2007-03-25
Le Québec et le voile
La réaction provoquée par l'annonce que les femmes musulmanes vêtues d'un niqab pourraient voter sans avoir à se dévoiler à condition de fournir toutes les pièces d'identité requises, voire de prêter serment, a eu quelque chose d'effrayant.
On cherche l'expression qui convient. Hystérie? Délire paranoïaque? Minute de haine orwellienne? On a eu beau faire remarquer que le nombre de personnes en causes se comptait sans doute par dizaines, au plus par centaines, on a eu beau souligner que le vote par la poste ou autrement n'exigeait pas la présence à visage découvert, rien n'a pu enrayer l'engrenage. Ce qui s'est déchaîné en quelques heures avait tout de la foule hurlante réclamant la tête de celui qui a le tort de penser autrement. Le caractère inquiétant de cette bouffée xénophobe n'était égalé que par la facilité avec laquelle le directeur général des élections a cédé. Ou par la démagogie des dirigeants politiques.
Que diable craignait-on? Que des terroristes d'Al-Qaeda se promènent en niqab d'un bureau de vote à l'autre pour faire gagner leurs candidats? Évidemment, si on a raison de croire que Ben Laden a fait de son mieux pour faire élire George Bush en 2004, peut-être que ses séides voudraient faire gagner l'ADQ au nom de la politique du pire... Ou craignait-on que des dizaines de militantes de tel ou tel parti traditionnel se déguiseraient pour voter plusieurs fois? Mais les courses les plus serrés ne se déroulent pas nécessairement sur l'île de Montréal et gageons qu'un contingent de femmes en niqab se ferait vite remarquer dans les bureaux de vote de la Mauricie ou de la Beauce...
Ces arguments ont-ils été formulés sérieusement? J'ai plutôt l'impression que la réaction instinctive de rejet a surtout été motivée par le rejet de la différence, tout simplement, surtout quand cette différence est associée à tout ce que traîne l'islam depuis le 11 septembre, et de manière plus diffuse depuis les Croisades dans la culture chrétienne. C'est ce rejet irréfléchi de la différence qui nourrit les préventions au sujet du fond québécois.
Il n'est pas question ici de nier que le Canada peut compter des ennemis au sein de la communauté musulmane, surtout depuis que le gouvernement Harper a abandonné toute forme de neutralité (autre qu'opportuniste). Mais j'ai déjà fait remarquer que ce ne serait pas la première fois qu'une communauté immigrante abrite des éléments hostiles. Le Canada y a déjà survécu et je ne doute pas qu'il y survivra encore. Dans une certaine mesure, on peut soutenir que le Canada a évité de répéter les erreurs d'autrefois : pas de déportation comme dans le cas des Canadiens d'origine japonaise, pas d'internement massif comme dans le cas des Canadiens d'origine allemande, autrichienne ou allemande au temps de la Première Guerre mondiale... La détention prolongée d'une poignée de suspects peut se critiquer, mais elle ne se confond pas avec les abus d'autrefois.
Reste qu'on finit par s'interroger sur le fond québécois.
On cherche l'expression qui convient. Hystérie? Délire paranoïaque? Minute de haine orwellienne? On a eu beau faire remarquer que le nombre de personnes en causes se comptait sans doute par dizaines, au plus par centaines, on a eu beau souligner que le vote par la poste ou autrement n'exigeait pas la présence à visage découvert, rien n'a pu enrayer l'engrenage. Ce qui s'est déchaîné en quelques heures avait tout de la foule hurlante réclamant la tête de celui qui a le tort de penser autrement. Le caractère inquiétant de cette bouffée xénophobe n'était égalé que par la facilité avec laquelle le directeur général des élections a cédé. Ou par la démagogie des dirigeants politiques.
Que diable craignait-on? Que des terroristes d'Al-Qaeda se promènent en niqab d'un bureau de vote à l'autre pour faire gagner leurs candidats? Évidemment, si on a raison de croire que Ben Laden a fait de son mieux pour faire élire George Bush en 2004, peut-être que ses séides voudraient faire gagner l'ADQ au nom de la politique du pire... Ou craignait-on que des dizaines de militantes de tel ou tel parti traditionnel se déguiseraient pour voter plusieurs fois? Mais les courses les plus serrés ne se déroulent pas nécessairement sur l'île de Montréal et gageons qu'un contingent de femmes en niqab se ferait vite remarquer dans les bureaux de vote de la Mauricie ou de la Beauce...
