2006-09-14

 

La puissance des idées

Pourquoi?

Les questions suscitées par la fusillade au collège Dawson ont commencé par concerner la motivation du tueur. De ce côté, la lumière a été faite. La page personnelle du jeune homme est encore visible. Il se présente en disant : « I'm not a people person. I have met a handfull [sic] of people in my life who are decent. But the vast majority are worthless ». Et son journal s'achève à 10h41 hier matin en notant sa musique du moment : « Megadeth - A Tout le Monde », les paroles de cette dernière chanson constituant sans doute son message d'adieu. D'ici peu, tout le monde aura vu les photos qu'il avait placées sur sa page d'accueil. Bref, un jeune homme perturbé, solitaire, déprimé (ou qui aimait se la jouer ainsi), qui a succombé à l'attrait soi-disant romantique d'une des formes modernes du nihilisme. Non, je n'ai pas envie de le nommer.

Mais on se pose aussi une autre question. On a certes raison de dire que trois événements de ce genre dans les établissements postsecondaires de Montréal en dix-sept ans ne représentent pas exactement une habitude. Mais existe-t-il une seule autre ville au monde qui en compte autant? (A priori, non.)

Alors, il faut bien se demander pourquoi ces choses arrivent à Montréal?

Depuis 1989, la violence s'extériorise au Québec sous la forme d'actes individuels trahissant une vindicte plus ou moins précise. À l'École polytechnique, le tueur en avait contre les féministes. À Concordia, le tueur se croyait persécuté. Hier, le tueur avait étendu sa haine à presque toute l'humanité — mais il a quand même choisi un établissement à mi-chemin entre l'école et l'université. (Et n'oublions pas les deux tentatives en deux ans de brûler des écoles juives de Montréal, la dernière remontant au début du mois.)

J'ai tendance à y voir la puissance d'un modèle. Nous savons que le tueur d'hier s'intéressait spécifiquement à la tuerie de Columbine et quelques indices laissent supposer qu'il a tenté d'en reproduire les grands traits. Mais le massacre scolaire est devenu un fantasme de la culture populaire (il n'y a qu'à considérer le grand nombre de films, de livres et de chansons qui sont consacrés à ces incidents), et donc un recours possible pour les jeunes perturbés dont la colère déborde parce qu'ils se voient comme des victimes et qu'ils sont convaincus d'avoir des ennemis.

Il fut un temps, les jeunes gens en colère, dont le ressentiment se cherchait une cible ou un débouché, militaient au sein de mouvements politiques qui leur assignaient des buts — et des cibles. Mais le Québec moderne a troqué les morts « politiques » du FLQ pour les victimes des vengeurs fous. Avons-nous gagné au change?

Des voix s'élèvent pour expliquer, justifier, voire excuser, le terrorisme d'Al-Qaida en raison de l'existence de telle ou telle oppression ou infortune. Il faudrait alors justifier la violence du tueur d'hier, qui se sentait sûrement opprimé, malheureux, désespéré... Le point commun de ces actes de violence tournés contre la collectivité (et non contre des proches, ou contre des victimes de rencontre), c'est le ressentiment. Et celui-ci n'est-il pas particulièrement cultivé au Québec, entre l'incitation subliminale à la rancœur et le blanc-seing accordé d'avance à quiconque se réclame d'une bonne cause...

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Comments:
Ce soir, à mon heure de repas, toutes les infirmières en parlent. Pourquoi?
Une souligne que la folie s'explique pas, l'autre mentionne les influences probables de la télévision, une autre l'importance des parents.

Je reste avec une sorte de noeud dans le ventre, j'ai honte d'être humaine, de faire partie de cette race qui s'autodétruit.

À la limite, je peux comprendre le mal de vivre, l'envie de ne plus souffrir.

Quoi dire, sinon qu'on reste avec un malaise.

Je ne maîtrise pas le savoir comme JLT mais je suis certaine que nous avons un sentiment semblable.

Ja
 
Bonjour Jacinthe,
Je suis aussi un lecteur assidu de Jean-Louis, et si je laisse parfois des commentaires à l'auteur, je me permets aujourd'hui de vous répondre, bien que ce blog ne soit pas un forum. Je laisse le soin à Jean-Louis de modérer mes propos si nécessaire.
Le drame que vient de connaître Montréal ne doit pas vous amener à des sentiments de honte, même collective.
Aprés tout, une écrasante majorité de l'humanité a la chance de finir ses jours pacifiquement. Même si la vie de chacune et chacun d'entre nous est toujours jalonnée de peines et de moments difficiles, le propre de l'homme est aussi de rire, y compris de lui-même.
C'est peut-être une forme de modestie qui nous pousse à toujours voir nos jours heureux dans un passé plus ou moins lointain, mais rien ne nous interdit pourtant d'espérer connaître d'autres bonheurs dans l'avenir.

Et malgré tout le respect que l'on doit aux victimes du collège Dawson, cet évènement doit nous rappeler que les violences sont "aussi" choquantes en ce qu'elles ont de rare.

Amicalement

Pierre
(Plaisir- France)
 
Je suis content de lire votre texte.
Il existe de semblables évènements en France. Je pense, par exemple, à ces infirmières tuées à Pau, dans un hôpital psychiatrique, dont l'une a été retrouvée la tête à part du reste du corps et posée sur un téléviseur.
On pourrait citer aussi ces professeur qui se font tabasser ou poignarder en pleine classe (et même parfois filmés pendant ces actions)
Les violences en général augmentent de manière régulière et importante en France actuellement. Certaines, comme les émeutes de novembre, ont des liens avec la politique internationale évidents. D'autres non.
L'auteur Philippe Muray les relie toutes comme des sursauts du "réel" dans une société nihiliste qui se considère comme bienfaisante et parfaite car moderne et qui, via les médias, présente une réalité "virtuelle" du moment.
C'est cette analyse et l'augmentation de ces violences qui m'ont conduit à les relater sur mon blog via de petits articles accompagnés de photo.
Le problème est, à mes yeux, liés au monde moderne qui n'accepte pas la critique et se considère comme LA BONNE CAUSE, comme vous le soulignez.
Je vous conseille la lecture de Festivus, Festivus de P. Muray si vous ne l'avez pas déjà lu.

Toujours heureux de vous lire.

Amicalement.
 
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