2007-03-31

 

Quand les aveugles regardent

Blind Lake de Robert Charles Wilson est un roman à chute. C'était déjà un peu le cas de Spin, mais la narration de Spin dosait les révélations et les surprises tout au long du roman. Dans le cas de Blind Lake, il s'agit plutôt d'aboutir, au terme d'une montée progressive de la tension, à un moment culminant.

Dans le roman de James Gunn The Listeners, des scientifiques affectés à un radio-télescope cherchaient à capter un signal d'origine extraterrestre. Blind Lake s'intéresse à des observateurs de la vie extraterrestre qui sont littéralement aveugles. Dans un avenir pas trop éloigné, ils utilisent, semble-t-il, des ordinateurs quantiques à base de condensats de Bose-Einstein qui leur permettent d'observer deux planètes éloignées, sans avoir eu autre chose qu'un accès initial à des observations visuelles ou télescopiques. Il n'existe que deux installations de ce genre aux États-Unis, dont une dans le nord du Minnesota. Cette petite base scientifique fondée autour du lieu-dit Blind Lake est coupée du monde un beau matin par des mesures de sécurité exceptionnelles. Les employés sont pris au piège, ainsi qu'un trio de journalistes.

En l'absence de rebondissements majeurs, puisque le secret règnera longtemps sur les raisons de cet isolement, le roman doit être porté par les personnages. Au nombre des principaux, il y a un journaliste déchu, Chris Carmody, au bord de la dépression en raison des résultats tragiques de ses bonnes intentions dans le passé. Il y a aussi deux scientifiques, Raymond Scutter, qui devient le directeur par défaut du centre en l'absence de ses supérieurs, partis au moment de la mise en quarantaine, et son ancienne femme, Marguerite Hauser. Ils se partagent la garde de leur enfant, une fillette appelée Tess qui est tourmentée par des voix et des visions attribuées au traumatisme du divorce. Et ils se détestent.

En fin de compte, je me suis demandé jusqu'à quel point Wilson avait truffé le roman de fausses pistes. Un personnage secondaire s'appelle Costigan, allusion possible à un vieux roman de science-fiction dont le protagoniste, le professeur Costigan, transportait par erreur une petite communauté sur un autre monde. Pendant un moment, on se demande s'il s'agit d'un autre scénario de transport d'une communauté entière sur un autre monde, dans un univers parallèle ou dans un autre temps, comme dans City at World's End d'Edmond Hamilton. La théorie du déplacement dans un monde parallèle tient un peu plus longtemps — mais ce n'est pas le cas.

Ceci entretient le suspense, mais au prix de tout faire dépendre de la révélation finale. Or, celle-ci est trop extraordinaire dans un sens pour vraiment faire rêver. Le lien entre la réalité scientifique et l'imaginaire est trop distendu. Quant aux personnages, on sympathise certainement avec les plus sympathiques, mais il y a quelque chose d'un peu trop mécanique dans le dévoilement des secrets familiaux qui les ont façonnés et qui expliquent leur tempérament. Le psychologisme freudien refait surface, au mépris de tout ce que nous savons aujourd'hui sur les déterminants biologiques et génétiques de nos caractères.

Bref, il s'agit d'un bon roman de Wilson, mais non d'un roman exceptionnel : personnages attachants, suspense bien ménagé, petite thèse (et débat) philosophique pour faire réfléchir, observation très fine du quotidien et de ses moments singuliers... Il manque toutefois l'idée science-fictive qui promettrait un monde transformé, ce qui est en dernière analyse l'intérêt principal de la science-fiction : la possibilité d'un autre monde.

Quant au film sud-coréen The Host, il vaut surtout par le dépaysement. Des rejets toxiques dans un fleuve sud-coréen ont donné naissance à un monstre aquatique, une créature numérique aux mouvements d'une fluidité impressionnante, que ce soit sur terre, dans les égouts souterrains ou dans les entretoises des ponts de la ville. Une famille est aux premières loges de l'éruption initiale de la créature qui s'en prend aux promeneurs dans un parc au bord de l'eau. Le grand-père tient une concession, avec l'aide de son fils, lui-même parent d'une petite fille. Lorsque la fillette, Hyun-seo, est capturée par le monstre mais survit en appelant son père à l'aide, le grand-père peut compter sur ses deux autres enfants, un diplômé universitaire sous-employé et une sportive qui pratique le tir à l'arc.

Tous les membres de la famille ont leurs défauts et le film incorpore donc une dimension comique qu'on ne retrouve pas dans les classiques du genre comme Alien. La combinaison de l'horreur et de la comédie est un peu incongrue pour un public occidental, mais cela semble passer beaucoup mieux dans les créations du cinéma asiatique. Contrairement aux films hollywoodiens, The Host ne se termine pas tout à fait comme on s'y attendrait, mais ce n'est pas rédhibitoire. Par contre, certaines des péripéties et certains des effets spéciaux sont franchement faibles, mais il y a quelques bons moments (en particulier, la séquence initiale qui voit le monstre sillonner le parc riverain), ainsi que des aperçus fascinants de la vie en Corée du Sud.

Bref, c'est un peu meilleur qu'un série B, mais pas beaucoup plus.

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2007-03-30

 

La Trilby de la fiction

Aujourd'hui encore, la langue anglaise conserve le mot « Svengali » introduit par l'auteur Georges du Maurier dans son roman Trilby. Je le relevais encore dans un journal l'autre jour. C'est l'ultime legs d'un roman qui avait été un bestseller phénoménal lors de sa publication en 1894, après sa publication en feuilleton la même année.

On décrit parfois Trilby comme un roman gothique en accordant beaucoup d'importance au dernier tiers du roman, quand la jeune grisette parisienne Trilby est transformée en cantatrice sans pareille par un musicien de génie, Svengali, qui l'hypnotise pour lui apprendre à chanter. Quand il meurt, elle se réveille, parfaitement incapable de chanter. Mais c'est un élément relativement mineur du texte, même s'il a tellement frappé l'imagination que le type de Svengali est presque aussi connu que la paire du Docteur Jekyll et de M. Hyde, et autres créations de la fin de l'époque victorienne (Sherlock Holmes, l'Homme invisible, etc.).

Pourtant, l'essentiel du roman est consacré à la vie de bohème d'artistes à Paris, en particulier à la vie de trois artistes britanniques qui logent dans le Quartier Latin. L'auteur ne cache pas qu'il s'agit d'une reconstitution en partie imaginaire de la vie de bohème des années 1860 environ et, s'il y glisse à l'occasion des anachronismes, il dit bien que c'est parce que certaines choses ne changent pas. Il y a toujours un roman qui fait parler, qu'il soit par Zola ou un autre, il y a toujours des artistes établis, il y a toujours des jeunes artistes turbulents qui finiront par se caser ou se perdre... Et même si on ne lit plus guère Trilby, je ne doute pas que le roman ait beaucoup alimenté le mythe de la vie de bohème parisienne.

Pourquoi ne le lit-on plus? En partie parce que c'est un roman signé par un auteur bilingue et biculturel, Georges du Maurier, qui avait un pied en France et un pied en Angleterre, pour des lecteurs bilingues et biculturels comme il n'en existe plus guère. De nombreuses blagues et plaisanteries passeront inaperçues des lecteurs connaissant mal l'anglais ou connaissant mal le français. L'édition que j'ai lue date de 1947 et ne traduit pas les passages en français; je suppose que les éditions les plus modernes cèdent à la facilité en fournissant des traductions en bas de page, ou autrement, ce qui alourdit toujours la lecture.

Pour le lecteur bilingue, c'est un roman extrêmement spirituel et amusant. Du Maurier est bien placé pour sourire et se moquer des travers tant des Parisiens que des Anglais, et il le fait avec beaucoup d'indulgence et d'attendrissement. Une partie du charme du roman échappera immanquablement au lecteur unilingue.

Si on ne le lit plus aujourd'hui, c'est sans doute aussi pour l'antisémitisme flagrant du roman. Svengali est un Juif, et le roman consacre plusieurs pages à établir que c'est littéralement un sale Juif qui se lave le moins possible et n'a aucun concept de la propreté. Même si l'auteur admet qu'une goutte de sang juif est souhaitable pour rehausser la créativité ou l'intellect des bons chrétiens, il assortit de commentaires négatifs la plupart des références à des Juifs ou à des personnages juifs. Et Svengali est un personnage extrêmement repoussant, qui fait de Trilby son esclave ou presque, qui est un pleutre avec les forts et une brute avec les faibles, et qui sera dessiné dans les pages du livre par Georges du Maurier lui-même, caricaturiste de profession, sous les traits les plus connotés.

Enfin, si on ne le lit plus aujourd'hui, c'est sûrement aussi parce que le roman, pour les lecteurs actuels, se termine mal. Malgré l'amour mutuel qui rapproche l'artiste anglais Little Billy et la jolie Trilby, qui pose pour les peintres et qui se donne assez librement à ses amis, il n'y aura pas de mariage, pas de happy end. Les deux personnages les plus attachants ne seront jamais heureux et ils meurent tous les deux à la fin de l'histoire.

Georges du Maurier cite plusieurs fois les Trois Mousquetaires de Dumas père, pour l'amitié des trois Anglais à Paris, mais il ne cite jamais le modèle de la Dame aux Camélias de Dumas fils auquel on pense inévitablement. Ce n'est pas la première histoire d'amour entre un homme d'une certaine condition sociale et une femme qui n'est pas de son rang, et ces histoires se terminent mal, d'habitude (Carmen, etc.). On a beaucoup glosé sur la moralité victorienne et celle-ci s'étale très clairement dans le roman. Il n'est pas question pour Little Billy, fils de bonne famille, d'épouser une jeune fille d'extraction irlandaise et française, aux mœurs beaucoup trop libres, qui n'est pas de son rang social. Même s'ils s'aiment et s'ils croient qu'ils pourraient être heureux ensemble... La famille de Little Billy s'y oppose, et Trilby accepte elle-même d'être écartée pour faire le bonheur futur de Billy.

Dans un sens, toute la conclusion plutôt baroque du roman, avec le retour de Trilby sous les traits d'une chanteuse hypnotisée, a pour but d'amener Little Billy et Trilby à s'avouer de nouveau leur amour sans pour autant tomber dans le sordide d'une liaison hors-mariage puisque la mort les sépare avant que cela ne devienne possible. En revanche, les deux autres artistes anglais contractent des unions honorables, mais moins heureuses. À la décharge des Victoriens, on peut y voir un plaidoyer en faveur du réalisme : les amours idéales valent moins que les unions plus pragmatiques. Qui voudrait mourir si c'est le prix de l'amour parfait? Mais la culture du vingtième siècle a affirmé qu'on pouvait avoir les deux : le rêve et la réalité.

