2007-10-31

 

Science-fiction baconienne

On associe plus souvent le moine franciscain Roger Bacon à certaines formes de futurisme technologique. Même Umberto Eco, dans Le Nom de la rose, avait succombé à cette vénérable tradition, qui est pourtant tout à fait erronée puisque le Franciscain affirmait noir sur blanc que les merveilles de la technique dont il parlait remontaient à l'Antiquité.

De Francis Bacon (1561-1626), on connaît La Nouvelle Atlantide (1624-1626) comme ouvrage proche de la science-fiction ou de l'utopie. Mais ses écrits les plus sérieux n'étaient jamais très éloignés des attitudes et des idées qui sont encore aujourd'hui chéries des amateurs et des auteurs de science-fiction. Dans son essai De la dignité et de l'accroissement des sciences, qui remonte à 1605, il note au passage : « On a inventé les lunettes pour aider les vues faibles; ne pourrait-on pas imaginer quelque instrument qui, appliqué aux oreilles des personnes un peu sourdes, les aidât de même à entendre? » Sans doute songe-t-il confusément à quelque chose qui se rapprocherait plus de la trompette de Tryphon Tournesol dans Tintin que de l'implant cochléaire.

Sa description de la créativité d'un petit groupe animé par l'émulation les uns des autres pourrait s'adapter aux milieux créatifs de la science-fiction : « rien ne serait plus capable de produire une sorte de pluie d'inventions utiles, et, qui plus est, neuves et comme envoyées du ciel, que de faire des dispositions telles que les expériences d'un grand nombre d'arts vinssent à la connaissance d'un seul homme, ou d'un petit nombre d'hommes qui, par leurs entretiens, s'exciteraient mutuellement et se donneraient des idées, afin qu'à l'aide de cette expérience guidée dont nous parlons ici, les arts pussent se fomenter, et, pour ainsi dire, s'allumer réciproquement, par le mélange de leurs rayons. Car, bien que la méthode rationnelle du nouvel Organum promette de plus grandes choses, cependant, à l'idée de la sagacité qui s'exerce par le moyen de l'expérience guidée, on pourrait saisir une infinité de choses qui se trouveraient plus à portée pour les jeter au genre humain, à peu près comme ces présents de toute espèce que, chez les anciens, on jetait à la multitude. »

J'avoue que j'aime bien cette image de la science-fiction en empereur romain jetant de l'or à profusion aux foules rassemblées...

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2007-10-30

 

Visiteurs de l'inconscient

Dans The Commons (Robert J. Sawyer Books, 2007), Matthew Hughes réunit les histoires de sa plume consacrées à Guth Bandar, le noönaute. L'ouvrage (un fix-up) recoupe en partie le récit de Black Brillion en réutilisant la matière du texte « The Helper and His Hero » paru dans The Magazine of Fantasy & Science Fiction en février et mars 2007. Toutefois, ce sont les premières aventures de Bandar qui sont des classiques du genre et qui entraînent le lecteur dans le monde de cette Terre lointaine où tout a été découvert depuis longtemps, y compris les tréfonds de l'inconscient collectif de l'humanité sondé par une guilde de noönautes. Mais le jeune Bandar, à peine initié dans la confrérie des explorateurs de l'inconscient collectif de l'humanité, découvre qu'il pourrait exister des exceptions aux règles et des recoins encore inconnus du paysage occupé par les archétypes et les épisodes déterminants du passé de l'espèce... Doté d'un talent pour la transe, muni d'une imagination alerte et armé de quelques refrains musicaux aux pouvoirs étonnants, Bandar a aussi un don pour se mettre dans le pétrin. Lui qui rêvait de découvrir du neuf va se faire expulser par une guilde qui refuse d'admettre ses témoignages. Mais il a déjà été contacté par l'incarnation de l'inconscient collectif, devenu conscient pour des raisons que Bandar finit par comprendre quand ressurgit une menace du passé, des envahisseurs extraterrestres dont les individus forment une mentalité collective unique...

Le style des premières nouvelles est dominé par l'efficacité réclamé par les revues étatsuniennes, mais Hughes l'agrémente de touches d'humour (dans le second chapitre, Bandar mérite bien son nom...) et d'allusions aux mythes et contes anciens que Bandar visite souvent bien malgré lui. Mais en choisissant de camper ses récits dans le cadre d'un inconscient collectif peuplé d'archétypes, Hughes a trouvé un moyen génial de renouveler la narration d'aventures mouvementées dans un cadre aussi resserré. Si les personnages sont souvent réduits à jouer les utilités, c'est parce que la plupart ne sont effectivement que ça. Et, par contraste, Bandar gagne en complexité relative. Comme je l'évoquais l'autre jour, Hughes quitte maintenant le Canada pour aller écrire un roman historique en Angleterre. Mais il passera par la Convention mondiale de fantasy à Saratoga Springs pour ceux qui feront le voyage la fin de semaine prochaine...

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2007-10-29

 

Les écolo-croyants

Il y a des journaux dont je me méfie parce que je sais à quelle enseigne ils logent, comme The National Post. Dans d'autres cas, je me méfie parce que j'aimerais leur faire confiance. C'est le cas du Devoir, dont les tropismes favorables à la vie intellectuelle et à la culture auraient tout pour me gagner, d'ordinaire, même si les partis pris politiques de la rédaction diffèrent des miens. Seulement, j'ai appris à me méfier des partisans dont les convictions leur font parfois négliger toute rigueur, comme ce chroniqueur financier de La Presse qui avait motivé à retardement un billet de ce blogue.

Ainsi, dans Le Devoir, Louis-Gilles Francœur est acquis aux causes environnementales et ce sujet est si cher à mon cœur que je serais tenté de le lire sans émettre de réserves... Mais Francœur a-t-il adhéré à la ligne de parti au point de perdre toute rigueur?

Le 19 octobre dernier, il abordait le sujet des OGM en mentionnant les travaux de Gilles-Éric Séralini qui a rapporté que si on nourrit des rats avec des plantes transgéniques, on observe une dégradation de leur état de santé. La référence n'est pas plus précise, mais il pourrait s'agir de l'article critiqué par ce professeur australien. Il s'agit d'une critique dévastatrice qui m'apparaît irréfutable. Et elle est renforcée par l'avis de l'Union européenne sur la question. Or, des mois ont passé depuis la controverse : que Francœur ne semble nullement ébranlé — ou renseigné — m'incitera désormais à la méfiance...

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2007-10-28

 

Après la vague

Quand j'ai pris le métro, une jeune fille lisait Harry Potter et les reliques de la mort, mais elle était encore au tout début du livre. Et c'est la seule que j'ai vue cette fin de semaine, même si le livre se trouve dans toutes les vitrines de librairies. La vague est sans doute retombée un peu depuis le temps. La génération des premiers Pottermaniaques a sans doute commencé à brûler ce qu'elle avait adoré, et les nouvelles générations ne vont pas se satisfaire des restes de leurs aînés, ou du moins pas avec la même passion.

Il n'y avait pas non plus grand monde à la table ronde sur la Pottermanie. Même Micheline Cambron n'avait pas réussi à se présenter à temps, faute d'avoir noté la bonne heure dans son emploi du temps. Mais la discussion a été relevée et les organisateurs de Gallimard semblaient contents.

Hier soir, sortie au cinéma pour Michael Clayton. Le nouveau film de Clooney est efficace; nous avons raté quelques minutes du début, mais le reste du film fonctionne à merveille dans son genre. Sans surprise, on retrouve la patte à la fois scénaristique et visuelle de la série Jason Bourne puisqu'il est l'œuvre de Tony Gilroy, qui avait collaboré à la scénarisation des romans de Ludlum. Du coup, je regrette de n'être pas allé voir Syriana...

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2007-10-27

 

La guerre ou pas

Je n'ai pas participé aux manifs aujourd'hui contre la guerre en Afghanistan.

Mais est-ce bien la guerre? Et suis-je aussi opposé à cette guerre que je peux l'être à l'occupation de l'Irak? Dans la mesure où il est possible de se faire une idée de ce qui se passe vraiment dans ces deux pays, le cas de l'Afghanistan me semble différent. D'abord, l'état de guerre est de beaucoup antérieur à l'arrivée des troupes canadiennes; par conséquent, elles n'ont pas à se sentir particulièrement responsables de la situation actuelle. Ensuite, il semble également clair qu'il est faux d'affirmer, comme le soutiennent certains pacifistes, que les troupes canadiennes n'ont aucun effet positif sur la situation. Sans aller jusqu'à leur accorder un rôle déterminant, il semble possible de dire qu'elles font partie d'un système qui assure un minimum de sécurité aux zones sous influence. Bref, chaque jour qui passe, il y a des affaires qui se font, des enfants qui naissent, des fillettes qui vont à l'école, des gens qui travaillent, etc. sans souffrir de l'instabilité ou de l'oppression qui règneraient si les troupes de l'OTAN se retiraient.

Un dilemme subsiste, toutefois. Un jour ou l'autre, il faudra bien que les troupes canadiennes se retirent. Ce jour-là, si les Talibans et leurs alliés islamistes représentent toujours la solution de rechange pour les mécontents afghans, il pourrait y avoir un changement de régime. L'intervention n'aurait fait que repousser l'échéance. Mais, tôt ou tard, les régimes extrêmes s'épuisent. Ce fut le cas de l'Union soviétique, la Chine maoïste et le Viêt-nam communiste réforment désormais à tour de bras et l'Iran issu de la révolution de 1979 semble aspirer à autre chose...

Autrement dit, repousser l'échéance, c'est peut-être retarder aussi le jour d'une évolution pacifique vers l'état de fait que l'OTAN aimerait voir prédominer en Afghanistan. Mais comment faire la part des choses? Pour en arriver au stade actuel, le Viêt-nam a connu des guerres et des vagues d'émigration massives. L'Union soviétique a connu des famines et le goulag. La Chine est passée par la Révolution culturelle... Qu'est-ce qui pèse le plus lourd? Les bienfaits limités mais concrets obtenus par l'intervention canadienne actuelle, ou la possibilité d'un progrès véritable mais remis à beaucoup plus tard, et payé de souffrances impossibles à prévoir?

