2007-10-10
Le parti de Teela Brown
Dans Ringworld et ses suites, Larry Niven avait imaginé le personnage de Teela Brown, doté d'une chance inébranlable dans toutes les circonstances possibles. L'origine de cette chance insolente était attribuée à la sélection naturelle, le pouvoir d'influencer la chance ayant des vertus évolutives évidentes. Le mécanisme influant sur la chance était beaucoup plus nébuleux, par contre.
L'optimisation de la vie de la jeune femme appelée Teela Brown avait d'ailleurs quelque chose de sinistre, car la manipulation des probabilités par ce don paranormal faisait d'elle une simple marionnette dont l'existence était réglée en fonction de ce qui pouvait augmenter ses chances de survie. La « chance » de Teela Brown ne lui permettait pas de souffrir, par exemple, sauf dans la mesure où il était nécessaire pour elle d'apprendre à souffrir pour mieux vivre.
Teela Brown avait donc vécu dans la facilité et le confort. Pas de ruptures amoureuses douloureuses, pas d'accidents, pas d'échecs scolaires... La « chance » l'aiguillait sur la bonne voie au bon moment sans que sa vie puisse dérailler.
Si la « chance » de Teela Brown force la crédulité, la description du personnage frappait si juste qu'on oubliait de s'interroger sur la vraisemblance d'un tel don. Dans la vie de tous les jours, nous connaissons tous des Teela Brown qui semblent mener une vie enchantée, leur existence filant sans heurt sur des rails posés depuis longtemps. Éducation, sentiment, travail, famille... Tout leur réussit.
Statistiquement, il est inévitable qu'il y ait, dans une population assez nombreuse, des gens que la chance a favorisés toute leur vie. Plus ils avancent, toutefois, plus ils risquent de tomber sur un os, car leur chance, leur baraka, leur veinardise devient de plus en plus improbable. Et puis, il y a des gens qui sont vraiment capables de changer les probabilités parce qu'ils ont les moyens financiers de le faire. Ils se protègent des accidents, des mauvaises rencontres, des ennuis de santé... Aucun échec n'est définitif, aucune contrariété n'est incontournable. C'est presque le portrait de George W. Bush.
Politiquement, on peut se demander de quel bord voterait une Teela Brown. À droite? Les gens favorisés par la vie, parce qu'ils ont de la chance ou des ressources que les autres n'ont pas, ne vont-ils pas choisir de croire qu'ils doivent leur réussite à leurs propres efforts et que ceux qui échouent le doivent à leur propre impéritie? C'est le fondement de l'individualisme qui rejette toute forme de solidarité.
Mais on peut aussi imaginer que Teela Brown voterait à gauche parce qu'elle se sentirait coupable d'être aussi chanceuse quand d'autres ne le sont pas autant. La culpabilité a toujours fait merveille pour le recrutement des partis qui jouent sur la mauvaise conscience de ceux qui ont trop bien réussi... En fin de compte, la distinction entre les deux Teela Brown est plus psychologique qu'autre chose. Comment réagit-on à la bonne fortune? Comment gère-t-on le bonheur à perpétuité?
Tout ce qu'il est possible de dire, en fin de compte, c'est qu'une telle existence fausse le jugement, dans un sens ou dans l'autre, et qu'il ne faudrait pas qu'une quelconque Teela Brown se retrouve à la tête du gouvernement d'un État puissant porté à se mêler des affaires d'autrui et à décider de la guerre ou de la paix...
L'optimisation de la vie de la jeune femme appelée Teela Brown avait d'ailleurs quelque chose de sinistre, car la manipulation des probabilités par ce don paranormal faisait d'elle une simple marionnette dont l'existence était réglée en fonction de ce qui pouvait augmenter ses chances de survie. La « chance » de Teela Brown ne lui permettait pas de souffrir, par exemple, sauf dans la mesure où il était nécessaire pour elle d'apprendre à souffrir pour mieux vivre.
Teela Brown avait donc vécu dans la facilité et le confort. Pas de ruptures amoureuses douloureuses, pas d'accidents, pas d'échecs scolaires... La « chance » l'aiguillait sur la bonne voie au bon moment sans que sa vie puisse dérailler.
Si la « chance » de Teela Brown force la crédulité, la description du personnage frappait si juste qu'on oubliait de s'interroger sur la vraisemblance d'un tel don. Dans la vie de tous les jours, nous connaissons tous des Teela Brown qui semblent mener une vie enchantée, leur existence filant sans heurt sur des rails posés depuis longtemps. Éducation, sentiment, travail, famille... Tout leur réussit.
Statistiquement, il est inévitable qu'il y ait, dans une population assez nombreuse, des gens que la chance a favorisés toute leur vie. Plus ils avancent, toutefois, plus ils risquent de tomber sur un os, car leur chance, leur baraka, leur veinardise devient de plus en plus improbable. Et puis, il y a des gens qui sont vraiment capables de changer les probabilités parce qu'ils ont les moyens financiers de le faire. Ils se protègent des accidents, des mauvaises rencontres, des ennuis de santé... Aucun échec n'est définitif, aucune contrariété n'est incontournable. C'est presque le portrait de George W. Bush.
Politiquement, on peut se demander de quel bord voterait une Teela Brown. À droite? Les gens favorisés par la vie, parce qu'ils ont de la chance ou des ressources que les autres n'ont pas, ne vont-ils pas choisir de croire qu'ils doivent leur réussite à leurs propres efforts et que ceux qui échouent le doivent à leur propre impéritie? C'est le fondement de l'individualisme qui rejette toute forme de solidarité.
Mais on peut aussi imaginer que Teela Brown voterait à gauche parce qu'elle se sentirait coupable d'être aussi chanceuse quand d'autres ne le sont pas autant. La culpabilité a toujours fait merveille pour le recrutement des partis qui jouent sur la mauvaise conscience de ceux qui ont trop bien réussi... En fin de compte, la distinction entre les deux Teela Brown est plus psychologique qu'autre chose. Comment réagit-on à la bonne fortune? Comment gère-t-on le bonheur à perpétuité?
Tout ce qu'il est possible de dire, en fin de compte, c'est qu'une telle existence fausse le jugement, dans un sens ou dans l'autre, et qu'il ne faudrait pas qu'une quelconque Teela Brown se retrouve à la tête du gouvernement d'un État puissant porté à se mêler des affaires d'autrui et à décider de la guerre ou de la paix...
Libellés : Politique, Réflexion, Société