Comment tranchera la culture du siècle actuel?

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2007-03-29

 

La victoire des Verts

L'autre jour, je blaguais un peu en parlant d'une victoire du Parti vert, puisque sa part du vote populaire ne dépassait pas de beaucoup celle de Québec solidaire. Mais je ne croyais pas si bien dire.

Si on examine les résultats de plus près, en effet, on relève d'abord que les Verts n'ont présenté que 108 candidats, alors que Québec solidaire en avait 123 sur les rangs. Ainsi, le Parti vert a obtenu une moyenne de 1230 votes environ par circonscription tandis que Québec solidaire en obtenait 1160 environ, une différence infime, de l'ordre de 6%. Toutefois, si on ne tient compte que des candidats disponibles, le Parti vert a obtenu environ 1430 votes par candidat tandis que Québec solidaire n'en attirait que 1180 environ, une différence nettement plus sensible, de l'ordre de 20%.

Dans certaines circonscriptions, le candidat de Québec solidaire a drainé tous les votes de protestation, mais il convient de remarquer que, dans les 106 circonscriptions où le Parti vert affrontait Québec solidaire, le candidat vert a obtenu plus de voix dans 76% des cas.

On a pu lire et entendre dans les médias francophones québécois que le Parti vert était quelque lubie des comtés anglophones, mais ces chiffres indiquent au contraire que lorsque les électeurs avaient le choix entre un candidat du Parti vert et un candidat de Québec solidaire, ils ont choisi celui du Parti vert les trois quarts du temps.

Ceci doit-il nous intéresser? Ne s'agit-il pas de partis marginaux? Eh bien, l'ADQ et le PQ n'étaient-ils pas des partis marginaux à leurs débuts?

Si on s'entend pour dire qu'un parti qui recueille 2500 votes et plus dans une circonscription est un parti sérieux, on peut trouver significatif que six candidats du Parti vert ont passé ce seuil, contre cinq candidats de Québec solidaire, y compris les trois super-vedettes de Québec solidaire, Amir Khadir, Françoise David et François Saillant (FRAPRU). Inversement, on notera que les Libéraux sont les seuls à avoir obtenu au moins 2500 votes dans toutes les circonscriptions du Québec. Ainsi, malgré ce qu'on a pu entendre, le Parti libéral est le parti le plus authentiquement québécois de la province. Dans la plupart des cas, ce sont sans surprise les bastions anglophones qui sont les plus réfractaires aux autres partis, mais il y a une poignée de circonscriptions périphériques où l'ADQ et le PQ ne passent pas non plus cette barre.

La médiatisation des vedettes de Québec solidaire a sûrement aidé Khadir et David à obtenir les deux totaux les plus élevés de tous les votes pour les partis contestataires, soit 8303 et 7913 respectivement. Pas un seul autre candidat de ces deux partis n'a eu plus de 4000 voix. Si on déduisait ces chiffres du vote total pour Québec solidaire, le vote moyen par candidat tomberait à 1050 voix à peine, contre plus de 1400 pour le Parti vert.

Les circonscriptions extrêmes

J'avais examiné précédemment les circonscriptions les plus et les moins peuplées de la province. Voyons donc quels partis en ont héritées...

Tout d'abord, après révision de la liste des inscrits, qui avait légèrement réduit l'électorat lors du vote par anticipation avant de le regonfler au-delà des niveaux initiaux, un peu moins de vingt mille inscrits venant s'ajouter aux électeurs connus au départ. Mais ceci n'a pas modifié la liste des circonscriptions qui sont en infraction, à strictement parler, puisqu'elles comptent soit moins soit plus de 25% du nombre moyen d'inscrits par circonscription. Du côté des moins peuplées, on retrouve les résultats suivants:

Abitibi-Est (-26,91%) — PQ
Abitibi-Ouest (-28,09%) — PQ
Bonaventure (-35,95%) [Gaspésie] — PLQ
Charlevoix (-26,89%) — PQ
Frontenac (-26,05%) [Chaudières-Appalaches] — PLQ
Gaspé (-38,37%) — PQ
Îles-de-la-Madeleine (-76,50%) — PQ
Matane (-38,02%) [Bas-Saint-Laurent] — PQ
Matapédia (-34,21%) [Bas-Saint-Laurent] — PQ
Mégantic-Compton (-25,55%) [Estrie] — PLQ
Montmagny-L'Islet (-28,77%) [Chaudières-Appalaches] — ADQ
Rivière-du-Loup (-25,30%) [Bas-Saint-Laurent] — ADQ
Ungava (-46,84%) — PQ

Dans tous les cas, sauf celui de l'Ungava, la sous-population de ces circonscriptions s'est aggravée, de sorte que leurs voix pesaient encore plus lourd, relativement parlant. Le PQ a raflé huit de ces circonscriptions, le Parti libéral trois et l'ADQ deux. On peut donc dire d'emblée que le PQ compte le plus de députés mal élus.

Du côté des circonscriptions les plus peuplées, les résultats sont les suivants:

Chambly (+31,17%) [Montérégie] — ADQ
Drummond (+25,20%) [Drummondville] — ADQ
Fabre (+28,28%) [Laval] — PLQ
Masson (+29,78%) [Terrebonne, etc.] — ADQ
Prévost (+26,69%) [St-Jérôme, etc.] — ADQ

Leur expansion démographique semble avoir ralenti puisque Fabre et Prévost sont les seules circonscriptions dont la sous-représentation a augmenté. Les résultats sont assez parlants : l'ADQ a mis la main sur quatre de ces circonscriptions, la seule exception faisant partie des bastions îliens des partis traditionnels à Laval et Montréal. Dans cette grande couronne colonisée par les familles francophones, s'éloignant de la mixité du centre-ville mais subissant les pressions financières associées à l'achat d'une maison et à la fondation d'une famille, on trouve sans surprise le terreau propice au message de l'ADQ qui leur était le plus clairement adressé.

Depuis un certain temps, on fait remarquer aux États-Unis que la montée des Républicains et de l'ultra-conservatisme doit beaucoup à leur enracinement dans les edge cities. Ces agglomérations périphériques, desservies par des autoroutes et de grands boulevards, ont bénéficié de la déchéance non seulement du centre-ville mais aussi des banlieues résidentielles proches. Les données (.PDF) confirment la nouvelle ségrégation instaurée par ces banlieues éloignées : elles sont plus riches, plus blanches, plus catholiques et relativement plus républicaines. Et aussi moins partageuses.

Une fois de plus, on pourrait soutenir que les Québécois se montrent beaucoup plus semblables à leurs voisins au sud, où le rejet des valeurs urbaines et de la modernité aurait joué un rôle certain dans les succès des Démocrates en novembre dernier. Et comme aux États-Unis, tout une panoplie de mesures (électorales et financières) favorisent les régions hors des villes au détriment des grandes villes. Cela consacrera-t-il la suprématie durable des valeurs de Zéroville?

À défaut d'une dose de proportionnelle, il faudrait au moins revenir au principe d'une personne, un vote. Pour une fois, les deux principaux partis de l'Assemblée nationale auraient intérêt à resserrer les écarts permis pour la population des circonscriptions électorales. Les quatre circonscriptions surpeuplées remportées par l'ADQ pourrait facilement être représentées par cinq députés — et elles auraient 3% plus d'inscrits que la moyenne. Même chose à Laval. Et si l'écart permis était réduit à 10% ou moins, il faudrait enfin à venir à fusionner certaines des circonscriptions régionales les moins peuplées. Ainsi, si les trois circonscriptions de l'Abitibi-Témiscamingue étaient ramenées à deux, elles auraient une population supérieure de 20% à la moyenne, ce qui leur permettrait d'en prêter à l'Ungava ou à Laviolette.

Jean Charest aura-t-il le courage de le proposer? Stratégiquement, cela pourrait faire éclater la coalition de l'ADQ, ou à tout le moins le mettre sous pression...

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2007-03-28

 

Le vent des grands espaces

La presque victoire de Mario Dumont a des aspects jouissifs. Suivre la chose, même de loin et en prêtant une oreille distraite aux réactions immédiates, permet d'apprécier à quel point la percée de Dumont a l'effet d'une roche jetée dans une mare. Les vaguelettes secouent ou réveillent tous les habitants. Des possibilités inédites se présentent à l'esprit, des perspectives nouvelles s'ouvrent, des interdits sont remis en question... Et le discours souvent autiste des élites médiatiques est obligé de remettre en question ses définitions toutes faites.

On se moquait du Canada « plusse meilleur pays au monde » de Jean Chrétien, mais on ne s'est jamais assez méfié de l'évidence selon laquelle le Québec était l'État le « plus progressiste en Amérique du Nord ». C'était souvent une façon d'éviter les débats, en se pétant les bretelles parce que les autres points de vue étaient exclus d'emblée. (Mais est-ce si progressiste de compter plus de pauvres et de chômeurs qu'ailleurs?)

Maintenant, il y a comme un frémissement dans l'air, qui se sent jusqu'en Andalousie. Les uns regrettent l'aveuglement des électeurs, d'autres se consolent en se disant que le PQ est maintenant le partie des vraies régions, d'autres cherchent... Et si les choses allaient changer, enfin? L'espoir s'envole et plane, les vieux interdits sont balayés, les coutumes d'antan et les bienséances politiques ne sont plus de mise... On songe aux célèbres vers de William Wordsworth :

« OH! pleasant exercise of hope and joy!
For mighty were the auxiliars which then stood
upon our side, we who were strong in love!
Bliss was it in that dawn to be alive,
But to be young was very heaven!—Oh! times,
in which the meagre, stale, forbidding ways
of custom, law, and statute, took at once
the attraction of a country in romance!
»

Il y a du bon et du mauvais dans le vent qui souffle. Les orthodoxies économiques du modèle québécois (réglementations pléthoriques, taxes et impôts également surabondants, syndicats et monopoles sur-protégés) pourraient être révisées. En même temps, l'ouverture aux autres cultures et aux autres langues avait atteint depuis les déchirements meechiens un certain équilibre, en particulier à Montréal... mais on avait oublié d'en informer le reste du Québec, porté à grossir à l'excès les moindres incidents propres à la vie dans une grande ville. Maintenant, au lieu de s'inquiéter de la réalité du racisme et de la discrimination (.PDF) au Québec, on transforme en psychodrames le moindre accommodement raisonnable. Ira-t-on vers le même genre de durcissement des rapports entre majorité et minorité qu'on a vu en France?