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2007-10-26

 

De l'utilité d'un blogue

Je m'interroge parfois sur l'utilité de tenir un blogue, en particulier quand il est aussi volumineux et diversifié que celui-ci, mais j'ai pu constater ces jours-ci qu'une telle entreprise peut avoir son utilité. De temps en temps, je rassemble des liens utiles dans un billet ou j'y rassemble quelques notes de recherche. Puis, pour un cours ou une table ronde, comme celle sur la Pottermania, je peux avoir un besoin urgent de documentation. Quelques liens du blogue, même quand ils sont éphémères, survivront au passage du temps s'ils sont assez nombreux ou assez bien choisis. Et si je suis pressé, une recherche rapide me permettra de les retrouver.

Ainsi, pour la table ronde de dimanche, j'ai extrait du blogue tous les billets comportant le mot Potter; il n'y en avait pas tellement, mais les billets correspondants étaient d'habitude assez étoffés. Il m'a suffi alors de les imprimer et, subito presto! j'avais un dossier Potter tout prêt, avec reproduction des couvertures des romans de fantasy au Canada francophone, diagrammes sur l'évolution du lectorat et hypothèses sur l'écriture de la série. Quelle que soit l'orientation de la discussion, je crois que je pourrai faire face...

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2007-10-25

 

Pottermania

Le dimanche 28 octobre, il sera question de Harry Potter à la Maison de la culture du Plateau Mont-Royal. Une table ronde réunissant Isabelle Gusse (prof de communication politique à l'UQÀM qui ne fait pas vraiment dans la communication électronique), Brigitte Moreau de la Librairie Monet, Micheline Cambron, la journaliste Anne Michaud, François Hébert et moi-même sera animée par Stanley Péan à 14h. La discussion d'une heure est décrite ainsi :

« La Pottermania déferle de par le monde. Fait de société? Phénomène littéraire? Coup de marketing? Des intellectuels et des acteurs de la scène culturelle québécoise en discutent. Une fascinante réflexion sur des enjeux qui vont au-delà de la littérature. »

De fait, dans le domaine de la fiction, les tirages accumulés de la série des aventures de Harry Potter ne seraient surpassés que par deux séries de science-fiction, Perry Rhodan et Star Wars. Mais y a-t-il un effet Harry Potter au Québec? J'ai déjà posé la question, mais les données demeurent encore aujourd'hui trop anciennes, trop fragmentaires ou trop vagues pour suivre l'évolution des ventes des livres de Rowling au Québec ou pour en constater les effets sur l'édition québécoise de manière quantitative. En revanche, si on date la Pottermania des années 1999-2000, on voit effectivement s'envoler la publication de livres pour jeunes au Québec. Anne Robillard publie le premier volume de sa série en 2002 et Bryan Perro signe le premier tome des aventures d'Amos Daragon en 2003.Ce rapport de 2004 sur l'état du livre au Québec note que le taux de croissance du nombre de livres jeunesse entre 1996-1997 et 2000-2001 est de 16,2% alors qu'il est de 10,8% pour la littérature générale. Dans la figure ci-dessus, on voit bien qu'entre 1998-1999 et 2000-2001, en plein cœur de la Pottermania, l'édition de livres jeunesse tant par les éditeurs agréés que par les éditeurs non-agréés se porte bien.

Néanmoins, il faudrait dresser un inventaire des titres pour savoir si les romans de fantasy redevables à Rowling fournissent une partie des nouveautés, ou si, au contraire, la vogue de Potter accompagne une expansion simultanée du secteur jeunesse...

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Efforts de mémoire

En Ontario, les étudiants sont soumis à des pressions que les étudiants québécois n'imaginent pas, j'ai l'impression. Les frais étudiants sont écrasants : si je suis porté à relativiser la charge que représentent les frais de scolarité des universités québécoises, il n'en va pas de même pour les frais des universités ontariennes. Comme les jeunes ontariens ne sont pas deux ou trois fois plus riches que les jeunes québécois, ils assument des coûts nettement plus élevés. Du coup, ils se doivent de réussir leurs cours, pour ne pas avoir investi autant d'argent pour rien, et un programme exigeant, comme en génie, redouble la pression.

Je sais que j'ai eu des étudiants si angoissés qu'ils prenaient des médicaments avant un examen pour se calmer. Et, après un examen comme celui de ce soir, la tension nerveuse a été si forte que les étudiants partiront sans se retourner, oubliant qui un portefeuille qui un sac à dos avec ordinateur... L'effort de mémoire requis pour se préparer à écrire l'examen a été si intense qu'on dirait qu'il ne reste plus assez de neurones pour vaquer aux rappels des priorités plus terre-à-terre. Pourtant, il a été démontré que le stress n'améliore pas les performances scolaires.

La prochaine fois, devrais-je proposer quelques minutes de méditation avant l'examen?

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2007-10-23

 

Travail et bonheur des femmes

Si les femmes françaises travaillaient plus, la France serait plus heureuse.

C'est du moins la conclusion qu'on peut retirer d'une comparaison du taux d'emploi des femmes dans les pays de l'OCDE en 2002 et de la satisfaction déclarée à l'égard de l'existence entre 1999 et 2004. La figure illustre la position d'un échantillon de pays de l'OCDE par rapport à ces deux paramètres. Ce sont les pays où les femmes sont les plus nombreuses à décrocher un salaire qui avouent le degré de satisfaction le plus élevé. Les Pays-Bas et la Turquie représentent les deux extrêmes, mais le trio constitué du Canada, des États-Unis et de la Grande-Bretagne affiche des taux de satisfaction presque aussi élevés qu'aux Pays-Bas et un taux d'emploi des femmes encore plus grand. Mais si ce trio est un peu stakhanoviste, les pays comme l'Espagne, la France ou l'Italie avouent un degré de satisfaction nettement plus bas, qui allait de pair en 2002 avec un taux d'emploi des femmes ne dépassant guère les 55%.

On pourrait avancer de nombreuses explications pour cette corrélation, des plus évidentes aux plus subtiles, mais, en l'absence de données, mieux vaut s'en tenir au fait brut : les pays où les femmes sont plus disposées à occuper un poste rémunéré se disent les plus satisfaits de leur sort.

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Chocs culturels

De retour à Montréal après un aller retour de 5000 km en fin de semaine (non sans un pincement de culpabilité écologique, mais là où il n'y a pas de gêne il n'y a pas de plaisir), je réfléchissais au choc vécu par L'Esprit Vagabond à son retour de voyage. J'y ai pensé aussi en lisant le compte-rendu de Riverbend dont l'exil syrien commence par une espèce de dépaysement.

Je ne suis parti que quelques jours, mais il serait également exact de dire que je suis parti de chez moi depuis deux ou trois semaines. Ne passant par mon appartement que deux ou trois jours par semaine, et surtout pour dormir, je n'ai pas vraiment renoué avec ma routine. Pourtant, assez curieusement, j'ai ressenti avec une acuité particulière la familiarité des rues de mon quartier en revenant cette fois.

Est-ce la césure propre aux voyages en avion qui magnifie les retrouvailles et le sentiment de reconnaissance? Ou serait-ce plutôt le contraste entre la grisaille fraîche et pluvieuse de Vancouver et le temps chaud de Montréal? À Vancouver, c'était déjà l'automne qui se faisait sentir. À Montréal, la chaleur prolonge l'été et c'est peut-être l'accoutumance au temps chaud qui fait qu'au retour de Vancouver, j'ai l'impression d'être doublement de retour.

En attendant l'hiver qui fera de nous tous des exilés de l'été.

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2007-10-21

 

Prix Aurora 2007

Il pleut. Mais la grisaille matinale conserve une luminosité qui n'est ni insuffisante ni déplaisante au centre-ville de Vancouver, sur ces hauteurs qui résisteront longtemps à la montée des mers. Il y a foule à l'arrêt d'autobus et je me demande bien qui sont tous ces gens partant à Richmond un dimanche matin... En fait, il y en a plusieurs qui descendent à l'arrêt de l'aéroport pour aller prendre l'avion.

La grande affaire de la journée, après la réunion de l'Association pour la science-fiction et le fantastique du Canada, c'est le banquet et la remise des Prix Aurora. Matt Hughes entretient l'auditoire de ses souvenirs d'une enfance pas comme les autres. C'est presque un discours d'adieu puisqu'il déménage pour s'installer en Angleterre afin de procéder aux recherches requises pour la rédaction d'un roman historique. Puis, c'est Robert J. Sawyer qui s'empare du micro pour présider à la remise des Prix Aurora. Sans ordre particulier, on peut noter les gagnants suivants : le blogue Fractale Framboise, c'est-à-dire Éric Gauthier, Christian Sauvé (que l'on peut voir ci-contre avec les trophées qu'il a amassés pour d'autres ou en son nom propre) et Laurine Spehner dans la catégorie de l'accomplissement fanique (autre), l'organisatrice Cathy Palmer-Lister de Con*Cept dans la catégorie de l'accomplissement fanique (organisation), le fanzine Brins d'Éternité dirigé par Guillaume Voisine dans la catégorie de l'accomplissement fanique (fanzine), l'artiste Martin Springett dans la catégorie de l'accomplissement artistique, le périodique Neo-opsis Science Fiction Magazine dirigé par Karl Johanson dans la catégorie du meilleur ouvrage (autre) en anglais, mon propre article « Aux origines des petits hommes verts » dans la catégorie du meilleur ouvrage (autre) en français, la nouvelle « Biding Time » de Robert J. Sawyer parue dans Slipstreams (DAW) — après un moment de confusion qui voit un autre lauréat être annoncé, mais qui permet enfin à Rob de se réjouir, comme on le voit dans la photo ci-contre — dans la catégorie de la meilleure nouvelle en anglais, la nouvelle « Le regard du trilobite » de Mario Tessier parue dans Solaris dans la catégorie de la meilleure nouvelle en français, le roman Children of Chaos (Tor) de Dave Duncan (que l'on voit ci-contre en train d'accepter son premier prix de ce genre depuis le changement de nom du prix) dans la catégorie du meilleur livre en anglais et, enfin, le quatrième volume de la série « Reine de mémoire » (La Princesse de vengeance) d'Élisabeth Vonarburg dans la catégorie du meilleur livre en français. C'est l'essentiel de la journée, qui se termine sur les congratulations d'usage, une dernière table ronde (sur la fiction historique) et sur les adieux, marqués entre autre par les salamalecs de ses fans au pied de l'escalier descendu par Karl Johanson... Les trophées des Prix Aurora sont des objets d'une fabrication relativement simple, combinant la feuille d'érable canadienne, trois pièces métalliques représentant les rideaux lumineux de l'aurore boréale et un socle en bois (d'érable). Pourtant, comme on peut le voir dans la photo ci-dessous, l'effet est étonnamment futuriste. Mais je suis peut-être biaisé...

