2007-02-06

 

Zéroville

Contrairement à de nombreux Québécois, je suis déjà passé par Hérouxville, et même plusieurs fois. Le village se trouve sur la route d'un pays perdu que je visite de temps à autre. Non que je ne me sois jamais arrêté dans cette localité de 1301 habitants.

Maintenant, c'est presque toute la province, et une partie du pays, qui a entendu parler d'Hérouxville, Saint-Roch-de-Mékinac, etc. Tout est parti des normes (.PDF) adoptées en janvier dernier par le conseil municipal d'Hérouxville en se fondant sur un sondage absolument hilarant qu'on peut trouver sur la page en question.

Le sondage pose des questions qui font consensus, de sorte que les pourcentages obtenus par les réponses visiblement recherchées auraient fait soupirer d'envie Saddam Hussein, car ils vont de 98% à 100%. La seule exception concerne le statut de nation du Québec qui obtient un maigre 93,9% — alors que le Parlement canadien a voté en faveur du statut national des Québécois à 94,3% l'automne dernier... Bien entendu, même si l'homosexualité et l'homoparentalité sont illégales ou impensables dans la plupart des pays musulmans, le sondage ne s'aventure pas à savoir si les villageois les incluent dans la normalité canadienne. Au vu des sondages ailleurs au Québec, on peut supposer que la population sondée serait nettement plus partagée... D'ailleurs, le sondage nous apprend que, dans cette MRC, il y a plus de personnes en faveur d'enlever le droit de vote aux femmes que de personnes en faveur de la proscription de l'alcool. C'est ce qu'on appelle avoir le sens des vraies valeurs.

C'est en s'appuyant sur ce sondage que le conseil municipal a élaboré ses fameuses normes. En les lisant, on retiendra deux choses.

D'abord, l'ignorance stupéfiante que trahissent ces normes. Visiblement, on ne sait pas à Hérouxville qu'il y a des pays musulmans où les femmes ont obtenu le droit de vote bien avant les Québécoises... Le dernier paragraphe du préambule mérite d'être cité :

« Nous voulons surtout informer ces nouveaux arrivants que le mode de vie qu’ils ont abandonné en quittant leur pays d’origine ne peut se reproduire ici et qu’il exige un mode d’adaptation à leur nouvelle identité sociale. »

Le texte s'adresse donc à tous les immigrants quand il précise dans la suite :

« Par conséquent, nous considérons comme hors norme toute action ou tout geste s’inscrivant à l’encontre de ce prononcé, tels le fait de tuer les femmes par lapidation sur la place publique ou en les faisant brûler vives, les brûler avec de l’acide, les exciser etc. »

On ne saurait être contre, mais la plupart des nouveaux arrivants au Québec viennent de pays où la plupart de ces actes ne sont ni pratiqués ni tolérés. Il y a des exceptions, dont l'Iran qui aurait imposé un moratoire aux lapidations, les Émirats arabes unis, le Nigeria, le Soudan, l'Arabie saoudite et l'Afghanistan actuel... que défendent des soldats canadiens contre un retour des Talibans. Mais ce ne sont pas ces pays qui fournissent la plupart des nouveaux Québécois (encore que l'Inde et le Pakistan sont au nombre des quinze principaux pays d'origine des immigrants et que les coutumes y tolèrent des choses que la loi refuse).

En revanche, les statistiques (.PDF) montrent que la Chine est le principal pays d'origine des immigrants au Québec. Pourtant, Hérouxville ne sent pas le besoin de préciser qu'on n'exécute pas non plus les criminels au Canada. Peut-être parce que la peine capitale ferait moins l'unanimité contre elle que la lapidation des femmes... Pourtant, on aimerait savoir ce qui différencie l'immolation et la lapidation de la pendaison et des autres formes d'assassinat de son prochain par l'État.

Bref, le choix des choses rejetées par Hérouxville pue l'hypocrisie et englobe tous les immigrants dans la même réprobation, en affirmant clairement qu'il suffit de venir d'un pays pour adhérer à son mode de vie. Il suffit de relire : le préambule s'adresse aux nouveaux arrivants qui ont abandonné un « mode de vie » en quittant leur pays d’origine. Faudrait-il faire porter à tous les Canadiens le poids des crimes et la faute des dépassements commis par des policiers intouchables, des bureaucrates insensibles et... une populace qui, il n'y a pas si longtemps, a caillassé des femmes et des enfants?