Pourtant, on pointe très plausiblement les carences de l'éducation anti-raciste au Québec relativement au reste du pays. C'est un fait qu'ailleurs au Canada, un élève du secondaire ne quittera sans doute pas l'école sans avoir lu et étudié To Kill A Mockingbird ou le Journal d'Anne Frank; en Ontario francophone, on ajoutait volontiers Tanguy de Miguel del Castillo à cette liste. Qu'en est-il au Québec?

À l'Assemblée nationale, Jean Charest aura sans doute l'appui de l'ADQ s'il désire encore procéder à certaines réformes économiques. Il se retrouve, ceteris paribus, dans la même situation que Jean Chrétien en 1993. Le « progressisme » québécois s'étant mis hors-jeu en faisant élire le Bloc québécois, les Libéraux fédéraux n'étaient plus menacés que par les Réformistes, qui étaient singulièrement mal placés pour s'opposer à la réduction des déficits.

Cette fois, la gauche québécoise s'est mise hors-jeu en se divisant entre Québec solidaire et le PQ. Jean Charest sera beaucoup plus libre de poursuivre une politique de droite en économie. En même temps, une avenue s'ouvre pour lui à gauche dans la mesure où l'ADQ incarnera désormais la droite nationaliste — à moins que Mario Dumont ne flaire le piège et parvienne à séduire une partie de la gauche. Au nom du populisme et du « vrai monde », il est souvent possible d'enjamber une grande partie du spectre.

Mais si les Libéraux pratiquent une politique économique de droite, quels gages pourraient-ils donner à la gauche? Les mesures sociales exigeant des moyens, des bureaucraties ou des interventions législatives seraient en contradiction avec ce programme politique de retrait et de dégraissage de l'État. L'ouverture à l'autre dans la veine d'un interculturalisme ou multiculturalisme renouvelé se heurterait à de fortes résistances dans les milieux nationalistes. Il resterait peut-être à parier sur l'environnement...

Bref, le futur s'annonce intéressant. Au sens de la malédiction chinoise, peut-être, car on se rappellera bien sûr que Wordsworth avait signé ces lignes pour évoquer les espoirs soulevés par les premiers jours de la Révolution française...

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2007-03-27

 

Le Parti vert écrase Québec solidaire!

Malgré la couverture éhontée dont Québec solidaire continue à jouir dans les médias francophones du Québec, c'est bel et bien le Parti vert qui a coiffé Québec solidaire dans la course des petits partis.

Cette nuit, l'ADQ passe du statut de petit parti à celui de parti de l'Opposition; il entre dans la cour des grands, mais ce sera peut-être le tour un jour d'un autre petit parti. C'est pourquoi je trouve intéressant que le Parti vert ait obtenu 6% plus de voix que la machine de Québec Solidaire. Il pourrait annoncer la... couleur de l'avenir.

C'est peut-être aussi le signe de l'émergence d'un autre Québec, qui expliquerait pourquoi le gouvernement sera minoritaire (ou sera une coalition de partis minoritaires). Si le Parti vert n'a pas retenu l'attention, c'était en partie faute de porte-parole capable de s'imposer dans les médias francophones. Son existence s'enracine en partie dans un terreau linguistique différent, mais elle reflète justement la réalité d'un bastion urbain et non-francophone qui a permis aussi aux Libéraux de survivre malgré leur impopularité chez les francophones. Historiquement, la majorité francophone choisissait le gouvernement. Les Libéraux avaient leur base anglophone et montréalaise, mais il fallait conquérir la majorité à l'extérieur.

Quelque chose a changé. Est-ce seulement la présence d'un troisième larron? Peut-être, mais l'ADQ est absent de Montréal et Laval. S'il avait fait la moindre percée dans cette partie du Québec, c'est Mario Dumont qui aurait le droit de former un gouvernement. Par conséquent, il faut bien admettre que le clivage entre Montréal et les régions change la donne. La base montréalaise des Libéraux peut leur permettre de tirer leur épingle du jeu quand le vote francophone se déchire entre villes et régions. Même en ne conservant qu'une poignée de régions comme l'Outaouais, ils peuvent se faufiler entre les deux autres grâce au bastion libéral de l'archipel montréalais. Ainsi, malgré l'effacement libéral d'une partie de la carte du Québec francophone, Jean Charest aura quand même le plus grand nombre de députés.

C'est ce qui déjoue en partie la grogne évidente d'une partie de l'électorat. Malgré le désir manifeste d'infliger une rebuffade aux Libéraux, les électeurs n'ont pas sorti les sortants. Surtout qu'il y a sans doute eu un ressaisissement de certains électeurs tentés par les petits partis. La victoire du Parti vert permet donc de reconnaître qui sont les vrais fidèles et on en retient qu'il y a plus de vrais environnementalistes au Québec que de vrais sociaux-démocrates tendance utopiste, car les uns ont soutenu le Parti vert, quatrième de la province, tandis que les autres ont sans doute déserté la formation bicéphale pour revenir au bercail du PQ...

Les points tournants

Pourtant, on ne peut nier que l'élection a été perdue par le PQ. L'impopularité des Libéraux permettait tous les espoirs et, malgré la supposée tradition de la réélection pour un second mandat, les élections récentes avaient surtout illustré la volatilité du vote au Québec. À mon avis, le premier point tournant remonte à la campagne à la chefferie du PQ. La révélation de la consommation de cocaïne de Boisclair aurait dû couler sa candidature : on peut se demander dans quelle mesure le soutien qu'il a reçu à cette occasion n'a pas repoussé une partie de l'électorat potentiel qui trouvait, au mieux, que c'était un mauvais exemple à donner et qui pouvait voir dans l'indulgence des médias un autre signe de la perte des vraies valeurs favorisée par une certaine élite.

L'affaire Zéroville a joué un rôle aussi. Il convient toutefois de prendre un certain recul : ce n'est pas tout le Québec qui s'est montré solidaire hier des valeurs de Zéroville. L'ADQ a obtenu moins du tiers du vote populaire. Et les autres partis, tout en faisant de leur mieux pour désamorcer le débat, n'ont pas donné de gages aux intolérants comme Mario Dumont a pu le faire à mots couverts.

La décision de Charest de convertir les largesses d'Ottawa en réductions d'impôts passe pour un point tournant, mais je ne suis pas sûr qu'elle lui ait coûté beaucoup de votes au Québec. Au fond, le principe même du déséquilibre fiscal, c'était qu'Ottawa et non Québec décide de l'attribution de fonds que les Québécois considéraient comme leur dû. Les Québécois étaient-ils si offusqués qu'un parti du Québec décide de consacrer les sommes récupérées d'Ottawa à réduire les impôts?

Dans quelle mesure la promesse d'un référendum durant un premier mandat du PQ a-t-elle été le clou dans le cercueil? Faut-il croire que la tentative in extremis de Boisclair d'accrocher le grelot au cou de l'ADQ en fin de semaine — et le refus sans ambages de Mario Dumont de se faire piéger — a scellé la victoire adéquiste? La souveraineté reste désirable, selon les sondages, mais cela ne signifie pas que les Québécois soient pressés de connaître de nouveau les joies d'un référendum...

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2007-03-25

 

Le Québec et le voile

La réaction provoquée par l'annonce que les femmes musulmanes vêtues d'un niqab pourraient voter sans avoir à se dévoiler à condition de fournir toutes les pièces d'identité requises, voire de prêter serment, a eu quelque chose d'effrayant.

On cherche l'expression qui convient. Hystérie? Délire paranoïaque? Minute de haine orwellienne? On a eu beau faire remarquer que le nombre de personnes en causes se comptait sans doute par dizaines, au plus par centaines, on a eu beau souligner que le vote par la poste ou autrement n'exigeait pas la présence à visage découvert, rien n'a pu enrayer l'engrenage. Ce qui s'est déchaîné en quelques heures avait tout de la foule hurlante réclamant la tête de celui qui a le tort de penser autrement. Le caractère inquiétant de cette bouffée xénophobe n'était égalé que par la facilité avec laquelle le directeur général des élections a cédé. Ou par la démagogie des dirigeants politiques.

Que diable craignait-on? Que des terroristes d'Al-Qaeda se promènent en niqab d'un bureau de vote à l'autre pour faire gagner leurs candidats? Évidemment, si on a raison de croire que Ben Laden a fait de son mieux pour faire élire George Bush en 2004, peut-être que ses séides voudraient faire gagner l'ADQ au nom de la politique du pire... Ou craignait-on que des dizaines de militantes de tel ou tel parti traditionnel se déguiseraient pour voter plusieurs fois? Mais les courses les plus serrés ne se déroulent pas nécessairement sur l'île de Montréal et gageons qu'un contingent de femmes en niqab se ferait vite remarquer dans les bureaux de vote de la Mauricie ou de la Beauce...

Ces arguments ont-ils été formulés sérieusement? J'ai plutôt l'impression que la réaction instinctive de rejet a surtout été motivée par le rejet de la différence, tout simplement, surtout quand cette différence est associée à tout ce que traîne l'islam depuis le 11 septembre, et de manière plus diffuse depuis les Croisades dans la culture chrétienne. C'est ce rejet irréfléchi de la différence qui nourrit les préventions au sujet du fond québécois.

Il n'est pas question ici de nier que le Canada peut compter des ennemis au sein de la communauté musulmane, surtout depuis que le gouvernement Harper a abandonné toute forme de neutralité (autre qu'opportuniste). Mais j'ai déjà fait remarquer que ce ne serait pas la première fois qu'une communauté immigrante abrite des éléments hostiles. Le Canada y a déjà survécu et je ne doute pas qu'il y survivra encore. Dans une certaine mesure, on peut soutenir que le Canada a évité de répéter les erreurs d'autrefois : pas de déportation comme dans le cas des Canadiens d'origine japonaise, pas d'internement massif comme dans le cas des Canadiens d'origine allemande, autrichienne ou allemande au temps de la Première Guerre mondiale... La détention prolongée d'une poignée de suspects peut se critiquer, mais elle ne se confond pas avec les abus d'autrefois.

Reste qu'on finit par s'interroger sur le fond québécois.

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2007-03-24

 

Si les journalistes savaient compter...

L'émission « Pensée libre » demandait cette semaine à quoi servent les mathématiques. Dans le Voir de Montréal, Parenteau nous fournit la réponse : à éviter de dire des bêtises.

Dans une chronique sur le factice déséquilibre fiscal, il vantait le transfert de points d'impôt au lieu d'une amélioration des paiements directs pour favoriser la démarche indépendantiste. Oublions le fait que ceci se traduirait par de moindres rentrées d'argent, et donc moins d'argent pour les pauvres, les personnes malades, l'environnement, ec. Il est bien connu que les idéologues font passer l'intérêt d'une cause avant les bénéfices tangibles.