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Canvention 2007

Hier soir, en débarquant de l'autobus qui m'avait amené au cœur de Vancouver, je me suis retrouvé en face d'un Starbucks. Il tombait une pluie fine et il ne manquait au portrait typique de Vancouver que la silhouette des montagnes à l'horizon, que la grisaille et l'obscurité cachaient complètement. Le lendemain, je reprenais le même autobus express pour me rendre à l'hôtel de la Canvention, dans la banlieue de Richmond. Une fois passé l'arrêt de l'aéroport, l'autobus suit un boulevard bordé de commerces et de supermarchés. C'est à deux pas de cet hôtel Radisson qu'un petit avion vient de s'encastrer dans un immeuble, vendredi après-midi. Ce qui peut rappeler des incidents à New York, Milan et en Floride ces dernières années... (Ces cas sont-ils plus fréquents depuis le 11 septembre 2001? Ou les édifices à ce point élevés que les avions leur rentrent dedans sont-ils plus nombreux?) Le boulevard est surplombé par le viaduc pour une future ligne du SkyTrain produit par Bombardier, dont on peut voir l'alignement des piliers dans cette photo vespérale. Mais les arrêts de la ligne 98-B ne peuvent que faire envie à un Montréalais : les arrêts sont équipés d'affiches électroniques annonçant le temps d'attente et l'approche du prochain autobus.

Le programme de la journée n'est pas trop chargé. Malgré l'absence de Claude-Michel Prévost, qui joue à l'homme invisible, Christian Sauvé et moi animons les tables rondes sur les problèmes de la traduction, puis sur la SFCF. Les organisateurs avaient eu l'idée saugrenue d'annoncer des événements en français, mais j'ai réussi à faire passer le mot : ils auraient lieu en anglais (sauf vote unanime de l'auditoire). Du coup, il y eut pratiquement plus de personnes pour les panels francophones qu'à Con*Cept.

En soirée, ce fut l'occasion de se réunir autour d'une bonne table. Après le dim sum du midi, on opte pour un restaurant plus traditionnel dans cette partie du pays, offrant des steaks, pommes de terre au four, etc. Autour de notre table se retrouvent des représentants de plusieurs entreprises éditoriales de la SF canadienne : de gauche à droite, on aperçoit Brian Hades (Edge), Paula Johanson, Christian Sauvé (Solaris), Jean-Louis Trudel et Diane Walton (On Spec). C'est le point fort de ces rassemblements réguliers que sont les Canventions : revoir des amis, des connaissances et des visages familiers pour rappeler l'existence d'une communauté et, ce faisant, aider à la créer.

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2007-10-19

 

Les autobus du ciel

Avant l'essor, la cohue trahit le vrai secret:
c'est facile de faire entrer autant de gens
dans un gros tube de dentifrice volant
si on leur promet de raccourcir le trajet

là où, jour après jour, leur aïeux portageaient
gobaient des maringouins affolés en marchant
et se fatiguaient les dents sur du pemmican,
qui donc l'avion bruyant ne préférerait?

Il s'élance de Toronto à Kenora
et nous ronflons de Winnipeg à Kelowna,
passé Flin Flon, piquant déjà sur Vancouver

rêvant de voyages jadis plus douloureux
où on gagnait le droit de voir l'horizon ouvert
et d'aller à lui sans lacérer les cieux

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2007-10-18

 

Les titres et le texte

Un étudiant est, par définition, quelqu'un qui n'a pas encore appris à distinguer le titre qui coiffe un texte du contenu de ce texte. L'autre jour, dans le Globe and Mail, Sean Junor signait un article intitulé « Freezing tuition fees is not the answer » qui affirmait que le soutien des gouvernements canadiens pour les prêts, subsides et crédits fiscaux étudiants totalisait près de six milliards de dollars sans nécessairement aider les étudiants les plus nécessiteux.

En fait, Junor rejoignait mes propres arguments sur plusieurs points. Reconnaissant que les augmentations du financement des universités représentent un simple rattrapage après des années de coupures tandis que les inscriptions ont augmenté de 25% en cinq ans, il plaide pour de nouveaux investissements consacrés, entre autres, à aider directement les étudiants issus de familles pauvres et des Premières Nations. Et il souligne qu'il faut aussi aider les bibliothèques des universités, embaucher de nouveaux professeurs et juguler l'augmentation de la taille des classes. Il insiste : « Despite the false facade of construction from coast to coast, years of deferred maintenance still cast a shadow. And more scholarships will be required to plug holes in the student financial-assistance system. »

Et pourtant, il s'est trouvé une militante étudiante pour protester dans le Globe and Mail aujourd'hui que Junor était un ennemi des étudiants et pour laisser entendre que son organisme l'était aussi. Pourtant, la mission de l'Educational Policy Institute où travaille Junor est sans ambages : il s'agit d'aider les étudiants pauvres, minoritaires ou sous-représentés dans les universités à accéder à l'enseignement postsecondaire, tant aux États-Unis qu'au Canada. Ce n'est pas exactement une mission de droite.

Certes, cet objectif pourrait nuire aux étudiants déjà bien en place dans le système universitaire et la défense de l'ensemble des étudiants pourrait camoufler une réaction d'ordre corporatiste. Mais je préfère penser que le message conservateur du titre sans doute retenu par le Globe and Mail, et non par l'auteur, a pu abuser les esprits qui ne vont pas plus loin que le titre...

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2007-10-17

 

Les réfugiés au Canada et en France

Le débat récent en France sur l'utilisation des tests génétiques pour filtrer les immigrants a parfois occulté d'autres tentatives de juguler les flux migratoires. Ainsi, un avocat spécialisé dans la défense des demandeurs du statut de réfugié en France signalait récemment sur son blogue une tentative de changer les règles en douce. Ce qui m'a incité à tenter de comparer les règles au Canada et en France... En fait, certaines des règles de base semblent similaires. Le formulaire de renseignements personnels à remplir par les demandeurs d'asile compte 16 pages comme le dossier exigé en France, par exemple. Ce sont les délais et les conditions d'hébergement qui pourraient différer.

En tout cas, là où les deux pays divergent à coup sûr, ce serait au niveau du nombre de réfugiés admis définitivement avec ce statut. Les statistiques ne sont pas faciles à trouver. Pour la France, il y a ce rapport (.PDF) d'une ONG lyonnaise qui donne les chiffres jusqu'en 2002. Pour le Canada, il y a ce document parlementaire qui donne les chiffres jusqu'en 2001. Au Canada, pour les années 2002-2003 (46% d'acceptations), 2003-2004 (40%) et 2004-2005 (40%), j'ai pu extraire des chiffres approximatifs en partant du pourcentage de décisions favorables et du nombre de cas réglés, tels que fournis par les rapports annuels de la CISR. Au Canada, on constate un début de baisse vers 2003-2004 et on se demande si le gouvernement Harper va pousser à la roue...

Sous la forme d'un diagramme, l'évolution comparative du nombre absolu de réfugiés admis à ce titre dans chaque pays ressemble à ce qui suit. Il y a des évolutions parallèles dans les tendances que je ne peux pas expliquer, mais il convient de noter que les données sont fragmentaires...
Si les données fournies par les sources sont équivalentes, on constate clairement que la France accepte beaucoup moins de réfugiés alors que sa capacité d'accueil devrait être proche du double des chiffres canadiens (la France étant presque deux fois plus peuplée que le Canada). Sauf renversement brutal des tendances ces dernières années, on notera que cet écart concerne aussi bien les années Mitterrand que les années Chirac, et aussi bien les années Chirac que les années Jospin. On se demandera donc si ceux qui s'indignent aujourd'hui s'indignaient aussi fort lorsque le gouvernement en place était différent...

Enfin, vu de Sirius, on se demandera si le petit nombre de réfugiés acceptés par la France justifie tout le tapage qu'on fait autour d'eux dans les cercles les plus xénophobes.

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Santé publique et santé du monde

Au centre de conférences de la SRC, la journée commence par une présentation de Ted Porter, « Speaking Precision to Power », qui semble être une version de son article dans Social Research. Une série de communications sur la santé publique rappelle d'abord la crise du SRAS et les conclusions aussi alarmistes que contradictoires des rapports postérieurs : Alan Richardson note qu'en cas de crise, les experts doivent éviter de croire qu'ils font état de données — alors que la connaissance du problème évolue encore — afin de ne pas trahir la confiance du public. Néanmoins, si les responsables font erreur en se montrant trop certains des faits à leur disposition, il ne faudrait pas conclure à un échec systémique de peur de cultiver chez le public une méfiance qui minerait la possibilité d'obtenir leur collaboration dans l'éventualité d'une autre crise.

Jennifer Keelan et Peter Broks poursuivent en analysant la participation du public (parents et patients) dans des situations médicales, ou peut-être simplement médicalisées... L'attribution de certains cas d'autisme à l'emploi de vaccins à (haute?) teneur en mercure et la redéfinition de l'insensibilité aux hormones androgènes ont résulté non d'interventions scientifiques mais de la mobilisation des parents et patients.

J'ai été obligé de partir après les présentations de Max Boykoff, Mike Goodman et Richard Somerville. Les deux premiers s'intéressent au changement climatique dans les médias et à l'immixition grandissante de célébrités dans le débat. Le troisième a collaboré à la rédaction du quatrième rapport du GIEC, qui est en cours de publication. Max Boykoff a illuminé un peu plus l'histoire de la discussion du sujet par les médias et Somerville a expliqué le processus de rédaction des rapports.

