2007-07-04

 

Fontaine de Jouvence cellulaire

Dans L'Homme cet inconnu (1935) du médecin français Alexis Carrel (Prix Nobel de médecine 1912), l'auteur décrit brièvement les cellules extraites d'un cœur de poulet embryonnaire et cultivées en laboratoire de 1912 à 1946. Plongées dans un fluide nourricier, ces cellules isolées semblaient se reproduire indéfiniment et Carrel affirme carrément : « Les colonies provenant d'un fragment de cœur extirpé à un embryon de poulet au mois de janvier 1912 s'accroissent aussi activement aujourd'hui qu'il y a vingt-trois ans. En fait, elles sont immortelles. ».

Cette culture de cellules d'origine cardiaque devient un morceau de cœur pantelant dans la fiction de Robert A. Heinlein, plus précisément dans son roman Methuselah's Children (1941). Les Familles Howard emportent dans leur fuite un échantillon de ce même cœur, décrit ainsi en traduction : « Mrs Awkins était plus âgée que le plus vieux membre des Familles, à part peut-être Lazarus lui-même. Elle était un morceau de tissu de cœur de poulet, fourni au XXe siècle par l'Institut Rockefeller et maintenu en vie depuis plus de deux siècles par le Dr Hardy et ses prédécesseurs, grâce aux techniques Carrel-Lindberg-O'Shaug. » (p. 152) Il s'agit bien ici d'Alexis Carrel de l'Institut Rockefeller et de son collaborateur éphémère Charles Lindbergh; Heinlein leur accole un O'Shaug probablement fictif, même s'il pourrait s'agir d'une allusion au grand chirurgien britannique Laurence O'Shaughnessy, tué à Dunkerque et le frère de la première femme de George Orwell, le pionnier de plusieurs opérations cardiaques, dont au moins une suggérée par Carrel lui-même... Dans le roman d'Heinlein, l'immortalité de ce morceau de cœur permet d'accorder une certaine foi à la longévité des Familles Howard (surtout que Lazarus Long lui-même est né en 1912).

Las, Leonard Hayflick démontra vingt ans plus tard que les cellules aussi ont une espérance de vie!

Dans cet article de 1997, Hayflick lui-même résume ses recherches dans le domaine. La principale découverte qui lui est associée, c'est que les cellules normales (non-cancéreuses et non-altérées) ont une durée de vie limitée. La culture de cellules cardiaques de Carrel était un cas unique, non-reproductible, qu'on ne s'explique toujours pas tout à fait aujourd'hui. (Quelques possibilités sont évoquées par Jan Witkowski dans « The myth of cell immortality », paru dans Trends in Biochemical Sciences en 1985.)

Dans Methuselah's Children, la longévité des Familles Howard est acquise par une forme d'eugénisme favorisée à l'origine par des primes payées aux personnes acceptant d'épouser des personnes désignées, afin d'unir des lignées manifestant déjà une longévité exceptionnelle. Dans L'homme cet inconnu, Carrel impute la longévité à l'hérédité et à l'environnement : « Il est évident, cependant, que la longévité est héréditaire et qu'elle dépend aussi des conditions du développement. Quand les descendants de familles où la vie est longue viennent habiter les grandes villes, ils perdent en une ou deux générations la capacité de vivre mieux. » Et Carrel de suggérer que la longévité humaine pourrait être augmentée par des changements dans les circonstances de vie, y compris un régime hypocalorique se résumant à « deux jours de jeûne par semaine ».

Carrel plaide aussi pour l'eugénisme volontaire, mais pour développer soit les qualités des êtres exceptionnellement doués soit la santé. Néanmoins, le fonctionnement qu'il envisage reste proche d'Heinlein : « L'eugénisme volontaire n'est pas irréalisable. Sans doute, l'amour souffle aussi librement que le vent. Mais la croyance en cette particularité de l'amour est ébranlée par le fait que certains jeunes hommes ne tombent amoureux que de jeunes filles riches, et vice versa. Si l'amour est capable d'écouter l'argent, il se soumettra peut-être à des considérations aussi pratiques que celles de la santé. »

L'ultime rebondissement du roman d'Heinlein survient au retour sur Terre des Familles Howard. Alors qu'elles ont fui parce qu'on croyait qu'elles détenaient le secret de l'immortalité et refusaient de le partager, elles découvrent que tout le monde est devenu immortel! Et ceci grâce au procédé qui consiste « à remplacer entièrement le sang d'une personne âgée par du sang jeune et nouveau. »

Or, Carrel envisage le même procédé dans L'homme cet inconnu. Il note d'abord qu'il « semble probable que l'introduction de sang jeune dans l'organisme d'un vieillard produirait des modifications favorables. Il est étrange que cette opération n'ait pas été tentée de nouveau. » Et il revient un peu plus loin sur le sujet dans ces lignes :

« Si on remplaçait les glandes et le sang d'un vieillard par les glandes d'un enfant mort-né et le sang d'un jeune homme, le vieillard peut-être rajeunirait. Mais il faudra surmonter beaucoup de difficultés techniques avant qu'une telle opération soit possible. Nous ne savons pas encore comment choisir des organes appropriés à un individu donné. Il n'y a pas de procédé qui permette de rendre les tissus transplantés capables de s'adapter de façon définitive à leur hôte. Mais les progrès de la science sont rapides. Grâce aux techniques qui existent déjà, et à celles qui sont découvrables, nous pourrons continuer la recherche du grand secret. »

Ce « grand secret » a sans doute inspiré Barjavel, mais Heinlein, dans Methuselah's Children, fait déjà de la longévité le « Secret des Familles Howard » pour la masse affolée...

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