C'est le paragraphe final qui illustre le mieux l'aveuglement idéologique de Parenteau, ou peut-être son ignorance des mathématiques:

« Mais le plus beau pour Harper, là-dedans, c'est que si le Québec se met à péter le feu économiquement, il ne recevra plus de paiements de péréquation, il en donnera! Tout ça donne du poids à une des rares bonnes idées de Mario Dumont : que le gouvernement du Québec soit le seul à percevoir des impôts sur son territoire et qu'il envoie ensuite à Ottawa ce qui lui revient pour œuvrer dans ses champs de compétence. Autrement dit, renverser le courant de l'argent. »

Tout d'abord, commençons par cette étrange association d'idées. Parenteau semble laisser entendre que si le Québec percevait tous les impôts sur son territoire avant d'envoyer à Ottawa la part requise pour les programmes fédéraux, il n'aurait pas à verser de péréquation. Parenteau s'imagine-t-il que la péréquation correspond à des chèques écrits en Alberta ou en Ontario et encaissés au Québec? C'est un programme fédéral dont le financement sort de la caisse commune. Dans la mesure où les provinces moins riches en profitent alors que les plus riches ne reçoivent rien, on peut dire que celles-ci financent celles-là, mais un Québec « autonomiste » à la Dumont continuerait, dans les mêmes conditions, à recevoir des paiements de péréquation à même la caisse commune et à remettre exactement les mêmes impôts.

Paierait-il de la péréquation? Maintenant que les revenus des dix provinces sont pris en compte, un moment de rélfexion suffit pour conclure qu'il est extrêmement improbable que le Québec soit privé un jour de paiements de péréquation. Rappelons les chiffres : l'Ontario (38%) et l'Alberta (10%) représentent ensemble environ la moitié de la population canadienne et plus de la moitié de l'économie. Tant que le pétrole fera rouler l'économie mondiale et que l'Ontario bénéficiera d'une rente de situation comme capitale financière du Canada (pas seulement anglophone) en plus de jouir d'un accès névralgique au centre géographique de l'Amérique du Nord, il y a fort à parier que ces deux provinces auront des revenus plus élevés que le Québec. Pour que le Québec n'obtienne pas de revenus de péréquation, il faudrait qu'il soit au-dessus de la moyenne.

Or, si la moitié du Canada est dès le départ au-dessus de la moyenne, il n'y a que deux possibilités, compte tenu du fait que le Québec représente environ la moitié du reste.

D'une part, si le Québec est plus ou moins sous la moyenne, une ou deux provinces parmi les autres (la Colombie-Britannique ou la Saskatchewan, par exemple, comme cela s'est déjà vu) pourraient s'élever au-dessus, mais le Québec recevra des paiements de péréquation. D'autre part, si le Québec est au-dessus de la moyenne, cela signifierait que les trois quarts du pays seraient au-dessus de la moyenne. Par conséquent, pour qu'un quart du pays équilibre les trois quarts en tirant la moyenne vers le bas, il faudrait que toutes les autres provinces plongent si loin sous la moyenne qu'elles pourraient postuler pour une appartenance au Tiers Monde. Ce qui est fort peu probable.

Bref, le Québec n'a pas fini de profiter de la péréquation...

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2007-03-23

 

La vraie méthode des gouvernements canadiens

Tout citoyen canadien est censé savoir comment le pays fonctionne, connaître le Parlement et ses assemblées, la Cour suprême et le rôle du Gouverneur-général. À la tête de l'État se retrouvent le premier ministre et son cabinet, qui agissent par l'intermédiaire de ministères et d'agences, conformément à des lois votées par le Parlement, approuvées par le Gouverneur-général et contrôlées par les cours.

Mais si ce n'était que de la poudre aux yeux...

Dans les faits, si gouverner c'est choisir, le gouvernement du Canada n'est pas si souvent le fait des institutions officielles. Le Canada se gouverne d'une crise à l'autre, et les choix ont été faits plus d'une fois par des commissions d'enquête. Les juges et autres sommités chargés de ces commissions fournissent aux politiciens la couverture requise pour aller de l'avant avec de nouvelles mesures. Ce 28 mars, ce sera le cinquantième anniversaire de la fondation du
Conseil des Arts du Canada, dont la création avait été proposée par la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, des lettres et des sciences, présidée par Vincent Massey (1949-1951). Il était aussi sorti du rapport final la télévision de Radio-Canada, la Bibliothèque nationale du Canada, le CRSH à terme et de nombreuses autres mesures en faveur de la culture et des sciences. D'autres commissions ont balisé la voie du bilinguisme et du multiculturalisme.

De ce point de vue, les commissions d'enquête forment le véritable quatrième pilier du gouvernement canadien, en incorporant de facto un apport des sages et des anciens. Et la méthode ne marche pas si mal.

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2007-03-22

 

Sous-représentation des villes et des minorités

J'ai déjà traité plusieurs fois de la sous-représentation du vote urbain, ce qui entraîne automatiquement une sous-représentation des créateurs culturels, concentrés dans les villes, mais aussi des minorités visibles, en particulier de celles issues de l'immigration récente. Sans parler des opinions plus libérales que celles de Zéroville.

Un article récent (.PDF) de Michael Pal et Sujit Choudhry de l'Université de Toronto aborde la question au niveau fédéral, qui ne diffère guère du niveau provincial. Les minorités visibles issues de l'immigration représentent près de quatre millions de personnes au pays, concentrées dans les grandes villes de l'Ontario, de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et du Québec.

Pourtant, depuis dix ans, le poids relatif des votes urbains ne cesse de diminuer. En 1996, selon l'article, un vote urbain valait 97% du vote moyen, mais un vote rural valait 115% du vote moyen. Le poids du vote des minorités visibles urbaines s'évaluait à 95% du vote moyen.

En 2001, un vote urbain valait 96% du vote moyen, mais la valeur du vote rural avait grimpé à 122% du vote. Quant aux minorités visibles urbaines concentrées dans les circonscriptions les plus populeuses, le poids de leur vote était tombé à 91% du vote moyen. Il n'est pas encore possible de calculer les chiffres pour 2006, mais ce serait surprenant que les tendances aient changé puisque rien n'a été fait pour les corriger, tandis que les résultats préliminaires indiquent que l'urbanisation se poursuit.

Il existe aussi des différences d'une province à l'autre. La sous-représentation du vote des minorités visibles urbaines est pire en Colombie-Britannique (89% en 1996) et en Alberta (91% en 1996) qu'en Ontario ou au Québec (95% en 1996), et la situation n'a fait qu'empirer, sauf au Québec. En 2001, le poids du vote urbain des minorités visibles était de 84% en Colombie-Britannique, 87% en Alberta, 90% en Ontario et 97% au Québec.

Pal et Choudhry font ressortir un autre facteur qui réduit le poids du vote des membres des minorités visibles à l'extérieur du Québec : la sous-représentation électorale des provinces où ils se retrouvent en plus grand nombre. C'est-à-dire que l'Alberta, l'Ontario et la Colombie-Britannique ne jouissent pas d'un poids proportionnel à leur population; elles sont sous-représentées relativement au Québec.

Même si j'ai souvent insisté sur les effets pervers d'écarts de la population moyenne d'une circonscription atteignant 25% dans un sens ou l'autre, en toute légalité, Pal et Choudhry notent que les inégalités interprovinciales jouent un rôle encore plus grand dans la sous-représentation de certains votants au niveau fédéral.

La lecture de l'article est un peu déprimante. Les inégalités en cause résultent de choix constitutionnels difficiles à remettre en cause et d'une jurisprudence qui a lâchement accepté les écarts de 25% préconisés par les législateurs. S'il serait vain de songer à s'en prendre à la constitution, il ne reste qu'un petit nombre de pistes : réduire les écarts permis par des mesures législatives (qui réduiraient l'influence de ceux-là mêmes qui seraient censées les voter), augmenter le nombre de sièges au Parlement ou passer à une forme de proportionnelle. La première solution me semble toujours la plus réaliste, si un parti obtenait une majorité à l'intérieur de laquelle les villes détiendraient aussi la majorité. Mais une forme de proportionnelle, malgré le défi d'obtenir un consensus, aurait l'avantage de résoudre l'essentiel du problème d'un coup...

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Un cas de plagiat

Eh bien, la jeune Marie-Pier Côté est donc coupable de plagiat. Le cas retenait l'attention depuis que La Presse en avait fait un article épinglant des ressemblances troublantes entre le roman Laura l'immortelle et, en principe, le film Highlander. En fait, les points communs étaient suffisamment ponctuels pour que l'explication fournie initialement par Marie-Pier Côté (des suggestions venues d'une correspondante française) puisse cadrer... à condition d'ignorer tout de l'univers d'Highlander hormis le premier film. Or, cet univers compte au moins cinq films, deux séries télé, trois séries animées, une dizaine de romans officiels et quelques autres produits dérivés (jeux vidéo, cartes). Et il en est assez abondamment question sur la Toile.

De fait, la couverture médiatique du roman revendiqué par Marie-Pier Côté faisait état de Guetteurs surveillant les Immortels, ce qui correspond aux Watchers essentiellement campés dans la seconde série télévisée. Si un journaliste avait pris la peine de faire un minimum de recherche, il aurait pu aisément remettre en question l'explication de Côté et conclure à une fan-fic beaucoup plus directement calquée sur l'univers fictif en cause. Mais faute d'avoir le roman sous la main, le spectateur de cette affaire pouvait croire à l'explication de la jeune fille, à un cas de cryptomnésie ou au plagiat...

Mais le doute ne peut plus subsister. Le roman provient presque intégralement d'un site de fans d'Highlander et il s'agit d'un texte d'une longueur rare, De cendres et de vent (.DOC), par un auteur qui ne fait aucune difficulté pour s'identifier, Frédéric Jeorge. Du coup, on se demande ce qui s'est passé. La jeune Marie-Pier Côté fréquentait une école dite internationale; ma réaction instinctive, c'est de m'interroger sur la pression parentale... S'est-elle laissée prendre au piège d'un mensonge qui n'a fait que s'aggraver? Comme elle raconte avoir envoyé elle-même le manuscrit, à l'insu de ses parents et de ses profs, aux Intouchables à l'occasion d'une invitation faite aux écrivains en herbe, cela semble soit très délibéré soit relever d'une farce qui a très mal tourné. On en saura plus un de ces jours, peut-être.

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2007-03-20

 

Les avantages de l'élection de l'ADQ

Le mot d'ordre de Mario Dumont : l'autonomie.

Le mot d'ordre de Maurice Duplessis : l'autonomie.