Je retire de tout ça de nouvelles pistes, mais surtout un bouillonnement d'idées et d'impressions.

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2007-10-16

 

L'éléphant environnemental

À Toronto, la première journée de l'atelier multidisciplinaire sur le sujet de la science et de la confiance (Trust in Science), qui s'inscrit dans le sillage d'une série de conférences à Halifax, est presque étourdissante. Il est question des origines néolibérales des études culturelles des sciences, du détournement des études cliniques par les compagnies pharmaceutiques, des aléas du journalisme scientifique, de la confiance inspirée par les digues de la Nouvelle-Orléans avant (ou après) Katrina et, enfin, de la citoyenneté dans le contexte d'une science mondialisée.

Impossible d'éviter le sujet de l'environnement. Le Prix Nobel décerné à Al Gore rend la question incontournable. Surtout quand un professeur louisianais décrit la véhémence des réactions suscitées par l'inondation de la Nouvelle-Orléans après Katrina, quand la population ne savait plus si elle devait faire confiance aux ingénieurs responsables des digues...

Et pourtant, quand Peter Calamai du Toronto Star demande combien de personnes dans une salle remplie de spécialistes de l'histoire et de la sociologie des sciences pouvaient nommer le procédé physico-chimique qui fournit, sur une base industrielle, une bonne partie de l'azote qui fera partie de nos corps, il n'y en a eu que six qui ont osé lever la main. (Comme historien des techniques, j'ai levé la main; je mentionne la chose dans mon cours à l'Université d'Ottawa.) Et pourtant, la semaine dernière, Gerhard Ertl a obtenu le Prix Nobel en chimie pour ses travaux visant à élucider les mécanismes du procédé Haber-Bosh, qui permet de transformer l'azote de l'air en engrais sans lesquels la productivité agricole ne serait pas ce qu'elle est. Et pourtant, si des universitaires ne savent pas de quoi il est question, comment espérer que de simples citoyens en sauront plus quand viendra l'heure des choix?

En fait, l'utilisation excessive de ces engrais enrichit nos rivières en composés azotés responsables de pollutions fluviales et maritimes : la mer Noire, la Baltique, la baie de Chesapeake, le golfe du Mexique ont tous souffert d'éclosions fertilisées par ces restes d'engrais, la prolifération d'animalcules entraînant l'injection de toxines dans les eaux voisines ou la consommation de l'oxygène dissous par les bactéries profitant de leur décomposition massive... Demain, il sera question du réchauffement climatique. Car il est des sujets qu'il n'est plus possible d'éluder...L'auditorium Glenn Gould du siège social de la CBC/SRC à TorontoSheila Jasanoff parle de la citoyenneté dans le contexte d'une science mondialisée

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2007-10-14

 

Circuit japonais

Con*Cept s'achevait lorsqu'un groupe de touristes japonais est arrivé à l'hôtel, venu voir les feuilles. Puis, j'ai pris le train pour Toronto et un autre groupe de touristes japonais a débarqué en même temps que moi. Le guide leur a montré du bras le sommet de la tour CN, qui n'est plus seule à frayer avec ces altitudes. Et il y a au moins un Japonais ou deux à l'auberge de jeunesse. Qui a dit que le Canada n'attirait plus les touristes?

La journée a été longue. Brunch à l'hôtel, conférence sur la Singularité vingienne, table ronde sur la description de l'innovation dans la sf et table ronde sur la politique en sf. Les foules n'étaient pas nombreuses, sans doute drainées par tous les panels auxquels participaient David Weber et Tanya Huff, mais l'auditoire semblait intéressé. J'étais un peu plus reposé que vendredi ou samedi, et un peu plus alerte.

La journée s'achève dans le sous-sol de l'auberge. Un choriste retenu par Bernard Lachance pour sa performance au Massey Hall le 3 novembre prochain me demande de jouer sur mon ordinateur certains des refrains sur disque compact, refrains qu'il devra entonner en chœur avec deux cents autres choristes et Bernard Lachance. Je lui traduis les paroles en italien, il trouve une Indienne pour l'aider à répéter et je peux enfin aller me coucher.Cathédrale anglicane de Saint-James à Toronto, la nuit, du patio de l'auberge de jeunesse internationale

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2007-10-13

 

Fantasy et recherche

Le programme sera chargé aujourd'hui à Con*Cept. On parlera des Prix Aurora et je me ferai interviewer par Yves Meynard. Les tables rondes porteront sur la fantasy et sur la documentation des auteurs. Après la table ronde d'hier sur le space-opéra, je ne me sentirai pas coupable de ne pas maîtriser les dernières références du jour en matière de fantasy. Jeff VanderMeer, qui se présente sans hésiter comme « one of the world’s best fantasists »? Bah, il me reste cinquante ans pour le lire. S'il est aussi bon que E. E. « Doc » Smith, on parlera encore de lui dans cinquante ans. (Ce n'est pas seulement de l'ironie facile : je m'inscris moi-même dans la lignée d'Edmond Hamilton, qui n'est pas vraiment plus jeune, mais dont l'influence a été aussi durable.)

Quant à la table ronde sur la documentation et la recherche, qui demande si l'auteur doit savoir de quoi il parle, je dirais que la documentation, c'est pour quand l'écrivain ne sait pas de quoi il parle. Le problème, c'est que l'auteur doit savoir quand il ne sait pas. De nombreux livres, en sf ou ailleurs, montrent bien que ce n'est pas si facile...Shirley-Carol Landry, Benoit Simard et Joël Champetier à Con*Cept, le samedi 13 octobre 2007L'équipe d'Anticipation 2009 : de gauche à droite, Eugene Heller, René Walling, Robbie Bourget, John Mansfield, Bruce Farr et Terry Fong

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2007-10-12

 

Et le space-op est grand

Ce soir, je serai à Con*Cept en tant qu'invité d'honneur du congrès. Je participerai à une table ronde intitulée « Great Space Opera ». Si le space-opéra fonde la science-fiction, conserve-t-il cette place aujourd'hui? Et qu'est-ce qu'il a de si intéressant?

De fait, si on remonte à Lucien de Samosate, on retrouve une bande de hardis aventuriers qui sont mêlés à une guerre sur la Lune, où s'affrontent des armées venues de diverses parties du ciel. Certes, l'auteur tente ouvertement de raconter une histoire impossible à croire, alors que la science-fiction tente d'habitude de relever le défi inverse. Mais la transposition de péripéties familières dans un cadre autrement plus grandiose demeure le mécanisme à l'œuvre, même si les intentions sont différentes.

Cependant, il se passera des siècles avant qu'un voyage dans la Lune accumule autant d'incidents et de rebondissements. Pendant longtemps, il suffira d'aller dans la Lune pour étonner le lecteur. Néanmoins, Lucien avait déjà balisé le territoire du space-op et défini son attrait, celui du dépaysement et de l'étonnement par l'amplification de situations familières, ce qui est indissociable de la grande liberté laissée à l'imagination de l'auteur, pour qui tout devient possible : mobiliser des armées immenses, lancer des flottes en plein vide, édifier des mondes plus singuliers les uns que les autres, embrasser toute l'histoire de l'Univers...

Dans un de ses recueils, Poul Anderson citait en exergue, si je me souviens bien, trois strophes habilement extraites du « Hellas: Chorus » de Percy Bysshe Shelley (qui écrivait dans le contexte de la rébellion grecque contre les Ottomans). Repris et détournés par Anderson, ces vers exprimaient l'espoir d'une jeunesse renouvelée, par delà les ans et les éons, espoir que le space-op peut satisfaire en recréant le monde sous d'autres cieux pour lui rendre sa jeunesse, sa fougue et son innocence :

The world's great age begins anew,
The golden years return,
The earth doth like a snake renew
Her winter weeds outworn:
Heaven smiles, and faiths and empires gleam
Like wrecks of a dissolving dream.

A loftier Argo cleaves the main,
Fraught with a later prize;
Another Orpheus sings again,
And loves, and weeps, and dies.
A new Ulysses leaves once more
Calypso for his native shore.

Another Athens shall arise,
And to remoter time
Bequeath, like sunset to the skies,
The splendour of its prime;
And leave, if nought so bright may live,
All earth can take or Heaven can give.

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2007-10-11

 

Iconographie de la SFCF (20)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; (17) le théâtre moderne de SFCF; (18) la télé et la SFCF écrite; et (19) l'anniversaire de Spoutnik.

Depuis les premiers récits de guerres futures, la guerre industrielle a été une source d'images inépuisable pour la science-fiction. On fait généralement remonter le genre à La bataille de Dorking, un texte (.PDF) de Sir George Tomkyns Chesney publié en 1871, après la défaite de la France par la Prusse impériale. Dans ce récit, c'est au tour de la Grande-Bretagne d'être vaincue par le IIe Reich... L'histoire ne fait pas appel en général à des techniques futuristes, à l'exception de la liaison par câble télégraphique sous-marin avec la flotte britannique qui part au combat, de sorte que la bataille navale initiale peut être suivie plus ou moins en temps réel. En 1903, plus inspiré, H. G. Wells avait décrit un ancêtre du char blindé moderne dans sa nouvelle « The Land Ironclads », un texte (.PDF) publié dans le Strand Magazine. Mais c'est la Première Guerre mondiale, avec son avalanche d'innovations techniques et ses affrontements décisifs pour trancher le sort du monde, qui va stimuler l'anticipation de nouvelles guerres déployant des inventions encore plus dévastatrices.