Mais passons sur l'hypocrisie et admettons qu'ici, l'ignorance se confond parfois avec la candeur.

En lisant ces normes, on tombe sur des perles. On apprend ainsi que : « D’ailleurs, dans plusieurs de nos écoles il n’y a plus aucune prière. On y enseigne de plus en plus la science et de moins en moins la foi.» Ou encore : « De même dans nos écoles, l’histoire nationale du Québec est enseignée. La biologie aussi. » Et : « Il est aussi à propos de se montrer à visage découvert, en tout temps, dans les lieux publics pour mieux faciliter notre identification. La seule exemption possible à cette règle se produit à l’Halloween. »

Je me suis toujours un peu méfié de la Mauricie, patrie de Duplessis. Cela remonte peut-être à mes démêlés avec la rédaction trifluvienne du Sabord il y a longtemps. Ou à cette lettre de René Tremblay, professeur d'histoire à la retraite et chargé de cours à l'UQTR, qui avait décrit dans Le Devoir (19-20 septembre 1998) comment la lecture des Protocoles des Sages de Sion (ce faux notoire!) permettait « d'essayer de comprendre les gestes » antisémites posés par Hitler... Ce n'était pas l'erreur commise par ce Tremblay qui me renversait, c'était qu'il fût professeur! Malheureusement, le cas Hérouxville ne dissipera pas mes préventions.

L'autre constat que je fais tient au caractère démagogique du document. Ce n'est pas seulement qu'il soit populiste de par ses choix unanimistes, mais il faut relever le nombre de fois qu'il est question de légitimité démocratique :

« personnes démocratiquement élues de la MRC Mékinac »
« Le maire et les 6 conseillers et conseillères d’Hérouxville, démocratiquement élus »
« les normes de décence démocratiquement votées »
« loi démocratiquement votée »
« processus rigoureusement démocratique »
« les lois votées démocratiquement »
« négociées de façon démocratique »
« par convention démocratiquement obtenue »
« processus démocratiquement obtenus »

Il n'est nulle part question de droits (sauf lorsqu'il est dit que les hommes médecins ont le droit de soigner des femmes ou des hommes) ou de libertés fondamentales. Il s'ensuit logiquement que si, demain, une majorité quelconque votait démocratiquement la lapidation des femmes, ce serait désormais une norme parfaitement acceptable. Après tout, comme je le rappelais, ce sont des lois démocratiquement votées qui ont longtemps privé les femmes du droit de vote et de la maîtrise de leurs biens, qui ont permis le châtiment corporel des enfants, qui ont imposé la Prohibition et qui ont mis la religion dans les écoles et ailleurs. Plus d'une dictature a été fondée démocratiquement...

De fait, contrairement aux affirmations du document, les compromis sur le port du turban et du kirpan font partie des normes canadiennes parce qu'ils sont le résultat d'un processus démocratique et aussi parce qu'ils correspondent à notre interprétation des droits et des libertés que le peuple canadien a reconnu comme fondamentaux. Les conseils municipaux de la MRC Mékinac se prononcent ce matin contre la Charte des droits et libertés, mais ils sont en train de se coincer eux-mêmes, car, en l'absence de la Charte, la seule garantie de ces normes de vie, ce serait la préservation à perpétuité de la majorité bien-pensante. Et comme les immigrants sont soupçonnés (souvent à tort) de ne pas adhérer à ces valeurs, cela signifie que toute la démarche mauricienne aboutit au rejet pur et simple des immigrants. Quod erat demonstrandum. Le chat sort du sac...

Tout compte fait, je trouve que cette croyance que l'élection démocratique donne les pleins pouvoirs dans tous les domaines (point de vue que l'on retrouve plutôt dans les officines autour de George W. Bush et Stephen Harper) ne correspond pas à mes propres normes de vie. Vive la Charte!

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