2007-03-28
Le vent des grands espaces
La presque victoire de Mario Dumont a des aspects jouissifs. Suivre la chose, même de loin et en prêtant une oreille distraite aux réactions immédiates, permet d'apprécier à quel point la percée de Dumont a l'effet d'une roche jetée dans une mare. Les vaguelettes secouent ou réveillent tous les habitants. Des possibilités inédites se présentent à l'esprit, des perspectives nouvelles s'ouvrent, des interdits sont remis en question... Et le discours souvent autiste des élites médiatiques est obligé de remettre en question ses définitions toutes faites.
On se moquait du Canada « plusse meilleur pays au monde » de Jean Chrétien, mais on ne s'est jamais assez méfié de l'évidence selon laquelle le Québec était l'État le « plus progressiste en Amérique du Nord ». C'était souvent une façon d'éviter les débats, en se pétant les bretelles parce que les autres points de vue étaient exclus d'emblée. (Mais est-ce si progressiste de compter plus de pauvres et de chômeurs qu'ailleurs?)
Maintenant, il y a comme un frémissement dans l'air, qui se sent jusqu'en Andalousie. Les uns regrettent l'aveuglement des électeurs, d'autres se consolent en se disant que le PQ est maintenant le partie des vraies régions, d'autres cherchent... Et si les choses allaient changer, enfin? L'espoir s'envole et plane, les vieux interdits sont balayés, les coutumes d'antan et les bienséances politiques ne sont plus de mise... On songe aux célèbres vers de William Wordsworth :
« OH! pleasant exercise of hope and joy!
For mighty were the auxiliars which then stood
upon our side, we who were strong in love!
Bliss was it in that dawn to be alive,
But to be young was very heaven!—Oh! times,
in which the meagre, stale, forbidding ways
of custom, law, and statute, took at once
the attraction of a country in romance! »
Il y a du bon et du mauvais dans le vent qui souffle. Les orthodoxies économiques du modèle québécois (réglementations pléthoriques, taxes et impôts également surabondants, syndicats et monopoles sur-protégés) pourraient être révisées. En même temps, l'ouverture aux autres cultures et aux autres langues avait atteint depuis les déchirements meechiens un certain équilibre, en particulier à Montréal... mais on avait oublié d'en informer le reste du Québec, porté à grossir à l'excès les moindres incidents propres à la vie dans une grande ville. Maintenant, au lieu de s'inquiéter de la réalité du racisme et de la discrimination (.PDF) au Québec, on transforme en psychodrames le moindre accommodement raisonnable. Ira-t-on vers le même genre de durcissement des rapports entre majorité et minorité qu'on a vu en France?
Pourtant, on pointe très plausiblement les carences de l'éducation anti-raciste au Québec relativement au reste du pays. C'est un fait qu'ailleurs au Canada, un élève du secondaire ne quittera sans doute pas l'école sans avoir lu et étudié To Kill A Mockingbird ou le Journal d'Anne Frank; en Ontario francophone, on ajoutait volontiers Tanguy de Miguel del Castillo à cette liste. Qu'en est-il au Québec?
À l'Assemblée nationale, Jean Charest aura sans doute l'appui de l'ADQ s'il désire encore procéder à certaines réformes économiques. Il se retrouve, ceteris paribus, dans la même situation que Jean Chrétien en 1993. Le « progressisme » québécois s'étant mis hors-jeu en faisant élire le Bloc québécois, les Libéraux fédéraux n'étaient plus menacés que par les Réformistes, qui étaient singulièrement mal placés pour s'opposer à la réduction des déficits.
Cette fois, la gauche québécoise s'est mise hors-jeu en se divisant entre Québec solidaire et le PQ. Jean Charest sera beaucoup plus libre de poursuivre une politique de droite en économie. En même temps, une avenue s'ouvre pour lui à gauche dans la mesure où l'ADQ incarnera désormais la droite nationaliste — à moins que Mario Dumont ne flaire le piège et parvienne à séduire une partie de la gauche. Au nom du populisme et du « vrai monde », il est souvent possible d'enjamber une grande partie du spectre.
Mais si les Libéraux pratiquent une politique économique de droite, quels gages pourraient-ils donner à la gauche? Les mesures sociales exigeant des moyens, des bureaucraties ou des interventions législatives seraient en contradiction avec ce programme politique de retrait et de dégraissage de l'État. L'ouverture à l'autre dans la veine d'un interculturalisme ou multiculturalisme renouvelé se heurterait à de fortes résistances dans les milieux nationalistes. Il resterait peut-être à parier sur l'environnement...