J'avais déjà parlé de la Grande Guerre vue par les auteurs canadiens-français. Ceux-ci ne sont pas nombreux à s'exprimer, puisque l'expression d'un point de vue critique ne serait pas encouragé, la presse étant soumise à une censure d'État (.PDF) de plus en plus stricte de 1914 à 1918, tandis que les partisans de la guerre au Québec étaient nettement minoritaires, à en juger par les résultats de l'élection de 1917. Mais longtemps avant le débat sur la conscription lancé pour de bon en mai 1917 après les pertes canadiennes essuyées à la bataille de Vimy, il était encore possible pour un Canadien-français de bonne foi d'opter pour la cause des Alliés. La transformation d'un appui théorique en appui pratique, quand l'armée canadienne était plus ou moins hostile aux francophones et aux Catholiques, était un tout autre problème.J'ai déjà critiqué la tendance, chez certains critiques, à nier l'existence d'une tradition science-fictive au Canada. Si, par tradition, on entend la conscience de s'insérer dans une lignée littéraire et dans une production aux conventions plus ou moins reconnues, on constatera qu'au Canada francophone, les auteurs de proto-sf sont conscients très tôt de participer à une entreprise littéraire qui les dépasse. Prenons justement Similia Similibus ou La Guerre au Canada, Essai romantique sur un sujet d'actualité (1916) d'Ulric Barthe. Celui-ci écrit dans sa préface afin de justifier le scénario qu'il présente : « D'érudits raconteurs comme Jules Verne ont devancé de cinquante ans au moins le génie des inventeurs; des romanciers ont décrit le monde en l'an 2000; d'autres ont très sérieusement rendu compte de choses qui n'arriveront jamais. Ici, l'on présente au lecteur le récit de ce qui n'est pas arrivé, mais de ce qui pourrait arriver, mieux que cela, de ce qui arriverait certainement, si... » Outre Verne, l'allusion à Bellamy ou Wells semble évidente et on pourrait même se demander si Barthe songe à Renouvier. L'ouvrage inclut plusieurs illustrations, mais celle qui sert deux fois, y compris en page liminaire, représente l'entrée dans la ville de Québec d'un contingent de soldats allemands. L'artiste ici est Charles Huot, qui est au faîte de sa carrière, entre autres comme peintre quasi officiel du gouvernement qui décore le Palais législatif. Mais le défilé martial qu'il dépeint demeure relativement pacifique et ne correspond pas à une bataille rangée, puisque le texte décrit une prise de Québec qui se déroule sans heurts initiaux. Tout comme sur la couverture, des drapeaux occupent une place marquante.

Il faut tourner quelques pages pour trouver une illustration plus animée, mais celle-ci est le fait de Louis Brouilly, un artiste sans doute plus jeune qui allait faire carrière dans l'illustration de livres au Québec. Ce qu'il représente, c'est un coup de main par des villageois dans la région de la ville de Québec qui se rebiffent, les fusils à la main, quand l'occupant allemand prétend réquisitionner leurs armes. Tandis que Huot avait opté pour une esquisse aux contours estompés, toute en grisaille comme il convenait à une scène noctune, Brouilly s'essaie à dessiner un affrontement en plein jour, mais ses personnages offrent des mines aux traits grossis sans qu'on puisse vraiment dire s'il s'agit d'un choix stylistique ou d'une naïveté proche de la maladresse. Néanmoins, tous les détails du texte se retrouvent dans le dessin, jusqu'au personnage de l'officier allemand (à droite) qui est enveloppé et retenu par les notables du village tandis que le reste du détachement prend la fuite, effaré.

La patte de Huot se reconnaît dans une autre scène haute en couleurs, vers la fin du roman, quand un Canadien-français infiltré dans les rangs allemands (un Boileau qui se fait appeler Bulow) se révèle pour venir en aide aux insurgés de Québec. La pénombre d'une cave éclairée par quelques mauvaises chandelles enfoncées dans les goulots de bouteilles justifie le même flou que dans la peinture de la prise de Québec par les Allemands. Mais le flou artistique ne cache pas l'excellence de la composition qui, sans entrer dans les détails, représente avec une grande clarté les grands mouvements de la scène. La foule des conspirateurs se détourne de l'orateur qui les harangue pour se tourner d'un seul bloc hérissé d'armes vers le nouveau venu qui porte l'uniforme d'un ennemi, mais qui les salue du bras... Huot, qui excellait dans la peinture historique, ne s'était sans doute pas senti dépaysé en imaginant cette scène qu'on aurait aussi bien pu imaginer à l'époque des Rébellions de 1837-1838...

Paradoxalement, la guerre moderne fait plutôt surface au dos du roman. Une illustration qui ne porte aucune signature, mais qui ne rappelle ni le style de Brouilly ni celui de Huot, vante les mérites de la carabine Ross. Il s'agit sans doute d'une ultime réclame par la compagnie Ross plutôt que d'une tentative de propagande gouvernementale puisque le gouvernement canadien était sur le point d'abandonner l'utilisation du fusil Ross par l'armée canadienne en raison de ses déficiences flagrantes dans le contexte de la guerre de tranchées. D'ailleurs, il est sans doute révélateur que la gravure nous montre des soldats en train de tirer, couchés sur le sol, et non en train de charger avec une arme jugée lourde et peu fiable.

Le roman d'Ulric Barthe intervient dans le calme avant la tempête politique. La crise de la conscription éclatera l'année suivante et aboutira à des émeutes à Québec, de sorte que la vision d'une armée pénétrant dans Québec sera matérialisée par l'entrée de régiments de l'armée canadienne. Des réfractaires prendront le maquis et d'autres feront exploser des bombes. Mais si la crise de la conscription a marqué les mémoires et trouvé une place dans la mythologie nationaliste du Québec, elle ne devrait pas faire oublier qu'en fait, les années 1917-1918 seront des années critiques dans la plupart des pays belligérents. La Russie impériale s'écroule. En France et en Autriche-Hongrie, les gouvernements changent. Les États-Unis décident d'entrer en guerre. Néanmoins, les événements de Pâques à Québec en 1918 enflammeront l'indignation de deux jeunes hommes, Édouard Garand et Albert Fournier, qui rédigeront et illustreront respectivement un ouvrage racontant en 1918 la vengeance canadienne-française, Le Réveil d'un peuple; l'ouvrage ne sera jamais édité, demeurant à l'état de tapuscrit aujourd'hui passé dans des mains privées, je crois. Garand deviendra éditeur, toutefois, et publiera en 1926 le roman d'Ubald Paquin, La Cité dans les fers, qui décrit une guerre future au Canada.

Cette fois, la fiction imagine une guerre qui fait appel à toutes les ressources de la technique contemporaine. Des dirigeables et aéroplanes emplissent le ciel (un peu comme dans cette affiche de Boréal 2007) et les édifices n'échappent pas à la violence des combats. Le soulèvement national des Canadiens-français est maté par la puissance britannique, qui prend la forme d'une expédition navale. Fournier, qui demeure l'illustrateur attitré de Garand, dessine un cuirassé britannique qui fait partie des vaisseaux traversant l'Atlantique. En fait, malgré la performance technique et l'investissement financier symbolisés par de tels navires, ils n'avaient joué qu'un rôle mineur durant la Première Guerre mondiale. Pourtant, la diplomatie internationale des années vingt continuait à s'inquiéter des rapports de force entre forces navales et à tenter de réglementer des limitations navales. On n'entrevoyait pas encore que le facteur décisif durant la prochaine guerre serait la force aéronavale des belligérents. Mais on sent que Fournier est captivé par son sujet; ce serait sans doute intéressant de comparer les illustrations du Réveil d'un peuple et de ce livre, histoire de voir si certaines ont servi deux fois.

Néanmoins, l'effet produit par les zeppelins allemands durant la Grande Guerre n'avait pas été oublié et l'illustration la plus impressionnante de La Cité dans les fers montre la guerre aérienne au-dessus de la ville de Québec. Aéroplanes, dirigeables, projecteurs lumineux, tirs de DCA et bombardements apparaissent plus ou moins clairement sous la plume de Fournier. De fait, dans tous les pays occidentaux, on réfléchit à cette époque à la nature d'une guerre future. La Première Guerre mondiale avait révélé le potentiel de l'aviation et des gaz; durant l'entre-deux-guerres, les auteurs les plus alarmistes envisageront des bombardements aériens massifs utilisant des bombes classiques ou des gaz toxiques. La Grande-Bretagne avait sérieusement envisagé l'emploi de gaz en Irak pour mater l'insurrection des Arabes et des Kurdes. Les Soviétiques auraient utilisé des armes chimiques contre la rébellion Tambov en 1921. Entre 1921 et 1927, les Espagnols auraient recouru au gaz dans la guerre du Rif, se servant d'avions en 1924. Dans quelle mesure connaissait-on ces cas au Canada? Ce n'est pas clair, mais La Cité dans les fers illustrait de manière presque visionnaire ce que serait la Seconde Guerre mondiale au-dessus des villes bombardées comme Londres, Paris, Berlin, Tokyo...

2007-10-10

 

Le parti de Teela Brown

Dans Ringworld et ses suites, Larry Niven avait imaginé le personnage de Teela Brown, doté d'une chance inébranlable dans toutes les circonstances possibles. L'origine de cette chance insolente était attribuée à la sélection naturelle, le pouvoir d'influencer la chance ayant des vertus évolutives évidentes. Le mécanisme influant sur la chance était beaucoup plus nébuleux, par contre.

L'optimisation de la vie de la jeune femme appelée Teela Brown avait d'ailleurs quelque chose de sinistre, car la manipulation des probabilités par ce don paranormal faisait d'elle une simple marionnette dont l'existence était réglée en fonction de ce qui pouvait augmenter ses chances de survie. La « chance » de Teela Brown ne lui permettait pas de souffrir, par exemple, sauf dans la mesure où il était nécessaire pour elle d'apprendre à souffrir pour mieux vivre.

Teela Brown avait donc vécu dans la facilité et le confort. Pas de ruptures amoureuses douloureuses, pas d'accidents, pas d'échecs scolaires... La « chance » l'aiguillait sur la bonne voie au bon moment sans que sa vie puisse dérailler.

Si la « chance » de Teela Brown force la crédulité, la description du personnage frappait si juste qu'on oubliait de s'interroger sur la vraisemblance d'un tel don. Dans la vie de tous les jours, nous connaissons tous des Teela Brown qui semblent mener une vie enchantée, leur existence filant sans heurt sur des rails posés depuis longtemps. Éducation, sentiment, travail, famille... Tout leur réussit.