Ces arguments ont-ils été formulés sérieusement? J'ai plutôt l'impression que la réaction instinctive de rejet a surtout été motivée par le rejet de la différence, tout simplement, surtout quand cette différence est associée à tout ce que traîne l'islam depuis le 11 septembre, et de manière plus diffuse depuis les Croisades dans la culture chrétienne. C'est ce rejet irréfléchi de la différence qui nourrit les préventions au sujet du fond québécois.
Il n'est pas question ici de nier que le Canada peut compter des ennemis au sein de la communauté musulmane, surtout depuis que le gouvernement Harper a abandonné toute forme de neutralité (autre qu'opportuniste). Mais j'ai déjà fait remarquer que ce ne serait pas la première fois qu'une communauté immigrante abrite des éléments hostiles. Le Canada y a déjà survécu et je ne doute pas qu'il y survivra encore. Dans une certaine mesure, on peut soutenir que le Canada a évité de répéter les erreurs d'autrefois : pas de déportation comme dans le cas des Canadiens d'origine japonaise, pas d'internement massif comme dans le cas des Canadiens d'origine allemande, autrichienne ou allemande au temps de la Première Guerre mondiale... La détention prolongée d'une poignée de suspects peut se critiquer, mais elle ne se confond pas avec les abus d'autrefois.
Reste qu'on finit par s'interroger sur le fond québécois.
Libellés : Canada, Politique, Québec, Société
Comments:
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Je crois que tu cherches trop loin tes raisons. Le principe qui a été appliqué est simplement le principe d'équité: on s'identifie en montrant son visage. Un point c'est tout. Évidemment, étant donné le petit nombre de personnes concernées (et leur répartition qui est probablement plus montréalaise qu'autre chose), une gestion locale aurait été souhaitable, évitant toute cette histoire avec si peu.
L'égalité de traitement est-elle équitable? C'est toujours le coeur du débat. Mets une personne en fauteuil roulant devant un escalier et demande-lui de monter aussi vite qu'une personne ingambe... C'est pourquoi nous avons transformé depuis trente ans nos infrastructures et notre environnement bâti.
Demande à l'enfant d'une famille pauvre, dont la maison ne compte pas un seul livre ou ordinateur et dont les nuits sont troublées par des altercations entre ses parents éméchés, de faire aussi bien à l'école que l'enfant d'une famille riche, qui a internet à la maison, qui a des dictionnaires dans sa chambre et qui suit des cours privés... Ne doutons pas que le professeur applique l'égalité parfaite dans sa correction des examens de chacun, mais ne doutons pas non plus que l'un d'eux part avec une longueur d'avance.
On m'objectera que ce sont des situations différentes, que ni la personne handicapée ni l'enfant pauvre n'ont choisi leur condition. Mais une adhésion religieuse n'est pas non plus semblable au choix entre un Big Mac un jour et un Whopper le jour suivant. Obligerait-on un prêtre catholique à célébrer le mariage de deux homosexuels dans son église sous prétexte que c'est la politique officielle de l'État québécois?
Le droit de vote est sans doute le droit démocratique le plus important. Il est accordé aux criminels, il est accordé aux personnes en voyage (qui ne peuvent pas montrer leur visage) et toute personne majeure bénéficie d'une présomption de capacité de voter, même si on ne lui confierait pas le volant d'une voiture. Dans ces conditions, que se passe-t-il ici? L'égalité de traitement ne devient-elle pas une manière de réclamer la conformité à tout prix?
Dès lors, la question se pose de savoir ce qu'est le Québec : une société catholique ou une société laïque? Une société laïque ne donne pas la préférence à une religion au détriment d'une autre, mais elle ne doit pas non plus décourager la pratique d'une religion plus qu'une autre.
On m'objectera que le port du niqab n'est pas une obligation religieuse dans l'Islam; c'est sans doute vrai, mais il est également vrai que l'Islam n'est pas une religion centralisée doté d'un pape et d'une hiérarchie. On dit que la différence entre une langue et un dialecte, c'est qu'une langue est un dialecte parlé par une armée. La différence entre une religion et une secte est sans doute du même ordre. Si nous avons affaire ici à une secte musulmane, cela nous permet-il de mettre en doute la sincérité des croyances religieuses des membres de la secte? Dans une démocratie, on peut le faire quand de telles croyances mettent d'autres personnes en danger, mais on a généralement tendance à ne pas vouloir régenter la vie des croyants pour leur propre bien.
