2007-08-03

 

La vie sauvage à Montréal

Avec ses 500 kilomètres carrés, l'île de Montréal est presque trois fois plus vaste que le Liechtenstein. On l'oublie. L'archipel de Montréal au confluent du Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais compte trois cents îles environ. On l'oublie.

Une visite à l'aéroport m'a fourni l'occasion de sillonner des parties de l'île que je ne fréquente guère. Malgré la stagnation de la croissance démographique, le développement continue un peu partout. À deux pas des derniers grands boisés de l'île s'élève le Colisée, temple à la gloire du cinéma où je me suis payé The Bourne Ultimatum, qui combine les attraits du thriller et du film de superhéros. En effet, Jason Bourne se tire de cascades spectaculaires et de bagarres acharnées sans récolter autre chose qu'une estafilade ou deux, ou un boitillement passager. Le personnage de Bourne, qui a subi ce qu’on aurait appelé un lavage de cerveau dans un film comme The Manchurian Candidate, n’est pas original en soi. Après tout, les romans de Robert Ludlum, qui a créé ce héros blessé, remontent à 1980, 1986 et 1990. Mais le film rattache l’entreprise secrète de la CIA au contexte actuel — assassinats, torture, prisons secrètes, détenus à la tête recouverte d’un sac...

C'était mon premier passage au Colisée, que j'aperçois régulièrement de l'autobus sur le chemin d'Ottawa. Il fait très sombre à l'intérieur et on songe immanquablement à la comparaison classique entre la visite d'une salle obscure pour admirer des images en mouvement et la caverne de la préhistoire que nos aïeux visitaient pour succomber à la fascination des fresques pariétales, presque animées par les lueurs mouvantes des torches et lampes à huile.

N’y a-t-il pas un charme supplémentaire à l’expérience cinématographique quand elle a lieu dans un lieu écarté? quand on sait que la forêt toute proche abrite de nombreuses bêtes qui ont dû fuir le reste de l’île, dont les rivières et les lacs précolombiens ont presque entièrement disparu depuis le XIXe siècle?

Le peuplement a grignoté d’abord le pourtour de l’île, au sud comme au nord. Même un parc comme celui de l’Île-de-la-Visitation est faussement sauvage, car il cache de nombreux vestiges bâtis, en plus de faire partie intégrante d’une infrastructure hydroélectrique. Néanmoins, quelques animaux y élisent domicile. J’y ai photographié le 21 juillet dernier ce bihoreau gris (ci-contre) qui prenait ses aises dans les ruines des anciens moulins du Sault-au-Récollet. Les sentiers du parc aboutissent toutefois à un déversoir (ci-dessous) — ou évacuateur de crue — qui permet de contrôler le niveau de la retenue du barrage moderne jeté en travers de la rivière des Prairies. Cette centrale de 48 MW date de 1929, mais elle est loin d'être la plus ancienne des structures qui ceinturent l'île. Les ports successifs, depuis l'humble rade du Régime français jusqu'au grand port commercial actuel, sans oublier toutes les marinas, ont grugé une part grandissante du littoral au fil des ans. Ensuite, il y a eu les canaux, en particulier celui de Lachine, puis les ponts, ferroviaires ou routiers, puis les débouchés des égouts ou les prises d'eau pour les aqueducs... Petit à petit, toutes les berges ou presque ont été occupées par des maisons, des hangars et entrepôts, des silos, des commerces, des parcs, des condos... De nos jours, un piéton vivant au centre-ville aura du mal à rejoindre un pan de berge naturelle.J’y pensais en m’arrêtant à Sainte-Anne-de-Bellevue, patrie temporaire au XVIIIe s. de mes ancêtres Chevrier et Charlebois qui s’établirent ensuite sur la terre ferme, de Vaudreuil à Rigaud. Après un souper hâtif, il était encore temps d’admirer les digues, les viaducs et les écluses qui donnent sur le lac des Deux-Montagnes. Plus tard, en longeant le Saint-Laurent de l'embouchure du canal de Lachine jusqu'aux rapides que le canal contournait, on pouvait évoquer toutes les conséquences de ces rapides qui ont fait de Ville-Marie le terminus de la navigation océanique, forçant le creusement du canal et dictant le tracé du premier chemin de fer canadien qui aboutissait en face des rapides.

Mais si les exigences du commerce fluvial, l'attrait des propriétés au bord de l'eau et les besoins en électricité ont entraîné le développement des berges avant d'affecter l'intérieur de l'île , c'est aujourd'hui l'étalement urbain qui pourrait renouveler le sursis dont les boisés loin des berges ont bénéficié. Cela peut sembler paradoxal, mais cet étalement urbain qui empiète sur les champs et les bois des basses terres laurentiennes est si pressé qu'il sauve un peu l'île de Montréal en réduisant la pression exercée sur les dernières terres sauvages de l'île. Si on ne peut pas lutter contre cette tendance, espérons qu'on en profitera pour sauver le plus possible de l'environnement de l'archipel.

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