Bref, les deux politiciens représentant des circonscriptions fluviales (Rivière-du-Loup et Trois-Rivières) n'ont pas que leurs initiales en commun. La comparaison n'est pas originale, mais l'ascension de l'ADQ commence à en inquiéter quelques-uns, la CSN sonnant le tocsin. Les valeurs de Zéroville ne risquent-elles pas de se retrouver au pouvoir?

Le programme (.PDF) de l'ADQ ne nous éclaire guère. Abolir le Conseil de la fédération, rouvrir le dialogue constitutionnel, adopter une constitution québécoise, inscrire dans celle-ci l'existence de l'« État autonome du Québec » et défendre les champs de compétences, cela ne se distingue guère de démarches nationalistes passées. Reste le dernier point : « Renforcer l'autonomie financière du Québec en donnant la priorité au rétablissement de l'équilibre fiscal entre les paliers de gouvernement, à la diminution de l'endettement du Québec, à la réduction de la dépendance à l'égard de la péréquation, et à l'instauration d'un seul rapport d'impôt pour les contribuables québécois. » Cela peut mener loin, mais dans quelle direction?

Les promesses plus concrètes (système de santé mixte, écoles spécialisées, plus d'enseignement de l'histoire, mieux enseigner le français et l'anglais, le bulletin chiffré, une commission d'enquête sur les conditions de vie des aînés, l'aide aux victimes d'actes criminels, limiter les libérations conditionnelles, assainir les rivières, miser sur l'agriculture, miser sur l'économie du savoir, alléger la réglementation, pas d'augmentations d'impôts) sont soit banales soit déjà connues. Les mesures natalistes (dont la prime de naissance d'un troisième enfant, le remboursement du traitement de l'infertilité et la gratuité scolaire pour les jeunes parents aux études) sont plus originales.

Et d'autres peuvent susciter la méfiance. Revoir le rôle du ministère de l'Environnement pour qu'il passe de l'interdiction à l'innovation rappelle l'effet de la déréglementation reaganienne sur la protection de l'environnement aux États-Unis : en exigeant une évaluation monétaire des effets de la réglementation et en exigeant un bénéfice net, l'Environmental Protection Agency avait été obligée de quantifier des biens intangibles. Depuis, les directives des présidents Clinton et Bush ont continué à réduire la liberté d'action de l'agence au nom du fardeau de la réglementation, bref, du droit de polluer sans se faire embêter (le Canada ne fait pas mieux). De même, le développement du transport en commun voulu par l'ADQ passe par une « modernisation du modèle de gestion » axée sur la « diminution des coûts ». Ceci ne laisse pas espérer un réinvestissement significatif! L'allègement de la réglementation refait surface dans le but d'augmenter l'emploi et la productivité, en avantageant particulièrement les PME.

Ce qui inquiète les syndicats, c'est l'engagement de l'ADQ à réduire « concrètement la taille et le nombre de structures bureaucratiques et éliminer tout organisme qui ne saurait justifier son existence sur la base d'un réel service à rendre à la population ».

Et ce qui peut inquiéter les citoyens soucieux du futur, c'est le réalisme à courte vue de ce genre d'exigence qui revient aussi dans l'application de toute marge de manœuvre « pour diminuer les impôts, rénover les infrastructures publiques et diminuer la dette publique ». Ainsi, malgré la référence à l'économie du savoir et au soutien accru de la culture, il ne faudrait pas compter sur l'ADQ pour aider les universités autrement qu'en augmentant les frais de scolarité. Quant aux chercheurs et créateurs culturels, ils auront un meilleur budget pour leurs faux frais, un point c'est tout.

Reste enfin la question des perdants et des gagnants si l'ADQ obtient le pouvoir. Que signifie la correction du régime fiscal québécois « en diminuant l'importance des taxes les plus nuisibles », dont les impôts sur le revenu et la taxe sur le capital? On peut discuter de la taxe sur le capital, mais l'impôt sur le revenu n'exige pas des riches autre chose que leur part de la richesse collective, à peu près. Les riches y gagneraient donc. Ceci ne veut pas dire que les pauvres y perdraient nécessairement, mais cela ne veut pas dire non plus qu'ils profiteraient du ruissellement vers le bas d'une prospérité accrue de la société, comme on l'espérait au temps de Reagan. En revanche, si la déréglementation adéquiste et le mépris du futur accouchaient d'un environnement dégradé et d'une vie collective brutalisée comme dans la Grande-Bretagne de Thatcher, ce ne seraient pas les riches qui en souffriraient le plus.

Mais si l'élection de l'ADQ permettait de dissocier une fois pour toutes l'équation nationalisme = progressisme, ou souverainisme = progrès, en montrant que le nationalisme peut aussi servir d'alibi à des politiques conservatrices, la pensée politique au Québec y gagnerait peut-être en liberté...

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2007-03-18

 

Le mal français traverse l'océan

Sortez les sortants! Le rejet viscéral des élites et des pouvoirs en place joue un grand rôle dans les péripéties de la campagne présidentiel en France. Ségolène Royal a gagné en faisant cavalier seul, courant sus aux éléphants de son parti et se distinguant par son refus des idées reçues. Comme le souligne Giesbert, Sarkozy s'est imposé comme candidat en refusant d'être le dauphin de Jacques Chirac, tout au contraire. (Métier dangereux que celui de dauphin de Chirac, comme Juppé l'a appris à ses dépens.) Ce fut ensuite au tour de Bayrou de monter en flèche en se dressant contre les élites médiatiques et politiques. Ce qui est aussi le fonds de commerce de José Bové et Jean-Marie Le Pen...

Les raisons de ce mécontentement généralisé en France sont mystérieuses. Objectivement, les conditions de vie en France se comparent avantageusement à celles de pays dont les citoyens se déclarent pourtant plus heureux que les Français. (Quand on étudie la satisfaction à l'échelle européenne, on trouve que la génération née depuis 1980 se déclare extrêmement heureuse.)

Au Québec, les élections actuelles donnent aussi l'avantage au négligé. Mario Dumont ne monte-t-il pas parce qu'il a les élites contre lui? Mais s'il était élu, cela correspondrait à quatre élections de suite qui auraient donné l'avantage au parti contestataire. Après les Libéraux délogeant le PQ en 2003, les Libéraux obtenant plus de votes que le PQ en 1998 et le PQ délogeant les Libéraux en 1994, il faudrait remonter à 1989 pour trouver un parti politique obtenant la confiance du peuple pour la seconde fois en autant d'élections. Ce n'est sans doute pas un hasard s'il faut remonter à l'embellie économique et constitutionnelle des années 80 pour retrouver un tel satisfecit.

Dans ces conditions, au Québec comme en France, c'est difficile de gouverner si on croit que gouverner, c'est choisir. Le soutien semble manquer pour tenter les réformes les plus difficiles et l'électorat est si changeant que les chefs politiques s'en abstiennent. D'où cet immobilisme québécois que l'ADQ voudrait ébranler. Mais les velléités de refondation de l'État québécois de l'ADQ se heurteront-elles aux mêmes obstacles que celles du PLQ?

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2007-03-17

 

Le futur de la culture au Québec?

Retour à un nouveau Rendez-vous stratégique de l'Institut du Nouveau Monde sur la culture, toujours au pavillon Sherbrooke, ancienne École technique de Montréal. Après les ateliers du 3 février, le moment est venu de s'interroger sur le futur : « À l'heure des nouvelles technologies, du numérique, du iPod, du cellulaire et de la mondialisation, on s'interroge : comment cela influence-t-il la culture québécoise? Quelles sont nos voies d'avenir? »

J'ai raté les événements de la veille au soir, trop pris entre mon retour d'Ottawa et le party de Glenn. Mais ce n'est pas trop difficile de prendre le train en marche. Parmi les membres de l'atelier se retrouvent Christiane Allaire, présidente de la Compagnie des philosophes, Nicole Vincent et Suzanne Ferland du centre d'artistes Praxis dans les Laurentides, Isabelle Boisclair du Théâtre Le Clou, la consultante Marjolaine Bergeron et la très polyvalente Catherine Voyer-Léger de la Conférence régionale des élus de Montréal.

Pendant le premier atelier, je plaide pour l'importance de la transmission de la culture, aussi bien à l'école (tant en salle de classe qu'à l'occasion des sorties) qu'au moyen des équipements (bibliothèques, etc.) et des médias, internet compris. Je me demande si on peut télécharger des clips audio de l'OSM (on peut!) et si Montréal aspire à élargir la connectivité sans fil (jusqu'en 2025, c'est le but des seuls visionnaires, semble-t-il). D'autres interventions soulèvent d'autres sujets, y compris celui du français. In petto, je songe que la présence du français serait plus grande si la culture québécoise s'ouvrait à toutes les créations, pour que celles-ci s'expriment en français et que personne ne soit obligé de les découvrir dans une autre langue.

La cause de la culture traditionnelle est également plaidée par un visiteur de la grande couronne qui nous vante les rencontres au fond des bois, sans machines ou conforts modernes, pour jouer sur de vieux instruments à cordes ou pratiquer l'artisanat à l'ancienne. Comme il vient de dénoncer les effets pernicieux du moteur à essence, je me retiens de demander si les participants à ces rassemblements dans les Laurentides s'y rendent à pied...

En fait, si on veut être néo-trad, il est presque plus facile de l'être en ville qu'à la campagne. On peut vivre sans voiture et sans montre, voire sans télévision, et ne pas en souffrir puisqu'on peut se déplacer à pied ou en transport en commun, trouver l'heure sur tous les téléphones payants ou autres bornes électroniques, et aller au cinéma...

Les débats s'animent vraiment en après-midi, quand vient l'heure des choix et des propositions spécifiques. Je vante l'idée d'un agenda culturel pour tout le Québec, qui serait quelque chose comme une version grand public et aussi exhaustive que possible de Créneaux, mais l'idée n'est pas retenue.

En ce qui a trait au soutien des artistes, je suis tenté de suggérer que les bourses données aux artistes sur une base annuelle soient au moins à la hauteur du revenu moyen au Québec. Mais comme je n'ai pas les chiffres en tête, je me tais. En fait, j'aurais pu le proposer... Le revenu moyen des particuliers au Québec en 2003 était de 29 900 $, tandis que la bourse la plus richement dotée du CALQ pour un écrivain est de 25 000 $. (Les montants sont du même ordre au Conseil des Arts du Canada.) Or, ne serait-ce pas normal qu'un artiste appelé à créer au sommet de son art obtienne au moins autant que le Québécois moyen?