Statistiquement, il est inévitable qu'il y ait, dans une population assez nombreuse, des gens que la chance a favorisés toute leur vie. Plus ils avancent, toutefois, plus ils risquent de tomber sur un os, car leur chance, leur baraka, leur veinardise devient de plus en plus improbable. Et puis, il y a des gens qui sont vraiment capables de changer les probabilités parce qu'ils ont les moyens financiers de le faire. Ils se protègent des accidents, des mauvaises rencontres, des ennuis de santé... Aucun échec n'est définitif, aucune contrariété n'est incontournable. C'est presque le portrait de George W. Bush.

Politiquement, on peut se demander de quel bord voterait une Teela Brown. À droite? Les gens favorisés par la vie, parce qu'ils ont de la chance ou des ressources que les autres n'ont pas, ne vont-ils pas choisir de croire qu'ils doivent leur réussite à leurs propres efforts et que ceux qui échouent le doivent à leur propre impéritie? C'est le fondement de l'individualisme qui rejette toute forme de solidarité.

Mais on peut aussi imaginer que Teela Brown voterait à gauche parce qu'elle se sentirait coupable d'être aussi chanceuse quand d'autres ne le sont pas autant. La culpabilité a toujours fait merveille pour le recrutement des partis qui jouent sur la mauvaise conscience de ceux qui ont trop bien réussi... En fin de compte, la distinction entre les deux Teela Brown est plus psychologique qu'autre chose. Comment réagit-on à la bonne fortune? Comment gère-t-on le bonheur à perpétuité?

Tout ce qu'il est possible de dire, en fin de compte, c'est qu'une telle existence fausse le jugement, dans un sens ou dans l'autre, et qu'il ne faudrait pas qu'une quelconque Teela Brown se retrouve à la tête du gouvernement d'un État puissant porté à se mêler des affaires d'autrui et à décider de la guerre ou de la paix...

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2007-10-09

 

Meilleur qu'Eragon mais...

Le film de fantasy de la semaine est meilleur qu'Eragon, mais pas de beaucoup.

Au Canada, il s'agit du film appelé The Seeker: The Dark Is Rising, un intitulé qui laisse pressentir des projets de suite, voire de série basée sur les livres pour jeunes de Susan Cooper. Aux États-Unis, le film est devenu The Seeker et on sent que le film ne fera pas de petits... La critique n'est pas tendre et la campagne publicitaire a été si discrète que je ne crois pas avoir aperçu de bande-annonce à la télé.

Pourtant, c'est un film qui a des atouts. La cinématographie témoigne de quelques efforts d'originalité, les décors sont somptueux et la plupart des acteurs se glissent dans la peau de leurs personnages avec talent et énergie. Et je me souviens que j'avais lu avec plaisir le roman dont le film est tiré — même si j'ai oublié la plupart des détails.

Seulement, le scénario du film est une chose affreuse et informe, qui trahit souvent le livre, semble-t-il, et qui égrène quelques problèmes familiaux et sentimentaux pour que le jeune héros de quatorze ans ait des problèmes plus immédiats que la fin du monde, qui sera évitée s'il parvient à collectionner six badges de louveteaux, euh, six coupons valables pour un dénouement garanti... bref, six signes signifiant la victoire de la lumière sur les ténèbres.

Sauf que la fin du monde est l'enjeu de toute l'action du film. Or, si le jeune Will n'arrive pas à sauver la planète, on se moquera bien de savoir si son frère aîné a confessé au père qu'il quitte l'université. Il aurait fallu faire sentir aux spectateurs tout le poids de la fin des choses pour que la tension dramatique ne soit pas sans cesse dégonflée par des digressions. Quant aux rebondissements de l'intrigue, ils surprendront peut-être de jeunes spectateurs, mais ils sont souvent ponctuels, de sorte qu'ils ne préparent pas la conclusion ou ne soutiennent pas le suspense.

Et la grande bataille finale est mise en scène dans une nef ombreuse qui obscurcit l'action au point de nous cacher le sort ou les efforts des alliés de Will. On regrettera la lisibilité de la scène finale de Stardust, qui avait su soutenir l'intérêt sans rien cacher des épisodes de l'affrontement ultime. D'ailleurs, c'est curieux, il me semble que le roman d'origine avait fait l'économie d'un duel direct en suggérant beaucoup plus subtilement le désastre écarté par le succès de la quête de Will...

Comme dans le cas du film Bridge to Terabithia, ce sera le public juvénile qui sauvera le film.

Ou non. Car, personnellement, j'ai eu l'impression que Bridge to Terabithia avait un cœur de chair et de sang, alors que The Seeker a tout du produit formaté par Hollywood.

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2007-10-08

 

Démonologie québécoise

Jean Chrétien, Stéphane Dion, Mordecai Richler, Pierre Elliott Trudeau... Tous ces Québécois ont en commun de figurer non au panthéon mais au fin fond du pandemonium du nationalisme québécois. Ce qu'il y a de particulier au Québec, ce n'est pas que certains personnages fassent l'unanimité contre eux, c'est le nombre de ceux qui sont voués à l'exécration. Et c'est aussi la nature fantasmatique de leurs incartades.

Pour un Trudeau qui a invoqué la Loi sur les mesures de guerre, nous avons là des politiciens et même un écrivain à qui on ne peut reprocher que des paroles trop dures pour une mouvance politique particulière ou l'insistance sur le respect de règles démocratiques minimales pour arriver à l'indépendance. Souvent, il a fallu déformer leurs propos ou leurs idées pour les clouer au pilori.

Ainsi, Richler est accusé d'avoir traité les femmes canadiennes-françaises de « truies » alors qu'il avait écrit : « in the past, families of a dozen children were not uncommon. This punishing level of reproduction, which seemed to me to be based on the assumption that women were sows, was encouraged with impunity from the sidelines by l'Abbé Lionel Groulx, whose newspaper L'Action française, founded in 1917, preached "la revanche des berceaux", the revenge of the cradles, which would enable French Canadians to become the majority in Canada ». De fait, le discours du Jésuite Louis Lalande en février 1918 appelle de ses vœux cette fécondité accrue et l'allocution est reproduite dans L'Action française avec une célérité qui laisserait pantois certains auteurs actuels, mais les études s'accordent pour dire que cette idée faisait partie d'une idéologie (.PDF) répandue.

D'ailleurs, on oublie aisément au Québec à quel point ce message faisait partie d'un nationalisme canadien-français (.PDF) à l'échelle du Canada, englobant des minorités dont la défense par Trudeau et l'abandon par les indépendantistes québécois devraient brouiller certains jugements trop tranchés. Traître au Québec, Trudeau? Dans l'acception nouvelle du nationalisme québécois, c'est possible, mais sa défense du bilinguisme lui vaut également d'être vilipendé au Canada anglophone parce qu'il aura été un meilleur nationaliste canadien-français que québécois... ou canadien.

Quant à Stéphane Dion, qui est plus proche des nationalistes québécois mous que des fédéralistes purs et durs, il a pour principal défaut d'avoir exigé de ses adversaires politiques de la clarté sur leurs intentions et de la transparence dans leurs actions. Avant la reconnaissance du Québec (ou des Québécois, ou des Canadiens-français au Québec — la traduction suggère une ambiguïté) comme nation par la Chambre des Communes, ce pour quoi Dion avait voté, c'était déjà Dion qui avait soutenu la reconnaissance du Québec comme société distincte. Quel bourreau des sentiments québécois!

Tout comme il y a une démonologie étatsunienne instrumentalisée par une élite au pouvoir, il y a une démonologie québécoise instrumentalisée par une élite qui contrôle une partie des leviers du pouvoir. Elle se complaît dans la stigmatisation d'une petite armée de traîtres, que l'organisation des Jeunes Patriotes du Québec cherchait à identifier ces jours-ci.

En fait, la véritable faute imputée à ces épouvantails du nationalisme québécois tient sans doute à deux éléments. D'abord, ils pratiquaient une brèche dans l'unanimisme tant souhaité par les indépendantistes, relativisant par le fait même les affirmations souverainistes et les faisant dégringoler du rang de vérités immanentes à celui de slogans politiques. Or, que l'indépendantisme soit une simple option politique semble insupportable pour ceux qui en font une question d'identité. Ensuite, les « traîtres » en question ont eu le mauvais goût de l'emporter plus souvent qu'autrement...

Au Canada anglais, justement, le démonologue inclurait des Québécois qui ont à la fois menacé la survie du pays et révélé une personnalité antipathique. La démonologie canadienne hisserait donc en sommet de liste Jacques Parizeau et Brian Mulroney, voire Trudeau, mais pas nécessairement des perdants sympathiques comme Lucien Bouchard ou René Lévesque. Il n'y a que des Québécois dans cette liste? La domination québécoise du pouvoir exécutif depuis quarante ans y est sans doute pour quelque chose. Le caractère régional du pays aussi. Ces politiciens québécois seraient des figures unificatrices parce que ce sont les seuls qui ont osé manier des enjeux véritablement nationaux.

Mais l'unanimité des opinions québécoises me semble exprimer quelque chose de plus. Une certaine solidarité communautaire, d'abord. Il est plus facile de condamner verbalement après le fait que de choisir un parti en pleine tourmente. Le prix payé pour les divisions douloureuses des référendums, c'est le consensus après-coup, qui permet de recréer cette unité de façade dont les minorités sentent toujours le besoin.

Enfin, la désignation des méchants à la vindicte populaire me semble participer d'une culture du bouc émissaire au Québec, dont j'ai déjà parlé : ce n'est jamais la faute du petit Québécois, car il y a toujours un grand coupable qui a tiré toutes les ficelles nécessaires en coulisse. Si Trudeau a été élu pour mettre au pays les séparatistes, c'est parce qu'il a eu l'habileté de provoquer l'émeute de la St-Jean-Baptiste en 1968... C'est commode de pouvoir blâmer toutes ses défaites sur des traîtres et des agents du grand capital étranger, et non à ses propres faiblesses ou aux insuffisances du projet.

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2007-10-07

 

La fin du monde sans cesse ajournée?

