2009-09-02

 

Le district des extraterrestres

Vu hier soir le film District 9, qui, comme Moon, a pour mérite d'être de la science-fiction sans concession. Contrairement à Moon, toutefois, District 9 a bénéficié d'un budget d'importance, de l'endossement de Peter Jackson et de décors nettement moins aseptisés.

De quoi s'agit-il? Dans un futur proche, un immense vaisseau spatial s'est immobilisé au-dessus de Johannesburg en Afrique du Sud. Les premiers humains à pénétrer à bord ont découvert une population d'extraterrestres humanoïdes dont l'apparence les apparente à des crustacés... Affamés et désorientés, ceux-ci ont été pris en charge par le gouvernement d'Afrique du Sud et installés dans un camp de réfugiés, « District 9 ». Celui-ci est rapidement devenu un bidonville ou ghetto puisque que les « prawns », comme on les appelle, ne sont pas acceptés par la population humaine à l'extérieur du camp. Quand l'action du film débute, un bureaucrate, Wikus van de Merwe, est chargé de distribuer des avis d'expulsion aux habitants du camp, que l'on désire établir dans une nouvelle enclave, à l'écart de la grande ville qui ne supporte plus la proximité de ces extraterrestres indésirables...

Il convient d'avouer que le scénario de District 9 est nettement moins méticuleux que celui de Moon quand il s'agit de résoudre les petits mystères de l'intrigue. Il reste beaucoup de scories. L'avis d'expulsion est censé précéder de vingt-quatre heures le nettoyage de « District 9 », mais rien n'a commencé près de trois jours plus tard, tandis que Wikus subit les conséquences d'une contamination par ce qui est censé être une source d'énergie, mais qui serait aussi soit un vecteur viral soit un cocktail de nanomachines — ce qui n'est pas entièrement convaincant. Le scénario ne répond pas à toutes les questions qu'il soulève : pourquoi ces extraterrestres ont-ils abouti sur Terre? l'extraterrestre qui conclut une alliance de circonstance avec Wikus est-il plus intelligent que les autres? appartient-il à une caste différente? est-il un ancien pilote? A priori, on ne le saura pas. Tout au plus devine-t-on que leur monde d'origine a sept lunes, si j'ai bien compris...

Globalement, le film est aussi satisfaisant sur le plan humain que sur celui de l'action. Ne réussit-il pas à nous faire sympathiser avec des extraterrestres qui sont en partie de simples créations numériques (très éloignées de Jar-Jar Binks)? Certes, la transformation de Wikus en personnage capable de fraterniser avec les extraterrestres est un peu télégraphiée, mais l'affrontement qui conclut le film l'est moins que les critiques l'ont laissé entendre. Tout simplement parce qu'il ne s'agit pas d'une fusillade gratuite, axée sur les explosions ou les péripéties, mais parce que l'intrigue du film lui donne un sens humain. Pas seulement celui d'une vengeance, ce qui constitue le moteur de beaucoup trop de bagarres hollywoodiennes, mais celui d'une rédemption.

Bref, c'est un film en partie politique. Les grands thèmes de l'intolérance et du rejet de l'autre sont évidents au point de crever les yeux. La dimension sud-africaine est très présente, quoique plus discrète pour qui ne connaît pas l'histoire de l'Afrique du Sud. Faire du personnage humain principal un Afrikaner chargé de gérer la déportation de toute la population d'un ghetto, c'est déjà assez clair. Pour enfoncer le clou, il appelle « boy » son jeune collaborateur noir (obligé de se passer d'une veste pare-balles) et il se fait appeler « boss » par son garde du corps noir, qui est le bras armé de l'organisme chargé de nettoyer ce camp de réfugiés extraterrestres. D'autres allusions sont plus discrètes, comme ce commentaire dans un vox populi qui appelle à la guerre biologique pour éradiquer des extraterrestres devenus gênants — ce qui renvoie à des recherches actives sous le régime de l'apartheid. Pour corser les choses, le film a été tourné en grande partie à Chiawelo, à deux pas de Soweto, le plus connu sans doute des townships de l'ancien régime.

On a aussi critiqué les gangsters nigériens du film, un peu trop stéréotypés au goût de plusieurs. Mais si les Nigériens sont désormais connus hors de l'Afrique comme des escrocs et criminels avant tout, ce n'est pas aux Occidentaux qu'il faut s'en prendre... D'une part, on soupçonne une petite vengeance d'internaute qui a trop vu de messages nigériens envahir sa boîte à lettres. D'autre part, tout stéréotype est à double détente. Si on dépeint ces gangsters nigériens comme des criminels bêtes et bestiaux, que faut-il en conclure au sujet des victimes que leurs modèles réussissent à exploiter ou abuser en misant sur leur crédulité et leur cupidité?

Quant au jeu d'acteur, il est particulièrement impressionnant dans le cas de Sharlto Copley qui joue Wikus — et qui joue dans un long-métrage pour la première fois.

Bref, l'été 2009 aura vu le retour de la science-fiction sérieuse au cinéma.

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Comments:
But is the fight at the end really redemptive? At some level Wikus is acting in self-interest . . .

I also have philosophical issues with the central rhetorical strategy of the film even as I see arguments for it . . .
 
La rédemption doit-elle être désintéressée? Bonne question pour un cours de philosophie! Dans Lord Jim, le personnage principal s'est-il racheté quand il s'est érigé en protecteur du petit village où il s'est installé? Il a sauvé le village de ses ennemis, mais il en est récompensé par le rôle de chef qu'on lui reconnaît.

Ou se rachète-t-il quand il se fait tuer? Mais il se fait tuer bêtement, d'une manière qui ne rapporte rien à personne, sauf peut-être un peu de soulagement à un père éploré.

Quelle est la stratégie rhétorique centrale du film, selon toi?
 
D'accord, je vois sur ton blogue, Val, que la stratégie en question, c'est de comparer les humains à des extraterrestres.

À mon avis, il faut se retenir avant de faire de ce type de film une allégorie. Parce que, sinon, on sera obligé d'expliquer ce que le départ du vaisseau-mère signifie. Ou la transformation physique de Wikus. En termes allégoriques, on peut envisager dans le premier cas la création d'une expectative quant au sort ultime des populations blanches de l'Afrique du Sud, à la merci du pouvoir grandissant des populations noires de l'Afrique. Mais je ne crois pas que Blomkamp ait conçu la chose de manière aussi simpliste : son film peut exprimer une angoisse sous-jacente face au futur, mais il n'y a tout simplement pas d'équivalent direct dans notre monde de la situation du film. La population noire d'Afrique du Sud n'est pas arrivée de nulle part; elle est plus ou moins indigène. En revanche, même si Blomkamp avoue que son inspiration remonte à l'apartheid, il pourrait fort bien cibler des situations plus récentes en Afrique du Sud, dont le traitement des réfugiés du Zimbabwe ou du Mozambique...

Quant à la transformation physique de Wikus, symboliserait-elle alors une assimilation à la majorité? Mais si cette majorité est présentée comme étant dans son droit, pourquoi Wikus regrette-t-il son ancienne humanité?

Les meilleures créations artistiques comptent de nombreuses couches de sens, mais ce ne sont pas nécessairement des machines à fabriquer du sens à partir d'une équation initiale.
 
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