Les propositions finales du groupes se lisent comme suit :

Comme la culture doit être reconnue en tant que moteur de développement du Québec, nous proposons :

1) Que la culture et les arts fassent partie des orientations prioritaires du système et des établissements scolaires, et que cela se traduise par des actions concrètes;

2) Que l'État assure un soutien récurrent et adéquat de la création artistique et propose au secteur privé davantage d'incitatifs visant le développement du mécénat (et le partenariat avec les organismes culturels);

3) Que l'État donne les moyens au secteur culturel d'exploiter les nouvelles technologies de l'information et des communications pour favoriser l'accessibilité, la promotion et le réseautage. Les autres propositions annoncées en plénière les recoupent quelque peu. Si je tente de synthétiser un peu ce que j'ai pu entendre et noter, cela ressemble à ceci :

— responsabiliser les citoyens et les éducateurs à l'importance de la transmission de la culture (le français, le patrimoine québécois, l'histoire), au besoin en introduisant la philosophie au primaire (!)

— initier, favoriser, valoriser et promouvoir les pratiques culturelles dès la petite enfance

— protéger et conserver le patrimoine bâti

— éduquer la population au travail des artistes, tout en améliorant leur condition socio-économique

— soutenir la création et la diffusion des arts

— réduire la fracture numérique, favoriser l'appropriation d'internet, démocratiser les nouvelles technologies de l'information et de la communication, favoriser le contenu francophone dans ces nouveaux médias

— établir un calendrier culturel à la grandeur du Québec

— conditionner les subventions aux médias pour qu'ils intègrent la culture à leur travail

Un samedi bien employé? Mitte panem tuum super transeuntes aquas...

Pour conclure cette grande série de rencontres de l'Institut du Nouveau Monde, il y aura une rencontre finale à Montréal les 27 et 28 avril sur la question des rêves collectifs. Comme ce sera en même temps que le congrès Boréal, je n'y serai pas.

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Party chez Grimmwire

Je sens qu'il sera difficile de me passer de mon nouveau jouet. Ce n'est peut-être pas par hasard que j'avais repoussé si longtemps l'achat d'un appareil numérique... La tentation est effectivement forte de documenter tout ce qu'on voit, de l'utile à l'insignifiant. Et j'ai déjà quelques idées de sujets à mettre en images quand j'en aurai l'occasion. En attendant, j'ai saisi l'occasion d'immortaliser quelques moments au party de Glenn, qui n'a pas eu peur de célébrer sa quarantaine et des poussières, de toutes petites poussières, d'infimes poussières... Quand je suis arrivé (quelque peu en retard), j'ai rencontré René W. ainsi que la Kifophile et son mari irlandais. Emru, sur son départ, a croisé Tamu, qui arrivait bonne dernière ou presque... J'ai transmis les souhaits de Dave et Kathryn, salué les amis, entamé une conversation sur Farthing... Glenn a évoqué les combats de sa jeunesse, disputés dans les boisés des parcs municipaux de London avec des lance-pierres convertis pour propulser des morceaux de carottes. Tout à fait par hasard, il portait un gaminet orange que l'on voit dans cette photo croquée sur le vif. Quant à Tamu, elle n'avait pas l'air mal non plus, même surprise dans le vestibule, mais la photo un peu floue ne vaut pas la peine d'être reproduite. Dehors, la neige soufflait, s'accumulait, nous rappelait que l'hiver n'était pas fini. Dedans, il faisait chaud.

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2007-03-15

 

Productivité et investissement

Comme je le faisais remarquer l'autre jour, l'investissement privé en RD au Québec semble toujours un peu anémique, malgré tout ce qui est fait afin de renforcer l'attrait du Québec pour les firmes spécialisées en RD.

Cette carence des investissements explique peut-être la productivité déficiente des compagnies du secteur manufacturier au Québec et dans le Canada tout entier, que relevait Neil Reynolds dans le Globe and Mail d'hier. Cette carence frappe fort ces mêmes compagnies maintenant que la hausse du dollar canadien et la concurrence chinoise éliminent l'avantage dont elles jouissaient, les laissant en si mauvaise posture que certaines ferment carrément.

Du coup, on se demande si le choc n'aurait pas été atténué si ces compagnies ne s'étaient pas habituées à engranger des profits tant que le dollar était bas. Si elles avaient été empêchées de profiter pleinement de la faiblesse du dollar, du moins sans investir dans l'amélioration de la productivité pour se préparer à une remontée du huard, performeraient-elles mieux aujourd'hui?

Et si les gouvernements canadiens avaient profité des belles années pour imposer une taxe qui s'ajusterait mécaniquement au taux de change, s'alourdissant quand le huard est faible et s'allégeant quand il est fort? C'est sans doute utopique dans la mesure où cela exigerait un grand effort de détachement des gouvernements, mais il faudra peut-être en trouver l'équivalent si les taux de change continuent à fluctuer et si nous voulons conserver un secteur manufacturier...

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2007-03-14

 

L'art de la photographie (1)

Presque trois mois plus tard, j'ai étrenné un cadeau de Noël de moi à moi, une caméra numérique Sony Cyber-Shot DSC-N1. Il était temps de découvrir si j'avais bien dépensé mon argent ou non... Comme je ne crois pas au gaspillage, j'ai chronométré mon apprentissage afin de le comparer éventuellement à un autre projet photographique, celui de l'utilisation d'un appareil ayant appartenu à mes grands-parents de Saint-Boniface, une Brownie Target Six-20 de Kodak, fabriquée au Canada. Aux États-Unis, ce modèle avait été introduit en avril 1941; la version canadienne doit donc être postérieure. Comme l'appareil semble identique aux appareils fabriqués aux États-Unis, alors que les versions britanniques d'après-guerre diffèrent sur quelques points, je suis tenté de croire que l'appareil a été fabriqué au Canada en raison des mesures prises pour contrôler les stocks de matériaux vitaux en temps de guerre ou pour contrôler les flux de devises (l'importation d'un appareil fabriqué aux États-Unis aurait entraîné une sortie de devises requises par le gouvernement pour d'autres besoins).

L'appareil appartient à la prestigieuse lignée des Brownies de Kodak. Petites créatures de la mythologie britannique, ces farfadets folkloriques sont devenus la marque de commerce d'un dessinateur d'origine québécoise, Palmer Cox, né à Granby le 28 avril 1840, mort en 1924. Les petits recueils de poèmes humoristiques composés par Cox pour accompagner ses dessins des brownies (ou était-ce l'inverse?) ont été immensément populaires. Il y a encore aujourd'hui à Granby une demeure conçue par Cox pour ses frères et qui reste connue sous le nom de Château (des) Brownies. Dans plusieurs pays, dont le Canada à l'extérieur du Québec, les jeunes Guides de la branche féminine du scoutisme portent encore le nom de Brownies; si la source citée pour ce nom est antérieure à Cox, la popularité de ses propres Brownies n'a pas dû nuire à la conservation du nom... Et, bien entendu, la compagnie Kodak a utilisé les Brownies de Cox pour le lancement en 1900 de sa nouvelle caméra pour tous, tout particulièrement destinée aux femmes et aux enfants. Cox ne semble pas avoir accordé sa permission... (Non qu'il était opposé à l'exploitation commerciale de ses créations iconographiques; depuis 1887, il avait permis à une quarantaine de produits de s'associer à ses Brownies!)

La conception du devant de la Brownie Target de 1941 conserve quelque chose d'un peu fantaisiste. On dirait vraiment un visage, un peu ébahi ou effaré, voire un peu robotique. De ce point de vue, la Brownie Target est bien différente des appareils photographiques que Kodak destinait à des usagers plus chevronnés, comme la Kodak Autographic (Junior) 1A, qui remonte à 1914. Celle-ci avait pour particularité de laisser les photographes inscrire quelques mots sur la pellicule par une petite fenêtre découpée dans le dos de l'appareil. Mes grands-parents de Saint-Boniface ont aussi laissé un tel appareil Kodak, au boîtier très usé par les an, comme on peut le voir dans la photo ci-gauche. Malgré l'usure des ans, les soufflets en cuir se déplient encore fort correctement et il reste possible de viser en utilisant la réflexion interne dans le prisme qui surmonte l'objectif. Ce que je trouve fascinant, presque un siècle plus tard, c'est que la technologie moderne de la Cyber-Shot DSC-N1 de Sony, avec son écran tactile qui permet de griffonner des notes sur les photos au moyen d'un stylet, renoue avec l'astuce de Kodak en 1914, qui permettait l'inscription de quelques mots sur la pellicule, dans l'intervalle entre deux poses. L'originalité de nos technologies ne doit pas être exagérée... mais leurs avantages sont indéniables : les rouleaux de films Kodak pour l'Autographic Junior 1A ne comptaient que huit poses!

Mon apprentissage de la photo numérique ne m'a pas pris trop longtemps. Selon mes notes, l'inventaire du matériel et de la documentation qui se trouvaient dans la boîte m'a pris huit ou neuf minutes, après quoi j'ai commencé à lire les manuels. Quatre minutes plus tard, je branchais la pile rechargeable. Après avoir feuilleté plutôt que lu la version longue du manuel, je me suis surtout fié à la version courte pour passer à l'étape suivante. Une fois la pile insérée dans l'appareil, il m'a fallu six minutes de manipulations prudentes pour prendre mon premier cliché de l'ère numérique. Et qu'ai-je choisi comme première photo numérique? Une toile de l'expressionniste allemand Walter Gramatté... tout simplement parce qu'elle se retrouvait sur une affiche bien visible dans le sous-sol où j'opérais. Une fois la photo réussie, j'ai éteint l'appareil et je suis allé me coucher, en remettant à plus tard la prise de photos des vieux appareils Kodak ci-dessus pour le cours que j'enseigne.

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2007-03-13

 

La majorité québécoise

Richard Martineau vient de signer un billet dont on parle beaucoup, « Bouscotte contre La vie la vie ». Sa thèse? Elle est donnée par ce paragraphe :

« Il y a encore des gens, au Québec (c’est même la majorité), qui s’identifient davantage aux héros de Bouscotte, de Terre humaine ou du Temps d’une paix. Des gens qui ne se reconnaissent pas dans cet univers virtuel. Des gens qui ont les deux pieds bien ancrés dans la terre, et dont la vie ressemble davantage à une chanson de Félix ou de Mes Aïeux qu’à une toune de Stefie Shock ou de D. J.Champion. »

Est-ce bien le cas? Comme les résultats du recensement de 2006 commencent à sortir, il est possible de jeter un coup d'œil aux chiffres sur les régions urbaines du Québec. Certes, il faut comprendre que la définition de l'urbanisation adoptée pour le recensement remonte au XIXe siècle quand on voulait distinguer la campagne des fermes et des hameaux du monde des petites et grandes villes. Aujourd'hui, le seuil d'un millier de personnes ne nous paraît plus distinguer la ville de la campagne.