Les pires scénarios du réchauffement climatique ne nous prédisent-ils qu'une fin du monde comme toutes les autres? C'est-à-dire un futurible qui nous en dit plus sur les peurs d'une époque et les projections de nos mortalités individuelles sur le canevas du monde que sur la réalité des menaces pesant sur le monde... L'enthousiasme eschatologique de certains est assez troublant. Comme je l'ai déjà fait remarquer, depuis la fin des eschatologies religieuses, l'humanité se donne volontiers des fins du monde plus prosaïques.

En 1857, Achille Genty, un érudit de Mortagne dans le Perche, non loin de Nigelle, faisait le point sur la crainte des comètes suscitée au XVIIIe siècle par quelques astronomes dont Laplace. Il concluait à l'inanité de ces craintes dans un article signé pour la revue de vulgarisation La Science pour Tous, qui publiait les lignes suivantes le 5 mars :

LA FIN DU MONDE.

Transformations incessantes des mondes organique et inorganique. — Destruction inévitable du globe terrestre et des races qui l'habitent. — Choc de la terre par une comète, peu probable. — Ce qui résulterait d'un tel choc. — Le docteur Lardner. — Laplace. — Nature intime des comètes. — Vitesse de leur marche comparée à la vitesse de la terre et des vents. — Résumé.

I.

En voyant que, dans l'univers, il n'est rien, absolument rien, qui ne soit sujet à la mort, c'est-à-dire à des changements, à des modifications, à des révolutions; en considérant toutes les transformations que subit l'homme physique, soit avant sa naissance, soit pendant sa vie, soit après sa mort; en réfléchissant, pour tout dire en un mot, que le monde organique, comme le monde inorganique, offre le spectacle d'une instabilité prodigieuse, étonnante, inconcevable, — inconcevable, parce que l'amour du vivre, la passion du moi est tellement passée dans l'homme à l'état d'habitude, de manie même, qu'il ne se peut résoudre à troquer cette manie contre une autre; en envisageant donc ces métamorphoses universelles, incessantes, ne serait-il pas insensé d'affirmer que le globe terrestre et les races animales dont il est peuplé ont le privilège exclusif de demeurer indéfiniment stables, ou du moins de ne subir qu'une modification insignifiante, une modification qui n'enlève à personne le souvenir flatteur de son identité? Sans doute.

II.

Mais, pour la terre et pour l'homme, d'où viendra ce bouleversement grandiose qui doit de tous deux faire un je ne sais quoi qui n'a de nom encore dans aucune langue connue? L'écorce terrestre, incessamment menacée par l'expansion du foyer central du globe, doit-elle finalement céder à la pression de bas en haut qui s'exerce contre ses parois, et se répandre à travers l'espace, disloquée, brisée, morcelée? Doit-elle, au contraire, tout redouter seulement d'un ennemi extérieur, d'une comète, par exemple, qui, la heurtant brusquement au milieu de sa course, produirait pour elle un résultat analogue? Enfin doit-elle mourir de vieillesse, c'est-à-dire ne disparaître que quand le foyer incandescent qui séjourne vers son centre se sera pour jamais éteint, et ne lui permettra plus de faire pénétrer jusqu'à ses extrémités la chaleur vivifiante dont il est la source?

De ces trois questions, une seule aujourd'hui sera l'objet d'un examen sérieux : c'est celle qui a trait au danger que les comètes peuvent faire courir à la terre.

Ce danger est-il réel?

Que la rencontre d'une comète avec la terre soit possible, on ne saurait le nier. Mais quel est le degré de cette probabilité? Quels en seraient les effets?

Pour qu'une comète rencontrât la terre, il faudrait qu'une double condition fût remplie:

1º L'orbite de la comète devrait couper celle de la planète;

2º Les deux corps devraient arriver en même temps au point d'intersection.

Mais, de toutes les comètes connues, en est-il une dont l'orbite coupe celle de quelque planète ? Non. Cependant, il existe une comète dont l'orbite est si voisine de l'orbite terrestre que la distance entre les deux points où elles se rapprochent le plus est inférieure au demi-diamètre de la comète; de sorte que, si la terre et la comète arrivaient en même temps à ces deux points, la terre traverserait la comète. Si la comète était solide, — ce qui n'est pas, — une collision, un choc aurait lieu. Mais elle n'est composée que d'une matière infiniment légère, infiniment peu dense; par conséquent, la terre n'éprouverait, en la traversant, pas plus de dommage que si elle traversait un nuage extrêmement léger.

Objecte-t-on que ce raisonnement, excellent pour les comètes dont les orbites sont connues, ne saurait s'appliquer aux comètes dont les orbites ne le sont pas? Nous acceptons l'objection. Nous allons y répondre.

On a constaté que, en supposant le plus fort possible le chiffre des comètes qui passeraient par l'orbite terrestre, en supposant les plus considérables possibles leurs grandeurs respectives, les chances qu'elles auraient pour rencontrer la terre seraient dans le rapport de 1 à 281 000 000.

En d'autres termes : voici une urne; dans cette urne, on a déposé 281 millions de boules blanches et une boule noire. Tirer la noire, c'est tirer la mort. Y a-t-il réellement beaucoup de chances contraires à courir? Non, évidemment; il n'y en a, en quelque sorte, que de favorables.

Eh bien, telle est la position de la terre vis-à-vis des comètes.

IV.

On voit par là que, s'il n'est pas absolument impossible, comme dit Francœur, que quelque comète rencontre la terre, il y a des millions de probabilités contre cet événement.

Cependant tout ce qui est probable peut arriver. Il est donc indispensable, si l'on ne veut être pris au dépourvu, d'admettre comme devant se réaliser les probabilités les plus improbables.

Donc, la terre est rencontrée par une comète. Que s'ensuivra-t-il?

«Il est facile, dit Laplace, de se représenter les effets du choc de la terre par une comète. L'axe et le mouvement de rotation changés; les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur; une grande partie des hommes et des animaux noyée dans le déluge universel, ou détruite par la violente secousse imprimée au globe terrestre; des espèces entières anéanties; tous les monuments de l'industrie humaine renversés : tels sont les désastres que le choc d'une comète a dû produire. »

La description est belle, mais sombre. Si Laplace eût eu à son service tous les documents dont la science dispose aujourd'hui, il ne l'eût pas écrite; il eût reconnu que le désordre, ou mieux la révolution géologique à laquelle il fait alussion, n'a pu avoir pour cause l'invasion de la terre par une comète.

Qu'est-ce, en effet, qu'une comète?

« Les comètes, dit sir John Herschel, ne doivent être regardés que comme de grandes masses de vapeurs subtiles, susceptibles d'être percées de part en part par les rayons solaires, et les réf1échissant de toutes les parties de leur intérieur et de leur surface. Que personne ne regarde cette explication comme forcée, ou ne soit disposé à attribuer à la comète elle-même une propriété phosphorescente, pour rendre compte de ces phénomènes, mais plutôt que l'on considère l'énorme espace que les comètes éclairent ainsi, et la masse ou densité extrêmement faible que l'on est en droit d'attribuer à ces corps. Il deviendra dès lors évident que les nuages les plus déliés flottent dans les régions les plus élevée de notre atmosphère; ceux qui semblent, au coucher du soleil, imprégnés de lumière et transparents dans toute leur profondeur, comme s'ils étaient en ignition, sans la moindre ombre ou le moindre côté obscur, peuvent être regardés comme des corps denses ou massifs, comparés aux fils déliés du tissu volatil d'une comète. Aussi, toutes les fois que de puissants télescopes ont été braqués sur des comètes, la solidité que l'on attribuait à leur partie la plus condensée, la tête, qui paraît à l'œil comme un nœud, n'a pas manqué de s'évanouir; il est vrai cependant que, dans quelques-unes, un point stellaire a été vu, indice de l'existence d'un corps solide. »

Dans quelques-unes!...

De son côté, le docteur Lardner donne aux comètes une densité plusieurs milliers de fois plus faible que celle de l'atmosphère terrestre.

V.

Donc la terre ne court pas le risque de voir une comète déranger la loi générale à laquelle elle obéit.

Est-ce à dire cependant qu'elle n'a rien à redouter de la part de ces corps?

« La vitesse des vents les plus impétueux, dit Pouillet, celle des ouragans qui abattent les édifices et qui en emportent au loin les débris, ne paraît pas dépasser 40 ou 45 mètres par seconde. »

Or qu'est-ce que cette vitesse en comparaison de la vitesse de certaines comètes?

La comète de 1843, par exemple, avait une vitesse d'environ 2000 mètres par seconde. La vitesse de certaines comètes est plus considérable encore. Comme, de son côté, la terre a une vitesse d'environ 333 mètres par seconde, qui croire que, en 1843, il ne fût résulté rien de fâcheux d'une collision? Personne, tout d'abord.

Mais quand on réfléchit que, si la vitesse d'une comète est au moins cinquante fois plus grande que la vitesse d'un ouragan terrestre, la densité de la matière dont elle se compose est au moins mille fois plus faible que la matière dont se composent les ouragans, ne trouve-t-on pas, ne saisit-on pas, ne devient-il pas évident que le choc de la terre par une comète ne saurait, suivant l'expression d'un savant, produire sur cette planète un effet plus sensible que le choc par un moucheron d'un convoi immense lancé à toute vapeur?

VI.

Résumons.

Il y a au moins 281 000 000 à parier contre 1 que la terre ne sera pas, le 13 juin, abordée par une comète.

Mais, le fût-elle, il n'y a nullement à se préoccuper des conséquences. Qui se préoccupe des caresses du zéphyr et de ses suites?

La fin du monde est encore une fois indéfiniment ajournée.

Achille Genty
Photo : R. Evans, J. Trauger, H. Hammel et l'équipe de la science des comètes du télescope Hubble, et NASA

Petit moucheron, grands effets... Les photos ci-dessus représentent bien sûr les impacts des fragments de la comète Shoemaker-Levy 9 qui avaient percuté Jupiter en 1994.

