de sang pur et les sorciers de souche récente s'ajoutaient la révélation du sort fait aux elfes domestiques et l'exclusion plus ou moins marquée de certains êtres magiques (géants, gobelins, centaures, loups-garous, vampires). Le septième volume voit de nombreux êtres méprisés et opprimés se battre pour Harry, mais la conclusion ne confirme pas que les choses ont changé pour le mieux pour ceux-ci. (D'ailleurs, il faudra qu'on m'explique pourquoi l'elfe domestique de Harry, à qui celui-ci fait cadeau d'un objet, continue à se comporter en serviteur alors que le second volume avait établi qu'un tel don libérait l'elfe de sa servitude.) Les choses sont revenues à la normale dans l'épilogue, ce qui n'est pas du tout pareil.

Ainsi, le retour de Harry à Hogwarts pour l'affrontement final et le rétablissement de l'ordre ancien tient beaucoup du retour du roi. Harry est devenu un parangon de vertu, qui a surmonté de nombreux obstacles dans le courant de sa dix-huitième année. (Rowling est restée approximativement fidèle au cadre d'une année scolaire, mais plusieurs éléments rituels de la série, dont les parties de quidditch, sont évacués.) Harry est non seulement un sorcier de sang pur, mais son âme est à la toute fin purifiée de toute contamination maléfique. Cette insistance sur la pureté de Harry contredit le désir d'ouverture à la différence affirmé par quelques personnages et la conclusion laisse les choses en suspens. La révolution a-t-elle eu lieu? Dans l'épilogue, on se retrouve entre les mêmes bonnes vieilles familles, une fois de plus, exception faite d'un greffon français. L'ami de Potter le plus exposé aux préjugés des sorciers est mort au combat, tandis que les Cho Chang et Parvati Patel qui reflétaient un tant soit peu la Cool Britannia contemporaine ont disparu du décor.

Bref, ce septième volume retombe dans les formules immuables du genre. Une des surprises les moins surprenantes, c'est le dévoilement des vraies allégeances de Severus Snape. Dans le contexte mythique qui gouverne souvent la fantasy, c'était presque inconcevable que le héros doive triompher de deux ennemis d'égale importance. Or, il y aurait eu un dédoublement insupportable si Severus avait tué le père spirituel de Harry après que Voldemort eût tué son vrai père. Une telle division potentielle de l'intérêt dramatique devait être résolue, et elle l'est.

Tout dépend, en définitive, de l'affrontement de deux baguettes magiques. Comme Joanna Rowling signe quelques lignes à double détente sur ces baguettes, les mesures du régime de Voldemort privant les sorciers de leur baguette ont une dimension émasculatrice assez évidente. (On n'est pas très loin d'Edward Bulwer-Lytton et de la baguette qui contrôle le vril...) Quant au dénouement, il n'est pas vraiment œdipal, à moins de considérer Voldemort comme le troisième père de Harry Potter, le père obscur, le « Dark Father » lucasien...

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