Cela dit, les régions urbaines du Québec réunissent quand même 80,2% de la population de la province et les sept plus grandes régions urbaines (qui sont aussi celles dont la population représente 1% ou plus de la population provinciale) totalisent 61,4% de la population du Québec. Dans l'ordre, ce sont :

Montréal — 3 316 615 hab. — 43,95%
Québec — 659 545 hab. — 8,74%
Gatineau — 212 448 hab. — 2,82%
Sherbrooke — 134 610 hab. — 1,78%
Trois-Rivières — 121 666 hab. — 1,61%
Chicoutimi — 106 103 hab. — 1,41%
St-Jean-sur-Richelieu — 78 519 hab. — 1,04%

Évidemment, le lieu de résidence ne correspond pas toujours au sentiment d'appartenance, et il est également clair que la vie au centre-ville de Montréal n'est pas nécessairement le modèle de la vie ailleurs dans ces centres urbains. En revanche, la majorité des Québécois sont ou bien des urbains ou bien des banlieusards; la plupart d'entre eux s'identifient-ils vraiment au Temps d'une paix?

L'alternative de Martineau est sans doute trop tranchée et néglige l'aspect affectif. C'est-à-dire qu'en pratique, le quotidien de la majorité urbaine du Québec est sans doute plus proche de l'urbanité montréalaise (dans sa réalité propre, et non dans la version branchée des médias, bien entendu), mais il est parfaitement possible que les mêmes personnes qui vivent cette vie urbaine s'identifient émotivement plus volontiers à Bouscotte qu'à la culture urbaine. (Après tout, une partie des banlieusards ont fui le centre-ville...)

On peut aborder la question de l'identité autrement. Au recensement de 2001, 80,9% de la population du Québec a déclaré avoir le français pour seule langue maternelle et 7,8% l'anglais. En ce qui concerne la langue parlée à la maison, c'est 87,5% de la population qui parlait le français tout le temps ou une partie du temps. Si on se met à additionner ceux dont la culture est purement urbaine et ceux dont la culture québécoise est d'adoption récente, on peut aussi commencer à se demander si c'est véritablement la majorité du Québec qui se reconnaît dans le monde de Terre humaine. Il ne faut pas oublier que la division du Québec en régions administratives tend à faire oublier le poids humain des grandes villes en exagérant l'importance des régions rurales...

Par contre, il y a sans doute un grand nombre de francophones du Québec qui correspondent à la description de Martineau, peut-être même la majorité. Mais ce ne serait pas la même chose que la majorité des Québécois...

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Vie surveillée

J'ignore pourquoi j'ai pensé à la nouvelle « The Secret Sharer » de Joseph Conrad après avoir vu The Lives of Others, le film allemand Das Leben der Anderen (La vie des autres) qui a obtenu l'Oscar du meilleur film étranger. À première vue, il n'y a aucun rapport. Dans la nouvelle de Conrad, le capitaine d'un navire du tournant du vingtième siècle abrite dans sa cabine un passager clandestin, officier d'un autre navire qui s'est rendu coupable de meurtre. Le capitaine a l'impression de s'être dédoublé et de mener sa vie sous le regard de l'officier caché, qui devient une sorte de conscience et qui peut symboliser, à l'aube de l'ère de la psychologie freudienne, le superego ou self-consciousness qui est cette capacité de surveillance de nos propres actes qui nous rend accessible à l'embarras, le plus souvent. Mais peut-être aussi ce compagnon secret symbolise-t-il les craintes et les incertitudes du nouveau capitaine à bord d'un navire qui n'est pas le sien, le capitaine se débarrassant de ses peurs (et de son compagnon clandestin) dans un moment dramatique alors qu'il risque son navire pour le relancer.

Dans Das Leben der Anderen, un capitaine de la Stasi est chargé de surveiller un dramaturge idéaliste de l'ancienne Allemagne de l'Est, le seul peut-être à croire encore au socialisme. C'est que sa compagne, l'actrice Christa-Maria Sieland, a tapé dans l'œil du ministre de la culture qui veut se débarrasser de l'homme de sa vie. Wiesler, le capitaine de la Stasi, est lui aussi un idéaliste; il croit au système qu'il défend et la mission que lui confie son patron sape ses convictions. Celles-ci vacillent pour de bon quand Christa-Maria, vivement courtisée par le ministre, est sommée par le dramaturge Dreyman de choisir. Wiesler prend à cœur cette sommation; il est déjà intervenu pour laisser Dreyman découvrir la vérité. Cette fois, il se retrouve face à face avec Christa-Maria dans un troquet voisin et il la pousse à résister. C'est le début de sa propre résistance; installé dans les combles, il s'insinue dans la vie de Dreyman et de Christa-Maria au moyen des micros semés dans tout l'appartement.

La mort d'un ancien collaborateur de Dreyman, devenu un ennemi du régime réduit à la réclusion dans un appartement communal, va faire basculer Dreyman dans la dissidence. Il signe un article dévastateur pour Der Spiegel, à l'insu du régime puisque Wiesler s'est mis lui-même à écrire de la fiction en trafiquant ses rapports sur Dreyman. Mais les événements vont se précipiter lorsque Christa-Maria est happée à son tour dans l'engrenage et mise en demeure par la Stasi de trahir son compagnon ou de faire de la prison.

Contrairement à « The Secret Sharer », les principaux protagonistes de Das Leben der Anderen ne sont pas tous conscients de la surveillance qui unit leurs existences. Mais il est clair que Wiesler envie l'existence brillante, créatrice et aventureuse de Dreyman. (Symbolise-t-il un peu la population est-allemande qui épiait la vie en Allemagne de l'Ouest?) Ou peut-être envie-t-il seulement sa liaison avec Christa-Maria... Il se glisse dans l'appartement à l'occasion, dérobant un volume de Brecht et admirant une demeure d'artiste bien différente de son logis aseptisé. Mais c'est le sort qui guette Dreyman dans les prisons de Stasi qui pousse Wiesler à trahir ses supérieurs, ses convictions et ses allégeances.

Dans les mémoires, les nations du Pacte de Varsovie, entre 1968 et la chute du mur de Berlin, apparaissent comme des tyrannies presque civilisées. Le goulag avait été remplacé par des prisons, des asiles psychiatriques et des villes interdites. C'était plus facile d'ignorer cette répression feutrée que la répression brutale du temps de Staline ou que la répression armée encore utilisée en Tchécoslovaquie en 1968. Des guerres ailleurs retenaient l'attention, sans parler du génocide cambodgien. Mais Das Leben der Anderen rappelle l'horreur totalitaire qui éliminait tous les espaces de liberté; pour vivre, il fallait plaire et se soumettre. Le projet d'un socialisme égalitaire était devenu un cauchemar plus clientéliste que le féodalisme médiéval.

Et comme des critiques l'ont souligné, le plus saisissant, c'est de se rappeler à quel point tout cela reste proche. Le 11/9/2001 a fait oublier le 9/11/1989. Ou plutôt a interposé une infinie distance entre le choc des civilisations actuel et les derniers jours de l'utopie communiste. Le rêve fou de la rationalité des Lumières semble tellement étranger au monde des fous de Dieu...

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2007-03-11

 

Les mariages forcés au Québec

Les questions qu'on ne pose pas...

Hier, l'émission Ouvert le samedi de Radio-Canada s'est penchée sur le sujet des mariages forcés au sein des communautés culturelles au Québec, comme on dit. Quelle question n'a-t-on pas posée avant d'en faire une nouvelle crise? Eh bien, même si j'écoutais d'une oreille distraite, je n'ai entendu personne s'interroger sur l'ampleur réelle du phénomène. Les réactions suscitées par l'émission Enjeux ont été vigoureuses, et avec raison. Mais sans minimiser la tragédie des mariages forcés, il faudrait quand même pouvoir la situer dans le catalogue des autres tragédies sociales : meurtres, viols, coups et blessures, accidents de la route...

Des chiffres existent-ils? Les journalistes d'Enjeux semblent avoir surtout fourni des anecdotes, et non des statistiques. Encore une fois, je renvoie aux statistiques (.PDF) de l'immigration au Québec entre 2001 et 2005 : durant cette période, 58,4% des immigrants sont arrivés d'Asie et d'Afrique, soit 118 124 personnes. Durant cette même période, 62% des immigrants (de toutes provenances) avaient 14 années de scolarité et plus. Sans vouloir présumer, d'une part, que les mariages forcés sont le seul fait des Africains et des Asiatiques ou, d'autre part, qu'un haut niveau d'instruction exclut le recours aux mariages forcés, cela semble suggérer que les chiffres ont des chances d'être moins élevés que le bilan des accidents de la route associées à la prise d'alcool (200 morts, 1000 blessés graves, 2500 blessés légers).

En France, le candidat Philippe de Villiers proclame qu'il y aurait 70 000 mariages forcés (par année?), ce qui laisserait croire, ceteris paribus, à 7 000 mariages forcés au Québec... Toutefois, ce chiffre ne résiste pas à l'analyse, qui conclut qu'il y a eu confusion entre le nombre de jeunes filles exposées au risque de se faire imposer un mariage contre leur volonté et le nombre de tels mariages. Impossible de savoir donc ce qu'il en est en France.

Un rapport (.PDF) sur la situation britannique cite deux chiffres : 240 mariages forcés sur une période de 18 mois, soit 160 par année, et une évaluation approximative (remontant à 1999) de 1000 mariages forcés par année. Au Québec, on parlerait donc de 20 à 100 cas par année, ceteris paribus. C'est vague. Évidemment, il faudrait aussi tenir compte des mariages arrangés qui ne vont pas sans coercition, mais la variabilité des chiffres reflète sans doute la difficulté de les départager.

Lors de l'émission d'Ouvert le samedi, les participants se sont affrontés sur le respect de la loi par les immigrants. Encore une fois, on semble s'affronter sur la base d'un fort petit nombre de cas. La majorité reproche à la minorité de ne pas tenir compte de la loi; la minorité se braque et réclame le droit de ne pas se faire imposer des lois où elle ne se reconnaît pas.

La question qu'on ne pose pas : compte tenu de la réalité de la discrimination (.PDF) que subissent les minorités et du préjudice financier résultant, demandons-nous donc si les immigrants accepteraient plus facilement les contraintes de leur nouveau pays s'ils retiraient aussi les avantages associés à cette appartenance? Tant que les immigrants auront le sentiment (à raison) d'être exploités par une société qui profite de leur force de travail mais leur refuse des emplois dans la fonction publique ou des emplois à la hauteur de leurs diplômes, il ne faudra sûrement pas s'étonner qu'ils veulent faire bande à part!