Genty se trompait-il? D'une part, il avait raison de relativiser l'apocalypse cométaire de Laplace. D'autre part, il avait tort de minimiser le risque posé par les comètes, qu'il compare à la douce caresse d'un simple zéphyr... Le plus intéressant, c'est qu'il relève l'identification par Herschel d'un corps solide au cœur des comètes, mais sans comprendre que l'identification positive dans quelques cas n'exclut pas l'existence d'un tel objet dans tous les cas. Et ce sont ces noyaux cométaires, dotés des vitesses déjà connues en 1857, que l'on voit trouer et labourer l'atmosphère de la gigantesque Jupiter.
Ceux qui, aujourd'hui, minimisent les risques posés par le réchauffement climatique ne craignent-ils pas de négliger des éléments de la situation? Or, quand un oubli mineur peut se traduire par des conséquences majeures, il faut peut-être se garder d'un excès de confiance en la matière...

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2007-10-06

 

Notre sonde galactique

Petits mystères de la science comprise par les francophones... Au fil des ans, j'ai remarqué des erreurs récurrentes qui apparaissent quand les profanes, au Québec, parlent des sciences. Par exemple, il arrive souvent que le nom de physicien britannique Stephen Hawking soit prononcé « Hawkins » ou « Hawkings » par les francophones du Québec. Je n'ai jamais compris pourquoi. De même, je suis toujours surpris de voir des gens éduqués confondre un système solaire et une galaxie.

Le 26 août 1989, La Presse de Montréal publiait un article sur la sonde Voyager 2 en citant comme source AFP, AP et UPI. En guise de conclusion, on nous servait cette curieuse nouvelle :

« Ayant achevé sa mission autour de Neptune, Voyager 2 va s'enfoncer dans l'espace. Mais il lui faudra environ 40 000 ans pour sortir du système solaire et elle sera à ce moment-là à peine à mi-distance de la galaxie la plus proche. Si cette dernière a des habitants, ceux-ci ne sont pas près de découvrir les témoignages de la civilisation terrestre que la sonde a emporté à son bord. »

De toute évidence, ici, on désignait par « galaxie la plus proche » un système solaire voisin. La bourde est gigantesque, car une galaxie peut contenir des milliards et des milliards de systèmes solaires. C'est comme confondre la plage et le grain de sable.

Et l'erreur persiste. Le sous-titrage français du film d'Al Gore inclut le passage suivant, quand Gore parle de la sonde Galileo et d'une séquence vidéo qu'il est sur le point de présenter :Il décrit ensuite la sonde en ces termes, si on se fie aux sous-titres :Mais pour qui écoute la version anglaise, Al Gore parle clairement de l'exploration du système solaire par Galileo. D'ailleurs, contrairement à Voyager 2, la sonde Galileo n'a jamais même eu pour mission de quitter le système solaire. Elle a atteint le système jovien et, en 2003, elle a été précipitée dans l'atmosphère de Jupiter où elle a sans doute péri.

Bref, j'en conclus que les cours d'astronomie les plus élémentaires manquent toujours dans les écoles du Québec, voire de la France (selon l'origine du sous-titrage).

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2007-10-05

 

Dans les coulisses de la guerre

Un document fascinant a fait surface en Espagne. Le journal El País a mis la main sur un compte-rendu de la discussion entre le président Bush, le premier ministre espagnol Aznar et Condoleezza Rice qui a eu lieu le 22 février 2003 à Crawford, Texas, où le président a son ranch. Cela se passait à la veille de l'invasion de l'Irak et il est clair que cette invasion était déjà programmée. On peut le comparer au procès-verbal d'une réunion d'une partie du cabinet de Tony Blair le 23 juillet 2002, qui révélait l'état des préparatifs six mois plus tôt.

Une traduction en anglais du texte en espagnol est disponible sur le blogue de Juan Cole. Une autre se trouve ici, avec les deux versions affichées en parallèle. Certes, on n'apprendra rien de vraiment neuf, si ce n'est que l'offre de Saddam Hussein de quitter le pays avait été prise au sérieux au moins par le premier ministre Aznar. Il demeure clair que l'occupation de Bagdad et de l'Irak était inéluctable, du point de vue du président Bush, que l'ONU dise non ou que Saddam Hussein prenne la poudre d'escampette. On se demande s'il parle sérieusement quand il évoque la planification de l'après-Saddam; mentait-il à son interlocuteur ou était-ce Rumsfeld qui ne lui avait pas encore expliqué que les plans dressés par le secrétariat d'État seraient écartés?

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2007-10-04

 

Iconographie de la SFCF (19)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; (17) le théâtre moderne de SFCF; et (18) la télé et la SFCF écrite.

Il y a cinquante ans, l'Union soviétique expédiait dans l'espace le premier satellite artificiel. Le lancement de Spoutnik était-il le premier envoi d'un objet de fabrication humaine dans l'espace? Non, car entre 1942 et 1956, de nombreux tests de fusées appartenant à la famille de la V-2 (A-4) des Nazis ont atteint l'espace (dont la limite est fixée à une altitude de 50 milles par les uns et de 100 km par les autres) en dépassant des altitudes de 300 à 500 km avant de retomber. On peut rapprocher ces vols des succès de SpaceShip One, qui ne se met pas en orbite même s'il atteint une altitude suffisante selon la définition officielle.

C'est pourquoi le lancement de Spoutnik le 4 octobre 1957 représentait une réelle performance technique. L'étape suivante aurait été atteinte le même mois, selon certains. Le 16 octobre 1957, une petite fusée Aerobee était lancée de White Sands par l'aviation des États-Unis; elle propulsait une ogive à 87 km d'altitude et cette ogive libérait, au moyen d'une explosion dirigée, des petites billes métalliques conçues pour strier la haute atmosphère comme des météorites. Le projet, conçu par l'astronome Fritz Zwicky dès la fin de la guerre, avait fait long feu en 1946, mais les observations réalisées en octobre 1957 suggèrent que des billes ont pu être propulsées dans l'espace avec une vitesse suffisante pour se satelliser. Toutefois, des semaines s'écouleraient avant que la nouvelle de cette expérience ne soit diffusée.

Pendant ce temps, les Soviétiques lançaient Spoutnik 2, moins d'un mois après Spoutnik, le 3 novembre 1957. La course à l'espace battait son plein. Spounik 2 transportait une passagère, la chienne Laïka qui ne survécut que quelques heures, même si les Soviétiques racontèrent à l'époque qu'elle avait été euthanasiée avant de périr dans la désintégration du satellite le 14 avril 1958. Or, le lancement de Spoutnik s'inscrivait officiellement dans le cadre de l'Année géophysique internationale consacrée à l'étude de l'environnement géophysique et surtout de l'Antarctique. En novembre 1957, Vivian Fuchs et Edmund Hillary entamaient la traversée de l'Antarctique avec des autoneiges Tucker. Ils arriveraient au but le 2 mars 1958. C'est en s'inspirant de ce contexte que Laurent Boisvert signe en 1963 aux Éditions Paulines le troisième volume des aventures d'un jeune inventeur montréalais surnommé Grain de Sel. Accompagné d'un professeur Rousseau de 35 ans, qui pourrait être modelé sur Jacques Rousseau (1905-1970), Grain de Sel est chargé de retrouver... Laïka. En effet, des savants auraient repéré le détachement d'une capsule de sauvetage juste avant la désintégration du deuxième Spoutnik. Il y aurait donc une course en plein Antarctique pour tenter de retrouver la nacelle occupée par la chienne russe, morte ou vive. Vengeant ainsi l'honneur des autoneiges de la compagnie Bombardier négligées par l'expédition du Commonwealth, Grain de Sel a inventé un véhicule tout terrain baptisé la Grenouillette. L'habitacle y est situé à l'intérieur des surfaces tractrices, comme on le voit dans l'illustration ci-contre par l'artiste Wim Huysecom, né en 1926, qui complèterait en 1976 une maîtrise en éducation de l'art à l'Université Concordia. L'appareil est original, et même futuriste. Il permet à l'ouvrage de se classer d'emblée dans le camp de la science-fiction. La découverte d'une enclave antarctique habitée par des animaux préhistoriques ne fait que renforcer cette conclusion, rattachant l'ouvrage au sous-genre des mondes perdus. C'est d'ailleurs l'occasion pour Huysecom de se distinguer, comme avec ce dessin ci-dessous qui est littéralement crevé par les ptérodactyles qui en surgissent pour s'acharner sur Laïka et surprendre le lecteur.

La course à l'espace avait déjà accouché d'une floraison d'ouvrages de SFCF, souvent par de jeunes auteurs comme Guy Bouchard qui rédige Vénus via Atlantide (1961) en 1960 alors qu'il a à peine dix-huit ans. On peut citer également les aventures d'IXE-13 dans l'espace ou le roman pour enfants de Jacques Sainte-Marie, Astra 1 appelle la Terre (1962). Ainsi, le roman de Boisvert s'inscrit dans le prolongement d'un phénomène déjà en marche et il permet à la maison Paulines de se mouiller un peu les pieds en tâtant de la science-fiction pour une première fois. Mais il clôt aussi le mouvement, en quelque sorte. Après ce titre, la SFCF va s'orienter vers les récits marqués par la crainte de la bombe nucléaire (Surréal 3000, Si la bombe m'était contée, Les Nomades, voire la série « Unipax ») ou les rebondissements de la guerre froide (les ultimes aventures d'IXE-13, la série « Volpek »). Il se passera des années avant que l'espace intéresse de nouveau. Cela dit, il faut bien admettre que la science-fiction de Laurent Boisvert reste assez terre à terre. L'idée de l'enclave préhistorique, utilisée par Conan Doyle, Burroughs, Obroutchev et King Kong, était déjà un cliché. Boisvert s'embrouille à plusieurs reprises dans sa chronologie, attribuant la date de lancement du premier Spoutnik à Spoutnik II, par exemple. Ou bien, on remarquera que ses personnages apprennent que l'expédition Fuchs et Hillary a rempli ses objectifs, alors que Grain de Sel a déjà récupéré une Laika bien vivante. Pourtant, l'expédition de Fuchs a pris fin avant la chute de Spoutnik 2. Mais il est vrai que Boisvert brouille les cartes en ne précisant pas quand la nacelle de Laika a quitté l'orbite...

Néanmoins, c'est un rare hommage à la conquête de l'espace par la littérature d'ici et il méritait d'être souligné en ce cinquantième anniversaire.

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