Dans cette affaire, il y avait à l'origine un recours prévu et régulier (correspondant donc à l'égalité de traitement) pour les femmes voilées qui désireraient voter. Prestation de serment à part, fourniture de documents supplémentaires... La routine, quoi.
Soyons réalistes. C'est beaucoup plus la possession d'une pièce d'identité munie d'une photo qui autorise le vote que la photo en soi. Si on exigeait réellement au moment de voter que les photos correspondent de manière ressemblante aux visages des votants, le vote serait beaucoup plus compliqué. Bref, l'argument du vote à visage découvert parce que c'est la norme me semble un peu hypocrite. On vote à visage découvert parce que, dans notre culture d'origine, nous n'avons rien à cacher. Dans la culture d'origine de ces femmes, ce n'est pas le cas. On peut ne pas être d'accord, mais il faut se poser la question : est-ce que cela doit empêcher de voter?
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Demande à l'enfant d'une famille pauvre, dont la maison ne compte pas un seul livre ou ordinateur et dont les nuits sont troublées par des altercations entre ses parents éméchés, de faire aussi bien à l'école que l'enfant d'une famille riche, qui a internet à la maison, qui a des dictionnaires dans sa chambre et qui suit des cours privés... Ne doutons pas que le professeur applique l'égalité parfaite dans sa correction des examens de chacun, mais ne doutons pas non plus que l'un d'eux part avec une longueur d'avance.
On m'objectera que ce sont des situations différentes, que ni la personne handicapée ni l'enfant pauvre n'ont choisi leur condition. Mais une adhésion religieuse n'est pas non plus semblable au choix entre un Big Mac un jour et un Whopper le jour suivant. Obligerait-on un prêtre catholique à célébrer le mariage de deux homosexuels dans son église sous prétexte que c'est la politique officielle de l'État québécois?
Le droit de vote est sans doute le droit démocratique le plus important. Il est accordé aux criminels, il est accordé aux personnes en voyage (qui ne peuvent pas montrer leur visage) et toute personne majeure bénéficie d'une présomption de capacité de voter, même si on ne lui confierait pas le volant d'une voiture. Dans ces conditions, que se passe-t-il ici? L'égalité de traitement ne devient-elle pas une manière de réclamer la conformité à tout prix?
Dès lors, la question se pose de savoir ce qu'est le Québec : une société catholique ou une société laïque? Une société laïque ne donne pas la préférence à une religion au détriment d'une autre, mais elle ne doit pas non plus décourager la pratique d'une religion plus qu'une autre.
On m'objectera que le port du niqab n'est pas une obligation religieuse dans l'Islam; c'est sans doute vrai, mais il est également vrai que l'Islam n'est pas une religion centralisée doté d'un pape et d'une hiérarchie. On dit que la différence entre une langue et un dialecte, c'est qu'une langue est un dialecte parlé par une armée. La différence entre une religion et une secte est sans doute du même ordre. Si nous avons affaire ici à une secte musulmane, cela nous permet-il de mettre en doute la sincérité des croyances religieuses des membres de la secte? Dans une démocratie, on peut le faire quand de telles croyances mettent d'autres personnes en danger, mais on a généralement tendance à ne pas vouloir régenter la vie des croyants pour leur propre bien.
Dans cette affaire, il y avait à l'origine un recours prévu et régulier (correspondant donc à l'égalité de traitement) pour les femmes voilées qui désireraient voter. Prestation de serment à part, fourniture de documents supplémentaires... La routine, quoi.
Soyons réalistes. C'est beaucoup plus la possession d'une pièce d'identité munie d'une photo qui autorise le vote que la photo en soi. Si on exigeait réellement au moment de voter que les photos correspondent de manière ressemblante aux visages des votants, le vote serait beaucoup plus compliqué. Bref, l'argument du vote à visage découvert parce que c'est la norme me semble un peu hypocrite. On vote à visage découvert parce que, dans notre culture d'origine, nous n'avons rien à cacher. Dans la culture d'origine de ces femmes, ce n'est pas le cas. On peut ne pas être d'accord, mais il faut se poser la question : est-ce que cela doit empêcher de voter?
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