2007-08-09

 

Étalement urbain

Cette photo du centre-ville de Toronto, estompé par la distance et la brume matinale, tache blanche du SkyDome à gauche, a été prise du pied du monument élevé au général Isaac Brock, héros britannique de la guerre de 1812. Elle permet de rapprocher en un seul coup d'œil les deux extrémités de ce qu'on appelle le « fer à cheval doré » — The Golden Horseshoe, c'est-à-dire la succession de villes, villages et autres localités qui enserrent le bout occidental du lac Ontario. Une distance d'environ cinquante kilomètres à vol d'oiseau sépare ces deux extrémités, mais ce qu'il y a entre les deux, c'est un pays à l'intérieur du pays. Et quel pays!C'est encore le cœur industriel du Canada, exception faite de l'aéronautique et de la haute-technologie domiciliées à Montréal. C'est sans conteste la capitale financière du pays, les sièges sociaux des plus grandes banques et compagnies ayant élu domicile dans les gratte-ciel visibles à cette distance... C'est aussi le centre de gravité démographique du pays, au figuré sinon au propre. (En 1993, le centre de gravité démographique exact du pays se trouvait un peu à l'ouest de Peterborough, qui fait partie de la version maximale du Golden Horseshoe. Mais je n'ai pas de données plus récentes.) Plus du quart de la population canadienne habite dans la région ou à proximité. (Dans sa version élargie, le Golden Horseshoe est déjà plus populeux que le Québec, avec ses plus de huit millions d'habitants.) Compte tenu de l'ensemble du corridor Québec-Windsor et des agglomérations environnantes (Ottawa-Gatineau, Sherbrooke), c'est plus de la moitié du pays qui s'y retrouve et le centre de gravité de cette partie du pays se situe sûrement aussi quelque part entre Kingston et Toronto. Mais sillonner cette région en voiture est aussi désespérant qu'une traversée à pied du sprawl de la proche banlieue torontoise. La photo ci-dessus indique bien qu'à l'extérieur du centre-ville de Toronto, cette vaste agglomération est horizontale. Les pavillons et bungalows, les centres commerciaux, les hangars de parpaings, les stationnements qui sont la quintessence de l'absence de relief... Tout est à ras de terre, hormis quelques immeubles, çà et là, qui ne dépassent pas souvent la vingtaine d'étages.

Et si le port de Hamilton est splendide la nuit, dans le genre de la sculpture abstraite éclairée, et si la péninsule du Niagara conserve de beaux parcs et quelques champs bucoliques, et si la ville de Toronto bichonne des quartiers centraux qui valent encore le détour, l'ensemble est d'une épuisante monotonie. Les mêmes noms de commerce se retrouvent à tous les vingt ou trente kilomètres, les mêmes modèles de maisons, les mêmes viaducs et bretelles d'autoroutes...

L'efficacité veut cela. L'originalité et la diversité coûtent cher. Construisons des lotissements interminables, reproduits à l'identique encore et encore, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes... tant que le coût du transport ne changera pas, qu'on acceptera de passer des heures dans une voiture et qu'on admettra de vivre dans des décors publics de plus en plus laids (avec ou sans graffiti) en se fabriquant des nids de plus en plus confortables ou en vivant dans des univers virtuels pour oublier...

C'est un mal de notre temps, « public squalor » et « private affluence » diagnostiqué il y a longtemps par John Kenneth Galbraith, lui-même originaire d'une région rurale aux confins du Greater Golden Horseshoe actuel. Du coup, on ne construit rien de permanent en se disant qu'il sera toujours temps de faire mieux plus tard. Et, du coup, cinquante ans plus tard, on se retrouve avec les mêmes rues bordées de pavillons ou avec des ponts qui s'effondrent.

Libellés :


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?