Bref, le futur s'annonce intéressant. Au sens de la malédiction chinoise, peut-être, car on se rappellera bien sûr que Wordsworth avait signé ces lignes pour évoquer les espoirs soulevés par les premiers jours de la Révolution française...
On se moquait du Canada « plusse meilleur pays au monde » de Jean Chrétien, mais on ne s'est jamais assez méfié de l'évidence selon laquelle le Québec était l'État le « plus progressiste en Amérique du Nord ». C'était souvent une façon d'éviter les débats, en se pétant les bretelles parce que les autres points de vue étaient exclus d'emblée. (Mais est-ce si progressiste de compter plus de pauvres et de chômeurs qu'ailleurs?)
Maintenant, il y a comme un frémissement dans l'air, qui se sent jusqu'en Andalousie. Les uns regrettent l'aveuglement des électeurs, d'autres se consolent en se disant que le PQ est maintenant le partie des vraies régions, d'autres cherchent... Et si les choses allaient changer, enfin? L'espoir s'envole et plane, les vieux interdits sont balayés, les coutumes d'antan et les bienséances politiques ne sont plus de mise... On songe aux célèbres vers de William Wordsworth :
« OH! pleasant exercise of hope and joy!
For mighty were the auxiliars which then stood
upon our side, we who were strong in love!
Bliss was it in that dawn to be alive,
But to be young was very heaven!—Oh! times,
in which the meagre, stale, forbidding ways
of custom, law, and statute, took at once
the attraction of a country in romance! »
Il y a du bon et du mauvais dans le vent qui souffle. Les orthodoxies économiques du modèle québécois (réglementations pléthoriques, taxes et impôts également surabondants, syndicats et monopoles sur-protégés) pourraient être révisées. En même temps, l'ouverture aux autres cultures et aux autres langues avait atteint depuis les déchirements meechiens un certain équilibre, en particulier à Montréal... mais on avait oublié d'en informer le reste du Québec, porté à grossir à l'excès les moindres incidents propres à la vie dans une grande ville. Maintenant, au lieu de s'inquiéter de la réalité du racisme et de la discrimination (.PDF) au Québec, on transforme en psychodrames le moindre accommodement raisonnable. Ira-t-on vers le même genre de durcissement des rapports entre majorité et minorité qu'on a vu en France?
Pourtant, on pointe très plausiblement les carences de l'éducation anti-raciste au Québec relativement au reste du pays. C'est un fait qu'ailleurs au Canada, un élève du secondaire ne quittera sans doute pas l'école sans avoir lu et étudié To Kill A Mockingbird ou le Journal d'Anne Frank; en Ontario francophone, on ajoutait volontiers Tanguy de Miguel del Castillo à cette liste. Qu'en est-il au Québec?
À l'Assemblée nationale, Jean Charest aura sans doute l'appui de l'ADQ s'il désire encore procéder à certaines réformes économiques. Il se retrouve, ceteris paribus, dans la même situation que Jean Chrétien en 1993. Le « progressisme » québécois s'étant mis hors-jeu en faisant élire le Bloc québécois, les Libéraux fédéraux n'étaient plus menacés que par les Réformistes, qui étaient singulièrement mal placés pour s'opposer à la réduction des déficits.
Cette fois, la gauche québécoise s'est mise hors-jeu en se divisant entre Québec solidaire et le PQ. Jean Charest sera beaucoup plus libre de poursuivre une politique de droite en économie. En même temps, une avenue s'ouvre pour lui à gauche dans la mesure où l'ADQ incarnera désormais la droite nationaliste — à moins que Mario Dumont ne flaire le piège et parvienne à séduire une partie de la gauche. Au nom du populisme et du « vrai monde », il est souvent possible d'enjamber une grande partie du spectre.
Mais si les Libéraux pratiquent une politique économique de droite, quels gages pourraient-ils donner à la gauche? Les mesures sociales exigeant des moyens, des bureaucraties ou des interventions législatives seraient en contradiction avec ce programme politique de retrait et de dégraissage de l'État. L'ouverture à l'autre dans la veine d'un interculturalisme ou multiculturalisme renouvelé se heurterait à de fortes résistances dans les milieux nationalistes. Il resterait peut-être à parier sur l'environnement...
Bref, le futur s'annonce intéressant. Au sens de la malédiction chinoise, peut-être, car on se rappellera bien sûr que Wordsworth avait signé ces lignes pour évoquer les espoirs soulevés par les premiers jours de la Révolution française...
Libellés : Politique, Québec, Société