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2007-03-10

 

Zéroville au pouvoir (3)

Pour compléter ma trilogie de regards sur la représentation électorale au Québec, après avoir relevé l'existence de circonscriptions rurales jouissant d'un poids excessif et de circonscriptions de la couronne montréalaises largement sous-représentées, jetons un coup d'œil aux circonscriptions les plus urbaines. Si je retiens quatre ensembles de circonscriptions, soit celles de l'île de Montréal et celles de Laval, ainsi qu'une sélection des circonscriptions centrales de Québec-Lévis et de Gatineau (choisies à l'œil nu pour leur proximité du centre-ville et leur taille réduite qui permet de croire que la densité résidentielle est élevée), j'obtiens les résultats suivants :

Île de Montréal — 28 circonscriptions — 1 269 206 inscrits — +0,95%
Laval — 5 circonscriptions — 270 212 inscrits — +20,36%
Québec-Lévis — 9 circonscriptions — 443 558 inscrits — +9,76%
Gatineau — 3 circonscriptions — 149 284 inscrits — +10,83%

Ainsi, on voit que les grandes régions urbaines pâtissent nettement de la préférence aux circonscriptions ailleurs au Québec. Sans se prononcer, on peut supputer que certains facteurs entrent en jeu.

Les circonscriptions de l'île de Montréal s'en tirent relativement bien dans l'ensemble, sans doute pour deux raisons. D'abord, la population de l'île est, comme on le sait, relativement stable, voire caractérisée par une décroissance au profit des banlieues et de la grande couronne. Ceci tend à corriger la situation antérieure, tout en gonflant les circonscriptions banlieusardes, parfois à l'excès. Ensuite, la région administrative de Montréal compte un si grand nombre de circonscriptions qu'il est relativement facile d'ajuster la population de chacune en déplaçant ses frontières de quelques rues, ou en taillant une nouvelle circonscription. Avec une population dépassant le million, il suffit d'un excès de 3% par rapport à la moyenne pour qu'il devienne possible de créer une nouvelle circonscription sans modifier les limites de la région administration et dans le respect des lois. (On aurait alors une nouvelle circonscription qui compterait 37 720 inscrits, soit 16% de moins que la moyenne.) Ainsi, l'excès ne devrait pas dépasser normalement 4% environ.

À Laval, par compte, la région ne compte que cinq circonscriptions. Par conséquent, pour ajouter une nouvelle circonscription, il faut que l'excès atteigne 20% environ. De fait, il y aurait place pour une sixième circonscription de taille moyenne à Laval dès maintenant. (Non que les limites des circonscriptions se confondent toujours avec celles des régions administratives, mais il semble y avoir un effort pour les faire coïncider.)

Les Lavallois sont donc les citadins les plus clairement lésés au Québec. Le dynamisme du peuplement de Laval, à l'opposé de la stagnation montréalaise, explique sans doute le retard dans la création de la nouvelle circonscription qui s'imposerait. Ce n'est sans doute pas un calcul politique : en 2003, les Libéraux avaient remporté toutes ces circonscriptions. Quand on parle du désavantage électoral traditionnel des Libéraux relativement au PQ, ce n'est pas seulement parce que le vote libéral est concentré dans des circonscriptions où le parti recueille des majorités « gaspillées », comme on l'entend souvent, c'est très probablement aussi parce que les votes libéraux sont concentrés dans des circonscriptions urbaines et péri-urbaines dont les votes comptent moins qu'ailleurs en province. Du coup, on s'étonne que les Libéraux n'aient pas encore opté pour une forme de proportionnelle...

Mais cet avantage structurel d'habitude acquis au PQ profitera-t-il cette fois à l'ADQ?

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2007-03-09

 

Photos du Salon de l'Outaouais 2007

Samedi dernier, de passage au Salon du Livre de l'Outaouais 2007, Laurent McAllister était pris entre deux feux. Sur sa droite, il avait une escouade bottée et casquée, en cotte de mailles et plastron céladon, des Chevaliers d'Émeraude; sur sa gauche, il avait Michèle Laframboise, en train de vendre ses romans à un rythme endiablé. On la voit au travail dans cette photo à droite, mais les jeunes qui échappaient à son emprise filaient droit sur les Chevaliers d'Émeraude, sans s'arrêter par la table de Laurent... Il faut dire que Laurent n'a pas consenti d'efforts extraordinaires pour vendre ses livres, même s'il a discuté de l'opportunité d'apporter au prochain salon un téraphim à la façon d'Oronte... bref, une tête coupée enfermée dans une petite armoire qui trônerait sur la table des signatures. On placerait devant une petite affichette disant « Ne pas ouvrir » pour être sûr d'appâter les jeunes... Que placerait-on dedans? Un crâne en plastique avec des diodes électroluminescentes en guise d'yeux, comme celui-ci? Ou une fausse tête de décapité? Mais bon, si Laurent était assailli de clients, il n'aurait plus le temps pour se faire la conversation et planifier son prochain roman. Ou pour jaser avec les copains de passage... En fait, j'en ai aussi profité pour réviser la traduction d'une novella d'abord parue en anglais, « Driftplast », dont il est question ici.

Bien sûr, il peut arriver même à Michèle Laframboise de s'écrouler de fatigue à force de vendre des livres, comme on le voit dans cette photo... En fait, je soupçonne qu'elle cherchait un crayon ou une plume dans un sac posé sur le plancher à côté d'elle, que l'on peut tout juste voir. On remarquera derrière elle le présentoir au nom des Éditions Fleurus, du groupe du même nom dont on a beaucoup parlé et dont on parle encore à l'occasion de ce cas troublant d'ingérence éditoriale qui a empêché la publication d'un roman pour jeunes de Nathalie Le Gendre. De fait, Prologue distribue de nombreux titres de Fleurus, mais pas nécessairement toutes les collections du groupe. Pour des raisons sans doute historiques, les livres de Mango (et je présume, de Mango jeunesse) sont distribués par les Messageries ADP, qui font partie du groupe Sogides, qui fait lui-même partie de l'empire Quebecor.

Plus tard, quand j'ai fait mon tour du Salon, je me suis naturellement arrêté chez Alire pour prendre une photo du vide. Du vide? Non, du Vide, le nouveau roman en grand format de Patrick Senécal. Je sens que les blagues au sujet de ce titre ne manqueront pas, mais le fait est que cette pile d'exemplaires dressée devant le comptoir de vente d'Alire était des plus impressionnantes. On voit dans cette photo Louise Alain (Prix Personnalité de l'Association québécoise des Salons du livre en 2000), au centre, et Manon Ouellet. Quand il est passé à son tour, Yves s'est fait taquiner avec les photos qu'on avait prises de lui lors de la fête pour le dixième anniversaire d'Alire. Mais le nouveau roman de Patrick, qui a bénéficié d'une excellente couverture médiatique, a fait courir les foules samedi et dimanche. Les ventes ont été bonnes, semble-t-il, et Le Vide a donc fait le plein... du tiroir-caisse. (Irrésistible, je vous dis!) Vais-je l'acheter ou attendrai-je une hypothétique parution en poche? Je penche pour la seconde option; thriller ou roman d'horreur, Le Vide ne comporte aucun élément fantastique, selon l'auteur lui-même. Je n'aurai donc pas à tenter une analyse iconographique du changement de style des couvertures d'Alire (il est vrai que la maison a adopté un style propre pour certaines de ses publications en grand format).

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2007-03-07

 

Zéroville au pouvoir (2)

L'autre jour, j'analysais la représentation vraiment excessive des circonscriptions rurales du Québec. Mais s'il y a des gagnants, il faut bien qu'il y ait des perdants. Qui sont-ils?

En utilisant les mêmes données, on obtient la liste qui suit de circonscriptions provinciales dont le nombre d'inscrits est de plus de 25% supérieur à la moyenne des circonscriptions québécoises :

Chambly (+31,46%) [Montérégie] — (vacante)
Drummond (+25,31%) [Drummondville] — PQ
Fabre (+28,00%) [Laval] — PLQ
Masson (+29,88%) [Terrebonne, etc.] — PQ
Prévost (+26,43%) [St-Jérôme, etc.] — PQ

Dans ce cas, l'échantillon est plus petit. Si la représentation excessive des circonscriptions de la Gaspésie et du Bas-St-Laurent révèle le dépeuplement rural, la sous-représentation de ces circonscriptions révèle surtout l'expansion des banlieues de la couronne montréalaise. Le PQ domine dans ces circonscriptions de la grande banlieue qui, me semble-t-il, sont en grande partie francophones, contrairement à certaines circonscriptions plus proches de l'île de Montréal.

En tout cas, il est dérangeant de constater que la circonscription la plus peuplée du Québec (Chambly) avait si peu d'importance aux yeux du gouvernement qu'elle était restée vacante jusqu'à la veille des élections...

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2007-03-06

 

Valeurs et bonheur

J'ai déjà évoqué ici le bonheur qui se cache sous la neige, mais aussi les recherches qui montrent que l'argent ne fait pas le bonheur. Maintenant, on peut obtenir plusieurs diagrammes pertinents et fort intéressants (mais pas toujours récents) sur le site du World Values Survey. En particulier, on retrouve cette carte culturelle du monde qui prouve la réalité des différences culturelles, tandis que d'autres graphiques confirment la faible corrélation du revenu par tête et du bonheur.

En plus, un article d'Ed Diener et Martin E. P. Seligman passe en revue de nombreux travaux dans ce domaine, y compris certains de ceux que j'ai déjà cités, et les auteurs posent sérieusement la question de savoir ce qu'il convient de faire si l'enrichissement monétaire ne détermine plus que très faiblement le bonheur des individus dans les sociétés les plus riches. Ne devrait-on pas opter pour des politiques qui tentent de maximiser le bonheur plutôt que la croissance économique? C'est aussi le thème d'un article de Bill McKibben dans Mother Jones. Cela peut sembler utopique, mais il ne s'agit pas ici de prêcher la simplicité volontaire. Les résultats de ces travaux suggèrent qu'au-dessus d'un certain seuil (de l'ordre de 15 000 $ par année), le revenu influe assez peu sur le niveau de satisfaction personnelle. Ce qui signifie, logiquement, que gagner moins d'argent n'est pas non plus la clé automatique du bonheur. L'intérêt de la frugalité découlerait principalement de l'élimination des distractions qui nous empêchent de mener notre vie comme nous l'entendons.

Mais pourrons-nous convaincre ceux qui nous gouvernent? Au Québec comme en France, c'est le moment d'y penser...

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